ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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3. Qu'au tems où Socrate parut, Athènes étoit infectée de sophistes, & que Socrate ne trouva pas de meilleurs moyens de détromper ses concitoyens de ces hommes vains, que d'affecter l'ignorance & le doute, que de les interroger sur ce qu'il savoit mieux qu'eux, que de les embarrasser, & que de les couvrir de ridicule.

4. Que ce doute affecté de Socrate, devint dans quelques - uns de ses disciples le germe d'un doute réel, sur les sens, sur la conscience & sur l'expérience, trois témoignages auxquels Socrate en appelloit sans cesse.

5. Qu'il en résulta une sorte de philosophie incommode, inquisitive, épineuse, qui fut enseignée principalement dans les écoles dialectiques, mégariques & érétriaques, où la fureur de disputer pour & contre subsista tres - long - tems.

6. Que Platon, homme d'un goüt sain, d'un grand jugement, d'un génie élevé & profond, sentit bientôt la frivolité de ces disputes scholastiques, se tourna vers des objets plus importans, & songea à rappeller dans l'usage de la raison une sorte de sobriété, distinguant entre les objets de nos réflexions ceux qu'il nous étoit permis de bien connoître, & ceux sur lesquels nous ne pouvions jamais qu'opiner.

7. Qu'au tems d'Arcesilas, de Xénocrate & d'Aristote, il s'éleva une école nouvelle où l'on combattoit tous les svstemes connus, & où l'on élevoit sur leurs debris la doctrine de la foiblesse absolue de l'entendement humain, & de l'incertitude générale de toutes nos connoissances.

8. Qu au milieu de cette foule de sectes opposées, la philosoplue de Platon commenca à souffrir quelque altération; que le silence sur la doctrine ésoterique avoit été mal gardé; que ce qu'on en avoit laissé transpirer étoit brouille & confus dans les esprits, & qu'on pensa qu'il falloit mieux desaprendre ceux qui étoient mai instruits, que d'instruire ceux qu'on ne trouveveroit peut - être pas assez dociles.

Voilà ce qui determina Arcesilas à revenir à la méthode de Socrate, l'ignorance affectée, l'ironie & le doute. Socrate l'avoit employée contre les sophistes; Arcesilas l'employa contre les sémi - philosophes platoniciens ou autres. Il dit donc:

Principes de la philosophie d'Arcesilas. On ne peut rien savoir, si ce n'est la chose que Socrate s'étoit réservée, cest qu'on ne sait rien; encore cette choselà même est - elle incertaine.

Tout est caché à l'homme; il ne voit rien; il ne concoit rien. Il ne faut donc ni s'attacher à aucune école, ni professer aucun système, ni rien affirmer, mais se contenir & se garantir de cette témérité courante, avec laquelle on assure les choses les plus inconnues, on débite comme des vérités les choses les plus fausses.

Il n'y a rien de plus honteux dans un être qui a de la raison, que d'assurer & d'approuver avant que d'avoir entendu & compris.

Un philosophe peut s'elever contre tous les autres, & combattre leurs opinions par des raisons au moins aussi fortes que celles qu'ils avancent en preuves.

Le sens est trompeur. La raison ne mérite pas qu'on la croie.

Le doute est très - raisonnable quant aux questions de la Philosophie; mais il ne faut pas l'étendre aux choses de la vie.

D'ou l'on voit qu'un académicien de l'académie moyenne, ou un sceptique, different très - peu; qu'il n'y a pas un cheveu de différence entre le système de Pirrhon & celui d'Arcesilas; qu'Arcesilas ne permettoit pas qu'on appliquât ses principes à la justice, au bien, au mal, aux moeurs, & à la société; mais qu'il les regardoit seulement comme des instrumens très - incommodes pour l'orgueil dogmatique des sophistes de son tems.

Lacy de de Cyrene embrassa la doctrine d'Arcesilas. Il étoit établi dans les jardins de l'académie la quatrieme année de la cent trente - quatrieme olympiade. Il y professa pendant vingt - cinq ans. Il eut peu de disciples. On l'abandonna pour suivre Epicure. On préféra le philosophe qui préchoit la volupté de l'ame & des sens à celui qui décrioit la lumiere de l'une & le témoignage des autres; & puis il n'avoit ni cette éloquence, ni cette subtilité, ni cette vigueur avec laquelle Arcesilas avoit porté le trouble parmi les dialectiques, les stoïciens & les dogmatiques. Lacyde céda sa place à ses deux disciples, Télecle & Evandre. Evandre eut pour successeur Egesine de Pergame, & celui - ci Carnéade, qui fut le chef de l'académie nouvelle.

De l'académie nouvelle, ou troisieme, quatrieme cinquieme. Les Athéniens furent un peuple folâtre, où les poëtes ne perdoient aucune occasion de jetter du ridicule sur les philosophes, où les philosophes s'occupoient à faire sortir l'ignorance des poëtes, & à les rendre méprisables, & où le reste de la nation les prenoit les uns & les auttes au mot, & s'en amusoit; de - là cette multitude de mauvais contes qu'Athénée & Diogene de Laerce, & ceux qui ont écrit devant & apres eux de l'histoire littéraire de la Grece, nous ont transmis. Il faut convenir qu'une philosophie qui ravaloit l'homme au - dessous de la bête, en le dépouillant de tous les moyens de connoître la vérité, étoit un sujet excellent de plaisanterie pour des gens oisifs & méchans.

