ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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de leur faire signifier, on ne pourra douter que ces mots que j'écris, n'existent réellement hors de moi, puisqu'ils produisent cette longue suite de sons réguliers dont mes oreilles sont actuellement frappées, lesquels ne sauroient être un effet de mon imagination, & que ma mémoire ne pourroit jamais retenir dans cet ordre.

5°. Parce que s'il n'y a point de corps, je ne conçois pas pourquoi ayant songé dans le tems que j'appelle veille, que quelqu'un est mort, jamais il ne m'arrivera plus de songer qu'il est vivant, que je m'entretiens & que je mange avec lui, pendant tout le tems que je veillerai, & que je serai en mon bon sens. Je ne comprends pas aussi, pourquoi ayant commencé à songer que je voyage, mon égarement enfantera de nouveaux chemins, de nouvelles villes, de nouveaux hôtes, de nouvelles maisons; pourquoi je ne croirai jamais me trouver dans le lieu d'où il semble que je sois parti. Je ne sai pas mieux comment il se peut faire qu'en croyant lire un poëme épique, des tragédies & des comédies, je fasse des vers excellens, & que je produise une infinité de belles penséés, moi dont l'esprit est si stérile & si grossier dans tous les autres tems. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'il dépend de moi de renouveller toutes ces merveilles, quand il me plaira. Que mon esprit soit bien disposé ou non, il n'en pensera pas moins bien, pourvu qu'il s'imagine lire dans un livre. Cette imagination est toute sa ressource, tout son talent. A la faveur de cette illusion, je lirai tour - à tour Paschal, Bossuet, Fénelon, Corneille, Racine, Moliere, &c. en un mot, tous les plus beaux génies, soit anciens, soit modernes, qui ne doivent être pour moi que des hommes chimériques, supposé que je sois le seul être au monde, & qu'il n'y ait point de corps. Les traités de paix, les guerres qu'ils terminent, le feu, les remparts, les armes, les blessures; chimeres que tout cela. Tous les soins qu'on se donne pour s'avancer dans la connoissance des métaux, des plantes & du corps humain; tout cela ne nous fera faire des progrès que dans le pays des idées. Il n'y a ni fibres, ni sucs, ni fermentations, ni graines, ni animaux, ni couteaux pour les disséquer, ni microscope pour les voir; mais moyennant l'idée d'un microscope, il naîtra en moi des idées d'arrangemens merveilleux dans de petites parties idéales.

Je ne nie pourtant pas qu'il ne puisse y avoir des hommes, qui dans leurs sombres méditations, se sont tellement affoiblis l'esprit par des abstractions continuelles, & si je l'ose dire, tellement alambiqué le cerveau par des possibilités métaphysiques, qu'ils doutent effectivement s'il y a des corps. Tout ce que l'on peut dire de ces contemplatifs, c'est qu'à force de réfléxions ils ont perdu le sens commun, méconnoissant une premiere vérité dictée par le sentiment de la nature, & qui se trouve justifiée par le concert unanime de tous les hommes.

Il est vrai qu'on peut former des difficultés sur l'existence de la matiere; mais ces difficultés montrent seulement les bornes de l'esprit humain avec la foiblesse de notre imagination. Combien nous propose - t on de raisonnemens qui confondent les nôtres, & qui cependant ne font & ne doivent faire aucune impression sur le sens commun? parce que ce sont des illusions, dont nous pouvons bien appercevoir la fausseté par un sentiment irreprochable de la nature; mais non pas toujours la démontrer par une exacte analyse de nos pensées. Rien n'est plus ridicule que la vaine confiance de certains esprits qui se prévalent de ce que nous ne pouvons rien répondre à des objections, où nous devons être persuadés, si nous sommes sensés, que nous ne pouvons rien comprendre.

N'est - il pas bien surprenant que notre esprit se perde dans l'idée de l'infini? Un homme tel que Bayle, auroit prouvé à qui l'eût voulu écouter, que la vue des objets terrestres étoit impossible. Mais ses difficultés n'auroient pas éteint le jour; & l'on n'en eût pas moins fait usage du spectacle de la nature, parce que les raisonnemens doivent céder à la lumiere. Les deux ou trois tours que fit dans l'auditoire Diogène le cynique, réfutent mieux les vaines subtilités qu'on peut opposer au mouvement, que toutes sortes de raisonnemens.

Il est assez plaisant de voir des philosophes faire tous leurs efforts pour nier l'action qui leur communique, ou qui imprime régulièrement en eux la vue de la nature, & douter de l'existence des lignes & des angles sur lesquels ils operent tous les jours.

En admettant une fois l'existence des corps comme une suite naturelle de nos différentes sensations, on conçoit pourquoi, bien loin qu'aucune sensation soit seule & séparée de toute idée, nous avons tant de peine à distinguer l'idée d'avec la sensation d'un objet; jusques - là, que par une espece de contradiction, nous revêtons l'objet même, de la perception dont il est la cause, en appellant le soleil lumineux, & regardant l'émail d'un parterre, comme une chose qui appartient au parterre plutôt qu'à notre ame; quoique nous ne supposions point dans les fleurs de ce parterre une perception semblable à celle que nous en avons. Voici le mystere. La couleur n'est qu'une maniere d'appercevoir les fleurs; c'est une modification de l'idée que nous en avons, en tant que cette idée appartient à notre ame. L'idée de l'objet n'est pas l'objet même. Lidée que j'ai d'un cercle n'est pas ce cercle, puisque ce cercle n'est point une maniere d'être de mon ame. Si donc la couleur sous laquelle je vois ce cercle, est aussi une perception ou maniere d'être de mon ame, la couleur appartient à mon ame, entant qu'elle apperçoit ce cercle, & non au cercle apperçu. D'où vient donc que j'attribue la rougeur au cercle aussi bien que la rondeur, n'y auroit - il pas dans ce cercle quelque chose, en vertu de quoi je ne le vois qu'avec une sensation de couleur, & de la couleur rouge, plutôt que de la couleur violette? Oui sans doute, & c'est une certaine modification de mouvement imprimé sur mon oeil, laquelle ce cercle a la vertu de produire, parce que sa superficie ne renvoye à mon oeil que les rayons propres à y produire des secousses, dont la perception confuse est ce qu'on appelle rouge. Jai donc à la - fois idée & sensation du cercle.

Par l'idée claire & distincte, je vois le cercle étendu & rond, & je lui attribue ce que j'y vois clairement, l'étendue & la rondeur. Par la sensation j'apperçois confusément une multitude & une suite de petits mouvemens que je ne puis discerner, qui me réveillent l'idée claire du cercle, mais qui me le montrent agissant sur moi d'une certaine maniere. Tout cela est vrai; mais voici l'erreur: dans l'idée claire du cercle je distingue le cercle de la perception que j'en ai; mais dans la perception confuse des petits mouvemens du nerf optique, causés par les rayons lumineux que le cercle a réfléchis, comme je ne vois point d'objet distinct, je ne puis aisément distinguer cet objet, c'est - à - dire cette suite rapide de petites secousses, d'avec la perception que j'en ai: je confonds aussitôt ma perception avec son objet; & comme cet objet consus, c'est - à - dire cette suite de petits mouvemens tient à l'objet principal, que j'ai raison de supposer hors de moi comme cause de ces petits mouvemens, j'attache aussi la perception confuse que j'en ai à cet objet principal, & je le revêts, pour ainsi dire, du sentiment de couleur qui est dans mon ame, en regardant ce sentiment de couleur comme une propriété non de mon ame, mais de cet objet. Ainsi,

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