ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"64">

Si l'on en croit la chronique manuscrite de Bardin, auteur qui a écrit vers le milieu du quatorzieme siecle, le roi Robert ou le roi Henri (car il ne dit pas lequel) fit tenir un parlement à Toulouse en 1031, auquel assisterent l'archevêque de Bourges, le comte Eudes, Amelius, évêque d'Albi; Guifred, évêque de Carcassonne; deux abbés, deux chevaliers, deux jurisconsultes, & un scribe ou greffier, dont il rapporte le nom.

Il ajoute que ceux - ci, après avoir fait serment sur les évangiles, rendirent divers arrêts, & statuerent entr'autre choses:

1°. Que quand les vicomtes & les viguiers ordonneroient le gage de duel, & que la partie condamnée à l'accepter en appelleroit au comte, elle auroit la liberté, après le jugement de ce dernier, d'en appeller au roi ou à son parlement, à raison de l'hommage.

2°. Que le comte de Toulouse qui prétendoit la dixme sur celle que levoit l'évêque de cette ville, fourniroit des preuves de son droit au prochain parlement.

3°. Que les officiaux ecclésiastiques seroient soumis aux ordonnances du parlement.

4°. Que la guerre qu'avoient fait naître les différends qui étoient entre Berenger, vicomte, & Guifred, archevêque de Narbonne, seroit suspendue.

5°. Qu'on payeroit les anciens péages, & que les vicaires ou viguiers supprimeroient les nouvéaux.

Ce qui pourroit donner quelque poids à ce que dit cet auteur au sujet de ce parlement qu'il suppose avoir été tenu à Toulouse, est qu'à la tête de son ouvrage il a déclaré qu'il a puisé tous les faits qu'il rapporte dans les anciens monumens; que tous les prélats dont il fait mention comme ayant assisté à ce parlement vivoient en 1031; & que vers le même tems Berenger, vicomte de Narbonne, eut en effet un différend avec Guifred, archevêque de cette ville.

Mais les savans auteurs de l'histoire générale de Languedoc, qui rapportent ces faits d'après Bardin, t. II. p. 161. les réfutent solidement, & soutiennent que tout ce que dit Bardin de ce prétendu parlement, tenu en 1031, n'est qu'une fable; qu'en effet le terme de parlement dont on se sert pour exprimer une cour de justice, celui d'arrêt, & plusieurs autres qu'il emploie, n'étoient point encore alors en usage, & ne le furent que long - tems après.

Ils observent que d'ailleurs Bardin se contredit en ce qu'il suppose que dans ce parlement où assista Guifred, évêque de Carcassonne, qui effectivement vivoit alors, on y agita une affaire qu'avoit Hilaire, évêque de cette ville, contre Hugues de Gaigo, & Arnould de Saissac, seigneur du drocèse.

Ce qu'on peut inférer de plus vraissemblable du récit de Bardin, suivant les historiens de Languedoc, c'est qu'en 1031 le roi, en qualité de souverain, envoya des commissaires à Toulouse pour y tenir en son nom les assises & y rendre la justice, & que les prélats & les seigneurs dont Bardin rapporte les noms furent chargés de cette commission; mais ces assises ne peuvent être considérées comme l'origine du parlement de Toulouse.

La même chronique de Bardin porte que le roi Louis le Gros fit tenir un parlement en 1122 dans l'abbaye de saint Benoît de Castres, & qu'Alphonse, comte de Toulouse, y fut ajourné pour rendre hommage de ce comté. Il en est de même des parlemens que l'on suppose avoir été tenus dans l'abbaye de Clairac, en 1138; à Lavaur, en 1194; dans l'abbaye de Sorezre, en 1273; & à Montpellier, en 1293. Tout cela paroît encore avancé sans preuve, & réfuté par les historiens du Languedoc.

