ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"262"> mot sac que l'on trouve dans toutes les langues, doit être de cette espece.

2°. Nonobstant la réunion de tant de causes générales, dont la nature semble avoir préparé le concours pour amener tous les hommes à ne parler qu'une langue, & dont l'influence est sensible dans la multitude des racines communes à tous les idiomes qui divisent le genre humain; il existe tant d'autres causes particulieres, également naturelles, & dont l'impression est également irrésistible, qu'elles ont introduit invinciblement dans les langues des différences matérielles, dont il seroit peut - être encore plus utile de découvrir la véritable origine, qu'il n'est difficile de l'assigner avec certitude.

Le climat, l'air, les lieux, les eaux, le genre de vie & de nourriture produisent des variétés considérables dans la fine structure de l'organisation. Ces causes donnent plus de force à certaines parties du corps, ou en affoiblissent d'autres. Ces variétés qui échapperoient à l'Anatomie, peuvent être facilement remarquées par un philosophe observateur, dans les organes qui servent à la parole; il n'y a qu'à prendre garde quels sont ceux dont chaque peuple fait le plus d'usage dans les mots de sa langue, & de quelle maniere il les emploie. On remarquera ainsi que l'hottentot a le fond de la gorge, & l'anglois l'extrémité des levres doués d'une très - grande activité. Ces petites remarques sur les variétés de la structure humaine peuvent quelquefois conduire à de plus importantes. L'habitude d'un peuple d'employer certains sons par préférence, ou de fléchir certains organes plutôt que d'autres, peut souvent être un bon indice du climat & du caractere de la nation qui en beaucoup de choses est déterminé par le climat, comme le génie de la langue l'est par le caractere de la nation.

L'usage habituel des articulations rudes désigne un peuple sauvage & non policé. Les articulations liquides sont, dans la nation qui les emploie fréquemment, une marque de noblesse & dedélicatesse, tant dans les organes que dans le goût. On peut avec beaucoup de vraissemblance attribuer au caractere mou de la nation chinoise, assez connu d'ailleurs, de ce qu'elle ne fait aucun usage de l'articulation rude r. La langue italienne, dont la plûpart des mots viennent par corruption du latin, en a amolli la prononciation en vieillissant, dans la même proportion que le peuple qui la parle a perdu de la vigueur des anciens Romains: mais comme elle étoit près de la source où elle a puisé, elle est encore des langues modernes qui y ont puisé avec elle, celle qui a conservé le plus d'affinité avec l'ancienne, du moins sous cet aspect.

La langue latine est franche, ayant des voyelles pures & nettes, & n'ayant que peu de diphtongues. Si cette constitution de la langue latine en rend le genie semblable à celui des Romains, c'est à - dire propre aux choses fermes & mâles; elle l'est d'un autre côté beaucoup moins que la grecque, & même moins que la nôtre, aux choses qui ne demandent que de l'agrément & des graces légeres.

La langue grecque est pleine de diphtongues qui en rendent la prononciation plus allongée, plus sonore, plus gazouillée. La langue françoise pleine de diphtongues & de lettres mouillées, approche davantage en cette partie de la prononciation du grec que du latin.

La réunion de plusieurs mots en un seul, ou l'usage fréquent des adjectifs composés, marque dans une nation beaucoup de profondeur, une appréhension vive, une humeur impatiente, & de fortes idées: tels sont les Grecs, les Anglois, les Allemans.

On remarque dans l'espagnol que les mots y sont longs, mais d'une belle proportion, graves, sonores & emphatiques comme la nation qui les emploie.

C'étoit d'après de pareilles observations, ou du moins d'après l'impression qui résulte de la différence matérielle des mots dans chaque langue, que l'empereur Charles Quint disoit qu'il parleroit françois à un ami, francese ad un amico; allemand à son cheval, tedesco al suo cavallo; italien à sa maîtresse, italiano alla sua signora; espagnol à Dieu, spagnuolo à Dio; & anglois aux oiseaux, inglese à gli uccelli.

. III. Ce que nous venons d'observer sur les convenances & les différences, tant intellectuelles que matérielles, des divers idiomes qui bigarrent, si je puis parler ainsi, le langage des hommes, nous met en état de discuter les opinions les plus généralement reçues sur les langues. Il en est deux dont la discussion peut encore fournir des réflexions d'autant plus utiles qu'elles seront générales; la premiere concerne la génération successive des langues; la seconde regarde leur mérite respectif.

