ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"809"> vant toujours être préférée, sur - tout dans les arts qui ne tendent qu'à la solidité.

On distingue ordinairement de deux especes de pierres: l'une dure, & l'autre tendre. La premiere est, sans contredit, la meilleure: il arrive quelquefois que cette derniere résiste mieux à la gelée que l'autre; mais cela n'est pas ordinaire, parce que les parties de la pierre dure ayant leurs pores plus condensés que celles de la tendre, doivent résister davantage aux injures des tems, ainsi qu'aux courans des eaux dans les édifices aquatiques. Cependant, pour bien connoître la nature de la pierre, il faut examiner pourquoi ces deux especes sont sujettes à la gelée, qui les fend & les détruit.

Dans l'assemblage des parties qui composent la pierre, il s'y trouve des pores imperceptibles remplis d'eau & d'humidité, qui, venant à s'enfler pendant la gelée, fait effort dans ses pores, pour occuper un plus grand espace que celui où elle est resserrée; & la pierre ne pouvant résister à cet effort, se fend & tombe par éclat. Ainsi plus la pierre est composée de parties argilleuses & grasses, plus elle doit participer d'humidité, & par conséquent être sujette à la gelée. Quelques - uns croient que la pierre ne se détruit pas seulement à la gelée, mais qu'elle se mouline (n) encore à la lune: ce qui peut arriver à de certaines especes de pierres, dont les rayons de la lune peuvent dissoudre les parties les moins compactes. Mais il s'en suivroit de - là que ses rayons seroient humides, & que venant à s'introduire dans les pores de la pierre, ils seroient cause de la séparation de ses parties qui tombant insensiblement en parcelles, la feroient paroître moulinée.

Des carrieres & des pierres qu'on en tire. On appelle communément carriere des lieux creusés sous terre A (fig. 26.), où la pierre prend naissance. C'est de - là qu'on tire celle dont on se sert pour bâtir, & cela par des ouvertures B en forme de puits, comme on en voit aux environs de Paris, ou de plain - pié, comme à S. Leu, Trocy, Maillet, & ailleurs; ce qui s'appelle encore carriere découverte.

La pierre se trouve ordinairement dans la carriere disposée par banc, dont l'épaisseur change selon les lieux & la nature de la pierre. Les ouvriers qui la tirent, se nomment carriers.

Il faut avoir pour principe dans les bâtimens, de poser les pierres sur leurs lits, c'est - à - dire dans la même situation qu'elles se sont trouvé placées dans la carriere, parce que, selon cette situation, elles sont capables de résister à de plus grands fardeaux; au lieu que posées sur un autre sens, elles sont très sujettes à s'éclater, & n'ont pas à beaucoup près tant de force. Les bons ouvriers connoissent du premier coup - d'oeil le lit d'une pierre; mais si l'on n'y prend garde, ils ne s'assujetrissent pas toujours à la poser comme il faut.

La pierre dure supportant mieux que toute autre un poids considérable, ainsi que les mauvais tems, l'humidité, la gelée, &c. il faut prendre la précaution de les placer de préférence dans les endroits exposés à l'air, réservant celles que l'on aura reconnu moins bonnes pour les fondations & autres lieux à couvert. C'est de la premiere que l'on emploie le plus communément dans les grands édifices, surtout jusqu'à une certaine hauteur. La meilleure est la plus pleine, serrée, la moins coquilleuse, la moins remplie de moye (o), veine (p) ou moliere (q),

(n) Une pierre est moulinée, lorsqu'elle s'écrase sous le pouce, & qu'elle se réduit en poussiere. (o) Moye est une partie tendre qui se trouve au milieu de la pierre, & qui suit son lit de carriere. (p) Veine, défaut d'une pierre à l'endroit où la partie tendre se joint à la partie dure. (q) Moliere, partie de la pierre remplie de trous; ce qui est un défaut de propreté dans les paremens extérieurs.
d'un grain fin & uni, & lorsque les éclats sont sonores & se coupent net.

