ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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La prudence est la connoissance des biens, des maux & des choses qui tiennent le milieu: la force est l'observation légitime d'un decret doux ou pénible; la tempérance est l'assujettissement des passions à la raison. La justice est une harmonie particuliere de ces trois vertus, en conséquence de laquelle chaque partie de l'ame s'occupe de ce qui lui est propre, de la maniere la plus conforme à la dignité de son origine: la raison commande, & le reste obéit.

Les vertus sont tellement enchaînées entr'elles, qu'on ne peut les séparer: celui qui péche est déraisonnable, imprudent & ignorant. Il est impossible que l'homme soit en même tems prudent, intemperant & pusillanime.

Les vertus sont parfaites; elles ne s'augmentent & ne se diminuent point: c'est le caractere du vice.

La passion est un mouvement aveugle de l'ame frappée d'un objet bon ou mauvais.

Les passions ne sont pas de la partie raisonnable, aussi naissent - elles & passent - elles malgré nous.

Il y a des passions sauvages & féroces; il y en a de douces.

La volupté, la douleur, la colere, la commisération, sont du nombre de ces dernieres; elles sont de la nature de l'homme; elles ne commencent à étre vicieuses qu'en devenant excessives.

Les passions sauvages & féroces ne sont pas dans la nature; elles naissent de quelque dépravation particuliere: telle est la misantropie.

Dieu nous a rendu capables de plaisir & de peine.

Il y a des peines de corps, des peines d'ame, des peines iinjustes, des peines outrées, des peines raisonnables, des peines mesurées, des peines contraires au bien, & d'autres qui lui sont conformes.

L'amidé est une bicnveillance réciproque qui rend deux êtres également soigneux l'un du bonheur de l'autre; égalité qui s'établit & qui se conserve par la consorr sité des moeurs.

L'am our est une espece d'amitié.

Il y a trois sortes d'amour; un amour honteux & brutal, qui n'a d'objet que la volupte corpol elle; un amour honnête & céleste, qui ne regarde qu'aux qualités de l'ame; un amour moyen, qui ne propose la jouissance de la beauté de l'ame & du corps.

De la politique de Platon. Les fonctions les citoyens dans la république, semblables à celles des membres du corps, se réduitont à la garder, à la défendre & à la servir. Les gardiens de la république veillent & commandent; ses défenseurs prennent les armes & se battent, ses serviteurs sont répandus dans toutes les autres professions.

La république la plus heureuse est celle où le souverain philosophe connoit le premier bien.

Les hommes vivront misérables, tant que les philosophes ne regneront pas, ou que ceux qui regnent privés d'une sorte d'inspiration divine, ne seront pas philosophes.

La république peut prèndre cinq formes différentes, l'aristocratie, où un petit nombre de nobles commande; la timocratie, où l'on obeit à des ambitieux; la démocratie, où le peuple exerce la souveraineté; l'oligarchie, où elle est confiée à quelques - uns; la tyrannie ou l'administration d'un seul, la plus mauvaise de toutes.

Si l'administration peche, il faut la corriger; c'est l'usage d'un nombre d'hommes de tout âge & de toute condition, dont les differens intérêts se balanceront.

L'usage commun des femmes ne peut avoir lieu que dans une république parfaite.

La vertu de l'homme politique consiste à diriger ses pensées & ses actions au bonheur de la république.

Des successeurs de Platon. Ceux qui succéderent à Platon ne professerent point tous rigoureusement sa doctrine. Sa philosophie souffrit differentes altérations, qui distinguerent l'académie en ancienne, moyenne, nouvelle & derniere. L'ancienne fut de vrais Platoniciens, au nombre desquels on compte Speusippe, Xénocrate, Polemon, Cratès & Crantor. La moyenne, de ceux qui retinrent ses idées, mais qui éleverent la question de l'imbécillité de l'entendement humain, & de l'incertitude de nos connoisfances, parmi lesquels on nomme Arcésilaüs, Lacyde, Evandre & Egesine. La nouvelle, qui fut fondée par Carnéade & Clitomaque, & qui se divisa dans la suite en quatrieme & cinquieme; celle - ci sous Philon & Charmide, celle - là sous Antiochus.

