ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
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« Il n'y a autre chose dans un jugement, dit s'Gravesande, Introd. à la Philos. liv. II. ch. vij. n°. 401.
qu'une perception »:
& il venoit de dire, n°. 400.
que la perception de la relation qu'il y a entre deux
idées s'appelle jugement.
« Pour qu'un jugement ait
lieu, dit - il encore, deux idées doivent être présentes
à notre ame ... dès que les idées sont présentes,
le jugement suit ».
Je ne differe de ce philosophe que
par l'expression: il dit deux idées, & je détermine,
moi, l'idée d'un sujet & celle d'un attribut; c'est un
peu plus de précision: il dit que les deux idées doivent
être présentes à notre ame, & moi, je dis que
le sujet existe dans notre esprit sous une relation à
quelque modification: on verra ailleurs pourquoi
j'aime mieux dire existence intellectuelle que présence
dans notre ame. Voyez Verbe. Il suffit ici que l'on
sente que ces expressions rentrent dans le même sens.
Quant au fond de la doctrine qui nous est commune,
c'est celle des meilleurs Logiciens ou Métaphysiciens; & si on lit avec l'attention convenable les
deux premiers chapitres du premier livre de la Recherche de la vérité, & le troisieme chapitre de la seconde
partie de l'art de penser, on n'y trouvera pas
autre chose.
Cela étant, je le demande: quelle différence y
a - t - il entre un jugement qui est la perception de
l'existence intellectuelle d'un sujet sous telle relation,
à telle maniere d'être, & ce que M. de Marsais appelle
une considération particuliere de l'esprit qui regarde
un objet comme tel? L'esprit ne peut regarder
cet objet comme tel, qu'autant qu'il en apperçoit en
soi - même l'existence sous telle relation à telle maniere
d'être; car ce n'est que par - là qu'un objet est
tel. Ainsi il faut convenir qu'il n'y a en effet qu'un
jugement qui puisse être le type ou l'objet d'une proposition, & je conclus qu'il faut dire qu'une proposition
est l'expression totale d'un jugement.
Que plusieurs mots soient réunis pour cela, ou
qu'un seul, au moyen des idées accessoires que l'usage
y aura attachées, suffise pour cette fin; l'expression
est totale dès qu'elle énonce l'existence intellectuelle
du sujet sous telle relation à telle ou telle
modification. De même encore, que le jugement
énoncé soit celui que l'on se propose directement de
faire connoître, ou qu'il soit subordonné d'une maniere
quelconque à celui que l'on envisage principalement;
c'est toujours un jugement dès qu'il énonce
l'existence intellectuelle du sujet sous telle relation,
à telle modification; & l'expression totale, soit du
jugement direct, soit du jugement indirect & subordonné,
est également une proposition.
Je réduis à deux chefs les observations que la grammaire
est chargée de faire sur cet objet qui sont la
matiere & la forme de la proposition.
I. La matiere grammaticale de la proposition, c'est
la totalité des parties intégrantes dont elle peut être
composée, & que l'analyse réduit à deux, savoir le
sujet & l'attribut.
Le sujet est la partie de la proposition qui exprime
l'être, dont l'esprit apperçoit l'existence sous telle
ou telle relation à quelque modification ou maniere
d'être.
L'attribut est la partie de la proposition, qui exprime
l'existence intellectuelle du sujet sous cette relation
à quelque maniere d'être.
Ainsi quand on dit Dieu est juste, c'est une proposition qui renferme un sujet, Dieu, & un attribut, est
juste. Dieu exprime l'être, dont l'esprit apperçoit
l'existence sous la relation de convenance avec la
justice; est juste, en exprime l'existence sous cette relation;
est en particulier exprime l'existence du sujet;
juste en exprime le rapport de convenance à la
justice. Si la relation du sujet à la maniere d'être est
de disconvenance, on met avant le verbe une néga<cb->
tion, pour indiquer le contraire de la convenance,
Deus non est mendax.