Carnéade naquit la troisieme année de la cent quarante & unieme olympiade. Il étudia la dialectique sous le stoicien Diogene; aussi disoit - il quelquefois dans la dispute: ou je vous tiens, ou Diogene me rendra mon argent. Il fut un de ceux que les Atheniens envoyerent à Rome à l'occasion du sac d'Orope. Son éloquence étoit rapide & violente; celle de Critolaüs solide & forte; celle de Diogene sobre & modeste. Ces trois hommes parlerent devant les Romains & les étonnerent. Carnéade disputa de la justice pour & contre en présence de Galba & de Caton le censeur; & Ciceron dit des raisons que Carnéade opposa à la notion du juste & de l'injuste, qu'il n'ose se promettre de les détruire, trop heureux s'il parvient à les émousser & à rassurer les lois & l'administration publique dont le philosophe grec a ébranlé les fondemens. Quoi qu'il en soit, Carnéade fut un imprudent. Son sujet étoit mal choisi; & il n'étoit pas à présumer que les graves magistrats romains supportassent un art qui rendroit problématiques les vérités les plus importantes. Comment Caton le censeur eut - il la patience d'écouter celui qui accusoit de fausseté la mesure intérieure des actions? ce Carnéade fut un homme terrible.

Il réunit en même tems la subtilité, la force, la rapidité, l'abondance, la science, la profondeur; en un mot toutes les qualités avec lesquelles on dispose d'un auditeur. Ses principes différerent peu de ceux d'Arcésilas. Selon lui:

Nous n'avons aucun moyen incontestable de reconnoître la vérité, ni la raison, ni les sens, ni l'imagination; il n'y a rien ni en nous ni hors de nous qui ne nous trompe.

Il n'y a aucun objet qui affecte deux hommes de la même maniere, ou le même homme en deux momens différens.

Aucun caractere absolu de vérité, ni relatif à l'objet, ni relatif à l'affection.

Comment s'en rapporter à une qualité aussi inconstante que l'imagination?

Point d'imagination sans la sensation, point de raison sans l'imagination. Mais si le sens trompe, si l'i magination est infidelle, ou s'ils disent vrai, & qu'il n'y ait aucun moyen certain de s'assurer des cas où [p. 752] ils ne trompent pas, que penser de la raison?

Tous les axiomes de Carnéade se réduisent à décrier la mémoire, l'imagination, les sens & la raison.

D'où il s'ensuit que la doctrine de l'academie moyenne fut à - peu - près la même que celle de l'académie nouvelle.

Et que l'académie différoit du pirrhonisme, en ce qu'elle laissoit au philosophe la vraissemblance & l'opinion. L'académicien disoit, videre mihi videor, & le pirrhonien, nihil videre mihi videor.

Carnéade ne reconnoissoit point l'existence des dieux; mais il soutenoit contre les stoiciens que tout ce qu'ils en débitoient étoit vague & incertain.

Il raisonnoit de la même maniere sur le destin. Il démontroit qu'il y a des choses en notre puissance; d'où il concluoit la fausseté de la concaténation générale, & l'impossibilité même pour Apollon de rien prédire des actions de l'homme.

Il faisoit consister le bonheur à imiter la nature, à suivre ses conseils, & à jouir de ses présens.

Le carthaginois Clitomaque succéda à Carnéade; il entra dans l'académie la deuxieme année de la cent soixante - deuxieme olympiade, & l'occupa environ trente ans. Celui - ci fut tout - à - fait pirrhonien; il ne laissa pas même au philosophe le choix entre les choses plus ou moins vraissemblables. Il fit un énigme également inexplicable de l'homme & de la nature. Il décria & l'observation, & l'expérience, & la dialectique qu'il comparoit à la lune qui croît & décroît.

Philon étudia plusieurs années sous Clitomaque. Charmidas lui succéda, & l'académie cessa à Anthiochus l'Ascalonite.

Les académies premiere, moyenne & nouvelle, eurent des sectateurs chez les Romains. Voyez l'article Philosophie des Romains.

Le Platonisme se renouvella sous les empereurs. On nomme parmi ces nouveaux Platoniciers Thrasile de Mende, qui vécut sous les regnes d'Auguste & de Tibere; Théon de Smyrne; Alcinoüs; l'hermaphrodite ou l'eunuque Favorinus, qui se distingua sous Trajan & sous Adrien, parce qu'étant gaulois, il parla grec; eunuque il fut accusé d'adultere, rival en philosophie de l'empereur, il conserva sa liberté & sa vie; Calvisius Taurus qui parut du tems d'Antonin le Pieux; Lucius Apuleé l'auteur du conte de l'âne d'or; Atticus, qui fut contemporain de l'empereur philosophe Marc - Aurele Antonin; Numenius d'Apamée, Maxime de Tyre, sous Commode, Plutarque & Galien.

