ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"606"> quefois ceux qui n'ont que de la mémoire au - dessus des personnes d'un esprit plus vif & plus brillant. Un auteur qui écrivoit fort élégamment, quoique dans un siecle barbare, leur donne toutes ces louanges. Voyez Lucas de Penna, apud Morhoff. Polyhist. liv. I. ch. iij. p. 27. Liber, dit - il, est lumen cordis, speculum corporis, virtutum magister, vitiorum depulsor, corona prudentum, comes itineris, domesticus amicus, congerro jacentis, collega & consiliarius proesidentis, myrophecium eloquentioe, hortus plenus fructibus, pratum floribus distinctum, memorioe penus, vita recordationis. Vocatus properat, jussus festinat, semper proesto est, nunquam non morigerus, rogatus confestim respondet, arcana revelat, obscura illustrat, ambigua certiorat, perplexa resolvit, contra adversam fortunam defensor, secundoe moderator, opes adauget, jacturam propulsat, &c.

Peut - être leur plus grande gloire vient - elle de s'être attiré l'affection des plus grands hommes dans tous les âges. Cicéron dit de M. Caton: Marcum Catonem vidi in bibliotecâ consedentem multis circumfusum stoïcorum libris. Erat enim, ut scis, in eo inexhausta aviditas legendi, nec satiari poterat. Quippe qui, nec reprehensionem vulgi inanem reformidans, in ipsâ curiâ soleret legere, soepe dum senatus cogebatur, nihil operoe reipublicoe detrahens. De divinat. lib. III. n°. 11. Pline l'ancien, l'empereur Julien, & d'autres dont il seroit trop long de rapporter ici les noms fameux, étoient aussi fort passionnés pour la lecture: ce dernier a perpétué son amour pour les livres, par quelques épigrammes grecques qu'il a fait en leur honneur. Richard Bury, évêque de Durham, & grand chancelier d'Angleterre, a fait un traité sur l'amour des livres. Voyez Pline, epist. 7. lib. III. Philobiblion sive de amore librorum. Fabrice, bibl. lat. med. avi. tom. I. p. 842 & suiv. Morhoff. Polyhist. liv. I. ch. xvij. pag. 190. Salmuth. ad pancirol. lib. I. tit 22. p. 67. Barthol. de lib. legend. dissert. I. p. 1. & suiv.

Les mauvais effets qu'on peut imputer aux livres, c'est qu'ils emploient trop de notre tems & de notre attention, qu'ils engagent notre esprit à des choses qui ne tournent nullement à l'utilité publique, & qu'ils nous inspirent de la répugnance pour les actions & le train ordinaire de la vie civile; qu'ils rendent paresseux & empêchent de faire usage des talens que l'on peut avoir pour acquérir par soi - même certaines connoissances, en nous fournissant à tous momens des choses inventées par les autres; qu'ils étouffent nos propres lumieres, en nous faisant voir par d'autres que par nous - mêmes; outre que les caracteres mauvais peuvent y puiser tous les moyens d'infecter le monde d'irréligion, de superstition, de corruption dans les moeurs, dont on est toujours beaucoup plus avide que des leçons de sagesse & de vertu. On peut ajouter encore bien des choses contre l'inutilité des livres; les erreurs, les fables, les folies dont ils sont remplis, leur multitude excessive, le peu de certitude qu'on en tire, sont telles, qu'il paroît plus aisé de découvrir la vérité dans la nature & la raison des choses, que dans l'incertitude & les contradictions des livres. D'ailleurs les livres ont fait négliger les autres moyens de parvenir à la connoissance des choses, comme les observations, les expériences, &c. sans lesquelles les sciences naturelles ne peuvent être cultivées avec succès. Dans les Mathématiques, par exemple, les livres ont tellement abattu l'exercice de l'invention, que la plûpart des Mathématiciens se contentent de resoudre un problème par ce qu'en ont dit les autres, & non par eux - mêmes, s'écartant ainsi du but principal de leur science, puisque ce qui est contenu dans les livres de Mathématiques n'est seulement que l'histoire des Mathématiques, & non l'art ou la science de résoudre des questions, chose qu'on doit apprendre de la nature & de la réflexion, & qu'on ne peut acquérir facilement par la simple lecture.

