ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"918"> heur dont leur nature les rend susceptibles, & qu'ils ne peuvent aspirer à un rang plus élevé, qu'au détriment des êtres supérieurs qui l'occupent. En effet, il faut que ceux - ci quittent leur place avant qu'un autre puisse y monter; or il paroît incompatible avec la nature de Dieu de dégrader un être supérieur, tant qu'il n'a rien fait qui le mérite. Mais si un être supérieur choisit librement des choses qui le rendent digne d'être dégradé, Dieu sembleroit être injuste vers ceux d'un ordre inférieur, qui par un bon usage de leur liberté sont propres à un état plus élevé, s'il leur refusoit le libre usage de leur choix.

C'est ici que la sagesse & la bonté divine semblent s'être déployées de la maniere la plus glorieuse; l'arrangement des choses paroît l'effet de la plus profonde prudence. Par - là Dieu a montré la plus complette équité envers ses créatures; de sorte qu'il n'y a personne qui soit en droit de se récrier, ou de se glorifier de son partage. Celui qui est dans une situation moins avantageuse, n'a aucun sujet de se plaindre, puisqu'il est doué de facultés dont il a le pouvoir de se servir d'une maniere propre à s'en procurer une meilleure; & il est obligé d'avouer que c'est sa propre faute s'il en demeure privé: d'un autre côté, celui qui est dans un rang supérieur doit apprendre à craindre, de peur qu'il n'en déchée par un usage illégitime de ses facultés. Ainsi le plus élevé a un sujet de terreur qui peut en quelque façon diminuer sa félicité, & celui qui occupe un rang inférieur peut augmenter la sienne; par - là ils approchent de plus près de l'égalité, & ils ont en même - tems un puissant aiguillon qui les excite à faire un usage avantageux de leurs facultés. Ce conflit contribue au bien de l'univers, & y contribue infiniment plus que si toutes choses étoient fixées par un destin nécessaire.

13°. Si tout ce qu'on vient d'établir est vrai, il est évident que toutes sortes de maux, le mal d'imperfection, le mal naturel ou physique, & le mal moral, peuvent avoir lieu dans un monde créé par un être infiniment sage, bon & puissant, & qu'on peut rendre raison de leur origine, sans avoir recours à un mauvais principe.

14°. Il est évident que nous sommes attachés à cette terre; que nous y sommes confinés comme dans une prison, & que nos connoissances ne s'étendent pas au - delà des idées qui nous viennent par les sens; mais puisque tout l'assemblage des élémens n'est qu'un point par rapport à l'univers entier, est - il surprenant que nous nous trompions, lorsque sur la vue de cette petite partie, nous jugeons, ou pour mieux dire, nous formons des conjectures touchant la beauté, l'ordre & la bonté du tout? Notre terre est peut être la basse - fosse de l'univers, un hôpital de foux, ou une maison de correction pour des malfaiteurs; & néanmoins telle qu'elle est, il y a plus de bien naturel & moral que de mal.

Voilà, dit M. Law, jusqu'où la question de l'origine du mal est traitée dans l'ouvrage de l'auteur, parce que tout ce qu'on vient de dire, ou y est contenu en termes exprès, ou peut être déduit facilement des principes qui y sont établis. Ajoutons - y un beau morceau inséré dans les notes de la traduction de M. Law, sur ce qu'on prétend que le mal moral l'emporte dans le monde sur le bien.

M. King déclare qu'il est d'un sentiment différent.

Il est fermement persuadé qu'il y a plus de bien moral dans le monde, & même sur la terre, que de mal. Il convient qu'il peut y avoir plus d'hommes méchans que de bons, parce qu'une seule mauvaise action suffit pour qualifier un homme de méchant. Mais d'un autre côté, ceux qu'on appelle méchans font souvent dans leur vie dix bonnes actions pour une mauvaise. M. King ne connoît point l'auteur de l'objection, & il ignore à qui il a à faire; mais il dé clare que parmi ceux qu'il connoît, il croit qu'il y en a des centaines qui sont disposés à lui faire du bien, pour un seul qui voudroit lui faire du mal, & qu'il a reçu mille bons offices pour un mauvais.

Il n'a jamais pu adopter la doctrine de Hobbes, que tous les hommes sont des ours, des loups, & des tigres ennemis les uns des autres; ensorte qu'ils sont tous naturellement faux & perfides, & que tout le bien qu'ils font provient uniquement de la crainte; mais si l'on examinoit les hommes un par un, peut - être n'en trouveroit - on pas deux entre mille, calqués sur le portrait de loups & de tigres. Ceux - là même qui avancent un tel paradoxe ne se conduisent pas sur ce pié - là envers ceux avec qui ils sont en relation. S'ils le faisoient, peu de gens voudroient les avouer. Cela vient, direz - vous, de la coutume & de l'éducation: eh bien, supposons que cela soit, il faut que le genre humain n'ait pas tellement dégénéré, que la plus grande partie des hommes n'exerce encore la bienfaisance; & la vertu n'est pas tellement bannie, qu'elle ne soit appuyée par un consentement général & par les suffrages du public.