La pierre dure & tendre se tire des carrieres par gros quartiers que l'on débite sur l'attelier, suivant le besoin que l'on en a. Les plus petits morceaux servent de libage ou de moilon, à l'usage des murs de fondation, de refends, mitoyen, &c. on les unit les unes aux autres par le secours du mortier, fait de ciment ou de sable broyé avec de la chaux, ou bien encore avec du plâtre, selon le lieu où l'on bâtit. Il faut avoir grand soin d'en ôter tout le bouzin, qui n'étant pas encore bien consolidé avec le reste de la pierre, est sujet à se dissoudre par la pluie ou l'humidité, de maniere que les pierres dures ou tendres, dont on n'a pas pris soin d'ôter cette partie défectueuse, tombent au bout de quelque tems en poussiere, & leurs arrêtes s'égrainent par le poids de l'édifice. D'ailleurs ce bouzin beaucoup moins compacte que le reste de la pierre, & s'abreuvant facilement des esprits de la chaux, en exige une très - grande quantité, & par conséquent beaucoup de tems pour la sécher: de plus l'humidité du mortier le dissout, & la liaison ne ressemble plus alors qu'à de la pierre tendre réduite en poussiere, posée sur du mortier; ce qui ne peut faire qu'une très - mauvaise construction.

Mais comme chaque pays a ses carrieres & ses différentes especes de pierres, auxquelles on s'assujettit pour la construction des bâtimens, & que le premier soin de celui qui veut bâtir est, avant même que de projetter, de visiter exactement toutes celles des environs du lieu où il doit bâtir, d'examiner soigneusement ses bonnes & mauvaises qualités, soit en consultant les gens du pays, soit en en exposant une certaine quantité pendant quelque tems à la gelée & sur une terre humide, soit en les éprouvant encore par d'autres manieres; nous n'entreprendrons pas de faire un dénombrement exact & général de toutes les carrieres dont on tire la pierre. Nous nous contenterons seulement de dire quelque chose de celles qui se trouvent en Italie, pour avoir occasion de rapporter le sentiment de Vitruve sur la qualité des pierres qu'on en tire, avant que de parler de celles dont on se sert à Paris & dans les environs.

Les carrieres dont parle Vitruve, & qui sont aux environs de Rome, sont celles de Pallienne, de Fidenne, d'Albe, & autres, dont les pierres sont rouges & très - tendres. On s'en sert cependant à Rome en prenant la précaution de les tirer de la carriere en été, & de les exposer à l'air deux ans avant que de les employer, afin que, dit aussi Palladio, celles qui ont résisté aux mauvais tems sans se gâter, puissent servir aux ouvrages hors de terre, & les autres dans les fondations. Les carrieres de Rora, d'Amiterne, & de Tivoli fournissent des pierres moyennement dures. Celles de Tivoli résistent sort bien à la charge & aux rigueurs des saisons, mais non au feu qui les fait éclater, pour le peu qu'il les approche; parce qu'étant naturellement composées d'eau & de terre, ces deux élémens ne sauroient lutter contre l'air & le feu qui s'insinuent aisément dans ses porosités. Il s'en trouve plusieurs d'où l'on tire des pierres aussi dures que le caillou. D'autres encore dans la terre de Labour, d'où l'on en tire que l'on appelle tuf rouge & noir. Dans l'Omberie, le Pisantin, & proche de Venise, on tire aussi un tuf blanc qui se coupe à la scie comme le bois. Il y a chez les Tarquiniens des carrieres appellées avitiennes, dont les pierres sont rouges comme celles d'Albe, & s'amassent près du lac de Balsenne & dans le gouvernement Statonique: elles résistent très - bien à la gelée & au feu, parce qu'elles sont composées de très - peu d'air, de fer, & d'humidité, [p. 810] mais de beaucoup de terrestre; ce qui les rend plus fermes, telles qu'il s'en voit à ce qui reste des anciens ouvrages près de la ville de Ferente où il se trouve encore de grandes figures, de petits basreliefs, & des ornemens délicats, de roses, de feuilles d'acanthe, &c. faits de cette pierre, qui sont encore entiers malgré leur vieillesse. Les Fondeurs des environs la trouvent très - propre à faire des moules; cependant on en emploie fort peu à Rome à cause de leur éloignement.