De l'académie premiere ou ancienne. ou des vrais Platoniciens. De Speusippe. Ce philoiophe occupa la chaire de Platon son oncle; ce fut un homme d'un caractere doux; il prit plus de goût pour Lasthenie & pour Axiothée ses disciples, qu'il ne convenoit à un philosophe valétudinaire. Un jour qu'on le portoit à l'académie sur un brancard, il rencontra Diogene, qui ne répondit à son salut qu'en lui reprochant la honte de vivre dans l'état misérérable où il étoit. Frappé de paralysie, il se nomma pour successeur Xénocrate. On dit qu'il mourut entre les bras d'une femme. Il exigea un tribut de ses auditeurs. II aima l'argent. Il avoit composé des poëmes; on les lui faisoit réciter en le payant, quoiqu'ils fussent peu conformes aux bonnes moeurs. Au reste on peut rabattre de ces imputations odieuses, qui n'ont d'autres garands que le témoignage de Denis de Syracuse, qui avoit hai, persécuté & calomnié Platon, & qui peut - être n'en usa pas avec plus d'équité pour Speusippe, parent de Platon, ennemi de la tyrannie, & ami de Dion, que les terreurs de Denis tenoient en exil. Aristote acheta les ouvrages de Speusippe trois talens, somme exorbitante, mais proportionnée apparamment au mérite qu'il y attachoit, ou la haine qu'il portoit au Platonisme, sorte de philosophie qu'il avoit médité d'éteindre à quelque prix & par quelque moyen que ce fût. Speusippe s'occupa à remarquer ce que les Sciences avoient de commun, à les rapprocher, & à les éclairer les unes par les autres. Il marcha sur les traces de Pythagore; il distingua les objets en sensibles & en intellectuels, & il comparoit les sens aux doigts expérimentés d'une joueuse de flûte. Du reste il pensa sur le bonheur, sur la vérité, sur la vertu & la république, comme Platon, dont il différa moins par les idées que par l'expression.

