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Peut - on entendre quelque chose de plus extraordinaire
que ce prétendu françois? Il n'y a ni suite
raisonnée, ni usage connu, ni sens décidé. Mais
il ne faut pas m'en effrayer: c'est M. Chompré qui
m'en assure (Avertiss. de l'introd.)
L'énonciation claire de la pensée est le principal objet de la parole, & le seul que puisse envisager la Grammaire. Dans aucune langue, on ne parvient à ce but que par la peinture fidelle de la succession analytique des idées partielles, que l'on distingue dans la pensée par l'abstraction; cette peinture est la tâche commune de toutes les langues: elles ne different entr'elles que par le choix des couleurs & par l'entente. Ainsi l'etude d'une langue se réduit à deux points qui sont, pour ne pas quitter le langage figuré, la connoissance des couleurs qu'elle emploie, & la maniere dont elle les distribue: en termes propres, ce sont le vocabulaire & la syntaxe. Il ne s'agit point ici de ce qui concerne le vocabulaire; c'est une affaire d'exercice & de mémoire. Mais la syntaxe mérite une attention particuliere de la part de quiconque veut avancer dans cette étude, ou y diriger les commençans. Il faut observer tout ce qui appartient à l'ordre analytique, dont la connoissance seule peut rendre la langue intelli<cb->
Si la phrase qu'il faut traduire a toute la plénitude
exigible; & qu'elle soit disposée selon l'ordre de la
succession analytique des idées, il ne tient plus qu'au
vocabulaire qu'elle ne soit entendue; elle a le plus
grand degré possible de facilité: elle en a moins si
elle est elliptique, quoique construite selon l'ordre
naturel; & c'est la même chose, s'il y a inversion à
l'ordre naturel, quoiqu'elle ait toute l'intégrité analytique;
la difficulté est apparemment bien plus
grande, s'il y a tout à la fois ellipse & inversion. Or
c'est un principe incontestable de la didactique, qu'il
faut mettre dans la méthode d'enseigner le plus de
facilité qu'il est possible. C'est donc contredire ce
principe que de faire traduire aux jeunes gens le latin
tel qu'il est sorti des mains des auteurs qui écrivoient pour des hommes à qui cette langue étoit naturelle;
c'est le contredire que de n'en pas préparer
la traduction par tout ce qui peut y rendre bien sensible
la succession analytique. M. Chompré convient
qu'il faut en établir l'intégrité, en suppléant les ellipses: pourquoi ne faudroit - il pas de même en fixer
l'ordre, par ce que l'on appelle communément
la construction? Personne n'oseroit dire que ce ne
fût un moyen de plus très - propre pour faciliter l'intelligence
du texte; & l'on est réduit à prétexter,
que c'est détruire l'harmonie de la phrase latine;
Eh! que m'importe que l'on détruise un assortiment de sons qui n'a, ni ne peut avoir pour moi rien d'harmonieux, puisque je ne connois plus les principes de la vraie prononciation du latin? Quand je les connoîtrois, ces principes, que m'importeroit qu'on laissât subsister l'harmonie, si elle m'empêchoit d'entendre le sens de la phrase? Vous êtes chargé de m'enseigner la langue latine, & vous venez arrêter la rapidité des progrès que je pourrois y faire, par la manie que vous avez d'en conserver le nombre & l'harmonie. Laissez ce soin à mon maître de rhétorique; c'est son vrai lot: le vôtre est de me mettre dans son plus grand jour la pensée qui est l'objet de la phrase latine, & d'écarter tout ce qui peut en empêcher ou en retarder l'intelligence. Dépouillez - vous de vos préjugés contre la marche des langues modernes, & adoucissez les qualifications odieuses dont vous flétrissez leurs procédés: il n'y a point de rusticité dans des procédés dictés par la nature, & suivis d'une façon ou d'une autre dans toutes les langues; & il est injuste de les regarder comme pauvres, quand elles se prêtent à l'expression de toutes les pensées possibles; la pauvreté consiste dans la seule privation du nécessaire, & quelquefois elle naît de la surabondance du superflu. Prenez garde que ce ne soit le cas de votre méthode, où le trop de vûes que vous embrassez pourroit bien nuire à celle que vous devez vous proposer uniquement.