L'attribut contient essentiellement le verbe, dit M. du
Marsais, parce que le verbe est dit du sujet.
« Si l'attribut
contient essentiellement le verbe, il s'ensuit,
dit M. l'abbé Fromant, Suppl. aux chap. xiij. & xiv.
de la II. part. de la gramm. génér. que le verbe n'est
pas une simple liaison ou copule, comme la plûpart
des logiciens le prétendent, il s'ensuit qu'il n'y a
point de mot qui soit réduit à ce seul usage. Ainsi,
quand on dit Dieu est tout - puissant, ce n'est pas la
toute - puissance seule que l'on reconnoît en Dieu,
c'est l'existence avec la toute - puissance: le verbe est
donc le signe de l'existence réelle ou imaginée du
sujet de la proposition auquel il lie cette existence
& tout le reste ».
Il n'étoit pas possible de mieux
développer les conséquences du principe de M. du
Marsais, & je ne sais même si ce philosophe les avoit
bien envisagées; car par - tout où il parle du verbe, il
semble en faire principalement consister la nature
dans l'expression d'une action. Voyez
Accident, Actif, Conjugaison . Il est vrai que M. l'abbé
Fromant tourne ces conséquences en objection, qu'il
croit que le verbe substantif ne signifie que l'affirmation,
& que la définition que MM. de P. R. donnent
du verbe est très - juste. Car, dit - il,
« quand je dis
Dieu est tout - puissant, c'est la toute - puissance seule
que je reconnois, que j'affirme en Dieu pour le moment
présent; il ne s'agit point de l'existence, elle
est supposée & reconnue; le verbe est ne signifie
que la simple affirmation de l'attribut tout - puissant, qu'il lie avec le sujet Dieu».
Ce qui trompe
ici le savant principal de Vernon, c'est l'idée de
l'existence: il n'est pas question de l'existence réelle
du sujet, mais de son existence intellectuelle, de son
existence dans l'esprit de celui qui parle, laquelle
est toujours l'objet d'une proposition, & que je ferai
voir être le caractere essentiel du verbe. Voyez
Verbe. Ainsi, loin d'abandonner le principe de M.
du Marsais à cause des conséquences qui en sortent,
je les regarde comme une confirmation du principe,
vu qu'elles tiennent d'ailleurs à ce qu'une analyse
rigoureuse nous apprend de la nature du verbe. Disons donc avec notre grammairien philosophe, que
l'attribut commence toujours par le verbe.
Le sujet & l'attribut peuvent être 1° simples ou
composés, 2° incomplexes ou complexes.
1°. Le sujet est simple quand il présente à l'esprit
un être déterminé par une idée unique. Tels sont les
sujets des propositions suivantes: Dieu est éternel;
les hommes sont mortels; la gloire qui vient
de la vertu a un éclat immortel; les preuves,
dont on appuie la vérité de la religion
chrétienne, sont invincibles; craindre Dieu,
est le commencement de la sagesse. En effet, Dieu exprime
un sujet déterminé par l'idée unique de la nature
individuelle de l'Etre suprême: les hommes, un
sujet déterminé par la seule idée de la nature spécifique
commune à tous les individus de cette espece:
la gloire qui vient de la vertu, un sujet déterminé par
l'idée unique de la nature générale de la gloire restrainte
par l'idée de la vertu envisagée comme un
fondement particulier: les preuves dont on appuie la
vérité de la religion chrétienne, autre sujet déterminé
par l'idée unique de la nature commune des preuves,
restrainte par l'idée d'application à la vérité de la religion
chrétienne: enfin ces mots craindre Dieu présentent
encore à l'esprit un sujet déterminé par l'idée
unique d'une crainte actuelle, restrainte par l'idée
d'un objet particulier qui est Dieu.
Le sujet au contraire est composé quand il comprend
plusieurs sujets déterminés par des idées différentes.
Ainsi quand on dit, la foi, l'espérance
& la charité sont trois vertus théologales; le sujet
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