ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"35"> quand les leurs sont déchirés ou usés. Ils ne vendent & n'achetent rien entre eux, mais ils se com muniquent les uns aux autres sans aucun échange, tout ce qu'ils ont. Ils sont très - religieux envers Dieu, ne parlent que des choses saintes avant que le soleil soit levé, & font alors des prieres qu'ils ont reçûes par tradition; pour demander à Dieu qu'il lui plaise de le faire luire sur la terre. Ils vont après travailler chacun à son ouvrage, se'on qu'il leur est ordonné. A onze heures ils se rassemblent, & couvetts d'un linge, se lavent le corps dans l'eau froide; ils se retirent ensuite dans leurs cellules, dont l'entrée n'est permise à nuls de ceux qui ne sont pas de leur secte, & étant purifiés de la sorte, ils vont au résectoire comme en un saint temple, où lorsqu'ils sont assis en grand silence, on met devant chacun d'eux du pain & une portion duns un petit plat. Un sacrificateur benit les viandes, & on n'oseroit y touchor jusqu'à ce qu'il ait achevé sa priere: il en fait encore une autre après le repas. Ils quittent alors - leurs habits qu'ils regardent comme sacrés, & retournent à leurs ouvrages.

On n'entend jamais du bruit dans leurs maisons; chacun n'y parle qu'à son tour, & leur silence donne du respect aux étrangers. Il ne leur est permis de rien faire que par l'avis de leurs supétieurs, si ce n'est d'assister les pauvres... Car quant à leurs parens, ils n'oteroient leur rien donner si on ne le leur permet. Ils prennent un extrème soin de reprimer leur colere; ils aiment la paix, & gardent si inviolablement ce qu'ils promettent, que l'on peut ajoûter plus de foi à leurs simples paroles, qu'aux sermens des autres. Ils considerent même les sermens comme des parjures, parce qu'ils ne peuvent se persuader qu'un homme ne soit pas un menteur, lorsqu'il a besoin pour être cru de prendre Dieu à témoin.... Ils ne reçoivent pas sur le champ dans leur société ceux qui veulent embrasser leur maniere de vivre, mais ils le font demeurer durant un an au - dehors, où ils ont chacun avec une portion, une pioche & un habit blanc. Ils leur donnent entuite une nourriture plus conforme à la leur, & leur permettent de se laver comme eux dans de l'eau froide, afin de se purifier; mais ils ne les fontpas manger au refectoire, jusqu'à ce qu'ils ayent encore durant deux ans éprouvé leurs moeurs, comme ils avoient auparavant éprouvé leur continence. Alors on les reçoit parce qu'on les en juge dignes, mais avant que de s'asseoir à table avec les autres, ils pretestent solemneliement d'bonorer & de servir Dieu de tout leur coeur, d'observer la justice envers les hommes; de ne faire jamais volontairement de mal à personne, d'assister de tout leur pouvoir les gens de bien; de garder la foi à tout le monde, & particulierement aux souverains.

Ceux de cette secte sont très - justes & très - exacts dans leurs jugemens: leur nombre n'est pas moindre que de cent lorsqu'il les prononcent, & ce qu'ils ont une fois arrêté demeure immuable.

Ils observent plus religieusement le sabath que nuls autres de tous les Juifs. Aux autres jours, ils font dans un lieu à l'écart, un trou dans la terre d'un pie de profondeur, où après s'être déchargés, en se couvrant de leurs habits, comme s'ils avoient peur de souiller les rayons du soleil, ils remplissent cette fosse de la terre qu'ils en ont tirée.

Ils vivent si long tems, que plusieurs vont jusqu'à cent ans; ce que j'attribue à la simplicité de leur vie.