Effectivement on trouve peu d'hommes, à moins qu'ils ne soient provoqués par des passions violentes, qui aient le coeur assez dur pour être inaccessibles à quelque pitié, & qui ne soient disposés à témoigner de la bienveillance à leurs amis & à leurs enfans. On citeroit peu de Caligula, de Commode, de Caracalla, ces monstres portés à toutes sortes de crimes, & qui peut - être encore ont fait quelques bonnes actions dans le cours de leur vie.

Il faut remarquer en second lieu, qu'on parle beaucoup d'un grand crime comme d'un meurtre, qu'on le publie davantage, & que l'on en conserve plus longtems la mémoire, que de cent bonnes actions qui ne font point de bruit dans le monde; & cela même prouve que les premieres sont beaucoup plus rares que les dernieres, qui sans cela n'exciteroient pas tant de surprise & d'horreur.

Il faut observer en troisieme lieu, que bien des choses paroissent très - criminelles à ceux qui ignorent les vues de celui qui agit. Néron tua un homme qui étoit innocent; mais qui sait s'il le fit par une malice préméditée! peut - être que quelque courtisan flateur, auquel il étoit obligé de se fier, lui dit que cet innocent conspiroit contre la vie de l'empereur, & insista sur la nécessité de le prévenir. Peut être l'accusateur lui - même fut - il trompé. Il est évident que de pareilles circonstances diminuent l'atrocité du forfait, si Néron change de conduite. Au surplus il est vraissemblable que si l'on pesoit impartialement les fautes des humains, il se présenteroit bien des choses qui iroient à leur décharge.

En quatrieme lieu, plusieurs actions blâmables se font sans que ceux qui les commettent sachent qu'elles sont telles. C'est ainsi que saint Paul persécuta l'Eglise, & lui - même avoue qu'il s'étoit conduit par ignorance. Combien de choses de cette nature se pratiquent tous les jours par ceux qui professent des religions différentes? Ce sont, je l'avoue, des péchés, mais des péchés qui ne procedent pas d'une volonté corrompue. Tout homme qui use de violence contre un autre, par amour pour la vertu, par haine contre le vice, ou par zele pour la gloire de Dieu, fait mal sans contredit; mais l'ignorance & un coeur honnête servent beaucoup à l'excuser. Cette considération suffit pour diminuer le nombre des méchans de coeur; les préjugés de parti doivent aussi être pesés, & quoiqu'il n'y ait pas d'erreur plus fatale au genre humain, cependant elle vient d'une ame remplie de droiture. La méprise consiste en ce que les hommes qui s'y laissent entrainer, oublient qu'on doit défen<pb-> [p. 919] dre l'état par des voies justes, & non aux dépens de l'humanité.

En cinquieme lieu, de petits soupçons font souvent regarder comme criminels des gens qui ne le sont point. Le commerce innocent entre un homme & une femme, fournit au méchant un sujet de les calomnier. Sur une circonstance qui accompagne ordinairement une action criminelle, on déclare coupable du fait même, la personne soupçonnée. Une mauvaise action suffit pour deshonorer toute la vie d'un homme.

Sixiemement, nous devons distinguer (& la loi même le fait) entre les actions qui viennent d'une malice préméditée, & celle auxquelles quelque violente passion ou quelque desordre dans l'esprit portent l'homme. Lorsque l'offenseur est provoqué, & qu'un transport subit le met hors de lui, il est certain que cet état diminue sa faute aux yeux de l'Eternel qui nous jugera miséricordieusement.

Enfin la conservation & l'accroissement du genre humain est une preuve assurée qu'il y a plus de bien que de mal dans le monde; car une ou deux actions peuvent avoir une influence funeste sur plusieurs personnes. De plus, toutes les actions vicieuses tendent à la destruction du genre humain, du - moins à son desavantage & à sa diminution; au lieu qu'il faut nécessairement le concours d'un grand nombre de bonnes actions pour la conservation de chaque individu. Si donc le nombre des mauvaises actions surpassoit celui des bonnes, le genre humain devroit finir. On en voit une preuve sensible dans les pays où les vices se multiplient, car le nombre des hommes y diminue tous les jours; si la vertu s'y rétablit, les habitans y reviennent à sa suite. Le genre humain ne pourroit subsister, si jamais le vice étoit dominant, puisqu'il faut le concours de plusieurs bonnes actions pour réparer les dommages causés par une seule mauvaise; qu'un seul crime suffit pour ôter la vie à un homme ou à plusieurs: mais combien d'actes de bonté doivent concourir pour conserver chaque particulier?

