RECHERCHE | Accueil | Mises en garde | Documentation | ATILF | ARTFL | Courriel |
"35">
On n'entend jamais du bruit dans leurs maisons; chacun n'y parle qu'à son tour, & leur silence donne du respect aux étrangers. Il ne leur est permis de rien faire que par l'avis de leurs supétieurs, si ce n'est d'assister les pauvres... Car quant à leurs parens, ils n'oteroient leur rien donner si on ne le leur permet. Ils prennent un extrème soin de reprimer leur colere; ils aiment la paix, & gardent si inviolablement ce qu'ils promettent, que l'on peut ajoûter plus de foi à leurs simples paroles, qu'aux sermens des autres. Ils considerent même les sermens comme des parjures, parce qu'ils ne peuvent se persuader qu'un homme ne soit pas un menteur, lorsqu'il a besoin pour être cru de prendre Dieu à témoin.... Ils ne reçoivent pas sur le champ dans leur société ceux qui veulent embrasser leur maniere de vivre, mais ils le font demeurer durant un an au - dehors, où ils ont chacun avec une portion, une pioche & un habit blanc. Ils leur donnent entuite une nourriture plus conforme à la leur, & leur permettent de se laver comme eux dans de l'eau froide, afin de se purifier; mais ils ne les fontpas manger au refectoire, jusqu'à ce qu'ils ayent encore durant deux ans éprouvé leurs moeurs, comme ils avoient auparavant éprouvé leur continence. Alors on les reçoit parce qu'on les en juge dignes, mais avant que de s'asseoir à table avec les autres, ils pretestent solemneliement d'bonorer & de servir Dieu de tout leur coeur, d'observer la justice envers les hommes; de ne faire jamais volontairement de mal à personne, d'assister de tout leur pouvoir les gens de bien; de garder la foi à tout le monde, & particulierement aux souverains.
Ceux de cette secte sont très - justes & très - exacts dans leurs jugemens: leur nombre n'est pas moindre que de cent lorsqu'il les prononcent, & ce qu'ils ont une fois arrêté demeure immuable.
Ils observent plus religieusement le sabath que nuls autres de tous les Juifs. Aux autres jours, ils font dans un lieu à l'écart, un trou dans la terre d'un pie de profondeur, où après s'être déchargés, en se couvrant de leurs habits, comme s'ils avoient peur de souiller les rayons du soleil, ils remplissent cette fosse de la terre qu'ils en ont tirée.
Ils vivent si long tems, que plusieurs vont jusqu'à cent ans; ce que j'attribue à la simplicité de leur vie.
Ils méprisent les maux de la terre, triomphent des tourmens par leur constance, & préferent la mort à la vie lorsque le sujet en est honorable. La guerre que nous avons eue contre les Romains a
Ces mêmes Esseniens croyent que les ames sont créées immortelles pour se porter à la vertu & se détourner du vice; que les bons sont rendus meilleurs en cette vie par l'espérance d'être heureux après leur mort, & que les méchans qui s'imaginent pouvoir cacher en ce monde leurs mauvaites actions, en sont punis en l'autre par des tourmens éternels. Tels sont leurs sentimens fur l'excellence de l'ame. Il y en a parmi eux qui se vantent de connoître les choses à venir, tant par l'étude qu'ils font des livres saints & des anciennes propheties, que par le soin qu'ils prennent de se sanctifier; & il arrive rarement qu'ils se trompent dans leurs prédictions.
Il y a une autre sorte d'Esséniens qui conviennent avec les premiers dans l'usage des mêmes viandes, des mêmes moeurs & des mêmes lois, & n'en sont différens qu'en ce qui regarde le mariage. Car ceuxci croyent que c'est vouloir abolir la race des hommes que d'y renoncer, puisque si chacun embrassoit ce sentiment, on la verroit bientôt éteinte. Ils s'y conduisent néanmoins avec tant de modération, qu'a vant que de se marier ils observent durant trois ans si la personne qu'ils veulent épouser paroît assez saine pour bien porter des enfans, & lorsqu'apres être mariés elle devient grosse, ils ne couchent plus avec elle durant sa grossesse, pour témoigner que ce n'est pas la volupté, mais le desir de donner des hommes à la république, qui les engage dans le mariage ».