La premiere justice supérieure qu'il y ait eu à Toulouse, qualifiée de parlement, ce furent les grands jours établis par les comtes de Toulouse, pour juger en dernier ressort dans l'étendue de leurs domaines.

Quelques - uns ont cru que ces grands jours n'avoient été établis que par Alphonse, comte de Poitou, en 1266.

Mais il paroît que ces grands jours, ou parlement comtal de Toulouse, étoient plus anciens, puisque Aufrérius, président aux enquêtes de Toulouse, a écrit, dans son style du parlement, tit. des arrêts, qu'environ l'an 1207, M. Arnault de Montagu, Laurent Vicini, & Jean de Veseuva, conseillersclercs, avoient fait certaines compilations d'arrêts donnés par la cour de parlement de Toulouse.

Et en effet il est certain que les comtes de Toulouse & les autres grands vassaux de la province, depuis qu'ils se furent emparés des droits regaliens, se maintinrent toujours dans l'usage de juger sur les lieux & en dernier ressort leurs sujets & vassaux, sans que le conseil du roi prît connoissat ce de leurs attaires.

Alphonse, comte de Toulouse, ayant succédé du chef de Jeanne sa femme au comté de Toulouse, & aux autres domaines que possedoit le comte Raimond VII. il jugea à propos d'avoir un parlement pour tous ses domaines à l'éxemple du roi saint Louis son frere: il tenoit ce parlement dans le même lieu où il tenoit sa cour, & y jugeoit par appel toutes les principales affaires de ses états, & évoquoit toutes celles qui lui étoient personnelles.

Ce prince étant à Long - Pont où il faisoit alors sa demeure, nomma en 1253 des commissaires pour tenir son parlement à la quinzaine de la fete de tous les Saints; ce qui prouve qu'il avoit établi ce parlement des son avénement au comté de Toulouse, & qu'il en tenoit les séances à sa cour.

Mais comme outre le comté de Toulouse il tenoit aussi l'Auvergne avec le Poitou, il choisit, par permission du roi saint Louis, la ville de Paris pour y tenir ses grands jours, ou parlement auquel il faisoit assigner tous ses sujets: autrement il lui eût fallu en avoir dans chaque province dont il étoit seigneur, ce qui lui auroit été incommode & de dépense.

Ces grands jours étoient nommés parlement, du nom que l'on donnoit alors à toute assemblée publique ou l'on parloit d'affaires.

Du Tillet dit qu'au trésor des chartes il y a un registre des jugemens, délibérations & ordonnances du conseil de M. Alphonse de France, comte de Poitou, frere de saint Louis & pair de France, tenu à Paris depuis l'an 1258 jusqu'en 1266, lequel conseil y est appellé parlement & d'autres fois comptes. Il se tenoit par assignation comme celui du roi; car il y a parlement dudit comte de la Toussaint de l'an 1269, un autre de la Pentecôte.

On trouve dans les preuves de l'histoire de Languedoc, tome III. p. 507. un acte de 1264, dans lequel il est fait mention du parlement de Toulouse. Le comte de Rhodès avoit présenté une requête au trésorier de l'église de saint Hilaire de Poitiers, qui étoit un des membres du parlement de Toulouse: le trésorier répondit qu'il en délibéreroit au prochain parlement; dixit se deliberaturum in proximo parlamento dom. comitis Pictaviensis, Tolosoe.

Dans un autre acte de l'an 1266, il en est fait mention sous la dénomination de colloquium. Ce parlement fut convoqué par des lettres datées de Rampillon, la veille de la saint Barnabé. Alphonse y établit pour présidens Evrard Malethans, chevalier, connétable ou gouverneur d'Auvergne; Jean de Montmorillon, chevalier & prêtre poitevin; & Guillaume de Plapape, archidiacre d'Autun, avec pouvoir de choisir eux - mêmes leurs assesseurs ou conseillers, tant clercs que laïcs. Il est fait mention de ce parlement dans des [p. 65] lettres d'Alphonse, datées du dimanche après la fête de saint Barnabé, apôtre, l'an 1266, par lesquelles il ordonne à Evrard Malethans, chevalier, son connétable d'Auvergne, d'entendre Jean seigneur de Châtillon: « vous lui rendrez justice, dit ce prince, jusqu'à notre parlement qui se tiendra le lendemain de la quinzaine de la fête de tous les Saints; & vous aurez soin de nous faire savoir, à notredit futur parlement, ce que vous aurez fait ».

