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Enfin, il faut être visionnaire pour trouver des lettres dans le ciel, & y lire, comme Postel prétendoit l'avoir fait. Gaffarel, quoique engagé dans l'Église par ses places, n'étoit pas plus raisonnable; s'il n'avoit pas prédit la chûte de l'empire Ottoman, du moins il la croyoit, & prouvoit la solidité de cette science par un grand fatras de littérature. Cependant il eut la honte de survivre à sa prédiction: c'est le sort ordinaire de ceux qui ne prennent pas un assez long terme pour l'accomplissement de leurs prophéties. Ils devroient être assez sages, pour ne hasarder pas un coup qui anéantit leur gloire, & qui les convainc d'avoir été visionnaires: mais ces astrologues sont trop entêtés de leur science & de leurs principes, pour écouter la raison & les conseils que la prudence leur dicte.
Examinons maintenant quels sont les fondemens de la Cabale philosophique.
Principes & fondemens de la Cabale philosophique. Henri Morus & Van - Helmont (Knorrius, Cabala denud. tom. I.) sont les deux savans qui ont les premiers débrouillé le cahos de la Philosophie cabalistique. Les efforts qu'ils ont faits tous les deux pour porter la lumiere dans un système où on avoit comme affecté de répandre tant d'obscurité, seroient plus loüables & plus utiles, s'ils n'eussent point attribué aux Cabalistes des sentimens qu'ils n'ont jamais eus: l'exposition qu'ils ont donnée des principes de la Cabale, a été examinée par des savans distingués; qui ne l'ont pas trouvée conforme à la vérité (Cel. Wachterus, Spinosism. in Judaism. detect. p. 2.). Pour éviter de tomber dans le même défaut, nous puiserons ce que nous avons à dire sur ce sujet, dans les auteurs anciens & modernes qui passent pour avoir traité cette matiere avec le plus d'ordre & de clarté. Parmi les modernes on doit distinguer R. Iizchak Loriia, & R. Abraham - Cohen Irira. Le premier est auteur du livre Druschim, qui contient une introduction métaphysique à la Cabale; & le second, du livre Schaar hascamaim, c'est - à - dire, Porte des cieux, qui renferme un traité des dogmes cabalistiques, écrit avec beaucoup de clarté & de méthode. Voici donc les principes qui servent de base à la Philosophie cabalistique.
Premier Principe (Page 2:480)
Ce n'est pas que le terme de création fût inconnu chez les Cabalistes: mais ils lui donnoient un sens bien différent de celui qu'il a chez les Chrétiens, parmi lesquels il signifie l'action par laquelle Dieu tire les êtres du néant; au lieu que chez les premiers il signifioit une émission, une expansion de la divine lumiere, faite dans le tems, pour donner l'existence aux mondes. C'est ce qu'on verra clairement dans le passage suivant de Loriia (Tr. I. Druschim, cap. j.). L'existence de la création, dit - il, dépend du tems où a commencé l'expansion & l'émission de ces lumieres, & de ces mondes dont nous venons de parler; car puisqu'il falloit que l'expansion de ces lumieres se fit dans un certain ordre,
On peut bien juger que les Cabalistes n'ont point
emprunté ce principe de l'église Judaïque; il est certain
qu'ils l'ont tiré de la philosophie des Gentils.
Ceux - ci regardoient comme une contradiction évidente, de dire qu'une chose existe & qu'elle a été faite
de rien, comme c'en est une de soûtenir qu'une chose
est & n'est pas. Cette difficulté qui se présente assez
souvent à la raison, avoit déjà choqué les Philosophes. Épicure l'avoit poussée contre Héraclite & les
Stoiciens. Comme cet axiome est véritable dans un
certain sens, on n'a pas voulu se donner la peine de
développer ce qu'il a de faux. Accoûtumés que
nous sommes à nous laisser frapper par des objets
sensibles & matériels, qui s'engendrent & qui se produisent
l'un l'autre, on ne peut se persuader qu'avec
peine, que la chose se soit faite autrement, & on fait
préexister la matiere sur laquelle Dieu a travaillé;
c'est ainsi que Plutarque comparoit Dieu à un charpentier,
qui bâtissoit un palais des matériaux qu'il
avoit assemblés, & à un tailleur qui faisoit un habit
d'une étoffe qui existoit déjà. Voyez
On avoue aux Cabalistes; qu'il est vrai que rien ne peut être fait de rien, & qu'il y a, comme ils disent, une opposition formelle & une distance infinie entre le néant & l'être, s'ils entendent par - là ces trois choses. 1°. Que le néant & l'être subsistent en même tems: en effet, cela implique contradiction aussi évidemment que de dire qu'un homme est aveugle & qu'il voit: mais comme il n'est pas impossible qu'un aveugle cesse de l'être, & voye les objets qui lui étoient auparavant cachés, il n'est pas impossible aussi que ce qui n'existoit pas acquiere l'existence & devienne un être. 2°. Il est vrai que le néant ne peut concourir à la production de l'être; il semble que les Cabalistes regardent le néant comme un sujet sur lequel Dieu travaille, à - peu - près comme la boue dont Dieu se servit pour créer l'homme; & comme ce sujet n'existe point, puisque c'est le néant, les Cabalistes ont raison de dire que Dieu n'a pû tirer rien du néant. Il seroit ridicule de dire que Dieu tire