A l'égard de la maniere d'écrire ou de composer des livres, il y a aussi peu de regles fixes & universelles que pour l'art de parler, quoique le premier soit plus difficile que l'autre; car un lecteur n'est pas si aisé à surprendre ou à éblouir qu'un auditeur, les défauts d'un ouvrage ne lui échappent pas avec la même rapidité que ceux d'une conversation. Cependant un cardinal de grande réputation réduit à très peu de points les regles de l'art d'écrire; mais ces regles sont - elles aussi aisées à pratiquer qu'à prescrire? Il faut, dit - il, qu'un auteur considere à qui il écrit, ce qu'il écrit, & comment & pour quoi il écrit. Voyez August. Valer. de caut. in edend. libr. Pour bien écrire & pour composer un bon livre, il faut choisir un sujet intéressant, y réfléchir long - tems & profondément; éviter d'étaler des sentimens ou des choses déja dites, ne point s'écarter de son sujet, & ne faire que peu ou point de digressions; ne citer que par nécessité pour appuyer une vérité, ou pour embellir son sujet par une remarque utile ou neuve & extraordinaire; se garder de citer, par exemple, un ancien philosophe pour lui faire dire des choses que le dernier des hommes auroit dit tout aussi bien que lui, & ne point faire le prédicateur, à moins que le sujet ne regarde la chaire. Voyez la nouv. républ. des Lettres, tome XXXIX. p. 427.

Les qualités principales que l'on exige d'un livre, sont, selon Salden, la solidité, la clarté & la concision. On peut donner à un ouvrage la premiere de ces qualités, en le gardant quelque tems avant que de le donner au public, le corrigeant & le revoyant avec le conseil de ses amis. Pour y répandre la clarté, il faut disposer ses idées dans un ordre convenable, & les rendre par des expressions naturelles. Enfin on le rendra concis, en écartant avec soin tout ce qui n'appartient pas directement au sujet. Mais quels sont les auteurs qui observent exactement toutes ces regles, qui les remplissent avec succès?

Vix totidem quot Thebarum portoe vel divitis ostia Nili.

Ce n'est pas dans ce nombre qu'il faut ranger ces écrivains qui donnent au public des six ou huit livres par an, & cela pendant le cours de dix ou douze années, commeLintenpius, professeur à Copenhague, qui a donné un catalogue de 72 livres qu'il composa en douze ans; savoir six volumes de Théologie, onze d'histoire ecclésiastique, trois de Philosophie, quatorze sur divers sujets, & trente huit de Littérature. Voyez Lintenpius relig. incend. Berg. apud nov. litter. Lubec. ann. 1704, p. 247. On n'y comprendra pas non plus ces auteurs volumineux qui comptent leurs livres par vingtaines, par centaines, tel qu'étoit le P. Macedo, de l'ordre de saint François, qui a écrit de lui - même qu'il avoit composé 44 volumes, 53 panégyriques, 60 (suivant l'anglois) speeches latins, 105 épitaphes, 500 élégies, 110 odes, 212 épîtres dédicatoires, 500 épîtres familieres, poëmata epica juxta bis mille sexcenta: on doit supposer que par - là il entend 2600 petits poëmes en vers héroïques ou hexametres, & en enfin 150 mille vers. Voyez Norris, miles macedo. Journ. des Savans, tome XLVII. p. 179.

