ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"260"> propre de l'esprit national de chacune d'elles, qui fait envisager diversement les mêmes idées. Ceci demande d'être développé. Il faut remarquer dans la signification des mots deux sortes d'idées constitutives, l'idée spécifique & l'idée individuelle. Par l'idée spécifique de la signification des mots, j'entens le point de vue général qui earacterise chaque espece de mots, qui fait qu'un mot est de telle espece plutôt que de telle autre, qui par conséquent convient à chacun des mots de la même espece, & ne convient qu'aux mots de cette seule espece. C'est la différence de ces points de vue généraux, de ces idées spécifiques, qui fonde la différence de ce que les Grammairiens appellent les parties d'oraison, le nom, le pronom, l'adjectif, le verbe, la préposition, l'adverbe, la conjonction, & l'interjection: & c'est la différence des points de vue accessoires, dont chaque idée spécifique est susceptible, qui sert de fondement à la sous-division d'une parrie d'oraison en ses especes subalternes; par exemple, des noms en substantifs & abstractifs, en propres & appellatifs, &c. Voyez Nom. Par l'idée individuelle de la signification des mots, j'entens l'idée singuliere qui caracterise le sens propre de chaque mot, & qui le distingue de tous les autres mots de la même espece, parce qu'elle ne peut convenir qu'à un seul mot de la même espece. Ainsi c'est à la différence de ces idées singulieres que tient celle des individus de chaque partie d'oraison, on de chaque espece subalterne de chacune des parties d'oraison: & c'est de la difference des idées accessocires dont chaque idée individuelle est susceptible, que dépend la différence des mots de la même espece que l'on appelle synonymes; par exemple, en françois, des noms, pauvreté, indigence, disette, besoin, nécessité; des adjectifs, malin, mauvais, mechant, malicieux; des verbes, secourir, aider, assister, &c. Voyez sur tous ces mots les synonymes françois de M. l'Abbé Girard; & sur la théorie générale des synonymes, l'article Synonymes. On sent bien que dans chaque idée individuelle, il faut distinguer l'idée principale & l'idée accessoire: l'idée principale peut être commune à plusieurs mots de la même espece, qui different alors par les idées accessoires. Or c'est justement ici que se trouve une seconde source de différences entre les mots des diverses langues. Il y a telle idée principale qui entre dans l'idée individuelle de deux mots de même espece, appartenans à deux langues différentes, sans que ces deux mots soient exactement synonymes l'un de l'autre: dans l'une de ces deux langues, cette idée principale peut constituer seule l'idée individuelle, & recevoir dans l'autre quelque idée accessoire; ou bien, s'allier d'une part avec une idée accessoire, & de l'autre, avec une autre toute différente. L'adjectif vacuus, par exemple, a dans le latin une signification tres - générale, qui étoit ensuite déterminée par les différentes applications que l'on en faisoit: notre françois n'a aucun adjectif qui en soit le correspondant exact; les divers adjectifs, dont nous nous servons pour rendre le vacuus des latins, ajoutent à l'idée générale, qui en constitue le sens individuel, quelques idées accessoires qui supposoient dans la langue latine des applications particulieres & des complémens, ajoutez: Gladius vagin i vacuus, une épée nue; vagina ense vacua, un fourreau vuide; vacuus animus, un esprit libre, &c. Voyez Hypallage. Cette seconde différence des langues est un des grands obstacles que l'on rencontre dans la traduction, & l'un des plus difficiles à surmonter sans altérer en quelque chose le texte original. C'est aussi ce qui est cause que jusqu'ici l'on a si peu réussi à nous donner de bons dictionnaires, soit pour les langues mortes, soit pour les langues vivantes: on n'a pas assez analysé les différentes idées partielles; soit principales, soit accessoires, que l'utage a attachées à la signification de chaque mot & l'on ne doit pas en être surpris. Cette analyse suppose non - seulement une logique sûre & une grande sagacité, mais encore une lecture immense, une quantité pro ligieuse de comparaisons de textes, & consequemment un courage & une confiance extraordinaires, & par rapport à la gloire du succès, un désintéressement qu'il est aussi rare que difficile de trouver dans les gens de lettres, même les plus modérés. Voyez Dictionnaire.

. Il. Si les langues ont des propriétés communes & des caracteres disterenciels, fondés sur la maniere dont elles envisagent la pensee qu'elles se proposent d'exprimer; on trouve de même, dans l'usage qu'elles font de la voix, des procédés communs à tous les idiomes, & d'autres qui achevent de caractériser le génie propre de chacun d'eux. Ainsi comme les langues different par la maniere de dessiner l'original commun qu'elles ont à peindre, qui est la pensée, elles different aussi par le choix, le melange de le ton des couleurs qu'elles peuvent employer, qui sont les sons articulés de la voix. Jettons encore un coup - d'oeil sur les langues considérées sous ce double point de vue, de ressemblance & de difference dans le matériel des sons. Des mémoires M. S. de M. le président de Brosses nous fourniront ici les principaux secours.