Josephe dit dans un autre endroit qu'ils abandonnoient tout à Dieu. Ces paroles font assez entendre le sentiment des Esséniens sur le concours de Dieu. Cet historien dit encore ailleurs que tout dépendoit du destin, & qu'il ne nous arrivoit rien que ce qu'il ordonnoit. On voit par là que les Esséniens s'opposoient aux Saducéens, & qu'ils faisoient dépendre toutes choses des decrets de la providence: mais en même tems il est évident qu'ils donnoient à la providence des decrets qui rendoient les événeniens né<pb-> [p. 36]
Philon parle des Esséniens à - peu - près comme Josephe. Ils conviennent tous les deux sur leurs austérités, leurs mortifications, & sur le soin qu'ils prenoient de cacher aux étrangers leur doctrine. Mais Philon assure qu'ils préféroient la campagne à la ville, parce qu'elle est plus propre à la méditation; & qu'ils évitoient autant qu'il étoit possible le commerce des hommes corrompus, parce qu'ils croyoient que l'impureté des moeurs se communique aussi aisément qu'une mauvaise influence de l'air. Ce sentiment nous paroît plus vraissemblable que celui de Josephe qui les fait demeurer dans les villes; en effet on ne lit nulle part qu'il y ait eu dans aucune ville de la Palestine des communautés d'Esséniens, au contraire tous les auteurs qui ont parlé de ces sectaires, nous les représentent comme fuyant les grandes villos, & s'appliquant à l'agriculture. D'ailleurs s'ils eussent habité les villes, il est probable qu'on les connoîtroit un peu mieux qu'on ne le fait, & l'Evangile ne garderoit pas sur eux un si profond silence; mais leur éloignement des villes où J. C. prêchoit, les a sans doute soustraits aux censures qu'il auroit faites de leur erreur.
Des Thérapeutes. Philon (Philo de vitoe contemp.) a distingué deux ordres d'Esséniens; les uns s'attachoient à la pratique, & les autres qu'on nomme Thérapeutes, à la contemplation. Ces derniers étoient aussi de la secte des Esséniens; Philon leur en donne le nom: il ne les distingue de la premiere branche de cette secte, que par quelque degré de perfection.
Philon nous les représente comme des gens qui faisoient de la contemplation de Dieu leur unique occupation, & leur principale félicité. C'étoit pour cela qu'ils se tenoient enfermés seul à seul dans leur cellule, sans parler, sans oser sortir, ni même regarder par les fenêtres. Ils demandoient à Dieu que leur ame fût toujours remplie d'une lumiere céleste, & qu'élevés au - dessus de tout ce qu'il y a de sensible, ils pussent chercher & connoître la vérité plus parfaitement dans leur solitude, s'élevant au - dessus du soleil, de la nature, & de toutes les créatures. Ils perçoient directement à Dieu, le soleil de justice. Les idécs de la divinité, des beautés, & des tresors du ciel, dont ils s'étoient nourris pendant le jour les suivoient jusques dans la nuit, jusques dans leurs songes, & pendant le sommeil même. Ils débitoient des préceptes excellens; ils laissoient à leurs parens tous leurs biens, pour lesquels ils avoient un profond mépris, depuis qu'ils s'étoient enrichis de la philosophie céleste: ils sentoient une émotion violente, & une fureur divine, qui les entraînoit dans l'étude de cette divine philosophie, & ils y trouvoient un souverain plaisir; c'est pourquoi ils ne quittoient jamais leur étude, jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à ce degré de perfection qui les rendoit heureux. On voit - là, si je ne me trompe, la contemplation des mystiques, leurs transports, leur union avec la divinité qui les rend souverainement heureux & parfaits sur la terre.