Xenocrate naquit dans le cours de la 95e olympiade; il eut l'intelligence lente & pesante. Platon le comparoit à un âne paresseux qui avoit besoin d'éperons; & Aristote à un cheval fougueux à qui il falloit un mors. Il avoit les moeurs dures, l'extérieur rebutant; & son maître lui répétoit sans cesse de sacrifier aux graces. Il se comparoit lui - même à un vase dont le col étoit étroit, qui recevoit difficilement, mais qui retenoit bien. Il montra bien à la cour de Denis qu'il étoit capable d'attachement & de reconnoissance, en disant avec hardiesse au tyran, qu'on ne disposoit point de la tête de Platon sans avoir auparavant disposé de celle de Xénocrate. Il se conforma rigoureusement à la discipline & à la doctrine de l'académie; il représenta Platon par la pureté de ses moeurs & la gravité de son maintien & de ses discours. Telle fut l'opinion qu'on eut de sa véracité, qu'appellé en témoignage, les juges le dispenserent du serment. Envoyé en ambassade à Philippe de Macédoine, les présens de ce souverain ne le tenterent point, & il refusa constamment de conférer avec lui secrétement: Il servoit utilement sa patrie en d'autres circonstances non moins importantes, sans qu'il en coûtât rien à son intégrité. Il remit à Alexandre la plus grande partie des cinquante talens qu'il lui fit offrir. Il n'est pas [p. 750] surprenant après ces marques de désintéressement qu'il fût pauvre, & qu'il ne se trouvât pas en état de payer le tribut qu'on exigeoit dans Athènes de ceux qui voyageoient; mais il l'est beaucoup que faute de payement ces Athéniens, dont il avoit si bien mérité l'estime, l'aient vendu, & qu'il n'ait été rendu à la patrie que par la bienfaisance de Démétrius de Phalere, qui le racheta. Phryné, qui avoit fait gageure avecquelques jeunes libertins qu'elle le corromperoit, eût perdu la haute opinion qu'elle avoit de ses charmes, le préjugé qu'elle avoit concu de la foiblesse de Xenocrate, & la somme qu'elle avoit déposée; mais elle retira son argent, en disant qu'elle s'étoit engagée à émouvoir un homme, mais non une statue. Il falloit que celui qui résistoit à Phryné fût ou passât pour impuissant. On crut de Xénocrate qu'il s'étoit assuré de lui - même, en se détachant des organes destinés à la volupté, long - tems avant que de passer la nuit à côté de la célebre courtisane. Lés enfans même le respectoient dans les rues, & sa présence suspendoit leurs jeux. Ce fut un homme silencieux. Il disoit qu'il s'étoit quelquefois repenti d'avoir parlé, jamais de s'être tu. Il se distingua par sa clémence, sa sobriété, & toutes les vertus qui caractérisent l'homme de bien & le philosophe. Il vécut de longues années sans aucun reproche. Il éloigna de son école, comme un vase sans ses anses, celui qui ignoroit la Géométrie, l'Astronomie & la Musique. Il définit la Rhétorique comme Platon. Il divisa la Philosophie en Logique, Physique & Morale. Il prétendit qu'il falloit commencer la Dialectique par le traité des mots. Il distingua les objets en sensibles, intelligibles & composés, & la connoissance en science, sensation & opinion. Il rapporta sa doctrine des dieux à celle des nombres, à la monade ou l'unité qu'il appella dieu, au nombre deux, dont il fit une divinité femelle, & à l'impair, qui fut Jupiter. Il admit des puissances subalternes, tels que le ciel & les astres; & des démons difius dans toute la masse de l'univers, & adorés parmi les hommes sous les noms de Junon, de Neptune, de Pluton & Cérès. Selon lui, l'ame qui se meut d'elle - même fut un nombre. Il imagina trois denses différens; il composa les étoiles & le soleil de feu, & d'un premier dense; la lune d'un air particulier & d'un second dense; & la terre, d'air & d'eau, & d'un troisieme dense. L'ame ne fut susceptible ni de densité ni de rareté. Il disoit, tout ce qui est, est ou bien ou mal, ou indifférent; la vertu est preférable à la vie, le plus grand des biens, &c. Il mourut âgé de 82 ou 84 ans.

Polemon fut un de ces agréables débauchés, dont la ville d'Athènes fourmilloit. Un jour qu'il sortoit au lever du soleil de chez une courtisane avec laquelle il avoit passé la nuit, ivre d'amour & de vin, les cheveux épars, les piés chancelans, ses vétemens en désordre, la poitrine nue, ses brodequins tombans & à moitié détachés, une couronne en lambeaux, & placée irrégulierement sur sa tête, il appercut la porte de l'école de Xénocrate ouverte; il entra, il s'assit, il plaisanta le philosophe & ses disciples. Les idées qu'on avoit là du bonheur, quadroient peu avec celles d'un jeune homme qui auroit donné sa vie pour un verre de vin de Chio & un baiser de sa maîtresse. Xénocrate ne se déconcerta point; il quitta le sujet dont il entretenoit ses auditeurs, & se mit à parler de la modestie & de la tempérance. D'abord la gravité du philosophe abattit un peu la pétulance du jeune libertin; bientôt elle le rendit attentif. Polemon se tut, écouta, fut touché, rougit de son état, & on le vit, à mesure que le philosophe parloit, embarrassé, se baisser furtivement, rajuster son brodequin, ramener ses bras nuds sous son manteau, & jetter loin de lui sa couronne Depuis ce moment il professa la vie la plus austere; il s'interdit l'usage du vin; il s'exerça à la fermeté, & il réussit au point que, mordu à la jambe par un chien enragé, il conserva sa tranquillité au milieu d'une foule de personnes que cet accident avoit rassemblées, & qui en étoient frappées de terreur. Il aima la solitude autant qu'il avoit aimé la dissipation. Il se retira dans un petit jardin, & ses disicples se bâtirent des chaumieres autour de la sienne. Il fut chéri de son maître & de ses disciples, & honoré de ses concitoyens. Il forma Crantor, Cratès le stoicien, Zénon & Arcesilaüs. Sa philosophie fut pratique. Il faut plus agir, disoit - il, que spéculer; vivre selon la nature; imiter Dieu; étudier l'harmonie de l'univers, & l'introduire dans sa conduite. Il mourut de phtisie dans un âge fort avancé.