Il seroit également inutile de mettre au nombre des écrivains qui liment leurs productions, ces auteurs enfans qui ont publié des livres dès qu'ils ont été en âge de parler, comme le jeune duc du Maine, dont les ouvrages furent mis au jour lorsqu'il n'avoit encore que sept ans, sous le titre d'oeuvres diverses d'un auteur de sept ans. Paris, in - quarto 1685. Voyez le journ. des Sav. tom. XIII. p. 7. Daniel Heinsius publia ses notes sur Silius Italicus, si jeune qu'il les [p. 607] intitula ses hochets, crepundia siliana, Lugd. Batav. ann. 1600. On dit de Caramuel qu'il écrivit sur la sphere avant que d'être assez âgé pour aller à l'école; & ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il s'aida du traité de la sphere de Sacrobosco, avant que d'entendre un mot de latin. Voyez les enfans célebres de M. Baillet, n°. 81. p. 300. A quoi l'on peut ajouter ce que Placcius raconte de lui même, qu'il commença à faire ses collections étant encore sous le gouvernement de sa nourrice, & n'ayant d'autres secours que le livre des prieres de cette bonne femme. Placc. de ant. excerpt. p. 190.

M. Cornet avoit coutume de dire que pour écrire un livre il falloit être très - fou ou très - sage. Vigneul Marville. Dictionn. univ. de Trév. tome III. p. 1509. au mot livre. Parmi le grand nombre des auteurs, il y en a sans doute beaucoup de l'une & de l'autre espece; il semble cependant que le plus grand nombre n'est ni de l'une ni de l'autre.

On s'est bien éloigné de la maniere de penser des anciens, qui apportoient une attention extrème à tout ce qui regarde la composition d'un livre; ils en avoient une si haute idée, qu'ils comparoient les livres à des trésors, thesauros oportet esse, non libros. Il leur sembloit que le travail, l'assiduité, l'exactitude d'un auteur n'étoient point encore des passeports suffisans pour faire paroître un livre: une vûe générale, quoiqu'attentive sur l'ouvrage, ne suffisoit point à leur gré. Ils considéroient encore chaque expression, chaque sentiment, les tournoient sur différens points de vûe, n'admettoient aucun mot qui ne fût exact: ensorte qu'ils apprenoient au lecteur, dans une heure employée comme il faut, ce qui leur avoit peut - être coûté dix ans de soins & de travail. Tels sont les livres qu'Horace regarde comme dignes d'être arrosés d'huile de cedre, linenda cedro, c'est - à - dire dignes d'être conservés pour l'instruction de la postérité. Les choses ont bien changé de face: des gens qui n'ont rien à dire, ou qu'à répéter des choses inutiles ou déja dites mille fois, pour composer un livre ont recours à divers artifices ou stratagèmes: on commence par jetter sur le papier un dessein mal digéré, auquel on fait revenir tout ce qu'on sait & qu'on sait mal, traits vieux ou nouveaux, communs ou extraordinaires, bons ou mauvais, intéressans ou froids & indifférens, sans ordre & sans choix, n'ayant d'autre attention, comme le rhéteur Albutius, que de dire tout ce que l'on peut sur un sujet, & non ce que l'on doit. Curabant, dit Bartholin, cum Albutio rhetore, de omni causâ scribere, non quoe debeant sed quoe poterant. Voyez Salmuth. ad pancirol. p. 1. tit. XLII. p. 144. Guiland, de papyr. memb. 24. Reimus. idea septem. ant. litter. p. 296. Bartholi, de l'huomo di litt. p. 11. p. 318.

Un auteur moderne a pensé qu'en traitant un sujet, il étoit quelquefois permis de saisir les occasions de détailler toutes les autres connoissances qu'on peut avoir, & les ramener à son dessein. Par exemple, un auteur qui écrit sur la goutte, comme a fait M. Aignan, peut insérer dans son ouvrage la nature des autres maladies & leurs remedes, y entremêler un système de medecine, des maximes de théologie & des regles de morale. Celui qui écrit sur l'art de bâtir, imitera Caramuel, qui ne s'est pas renfermé dans ce qui concerne uniquement l'Architecture, mais qui a traité en même tems de plusieurs matieres de Théologie, de Mathématiques, de Géographie, d'Histoire, de Grammaire, &c. Ensorte que si nous ajoutons foi à l'auteur d'une piece insérée dans les oeuvres de Caramuel, si Dieu permettoit que toutes les sciences du monde vinssent à être perdues, on pourroit les retrouver dans ce seul livre. Mais, en bonne foi, est - ce là faire ce qu'on appelle des livres? Voyez Aignan, Traité de la goutte, Paris 1707. Journal des Savans, tome XXXIX. p. 421 & suiv. Architect. civil recta y obliqua. Consid. nel. temp. de Jerusal. trois vol in - fol. Vegev. 1678. Journal des Savans, tome X. pag. 348. Nouv. républ. des Lettres, tome I. p. 103.