Des différentes pierres dures. De toutes les pierres dures, la plus belle & la plus fine est celle de liais, qui porte ordinairement depuis sept jusqu'à dix pouces de hauteur de banc (r).

Il y en a de quatre sortes. La premiere qu'on appelle liais franc, la seconde liais ferault, la troisieme liais rose, & la quatrieme franc liais de S. Leu.

La premiere qui se tire de quelques carrieres derriere les Chartreux fauxbourg S. Jacques à Paris, s'emploie ordinairement aux revêtissemens du dedans des pieces où l'on veut éviter la dépense du marbre, recevant facilement la taille de toutes sortes de membres d'architecture & de sculpture: considération pour laquelle on en fait communément des chambranles de cheminées, pavés d'anti - chambres & de salles à manger, ballustres, entrelas, appuis, tablettes, rampes, échifres d'escaliers, &c. La seconde qui se tire des mêmes carrieres, est beaucoup plus dure, & s'emploie par préférence pour des corniches, bazes, chapiteaux de colonnes, & autres ouvrages qui se font avec soin dans les façades extérieures des bâtimens de quelqu'importance. La troisieme qui se tire des carrieres proche S. Cloud, est plus blanche & plus pleine que les autres, & reçoit un très - beau poli. La quatrieme se tire le long des côtes de la montagne près S. Leu.

La seconde pierre dure & la plus en usage dans toutes les especes de bâtimens, est celle d'Arcueil, qui porte depuis douze jusqu'à quinze pouces de hauteur de banc, & qui se tiroit autrefois des carrieres d'Arcueil près Paris; elle étoit très - recherchée alors, à cause des qualités qu'elle avoit d'être presqu'aussi ferme dans ses joints que dans son coeur, de résister au fardeau, de s'entretenir dans l'eau, ne point craindre les injures des tems: aussi la préféroit - on dans les fondemens des édifices, & pour les premieres assises. Mais maintenant les bancs de cette pierre ne se suivant plus comme autrefois, les Carriers se sont jettés du côté de Bagneux près d'Arcueil, & du côté de Montrouge, où ils trouvent des masses moins profondes dont les bancs se con tinuent plus loin. La pierre qu'on en tire est celle dont on se sert à - présent, à laquelle on donne le nom d'Arcueil. Elle se divise en haut & bas appareil: le premier porte depuis dix - huit pouces jusqu'à deux piés & demi de hauteur de banc; & le second depuis un pié jusqu'à dix - huit pouces. Celui - ci sert à faire des marches, seuils, appuis, tablettes, cimaises de corniches, &c. Elle a les mêmes qualités que celle d'Arcueil, mais plus remplie de moye, plus sujette à la gelée, & moins capable de résister au fardeau.

La pierre de cliquart qui se tire des mêmes carrieres, est un bas appareil de six à sept pouces de hauteur de banc, plus blanche que la derniere, ressemblante au liais, & servant aussi aux mêmes usages. Elle se divise en deux especes, l'une plus dure que l'autre: cette pierre un peu grasse est sujette à la gelée: c'est pourquoi on a soin de la tirer de la carriere, & de l'employer en été.

La pierre de bellehache se tire d'une carriere

(r) La hauteur d'un banc est l'épaisseur de la pierre dans la carriere; il y en a plusieurs dans chacune.
près d'Arcueil, nommée la carriere royale, & porte depuis dix - huit jusqu'à dix - neuf pouces de hauteur de banc. Elle est beaucoup moins parfaite que le liais ferault, mais de toutes les pierres la plus dure, à cause d'une grande quantité de cailloux dont elle est composée: aussi s'en sert - on sort rarement.