Cratès l'athénien succéda à Polémon son maître & son ami. Jamais deux hommes ne furent unis d'un lien plus solide & plus doux que ceux - ci. Ils eurent les mêmes goûts, les memes études, les mêmes exercices, les mêmes amusemens, les mêmes sentimens, les mêmes vertus, les mêmes moeurs, & quand ils moururent, ils furent enfermés dans un même tombeau. Cratès écrivit de la philosophie, composa des pieces de théâtre, & laissa des harangues. Arcésilaus & Bion le boristhenite, se distinguerent dans son école. Il y eut plusieurs philosophes de sonnom, avec lesquels il ne faut pas le confondre.

Crantor occupa l'académie après Polemon. Il fut philosophe & poete dramatique. Son ouvrage de luctu eut beaucoup de réputation. Ciceron nous en a transmis les idées principales dans son livre de la consolation. Sa doctrine ne différa guere de celle de Platon. Il disoit: la vie de l'homme est un long tissu de miseres que nous nous faisons à nous - mêmes, ou auxquelles la nature nous a condamnés. La santé, la volupté & les richesses sont des biens, mais d'un prix fort different. L'absence de la douleur est un avantage qui coùte bien cher: on ne l'obtient que de la ferocité de l'ame ou de la stupeur du corps. L'académie ancienne ou premiere finit à Crantor.

De l'académie moyenne. Arcesilails ou Arcesilas en est le fondateur. Il naquit la premiere annce de la cent seizieme olympiade; il apprit les Mathématiques sous Autolique, la Musique sous Xanthe, la Géométrie sous Hipponique, l'art Oratoire & la Poesie sous différens maîtres; enfin la Philosophie dans l'école de Théophraste, qu'il quitta pour entendre Aristote, qu'il quitta pour entendre Polemon. Il professa dans l'académie après la mort de Crantor. Ce sut un homme éloquent & persuasif. Il ménageoit peu le vice dans ses disciples, cependant il en eut beaucoup. Il les aima; il les secourut dans le besoin. Sa philosophie ne sut pas austere. Il ne se cacha point de son goût pour les courtisanes Théodorie & Philete. On lui reproche aussi le vin & les beaux garÇons. A en juger par la constance qu'il montra dans ses douleurs de la goutte, il ne paroît pas que la volupté eût amolli son courage. Il vécut loin des affaires publiques, renfermé dans son école. On lui fait un crime de ses liaisons avec Hieroclès. Il mourut en délire âgé de 75 ans. Il excita la jalousie de Zenon, d'Hyeronimus le péripatéticien, & d'Epicure. La philosophie académique changea de face sous Arcesilas. Pour se former quelqu'idée de cette révolution, il faut se rappeller:

1. Que les Académiciens n'admettoient aucune science certaine des choses sensibles ou de la matiere, être qui est dans un flux & un changement perpétuel; d'où ils inféroient la modestie dans les assertions, les précautions contre les préjugés, l'examen, la patience & le doute.

2. Qu'ils avoient la double doctrine, l'ésoterique & l'exotérique; qu'ils combattoient les opinions des autres philosophes dans leurs leÇons publiques, mais qu'ils n'exposoient leurs propres sentimens que dans le particulier.

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