Cette secte que Philon a peinte dans un traité qu'il a fait expres, afin d'en faire honneur à sa religion, contre les Grecs qui vantoient la morale & la
Ce dernier sentiment a été soutenu avec chaleur par Eusebe, par saint Jérôme, & sur - tout par le pere Montfaucon, homme distingué par son savoir, non - seulement dans un ordre savant, mais dans la république des lettres. Ce savant religieux a été réfuté par M. Bouhier premier président du parlement de Dijon, dont on peut consulter l'ouvrage; nous nous bornerons ici à quelques remarques.
1°. On ne connoît les Thérapeutes que par Philon. Il faut donc s'en tenir à son témoignage; mais peut - on croire qu'un ennemi de la religion chrétienne, & qui a persévéré jusqu'à la mort dans la profession du judaïsme, quoique> l'Evangile fût connu, ait pris la peine de peindre d'une maniere si édifiante les ennemis de sa religion & de ses cérémonies? Le judaïsme & le christianisme sont deux religions ennemies; l'une travaille à s'établir sur les ruines de l'autre: il est impossible qu'on fasse un éloge magnifique d'une religion qui travaille à l'anéantissement de celle qu'on croit & qu'on professe.
2°. Philon de qui on tire les preuves en faveur du christianisme des Thérapeutes, étoit né l'an 723 de Rome. Il dit qu'il étoit fort jeune lorsqu'il composa ses ouvrages; & que dans la suite ses études furent interrompues par les grands emplois qu'on lui confia. En suivant ce calcul, il faut nécessairement que Philon ait écrit avant J. C. & à plus forte raison avant que le Christianisme eût pénétré jusqu'à Alexandrie. Si on donne à Philon trente - cinq ou quarante ans lorsqu'il composoit ses livres, il n'étoit plus jeune. Cependant J. C. n'avoit alors que huit ou dix ans; il n'avoit point encore enseigné; l'Evangile n'étoit point encore connu: les Thérapeutes ne pouvoient par conséquent être chrétiens: d'où il est aisé de conclure que c'est une secte de Juifs réformés, dont Philon nous a laissé le portrait.
3°. Philon remarque que les Thérapeutes étoient une branche des Esséniens; comment donc a - t - on pu en faire des chrétiens, & laisser les autres dans le judaïsme?
Philon remarque encore que c'étoient des disciples
de Moïse; & c'est - là un caractere de judaïsme
qui ne peut être contesté, sur - tout par des chrétiens.
L'occupation de ces gens - là consistoit à feuilleter
les sacrés volumes, à étudier la philosophie qu'ils
avoient reçûe de leurs ancêtres, à y chercher des
allégories, s'imaginant que les secrets de la nature
étoient cachés sous les termes les plus clairs; & pour
s'aider dans cette recherche, ils avoient les commentaires
des anciens; car les premiers auteurs de
cette secte avoient laissé divers volumes d'allégories,
& leurs disciples suivoient cette méthode. Peuton connoître là des chrétiens? qui étoient ces ancêtres
qui avoient laissé tant d'écrits, lorsqu'il y avoit
à peine un seul évangile publié? Peut - on dire que
les écrivains sacrés nous ayent laissé des volumes
pleins d'allégories? quelle religion seroit la nôtre, si
on ne trouvoit que cela dans les livres divins? Peuton dire que l'occupation des premiers saints du Christianisme fut de chercher les secrets de la nature cachés
sous les termes les plus clairs de la parole de
Dieu? Cela convenoit à des mystiques & à des
dévots contemplatifs, qui se mêloient de medecine:
cela convenoit à des Juifs, dont les docteurs aimoient
les allégories jusqu'à la fureur: mais ni les
ancêtres, ni la philosophie, ni les volumes pleins
Next page
The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.