Ils méprisent les maux de la terre, triomphent des tourmens par leur constance, & préferent la mort à la vie lorsque le sujet en est honorable. La guerre que nous avons eue contre les Romains a fait voir en mille manieres que leur courage est in vincible; ils ont souffert le fer & le feu plutôt que de vouloir dire la moindre parole contre leur législateur, ni manger des viandes qui leur sont defendues, sans qu'au milieu de tant de tourmens ils ayent jetté une seule larme, ni dit la moindre parole; pour tâcher d'adoucir la cruauté de leurs bourreaux. Au contraire ils se moquoient d'eux, & rendoient l'esprit avec joye, parce qu'ils espéroient de passer de cette vie à une meilleure; & qu'ils croyoient fermement que, comme nos corps sont mortels & corruptibles, nos ames sont immortelles & incorruptibles; qu'elles sont d'une substance aërienne tres - subtile, & qu'étant ensermées dans nos corps comme dans une prison, où une certaine inclination les attire & les arrête, elles ne sont pas plutôt affranchies de ces liens charnels qui les retiennent comme dans une longue servitude, qu'elles s'élevent dans l'air & s'envolent avec joye. En quoi ils conviennent avec les Grecs, qui croyent que ces ames heureuses ont leur séjour au delà de l'Océan, dans une région ou il n'y à ni pluie, ni neige, ni une chaleur excesfive, mais qu'un doux zephir rend toujours très agréable: & qu'au contraire les ames des méchans n'ont pour demeure que des lieux glacés & agités par de continuelles tempêtes, où elles gémissent éternellement dans des peines infinies. Car, c'est ainsi qu'il me paroît que les Grecs veulent que leurs héros, à qui ils donnent le nom de demi - dieux, habitent des îles qu'ils appellent fortunées, & que les ames des impies soient à jamais tourmentées dans les enfers, ainsi qu'ils disent que le sont celles de Sisyphe, de Tantale, d'Ixion & de Tytie.

Ces mêmes Esseniens croyent que les ames sont créées immortelles pour se porter à la vertu & se détourner du vice; que les bons sont rendus meilleurs en cette vie par l'espérance d'être heureux après leur mort, & que les méchans qui s'imaginent pouvoir cacher en ce monde leurs mauvaites actions, en sont punis en l'autre par des tourmens éternels. Tels sont leurs sentimens fur l'excellence de l'ame. Il y en a parmi eux qui se vantent de connoître les choses à venir, tant par l'étude qu'ils font des livres saints & des anciennes propheties, que par le soin qu'ils prennent de se sanctifier; & il arrive rarement qu'ils se trompent dans leurs prédictions.

Il y a une autre sorte d'Esséniens qui conviennent avec les premiers dans l'usage des mêmes viandes, des mêmes moeurs & des mêmes lois, & n'en sont différens qu'en ce qui regarde le mariage. Car ceuxci croyent que c'est vouloir abolir la race des hommes que d'y renoncer, puisque si chacun embrassoit ce sentiment, on la verroit bientôt éteinte. Ils s'y conduisent néanmoins avec tant de modération, qu'a vant que de se marier ils observent durant trois ans si la personne qu'ils veulent épouser paroît assez saine pour bien porter des enfans, & lorsqu'apres être mariés elle devient grosse, ils ne couchent plus avec elle durant sa grossesse, pour témoigner que ce n'est pas la volupté, mais le desir de donner des hommes à la république, qui les engage dans le mariage ».

Josephe dit dans un autre endroit qu'ils abandonnoient tout à Dieu. Ces paroles font assez entendre le sentiment des Esséniens sur le concours de Dieu. Cet historien dit encore ailleurs que tout dépendoit du destin, & qu'il ne nous arrivoit rien que ce qu'il ordonnoit. On voit par là que les Esséniens s'opposoient aux Saducéens, & qu'ils faisoient dépendre toutes choses des decrets de la providence: mais en même tems il est évident qu'ils donnoient à la providence des decrets qui rendoient les événeniens né<pb-> [p. 36] cessaires, & ne laissoient à l'homme aucun reste de liberté. Josephe les opposant aux Pharisiens qui donnoient une partie des actions au destin, & l'autre à la volonté de l'homme, fait connoître qu'ils étendoient à toutes les actions l'influence du destin & la nécessité qu'il impose. Cependant, au rapport de Philon, les Esséniens ne faisoient point Dieu auteur du péché, ce qui est assez difficile à concevoir; car il est évident que si l'homme n'est pas libre, la religion périt, les actions cessent d'être bonnes & mauvaises, il n'y a plus de peine ni de récompense; & on a raison de soutenir qu'il n'y a plus d'équité dans le jugement de Dieu.