1°. Un premier ordre de mots que l'on peut regarder comme naturels, puisqu'ils se retrouvent au moins à peu près les mêmes dans toutes es langues, & qu'ils ont dû entrer dans le systeme de la langue primitive, ce sont les interjections, effets nécessaires de la relation établie par la nature entre certaines affections de l'ame & certaines parties organiques de la voix. Voyez Interjection. Ce sont les premiers mots, les plus anciens, les plus originaux de la langue primitive; ils sont invariables au milieu des variations perpétuelles des langues, parce qu'en conséquence de la conformation humaine, ils ont, avec l'assection intérieure dont ils sont l'expression, une linison physique, nécessaire & industractible. On peut aux interjections joindre, dans le même rang, les accens, espece de chant joint à la parole, qui en reçoit une vie & une activité plus grandes; ce qui est bien marqué par le nom latin accentus, que nous n'avons fait que franciser. Les accens sont effectivement l'ame des mots, ou plutot ils sont au discours ce que le coup d'archet & l'expression sont à la musique; ils en marquent l'esprit, ils lui donnent le goût, c'est à dire l'air de conformité avec la vérité; & c'est sans doute ce qui a porté les liébreux à leur donner un nom qui signifie goût, saveur. Ils sont le fondement de toute déclamation orale, & l'on sait assez combien ils donnent de supériorité au discours prononcé sur le discours écrit. Car tandis que la parole peint les objets, l'accent pe nt la maniere dont celui qui parle en est affecté, ou dont il voudroit en affecter les autres. Ils naissent de la sensibilité de l'organisation; & c'est pour cela qu'ils tiennent à toutes les langues, mais plus ou moins, selon que le climat rend une nation plus ou moins suceptible, par la conformation de ses organes, d'être fortement affectée des objets extérieurs. La langus italienne, par exemple, est plus accentuée que la nôtre; leur simple parole, ainsi que leur musique, a beaucoup plus de chant. C'est qu'ils sont sujets à se passionner davantage; la nature les a fait nature plus sensibles: les objets extérieurs les remuent si fort, que ce n'est pas même assez de la voix pour exprimer tout ce qu'ils sentent, ils y joignent le geste, & parlent de tout le corps à la fois.