La pierre de souchet se tire des carrieres du fauxbourg S. Jacques, & porte depuis douze pouces jusqu'à vingt - un pouces de hauteur de banc. Cette pierre qui ressemble à celle d'Arcueil, est grise, trouée & poreuse. Elle n'est bonne ni dans l'eau ni sous le fardeau: aussi ne s'en sert - on que dans les bâtimens de peu d'importance. Il se tire encore une pierre de souchet des carrieres du fauxbourg S. Germain, & de Vaugirard, qui porte depuis dix - huit jusqu'à vingt pouces de hauteur de banc. Elle est grise, dure, poreuse, grasse, pleine de fils, sujette à la gelée, & se moulinant à la lune. On s'en sert dans les fondemens des grands édifices & aux premieres assises, voussoirs, soupiraux de caves, jambages de portes, & croisées des maisons de peu d'importance.

La pierre de bonbave se tire des mêmes carrieres, & se prend au - dessus de cette derniere. Elle porte depuis quinze jusqu'à vingt - quatre pouces de hauteur de banc, fort blanche, pleine & très fine: mais elle se mouline à la lune, résiste peu au fardeau, & ne sauroit subsister dans les dehors ni à l'humidité: on s'en sert pour cela dans l'intérieur des bâtimens, pour des appuis, rampes, échifres d'escaliers, &c. on l'a quelquefois employée à découvert où elle n'a pas gelé, mais cela est fort douteux. On en tire des colonnes de deux piés de diametre; la meilleure est la plus blanche, dont le lit est coquilleux, & a quelques molieres.

Il se trouve encore au fauxbourg S. Jacques un bas appareil depuis six jusqu'à neuf pouces de hauteur de banc, qui n'est pas si beau que l'arcueil, mais qui sert à faire des petites marches, des appuis, des tablettes, &c.

Après la pierre d'Arcueil, celle de S. Cloud est la meilleure de toutes. Elle porte de hauteur de banc depuis dix - huit pouces jusqu'à deux piés, & se tire des carrieres de S. Cloud près Paris. Elle est un peu coquilleuse, ayant quelques molieres; mais elle est blanche, bonne dans l'eau, résiste au fardeau, & se délite facilement. Elle sert aux façades des bâtimens, & se pose sur celle d'Arcueil. On en tire des colonnes d'une piece, de deux piés de diametre; on en fait aussi des bassins & des auges.

La pierre de Meudon se tire des carrieres de ce nom, & porte depuis quatorze jusqu'à dix - huit pouces de hauteur de banc. Il y en a de deux especes. La premiere qu'on appelle pierre de Meudon, a les mêmes qualités que celles d'Arcueil, mais pleine de trous, & incapable de résister aux mauvais tems. On s'en sert pour des premieres assises, des marches, tablettes, &c. Il s'en trouve des morceaux d'une grandeur extraordinaire. Les deux cimaises des corniches rampantes du fronton du Louvre sont de cette pierre, chacune d'un seul morceau. La seconde qu'on appelle rustique de Meudon, est plus dure, rougeâtre, & coquilleuse, & n'est propre qu'aux libages & garni des fondations de piles de ponts, quais & angles de bâtimens.

La pierre de S. Nom, qui porte depuis dix - huit jusqu'à vingt - deux pouces de hauteur de banc, se tire au bout du parc de Versailles, & est presque de même qualité que celle d'Arcueil, mais grise & coquilleuse: on s'en sert pour les premieres assises.

La pierre de la chaussée, qui se tire des carrieres près Bougival, à côté de S. Germain en Laye, & qui porte depuis quinze jusqu'à vingt pouces de hauteur de banc, approche beaucoup de celle de

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