De tout ce qu'on vient de dire, il résulte qu'il y a plus de bien que de mal parmi les hommes, & que le monde peut être l'ouvrage d'un Dieu bon, malgré l'argument qu'on fonde sur la supposition que le mal l'emporte sur le bien. Tout cela cependant n'est pas nécessaire, puisqu'il peut y avoir dix mille fois plus de bien que de mal dans tout l'univers, quand même il n'y auroit absolument aucun bien sur cette terre que nous habitons. Elle est trop peu de chose pour avoir quelque proportion avec le système entier; & nous ne pouvons que porter un jugement très - imparfait du tout sur cette partie. Elle peut être l'hôpital de l'univers; & peut - on juger de la bonté & de la pureté de l'air du climat, sur la vue d'un hôpital où il n'y a que des malades? de la sagesse d'un gouvernement, sur la vue d'une maison destinée pour y héberger des fols? ou de la vertu d'une nation, sur la vue d'une seule prison qui renferme des malfaiteurs? Non que la terre soit effectivement telle; mais il est permis de le supposer, & toute supposition qui montre que la chose peut être, renverse l'argument manichéen, fondé sur l'impossibilité d'en rendre raison. Cependant loin de l'imaginer, regardons plûtôt la terre comme un séjour rempli de douceurs; « Au moins, dit M. King, j'avoue avec la plus vive reconnoissance pour Dieu, que j'ai passé mes jours de cette maniere; je suis persuadé que mes parens, mes amis, & mes domestiques en ont fait autant, & je ne crois pas qu'il y ait de mal dans la vie qui ne soit supportable, sur - tout pour ceux qui ont des espérances d'un bonheur à venir ».

Au reste, indépendamment des preuves de l'illustre archevêque de Dublin, qui établissent que le bien, tant naturel que moral, l'emporte dans le monde sur le mal, le lecteur peut encore consulter Sherlock, traité de la Providence; Hutcheson, On the Nature aud conduct of the passions; London, 1728; Leibnitz, essais de Théodicée; Chubb's, supplement to the vindication of God's Moral Character, &c. & Lucas, Enquiry aster Happiness.

Bayle a combattu le système du docteur King, dans sa réponse aux questions d'un provincial; mais outre que l'archevêque de Dublin á répondu aux remarques du savant de Roterdam, il est bon d'observer que Bayle a eu tort d'avoir réfuté l'ouvrage sans l'avoir lû autrement que dans les extraits de M. Bernard & des journalistes de Léipsig. On peut encore lui reprocher en général d'avoir mêlé dans ses raisonnemens, plusieurs citations qui ne sont que des fleurs oratoires, & qui par conséquent ne prouvent rien; la méthode de raisonner sur des autorités est très - peu philosophique dans des matieres de Métaphysique. (D. J.)

Mal (Page 9:919)

Mal, (Médecine.) On emploie souvent ce mot dans le langage médicinal & on lui attache différentes idées; quelquefois on s'en sert comme d'un synonyme à douleur, comme quand on dit mal de tête, mal aux dents, au ventre, pour dire douleur de tête, de dents, de ventre; d'autrefois il n'exprimé qu'un certain malaise, un sentiment qui n'est point douleur, mais toujours un état contre nature, qu'il est plus facile de sentir que d'énoncer: c'est le cas de la plûpart des maux d'estomac, du mal au coeur, &c. Il est aussi d'usage pour désigner une affection quelconque indéterminée d'une partie malade. Ainsi on dit communément, j'ai mal aux yeux, à la jambe, &c. sans spécifier quel est le genre ou l'espece de maladie dont on est attaqué. Enfin on substitue dans bien des cas le mot mal à maladie, & on l'emploie dans la même signification. C'est ainsi qu'on appelle l'épilepsie mal caduc, une espece de lepre ou de galle mal - mort. On dit de même indifféremment maladie ou mal pédiculaire, maladie ou mal de Siam, &c. Toutes les autres maladies étant traitées à leur article particulier, à l'exception des deux dernieres, nous nous bornerons uniquement ici à ce qui les regarde.

Mal pédiculaire (Page 9:919)

Mal pédiculaire. Ce nom est dérivé du latin pediculus qui signifie poux. Le caractere univoque de cette maladie est une prodigieuse quantité de poux qui occupent principalement les parties couvertes de poils, sur - tout la tête; quelquefois aussi ils infectent tout le corps. Les Grecs appellent cette maladie FQEIRIASIS2, du mot FQEIR qui veut dire poux, que Gallien prétend être tiré radicalement de FQINEIN, corrompre; faisant entendre par - là que les poux sont un effet de la corruption. On a vu quelques malades tellement chargés de ces animaux, que leurs bras & leurs jambes en étoient recouverts; bien plus, ils sembloient sortir de dessous la peau, lorsque le malade en se grattant soulevoit quelque portion d'épiderme, ce qui confirmeroit l'opinion de Galien & d'Avenzoar qui pensent que les poux s'engendrent entre la peau & la chair. Outre le désagrément & l'espece de honte pour l'ordinaire bien fondée, qui sont attachés à cette maladie, elle entraîne à sa suite un symptome bien incommode, c'est l'extrème demangeaison occasionnée par ces poux. C'est cette même incommodité, que Serenus croyant bonnement qu'il n'y a rien de pernicieux ou même d'inutile, regarde comme un grand avantage que la nature tire de la présence de ces vilains animaux. Voici comme il s'exprime:

Noxia corporibus quoedam de corpore nostro Progenuit natura, volens abrumpere somnos Sensibus admonitis vigilesque inducere curas. Lib. de medic.

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