Tandis que le comte de Toulouse tenoit ainsi son parlement à Paris, les peuples, ses sujets, étoient obligés de faire de grands voyages pour aller soutenir leurs causes d'appel. C'est pourquoi les habitans de Toulouse lui firent des remontrances en 1268 au sujet de leurs libertés & privileges, & lui demanderent entr'autres choses qu'il établît sur les lieux des personnes intelligentes, pour juger en dernier ressort les causes d'appel qui étoient portées devant lui. Alphonse, acquiesçant à leur demande, confirma les divers articles des privileges & libertés des Toulousains, ensorte qu'il paroît qu'il établit à Toulouse avant sa mort un tribunal supérieur, pour y décider sans appel les affaires du pays.

Cependant ce parlement fut encore depuis tenu quelquefois en d'autres endroits; c'est ainsi qu'en 1283 Alphonse le tint à Carcassonne.

On ne peut pas douter qu'il n'y eût appel de ce parlement comtal à la cour de France; c'étoit la loi générale pour toutes les cours de baronies ou de pairies, quelque nom qu'on leur donnât. On voit même que le parlement de Paris, sous le regne de S. Louis, étendit sa jurisdiction dans les sénéchaussées de Beaucaire & de Carcassonne; on en trouve des preuves dans l'h stoire de Languedoc, en 1258, 1262, 1269 & 1270.

Le comté de Toulouse ayant été réuni à la couronne en 1272 (a) par la mort d'Alphonse sans enfans, il fut établi avec plus de solemnité un parlement dans le Languedoc sous Philippe le Hardi. Ce premier établissement fut fait par maniere d'accord & de contrat. Pour l'obtenir, les états généraux accorderent au roi 5000 moutons d'or; la premiere séance commença le mercredi après l'octave de Pâques de l'an 1280.

Philippe le Hardi fit pour toulouse ce qu'il faisoit pour l'échiquier de Normandie; il députa des membres du parlement de Paris pour présider en son nom.

Ce parlement fut supprimé quelques années après; mais il fut rétabli à Toulouse en 1287 par Philippe le Bel, & tint ses séances dans cette ville jusqu'en 1291 qu'il fut encore supprimé & réuni au parlement de Languedoc, c'est - à - dire, au parlement de Paris.

Ces députés n'étoient pas en aussi grand nombre qu'à l'échiquier; ils n'étoient que trois, un abbé & deux maîtres, qui se qualifioient clerici domini regis tenentes pro domino rege parlamentum. On les appelloit aussi les seigneurs tenans le parlement de Toulouse, dominorum tenentium parlamentum Tolosae; mais eux - mêmes se nommoient simplement tenans pour le roi le parlement de Toulouse, ou députés pour le roi à l'effet de tenir le parlement, tenentes parlamentum Tolosae pro eodem domino rege, ou bien, qui pro domino rege deputati fuerint ad tenendum parlamentum.

Ils étoient donc députés pour tenir le parlement au nom du roi; on trouve les noms de ces trois députés dans deux arrêts de 1287 & 1290 donnés en ce parlement.