Philon parle des Esséniens à - peu - près comme Josephe. Ils conviennent tous les deux sur leurs austérités, leurs mortifications, & sur le soin qu'ils prenoient de cacher aux étrangers leur doctrine. Mais Philon assure qu'ils préféroient la campagne à la ville, parce qu'elle est plus propre à la méditation; & qu'ils évitoient autant qu'il étoit possible le commerce des hommes corrompus, parce qu'ils croyoient que l'impureté des moeurs se communique aussi aisément qu'une mauvaise influence de l'air. Ce sentiment nous paroît plus vraissemblable que celui de Josephe qui les fait demeurer dans les villes; en effet on ne lit nulle part qu'il y ait eu dans aucune ville de la Palestine des communautés d'Esséniens, au contraire tous les auteurs qui ont parlé de ces sectaires, nous les représentent comme fuyant les grandes villos, & s'appliquant à l'agriculture. D'ailleurs s'ils eussent habité les villes, il est probable qu'on les connoîtroit un peu mieux qu'on ne le fait, & l'Evangile ne garderoit pas sur eux un si profond silence; mais leur éloignement des villes où J. C. prêchoit, les a sans doute soustraits aux censures qu'il auroit faites de leur erreur.

Des Thérapeutes. Philon (Philo de vitoe contemp.) a distingué deux ordres d'Esséniens; les uns s'attachoient à la pratique, & les autres qu'on nomme Thérapeutes, à la contemplation. Ces derniers étoient aussi de la secte des Esséniens; Philon leur en donne le nom: il ne les distingue de la premiere branche de cette secte, que par quelque degré de perfection.

Philon nous les représente comme des gens qui faisoient de la contemplation de Dieu leur unique occupation, & leur principale félicité. C'étoit pour cela qu'ils se tenoient enfermés seul à seul dans leur cellule, sans parler, sans oser sortir, ni même regarder par les fenêtres. Ils demandoient à Dieu que leur ame fût toujours remplie d'une lumiere céleste, & qu'élevés au - dessus de tout ce qu'il y a de sensible, ils pussent chercher & connoître la vérité plus parfaitement dans leur solitude, s'élevant au - dessus du soleil, de la nature, & de toutes les créatures. Ils perçoient directement à Dieu, le soleil de justice. Les idécs de la divinité, des beautés, & des tresors du ciel, dont ils s'étoient nourris pendant le jour les suivoient jusques dans la nuit, jusques dans leurs songes, & pendant le sommeil même. Ils débitoient des préceptes excellens; ils laissoient à leurs parens tous leurs biens, pour lesquels ils avoient un profond mépris, depuis qu'ils s'étoient enrichis de la philosophie céleste: ils sentoient une émotion violente, & une fureur divine, qui les entraînoit dans l'étude de cette divine philosophie, & ils y trouvoient un souverain plaisir; c'est pourquoi ils ne quittoient jamais leur étude, jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à ce degré de perfection qui les rendoit heureux. On voit - là, si je ne me trompe, la contemplation des mystiques, leurs transports, leur union avec la divinité qui les rend souverainement heureux & parfaits sur la terre.