1°. Rien de plus ordinaire que d'entendre parler de Langue mere, terme, dit M. l'abbé Girard, (Princip. disc. I. tom. I. pag. 30.) « dont le ulgaire se sert, sans être bien instruit de ce qu'il doit entendre par ce mot, & dont les vrais savans ont peine à donner une explication qui débrouille l'idée informe de ceux qui en font usage. Il est de coutume de supposer qu'il y a des langues - meres parmi celles qui subsistent; & de demander quelles elles sont; à quoi on n'hésite pas de répondre d'un ton assuré que c'est l'hébreu, le grec & le latin. Par conjecture ou par grace, on défere encore cet honneur à l'allemand ». Quelles sont les preuves de ceux qui ne veulent pas convenir que le préjugé seul ait décidé leur opinion sur ce point? Ils n'alleguent d'autre titre de la filiation des langues, que l'étymologie de quelques mots, & les victoires ou établissement du peuple qui parloit la langue matrice, dans le paysou l'on fait usage de la langue prétendue dérivée. C'est ainsi que l'on donne pour fille à la langue latine, l'espagnole, l'italienne & la françoise: an ignoras, dit Jul. Cés. Scaliger, linguam gallicam, & italicam, & hispanicam linguae latinoe abortum esse? Le P. Bouhours qui pensoit la même chose, fait (II. entretien d'Ariste & d'Eug. trois soeurs de ces trois langues, qu'il caractérise ainsi. « Il me semble que la langue espagnole est une orgueilleuse qui le porte haut, qui se pique de grandeur, qui aime le faste & l'excès en toutes choses. La langue italienne est une coquette, toujours parée & toujours fardée, qui ne cherche qu'à plaire, & qui se plaît beaucoup à la bagatelle. La langue françoise est une prude, mais une prude agréable qui, toute sage & toute modeste qu'elle est, n'a rien de rude ni de farouche ».

Les caracteres distinctifs du génie de chacune de ces trois langues sont bien rendus dans cette alégogorie: mais je crois qu'elle peche, en ce qu'elle considere ces trois langues comme des soeurs, filles de la langue latine. « Quand on observe, dit encore M. l'abbé Girard (ibid. pag. 27.), le prodigieux éloignement qu'il y a du génie de ces langues à celui du latin; quand on fait attention que l'étymologie précede seulement les emprunts & non l'origine; quand on sait que les peuples subjugués avoient leurs langues.... Lorsqu'enfin on voit aujourd'hui de ses propres yeux ces langues vivantes ornées d'un article, qu'elles n'ont pu prendre de la latine où il n'y en eut jamais, & diamétralement opposées aux constructions transpositives & aux inflexions des cas ordinaires à celle - ci: on ne sauroit, à cause de quelques mots empruntés, dire qu'elles en sont les filles, ou il faudroit leur donner plus d'une mere. La grecque prétendroit à cet honneur; & une infinité de mots qui ne viennent ni du [p. 263] grec ni du latin, revendiqueroient cette gloire pour une autre. J'avoue bien qu'elles enont tiré une grande partie de leurs richesses; mais je nie qu'elles lui soient redevables de leur naissance. Ce n'est pas aux emprunts ni aux étymologies qu'il faut s'arrêter pour connoître l'origine & la parenté des langues: c'est à leur génie, en suivant pas - à - pas leurs progrès & leurs changemens. La fortune des nouveaux mots, & la facilité avec laquelle ceux d'une langue passent dans l'autre, sur - tout quand les peuples se mêlent, donneront toujours le change sur ce sujet; au lieu que le génie indépendant des organes, par conséquent moins susceptibles d'altération & de changement, se maintient au milicu de l'inconstance des mots, & conserve à la langue le véritable titre de son origine ».

Le même académicien parlant encore un peu plus bas des prétendues filles du latin, ajoûte avec autant d'élégance que de vérité: « on ne peut regarder comme un acte de légitimation le pillage que des langues étrangeres y ont fait, ni ses dépouilles comme un héritage maternel. S'il suffit pour l'honneur de ce rang (le rang de langue mere), de ne devoir point à d'autre sa naissance, & de montrer son établissement dès le berceau du monde; il n'y aura plus dans notre système de la création qu'une seule langue mere; & qui sera assez téméraire pour oser gratifier de cette antiquité une des langues que nous connoissons? Si cet avantage dépend uniquement de remonter jusqu'à la confusion de Babel; qui produira des titres authentiques & décisifs pour constater la préférence ou l'exclusion? Qui est capable de mettre dans une juste balance toutes les langues de l'univers? à peine les plus savans en connoissent cinq ou six. Où prendre enfin des témoignages non recusables ni suspects, & des preuves bien solides, que les premiers langages qui suivirent immédiatement le deluge, furent ceux qu'ont parlé dans la suite les Juifs, les Grecs, les Romains, ou quelques - uns de ceux que parlent encore les hommes de notre siccle »?

Vollà, si je ne me trompe, les vrais principes qui doivent nous diriger dans l'examen de la génération des langues; ils sont fondés dans la nature du langage & des voies que le créateur lui - même nous a suggérées pour la manifestation extérieure de nos pentées.