Quoique les jugemens émanés de ce tribunal fussent dès - lors qualifiés d'arrêts, arresta, l'on n'en doit pas conclure que ce fût une cour souveraine; car les jugemens des grands jours ou conseil de Champagne, ceux de l'échiquier & du parlement ducal de Bretagne,

(a) On roit que c'est 1278, Voyez les annales de Toulouse, l'histoire du Languedoc par dom Vaissette. étoient de même qualifiés d'arrêts ou jugemens, arresta, judicia & consilia, & proecepta dierum trecensium, & fuit istud arrestatum, &c. & il est également constant que l'on en pouvoit appeller au parlement de Paris.

On forma même dans ce parlement une chambre pour les affaires du pays de droit écrit, qu'on nomma auditoire du pays de droit écrit ou chambre de la Languedoc; mais cet auditoire ne fut établi que dans le tems où le parlement de Toulouse étoit réuni au parlement de Paris.

La cour souveraine de parlement qui subsiste présentement à Toulouse, fut instituée par Philippe le Bel en 1302. Son ordonnance du 23 Mars de ladite année, qui porte que le parlement se tiendra deux fois l'année à Paris, ordonne aussi que le parlement se tiendra à Toulouse: at quod parlamentum apud Tolosam tenebitur, si gentes terroe proedictoe consentiant quod non appelletur à proesidentibus in parlamento proedicto.

La Rocheflavin suppose qu'après ces mots, apud Tolosam tenebitur, il y a ceux - ci, sicut teneri solebat temporibus retroactis; maisils ne se trouvent pas dans cette ordonnance, telle qu'elle est à la chambre des comptes & au trésor des chartes, & dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, imprimées au Louvre.

La Rocheflavin remarque que suivant l'ordonnance du 23 Mars 1302, le parlement ne devoit tenir à Paris que deux fois l'année, qui étoient à Noel & à la Chandeleur; au lieu qu'en parlant du parlement de Toulouse, Philippe - le - Bel ordonne qu'il tiendra sans en limiter le tems: d'où la Rocheflavin conclud qu'il devoit tenir ordinairement & continuellement. La raison de cette différence peut être selon lui qu'alors le parlement de Toulouse s'étendoit non - seulement au Languedoc, mais par toute la Guienne, Dauphiné & Provence, avant l'érection des parlemens de Bordeaux, Grenoble & Aix, comme il se lit dans les registres de celui de Toulouse. De sorte que pour l'expedition du grand nombre des affaires & des procès, auxquels les habitans de ce climat sont, dit - il, naturellement plus adonnés, il étoit nécessaire que le parlement y fût ordinairement séant, au lieu que le parlement de Paris étoit soulagé par le proche voisinage de l'échiquier de Rouen, & des grands jours de Troyes en Champagne, dont il est parlé dans cette même ordonnance 1302, & qui étoient en effet d'autres parlemens pour la Normandie, Champagne & Brie.

Sur ces mots, si gentes terroe consentiant, la Rocheflavin remarque que les gens des trois états du pays de Languedoc ne voulurent consentir à l'érection de ce parlement qu'avec pacte & convention expresse avec le roi qu'ils seroient régis & gouvernés, & leurs procès & différends jugés suivant le droit romain, dont ils avoient coutume d'user.

L'ordonnance du 23 Mars 1302, n'avoit fait proprement qu'annoncer le dessein d'établir un parlement à Toulouse; ce n'étoit même proprement qu'une députation de présidens du parlement de Paris que le roi se proposoit d'y envoyer pour y tenir le parlement & y juger souverainement, comme on l'a fait depuis en Normandie. Ce devoit être le parlement de France qui auroit tenu successivement ses séances à Paris, à toulouse, & ensuite en Normandie; il est vrai que les barons de Toulouse y auroient siégé, mais la souveraineté de jurisdiction ne devoit être vraiment attachée qu'aux députés de la cour de France qui y auroient présidé; c'est pourquoi l'ordonnance de 1302 dit, si gentes terroe consentiant quod non appelletur à proesidentibus; preuve certaine que les précédens parlemens n'étoient pas souverains du tems des comtes. Les auteurs de l'histoire de Languedoc

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.