Ce fut alors que le Platonisme engendra l'Eclectisme. Voyez l'article Eclectisme, Philosophie.

Le Christianisme commenÇoit à s'établir. Voyez aux articles Philosophie de Jesus - Christ, des Apôtres et des Peres , quel fut le sort du Platonisme dans l'Eglise.

Cette philosophie s'éteignit ainsi que toutes les autres connoissances, & ne se renouve la qu'au tems où les Grecs passerent en Italie. Le premier nom que l'on trouve parmi les restaurateurs de la doctrine de Platon, est celui de George Gemistus Plitho; il vivoit à la cour de Michel Paleologue, douze ans avant le concile de Florence, qui fut tenu sous Eugene IV. l'an 1438, & auquel il assista avec Théodore Gaza & Bessarion. Il écrivit un livre des lois que le patriarche de Constantinople Gennade, fit brûler après la mort de l'auteur.

Bessarion fut disciple de Gemistus, & sectateur du Platonisme. La vie de Gemistus & de Bessarion appartient plus à l'histoire de l'Eglise qu'à celle de la Philosophie.

Mais personne dans ce tems ne fut plus sincérement platonicien que Marsille Ficin. Il naquit à Florence en 1433. Il professa publiquement la philosophie. Il forma Ange Politien, Arétin, Cabalcante, Calderin, Mercat, & d'autres. Il nous a laissé une traduction de Platon, si maigre, si seche, si dure, si barbare, si décharnée, qu'elle est à l'original, comme ces vieux barbouillages de peinture que les amateurs appellent des croutes, sont aux tableaux du Titien ou de Raphael.

Jean Pic de la Mirandole, qui encouragea ses contemporains à l'étude de Platon, naquit en 1463. Celui - ci connut tout ce que les Latins, les Grecs, les Arabes & les Juifs avoient écrit de la Philosophie. Il sÇut presque toutes les langues. L'amour de l'etude & du plaisir abrégerent ses jours. Il mourut avant l'âge de trente - deux ans.

Alors la Philosophie prit une nouvelle face. Voyez l'article de la Philosophie en général.

Platonisme (Page 12:752)

Platonisme, subst. m. (Théologie.) ce terme désigne, en Théologie, la doctrine de Platon & des Platoniciens, d'apres laquelle les Anti - trinitaires prétendent que le dogme de la Trinité a été transporté dans le Christianisme. Il importe de les entendre parler eux - mêmes pour être en état de les combattre: voici donc en abrégé la maniere dont ils établissent leur opinion.

On peut, disent - ils, ramener au dogme chrétien de la Trinité l'idée de Platon touchant les trois principes qu'il semble enseigner. Les philosophes payens n'ont point agité de question plus importante que celle de savoir si le monde est éternel; mais après de longues meditations, les plus sages d'entre eux conclurent de la contemplation de l'univers, qu'il n'y avoit qu'un être tout sage & tout puissant qui put avoir construit un ouvrage si admirable. Platon étoir de ce nombre; ne concevant pas que l'origine du monde fût dûe à la rencontre fortuite des atômes, il comprit que c'étoit la production d'une profonde sagesse. Mais comme il appréhendoit le sort de Socrate, il enveloppa cette vérite sous des fictions. & n'osant s'opposer à l'erreur publique, il personnifia la Raison du créateur, sa Sagesse, sa Puissance, & en fit des divinités, pour ne pas choquer l'opinion regnante de la pluralité des dieux; en un mot, gêné par la superstition des peuples, il feignit adroitement, pour philosopher en sureté, une généalogie de dieux, un pere, un fils engendré, & un troisieme dieu issu du pere & du fils.

Cette philosophie orientale jetta naturellement dans l'erreur les premiers chrétiens qui prirent à la lettre une chose purement allégorique. Ils cherchoient à tirer avantage de toutes les paroles des Payens, & dans cette vûe ils leur donnoient souvent une interprétation forcée. L'équivoque des mots peut souvent faire illusion à ceux qui n'y réfléchissent pas assez. Il est sur - tout très - aisé de se tromper dans l'explication de la doctrine de Platon, qui n'est pas claire & distincte, soit que ce philosophe ait voulu être allégorique & my stérieux politiquement, soit qu'il n'ait pas été bien éclairé lui - même sur les idee qu'il falloit se former de la divinité.

Il est arrivé de sa doctrine, ajoutent les Anti - trinitaires, que quelques peres entendant mal ce qu'il a dit du second dieu, terme par lequel Platon n'entendoit sans doute autre chose que le monde crée par la sagesse & la toute puissance de Dieu, ils l'ont expliquée du verbe proféré & poussé au - dehors. De - là sont venus leurs termes de génération & prolation; concevant qu'il y a eu un tems auquel le pere n'étoit point pere, & que le fils a commencé à être fils. Ils se sont aussi persuadés que Platon avoit connu trois personnes ou trois hypostases de la divinité, & ils ont porté dans le Christianisme ces idées de l'école de Platon.

Il est vrai que les premiers peres n'étoient point à l'égard de la Trinité dans le sentiment où fut l'Eglise après le concile de Nicée. Ils confondoient tellement

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