Nous avons vu plusieurs ordres de mots amenés nécessairement dans tous les idiomes par des causes naturelles, dont l'influence est antérieure & supérieure à nos raisonnemens, à nos conventions, à nos caprices; nous avons remarqué qu'il peut y avoir dans toutes les langues, ou du - moins dans plusieurs une certaine quantité de mots analogues ou semblables, que des causes communes quoiqu'accidentelles y auroient établis depuis la naissance de ces idiomes différens: donc l'analogie des mots ne peut pas être une preuve suffisante de la filiation des langues, à moins qu'on ne veuille dire que toutes les langues modernes de l'Europe sont respectivement filles & meres les unes des autres, puisqu'elles sont continuellement occupées à grossir leurs vocabulaires par des échanges sans fin, que la communication des idées ou des vûes nouvelles rend indispensables. L'analogie des mots entre deux langues ne prouve que cette communication, quand ils ne sont pas de la classe des mots naturels.

C'est donc à la maniere d'employer les mots qu'il faut recourir, pour reconnoître l'identité ou la différence du génie des langues, & pour statuer si elles ont quelque affinité ou si elles n'en ont point. Si elles en ont à cet égard, je consens alors que l'analogie des mots confirme la filiation de ces idiomes, & que l'un soitreconnu comme langue mere à l'égard de l'autre, ainsi qu'on le remarque dans la langue russiene, dans la polonoise, & dans l'illyrienne à l'égard de l'esclavonne dontil est sensible qu'elles tirent leur origine. Mais s'il n'y a entre deux langues d'autre liaison que celle qui naît de l'analogie des mots, sans aucune ressemblance de génie; elles sont étrangeres l'une à l'autre: telles sont la langue espagnole, l'italienne & la françoise à l'égard du latin. Si nous tenons du latin un grand nombre de mots, nous n'en tenons pas notre syntaxe, notre construction, notre grammaire, notre article le, la, les, nos verbes auxiliaires, l'indéclinabilité de nos noms, l'usage des pronoms personnels dans la conjugaison, une multitude de tems différenciés dans nos conjugaisons, & confondus dans les conjugaisons latines; nos procédés se sont trouvés inalliables avec les gerondifs, avec les usages que les Romains faisoient de l'infinitif, avec leurs inversions arbitraires, avec leurs ellipses accumulées, avec leurs périodes interminables.

Mais si la filiation des langues suppose dans celle qui est dérivée la même syntaxe, la même construction, en un mot, le même génie que dans la langue matrice, & une analogie marquée entre les termes de l'une & de l'autre; comment peut se faire la génération des langues, & qu'entend - on par une langue nouvelle?

« Quelques - uns ont pensé, dit M. de Grandval dans son Discours historique déja cité, qu'on pouvoit l'appeller ainsi quand elle avoit éprouvé un changement considérable; de sorte que, selon eux, la langue du tems de François I. doit être regardée comme nouvelle par rapport au tems de saint Louis, & de même celle que nous parlons aujourd'hui par rapport au tems de François I. quoiqu'on reconnoisse dans ces diverses époques un même fonds de langage, soit pour les mots, soit pour la construction des phrases. Dans ce sentiment, il n'est point d'idiome qui ne soit devenu successivement nouveau, étant comparé à lui - même dans ses âges différens. D'autres qualifient seulement de langue nouvelle celle dont la forme ancienne n'est plus intelligible: mais cela demande encore une explication; car les personnes peu familiarisées avec leur ancienne langue ne l'entendent point du tout, tandis que ceux qui en ont quelque habitude l'entendent très - bien, & y découvrent facilement tous les germes de leur langage moderne. Ce n'est donc ici qu'une question de nom, mais qu'il falloit remarquer pour fixer les idées. Je dis à mon tour qu'une langue est la même, malgré ses variations, tant qu'on peut suivre ses traces, & qu'on trouve dans son origine une grande partie de ses mots actuels, & les principaux points de sa grammaire. Que je life les lois des douze tables, Ennius, ou Ciceron; quelque différent que soit leur langage, n'est - ce pas toujours le latin? Autrement il faudroit dire qu'un homme fait, n'est pas la même personne qu'il étoit dans son enfance. J'ajoute qu'une langue est véritablement la mere ou la source d'une autre, quand c'est elle qui lui a donné le premier être, que la dérivation s'en est faite par succession de tems, & que les changemens qui y sont arrivés n'ont pas effacé tous les anciens vestiges ».

Ces changemens successifs qui transforment insensiblement une langue en une autre, tiennent à une infinité de causes dont chacune n'a qu'un effet imperceptible; mais la somme de ces effets, grossis avec le tems & accumulés à la longue, produit enfin une différence qui caractérise deux langues sur un même fonds. L'ancienne & la moderne sont également analogues ou également transpositives; mais en cela même elles peuvent avoir quelque différence.

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