Cette secte que Philon a peinte dans un traité qu'il a fait expres, afin d'en faire honneur à sa religion, contre les Grecs qui vantoient la morale & la pureté de leurs philosophes, a paru si sainte, que les Chrétiens leur ont envié la gloire de leurs austérités. Les plus modérés ne pouvant ôter absolument à la synagogue l'honneur de les avoir formés & nourris dans son sein, ont au moins soutenu qu'ils avoient embrassé le christianisme, dès le moment que S. Marc le prêcha en Egypte, & que changeant de religion sans changer de vie, ils devinrent les peres & les premiers instituteurs de la vie monastique.

Ce dernier sentiment a été soutenu avec chaleur par Eusebe, par saint Jérôme, & sur - tout par le pere Montfaucon, homme distingué par son savoir, non - seulement dans un ordre savant, mais dans la république des lettres. Ce savant religieux a été réfuté par M. Bouhier premier président du parlement de Dijon, dont on peut consulter l'ouvrage; nous nous bornerons ici à quelques remarques.

1°. On ne connoît les Thérapeutes que par Philon. Il faut donc s'en tenir à son témoignage; mais peut - on croire qu'un ennemi de la religion chrétienne, & qui a persévéré jusqu'à la mort dans la profession du judaïsme, quoique l'Evangile fût connu, ait pris la peine de peindre d'une maniere si édifiante les ennemis de sa religion & de ses cérémonies? Le judaïsme & le christianisme sont deux religions ennemies; l'une travaille à s'établir sur les ruines de l'autre: il est impossible qu'on fasse un éloge magnifique d'une religion qui travaille à l'anéantissement de celle qu'on croit & qu'on professe.

2°. Philon de qui on tire les preuves en faveur du christianisme des Thérapeutes, étoit né l'an 723 de Rome. Il dit qu'il étoit fort jeune lorsqu'il composa ses ouvrages; & que dans la suite ses études furent interrompues par les grands emplois qu'on lui confia. En suivant ce calcul, il faut nécessairement que Philon ait écrit avant J. C. & à plus forte raison avant que le Christianisme eût pénétré jusqu'à Alexandrie. Si on donne à Philon trente - cinq ou quarante ans lorsqu'il composoit ses livres, il n'étoit plus jeune. Cependant J. C. n'avoit alors que huit ou dix ans; il n'avoit point encore enseigné; l'Evangile n'étoit point encore connu: les Thérapeutes ne pouvoient par conséquent être chrétiens: d'où il est aisé de conclure que c'est une secte de Juifs réformés, dont Philon nous a laissé le portrait.

3°. Philon remarque que les Thérapeutes étoient une branche des Esséniens; comment donc a - t - on pu en faire des chrétiens, & laisser les autres dans le judaïsme?

Philon remarque encore que c'étoient des disciples de Moïse; & c'est - là un caractere de judaïsme qui ne peut être contesté, sur - tout par des chrétiens. L'occupation de ces gens - là consistoit à feuilleter les sacrés volumes, à étudier la philosophie qu'ils avoient reçûe de leurs ancêtres, à y chercher des allégories, s'imaginant que les secrets de la nature étoient cachés sous les termes les plus clairs; & pour s'aider dans cette recherche, ils avoient les commentaires des anciens; car les premiers auteurs de cette secte avoient laissé divers volumes d'allégories, & leurs disciples suivoient cette méthode. Peuton connoître là des chrétiens? qui étoient ces ancêtres qui avoient laissé tant d'écrits, lorsqu'il y avoit à peine un seul évangile publié? Peut - on dire que les écrivains sacrés nous ayent laissé des volumes pleins d'allégories? quelle religion seroit la nôtre, si on ne trouvoit que cela dans les livres divins? Peuton dire que l'occupation des premiers saints du Christianisme fut de chercher les secrets de la nature cachés sous les termes les plus clairs de la parole de Dieu? Cela convenoit à des mystiques & à des dévots contemplatifs, qui se mêloient de medecine: cela convenoit à des Juifs, dont les docteurs aimoient les allégories jusqu'à la fureur: mais ni les ancêtres, ni la philosophie, ni les volumes pleins

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