Quelquefois les auteurs débutent par un préambule ennuyeux & absolument étranger au sujet, ou communément par une digression qui donne lieu à une seconde, & toutes deux écartent tellement l'esprit du sujet qu'on le perd de vûe: ensuité on nous accable de preuves pour une chose qui n'en a pas besoin: on forme des objections auxquelles personne n'eût pu penser; & pour y répondre on est souvent forcé de faire une dissertation en forme, à laquelle on donne un titre particulier; & pour allonger davantage, on y joint le plan d'un ouvrage qu'on doit faire, & dans lequel on promet de traiter plus amplement le sujet dont il s'agit, & qu'on n'a pas même effleuré. Quelquefois cependant on dispute en forme, on entasse raisonnemens sur raisonnemens, conséquences sur conséquences, & l'on a soin d'annoncer que ce sont des démonstrations géométriques; mais quelquefois l'auteur le pense & le dit tout seul: ensuite on arrive à une chaîne de conséquences auxquelles on s'attendoit pas; & après dix ou douze corollaires dans lesquels les contradictions ne sont point épargnées, on est fort étonné de trouver pour conclusion une proposition ou entierement inconnue ou si éloignée qu'on l'avoit entierement perdue de vûe, ou enfin qui n'a nul rapport au sujet. La matiere d'un pareil livre est vraissemblablement une bagatelle, par exemple, l'usage de la particule Et, ou la prononciation de l'êta grec, ou la louange de l'âne, du porc, de l'ombre, de la folie ou de la paresse, ou l'art de boire, d'aimer, de s'habiller, ou l'usage des éperons, des souliers, des gants, &c.

Supposons, par exemple, un livre sur les gants, & voyons comment un pareil auteur dispose son ouvrage. Si nous considérons sa méthode, nous verrons qu'il commence à la maniere des lullistes, & qu'il débute par le nom & l'étymologie du mot gant, qu'il donne non - seulement dans la langue où il écrit, mais encore dans toutes celles qu'il sait ou même qu'il ignore, soit orientales, soit occidentales, mortes ou vivantes, dont il a des dictionnaires; il accompagne chacun de ces mots de leur étymologie respective, & quelquefois de leurs composés & de leurs dérivés, citant pour preuve d'une érudition plus profonde les dictionnaires dont il s'est aidé, sans oublier le chapitre ou le mot & la page. Du nom il passe à la chose avec un travail & une exactitude considérables, n'oubliant aucun des lieux communs, comme la matiere, la forme, l'usage, l'abus, les accessoires, les conjonctifs, les disjonctifs, &c. des gants. Sur chacun de ces points il ne se contentera pas du nouveau, du singulier, de l'extraordinaire; il épuisera son sujet, & dira tout ce qu'il est possible d'en dire. Il nous apprendra, par exemple, que les gants préservent les mains du froid, & prononcera que si l'on expose ses mains au soleil sans gants, on s'expose à les avoir perdues de taches de rousseur; que sans gants on gagne des engelures en hiver; que des mains crevassées par les engelures sont desagréables à la vûe, ou que ces crevasses causent de la douleur. Voyez Nicolaï, disquisitio. de chirotecarum usu & abusu. Giess. 1702. Nouv. républ. des Lettr. Août 1702. page 158 & suiv. Cependant cet ouvrage part d'un auteur de mérite, & qui n'est point singulier dans sa maniere d'écrire: ne peut - on pas dire que tous les auteurs tombent dans ce défaut, aussi - bien que M. Nicolaï, les uns plus, les autres moins?

La forme ou la méthode d'un livre dépend de l'esprit & du dessein de l'auteur, qui lui applique quelquefois des comparaisons singulieres. L'un suppose que son livre est un chandelier à plusieurs branches,

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