la lumiere des ténebres, si on entend par - là que les ténebres produisent la lumiere: mais rien n'empêche que le jour ne succede à la nuit, & qu'une puissance infinie donne l'être à ce qui ne l'avoit pas auparavant. Le néant n'a été ni le sujet, ni la matiere, ni l'instrument, ni la cause des êtres que Dieu a produits. Il semble que cette remarque est inutile, parce que personne ne regarde le néant comme un fond sur lequel Dieu ait travaillé, ou qui ait coopéré avec lui. Cependant c'est en ce sens que Spinosa, qui avoit pris ce principe des Cabalistes, combat la création tirée du néant: il demande avec insulte, si on conçoit que la vie puisse sortir de la mort: dire cela, ce seroit regarder les privations comme les causes d'une infinité d'effets; c'est la même chose que si on disoit, le néant & la privation de l'être sont la cause de l'être. Spinosa & ses maîtres ont raison; la privation d'une chose n'en est point la cause. Ce ne sont ni les ténebres qui produisent la lumiere, ni la mort qui enfante la vie. Dieu ne commande point au néant comme à un esclave qui est obligé d'agir & de plier sous ses ordres, comme il ne commande point aux ténebres ni à la mort, d'enfanter la lumiere ou la vie. Le néant est toûjours néant, la mort & les ténebres ne sont que des privations incapables d'agir: mais comme Dieu a pû produire la lumiere qui dissipe les ténebres, & ressusciter un corps, le même Dieu a pû aussi créer des êtres qui n'existoient point auparavant, & anéantir le néant, si on peut parler ainsi, [p. 481]
L'axiome rien ne se fait de rien, est donc vrai dans ces trois sens.
II.
III.
IV.
V.
La raison philosophique que les Cabalistes donnent de ce principe, est que l'intention de la cause efficiente est de faire un ouvrage qui lui soit semblable; or la cause premiere & efficiente étant une substance spirituelle, il convenoit que ses productions fussent aussi des substances spirituelles, parce qu'elles ressemblent plus à leur cause, que les substances corporelles. Les Cabalistes insistent beaucoup sur cette raison; suivant eux il vaudroit autant dire que Dieu a produit les ténebres, le péché, & la mort, que de soûtenir que Dieu a créé des substances sensibles & matérielles, différentes de sa nature & de son essence: car la matiere n'est qu'une privation de la splritualité, comme les ténebres sont une privation de la lumiere, comme le péché est une privation de la sainteté, & la mort une privation de la vie.
VI.
VII.
VIII.
IX.
X.
XI.
Voilà les fondemens sur lesquels est appuyé tout l'édifice de la Cabale; il nous reste encore à faire voir comment les Cabalistes tirent de ces principes quelques autres dogmes de leur systeme, tels que ceux d'Adam Kadmon, des dix séphirots, des quatre mondes, des anges, &c.
Explication des Séphirots ou des Splendeurs. Les séphirots font la partie la plus secrete de la Cabale. On ne parvient à la connoissance de ces émanations & splendeurs divines, qu'avec beaucoup d'étude & de travail: nous ne nous piquons pas de pénétrer jusqu'au fond de ces mysteres; la diversité des interprétations qu'on leur donne, est presque infinie.
Losius (Pomum Aristot. dissert. II. de Cabb. cap. ij.) remarque que les interpretes y trouvent toutes les sciences dont ils font profession: les Logiciens y découvrent leurs dix prédicamens: les Astronomes dix spheres: les Astrologues des influences différentes: les Physiciens s'imaginent qu'on y a caché les principes de toutes choses: les Arithméticiens y voyent les nombres, & particulierement celui de dix, lequel renferme des mysteres infinis.
Il y a dix séphirots; on les représente quelquefois sous la figure d'un arbre, parce que les uns sont comme la racine & le tronc, & les autres comme autant de branches qui en sortent. On les range souvent en dix cercles différens, parce qu'ils sont enfermés les unes dans les autres: ces dix séphirots sont la couronne, la sagesse, l'intelligence, la force ou la sévérité, la miséricorde ou la magnificence, la beauté, la victoire ou l'éternité, la gloire, le fondement, & le royaume.
Quelques - uns soutiennent que les splendeurs (c'est
le nom que nous leur donnerons dans la suite) ne sont
que des nombres: mais, selon la pluspart, ce sont
les perfections & les attributs de la divinité. Il ne
faut pas s'imaginer que l'effence divine soit composée
de ces perfections, comme d'autant de parties différentes;
ce seroit une erreur: l'essence de Dieu est
simple; mais afin de se former une idée plus nette de
la maniere dont cette essence agit, il faut distinguer
ses attributs, considérer sa justice, sa miséricorde,
sa sagesse. Il semble que les Cabalistes n'ayent pas
d'autre vûe, que de conduire leurs disciples à la connoissance
des perfections divines, & de leur faire
voir que c'est de l'assemblage de ces perfections que
dépend la création & la conduite de l'univers; qu'elles
ont une liaison inséparable, que l'une tempere
l'autre. C'est pourquoi ils imaginent des canaux, par
lesquels les influences d'une splendeur se communiquent
aux autres.
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