Un second ordre de mots, où toutes les langues [p. 261] ont encore une analogie commune & des ressemblances marquées, ce sont les mots enfantins déterminés par la mobilité plus ou moins grande de chaque partie organique de l'instrument vocal, combinée avec les besoins intérieurs ou la nécessité d'appeller les objets extérieurs. En quelque pays que ce soit, le mouvement le plus facile est d'ouvrir la bouche & de remuer les levres, ce qui donne le son le plus plein a, & l'une des articulations labiales b, p, v, s ou m. De - là, dans toutes les langues, les syllabes ab, pa, am, ma, sont les premieres que prononcent les enfans: de - là viennent papa, maman, & autres qui ont rapport à ceux - ci; & il y a apparence que les enfans formeroient d'eux - mêmes ces sons des qu'ils seroient en état d'articul, si les nourrices, prévenant une expérience tres - curieuse à faire, ne les leur apprenoient d'avance; ou plutôt les enfans ont été les premiers à les bégayer, & les parens, empressés de lier avec eux un commerce d'amour, les ont répétés avec complaisance, & les ont établis dans toutes les langues même les plus anciennes. On les y retrouve en effet, avec le même sens, mais défigurés par les terminaisons que le génie propre de chaque idiome y a ajoutées, & de manïcre que les idiomes les plus anciens les ont conservés dans un état ou plus naturel, ou plus approchant de la nature. En hébreu ab, en chaldéen abba, en grec APPA, PAPPA, PATGR, en latin pater, en françois papa & pere, dans les îles Antilles baba, chez les Hottentots bo; par - tout c'est la même idée marquée par l'articulation labiale. Pareillement en langue égyptienne am, ama, en langue syrienne aminis, repondent exactement au latin parens (pere ou mere). De là mamma (mamelle), les mots françois maman, mere, &c. Ammon, dieu des Egyptiens, c'est le soleil, ainsi nommé comme pere de la nature; les figures & les statues érigécs en l'honneur du soleil étoient nommées ammanim; & les hiéroglyphes sacrés dont se servoient les prêtres, lettres ammonéennes. Le culte du soleil, adopté par presque tous les peuples orientaux, y a consacré le mot radical am, prononcé, suivant les différens dialectes, ammon, oman, omin, iman, &c. man chez les Orientaux signifie Dieu ou Etre sacré, les Turcs l'emploient aujourd'hui dans le sens de sacerdos; & arïman chez les anciens Perses veut dire Deus fortis. « Les mots abba, ou baba, ou papa, & celui de mama, qui des anciennes langues d'Orient semblent avoir passé avec de légers changemens dans la plûpart de celles de l'Europe, sont communs, dit M. de la Condamine dans sa relation de la riviere des Amazones, à un grand nombre de nations d'Amérique, dont le langage est d'ailleurs très différent. Si l'on regarde ces mots comme les premiers sons que les enfans peuvent articuler, & par conséquent comme ceux qui ont dû par tout pays être adoptés préférablement par les parens qui les entendoient prononcer, pour les faire servir de signes aux idées de pere & de mere; il restera à savoir pourquoi dans toutes les langues d'Amérique où ces mots se rencontrent, leur signification s'est conservée sans se croiser; par quel hasard, dans la langue omogua, par exemple, au centre du continent, ou dans quelque autre pareille, où les mots de papa & de mama sont en usage, il n'est pas arrivé quelquefois que papa signifie mere, & mama, pere, mais qu'on y observe constamment le contraire comme dans les langues d'Orient & d'Europe ». Si c'est la nature qui dicte aux enfans ces premiers mots, c'est elle aussi qui y fait attacher invariablement les mêmes idées, & l'on peut puiser dans son sein la raison de l'un de ces phénomenes comme celle de l'autre. La grande mobilité des lèvres est la cause qui fait naitre les premieres, les articulations labialcs; & parmi celles - ci, celles qui mettent moins de force & d'embarras dans l'explosion du son, deviennent en quelque maniere les ainées, parce que la production en est plus facile. D'où il suit que la syllabe ma est antérieure à ba, parce que l'articulation m suppose moins de force dans l'explosion, & que les levres n'y ont qu'un mouvement foible & lent, qui est cause qu'une partie de la matiere du son réflue par le nez. Mama est donc antérieur à papa dans l'ordre de la génération, & il ne reste plus qu'à décider lequél des deux, du pere ou de la mere, est le premier objet de l'attention & de l'appellation des enfans, lequel des deux est le plus attaché à leur personne, lequel est le plus utile & le plus nécessaire à leur subsistance, lequel leur prodigue plus de caresses & leur donne le plus de soins: & il sera facile de conclure pourquoi le sens des deux mots mama & papa est incommutable dans toutes les langues. Si apa & ama, dans la langue égyptienne, signifient indistinctement ou le pere ou la mere, ou tous les deux; c'est l'effet de quelque cause étrangere à la nature, une suite peut - être des moeurs exemplaires de ce peuple reconnu pour la source & le modele de toute sagesse, ou l'ouvrage de la réflexion & de l'art qui est presque aussi ancien que la nature, quoiqu'il se perfectionne lentement. Remarquez que d'après le principe que l'on pose ici, il est naturel de conclure que les diverses parties de l'organe de la parole ne concourront à la nomination des objets extérieurs que dans l'ordre de leur mobilité: la langue ne sera mise en jeu qu'après les levres; elle donnera d'abord les articulations qu'elle produit par le mouvement de sa pointe, & ensuite celles qui dépendent de l'action de la racine, &c. L'Anatomie n'a donc qu'à fixer l'ordre généalogique des sons & des articulations, & la Philosophie l'ordre des objets par rapport à nos besoins; leurs travaux combinés donneront le dictionnaire des mots les plus naturels, les plus nécessaires à la langues primitive, & les plus universels aujourd'hui nonobstant la diversité des idiomes.

Il est une troisieme classe de mots qui doivent avoir, & qui ont en effet dans toutes les langues les mêmes racines, parce qu'ils sont encore l'ouvrage de la nature, & qu'ils appartiennent à la nomenclature primitive. Ce sont ceux que nous devons à l'onomatopée, & qui ne sont que des noms imitatifs en quelque point des objets nommés. Je dis que c'est la nature qui les suggere; & la preuve en est, que le mouvement naturel & général dans tous les enfans, est de désigner d'eux - mêmes les choses bruyantes, par I'imitation du bruit qu'elles font. Ils leur laisseroient sans doute à jamais ces noms primitifs & naturels, si l'instruction & l'exemple, venant ensuite à déguiser la nature & à la rectifier, ou peut - être à la dépraver, ne leur suggéroient les appellations arbitraires, substituées aux naturelles par les décisions raisonnées, ou, si l'on veut, capricieuses de l'usage. Voyez Onomatopée.

Enfin il y a, sinon dans toutes les langues, du - moins dans la plûpart, une certaine quantité de mots entés sur les mêmes racines, & destinés ou à la même signification, ou à des significations analogues, quoique ces racines n'ayent aucun fondement du - moins apparent dans la nature. Ces mots ont passé d'une langue dans une autre, d'abord comme d'une langue prirnitive dans l'un de ses dialectes, qui par la succession des tems les a transmis à d'autres idiomes qui en étoient issus; ou bien cette transmission s'est faite par un simple emprunt, tel que nous en voyons une infinité d'exemples dans nos langues modernes; & cette transmission universelle suppose en ce cas que les objets nommés sont d'une nécessité générale: le

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