Servius, Donat, Priscien, Isidore de Séville, connoissoient aussi - bien & mieux que vous, les effets & le prix de cette harmonie dont vous m'embarrassez, puisque le latin étoit leur langue naturelle. Vous avez vu cependant qu'ils n'y avoient aucun égard, dès que l'inversion leur sembloit jetter de l'ob<pb-> [p. 862]
Messieurs Pluche & Chompré me répondront qu'ils ne prétendent point que l'on renonce à l'étude des principes grammaticaux fondés sur l'analyse de la pensée. Le sixieme exercice consiste, selon M. Pluche, (Méch. page 155.) à rappeller fidellement aux définitions, aux inflexions, & aux petites regles élémentaires, les parties qui composent chaque phrase latine. Fort bien: mais cet exercice ne vient qu'après que la traduction est entierement faite; & vous conviendrez apparemment que vos remarques grammaticales ne peuvent plus alors y être d'aucun secours. Je sais bien que vous me repliquerez que ces observations prépareront toûjours les esprits pour entreprendre avec plus d'aisance une autre traduction dans un autre tems. Cela est vrai, mais si vous en aviez fait un exercice préliminaire à la traduction de la phrase même qui y donne lieu, vous en auriez tiré un profit & plus prompt, & plus grand; plus prompt, parce que vous auriez recueilli lur le champ dans la traduction, le fruit des observations que vous auriez semées dans l'exercice préliminaire; plus grand, parce que l'application étant faite plutôt & plus immédiatement, l'exemple est mieux adapté à la regle qui en devient plus claire, & la regle répand plus de lumiere sur l'exemple dont le sens en est mieux développé. J'ajoûte que vous augmenteriez de beaucoup le profit de cet exercice pour parvenir à votre traduction, si la théorie de vos remarques grammaticales étoit suivie d'une application pratique dans une construction faite en conséquence.
Encore un mot sur cette harmonie enchanteresse, à laquelle on sacrifie la construction analytique, quoiqu'elle soit fondée sur des principes de Logique, qui ont d'autant plus de droit de me paroître sûrs, qu'ils réunissent en leur faveur l'unanimité des Grammairiens de tous les tems. M. Pluche & M. Chompré sentent - ils bien les différences harmoniques de ces trois constructions également latines, puisqu'elles sont également de Cicéron: legi tuas litteras, litteras tuas accepi, tuas accipio litteras? S'ils démêlent ces différences & leurs causes, ils feront bien de communiquer au public leurs lumieres sur un objet si intéressant; elles en seront d'autant mieux accueillies, qu'ils sont les seuls apparemment qui puissent lui faire ce présent; & ils doivent s'y prêter d'autant plus volontiers, que cette théorie est le fondement de leur système d'enseignement, qui ne peut avoir de solidité que celle qu'il tire de son premier principe: encore faudra - t - il qu'ils y ajoutent la preuve que les droits de cette harmonie sont inviolables, & ne doivent pas même céder à ceux de la raison & de l'intelligence. Mais convenons plutôt que par rapport à la raison toutes les constructions sont bonnes, si elles sont claires; que la clarté de l'énonciation est le seul objet de la Grammaire, & la seule vûe qu'il faille se proposer dans l'étude des élémens d'une langue; que l'harmonie, l'élégance, la parure, sont des objets d'un second ordre, qui n'ont & ne doivent avoir lieu qu'après la clarté, & jamais à ses dépens; & que l'étude de ces agrémens ne doit venir qu'après celle des élémens fondamentaux, à - moins qu'on ne veuille rendre inutiles ses efforts, en les étouffant par le concours.
Au surplus, qui empêche un maître habile, après qu'il a conduit ses éleves à l'intelligence du sens, par l'analyse & la construction grammaticale, de leur faire remarquer les beautes accessoires qui peuvent se trouver dans la construction usuelle? Quand ils entendent le sens du texte, & qu'ils sont prévenus sur les effets pittoresques de la disposition où les mots s'y trouvent, qu'on le leur fasse relire sans dérangement; leur oreille en sera frappée bien plus agréablement & plus utilement, parce que l'ame prêtera à l'organe sa sensibilité, & l'esprit, sa lumiere. Le petit inconvénient résulté de la construction, s'il y en a un, sera amplement compensé par ce dernier exercice; & tous les intérêts seront conciliés.
J'espere que ceux dont j'ai osé ici contredire les assertions, me pardonneront une liberté dont ils m'ont donné l'exemple. Ce n'est point une leçon que j'ai prétendu leur donner; quod si facerem, te erudiens, jure reprehenderer. Cic. III. de fin. Je n'ignore pas quelle est l'étendue de leurs lumieres; mais je sais aussi quelle est l'ardeur de leur zele pour l'utilité publique. Voilà ce qui m'a encouragé à exposer en détail les titres justificatifs d'une méthode qu'ils condamnent, & d'un principe qu'ils desapprouvent: mais je ne prétens point prononcer définitivement; je n'ai voulu que mettre les pieces sur le bureau: le public prononcera. Nos qui sequimur probabilia, nec ultrà id quod verisimile occurrerit progredi possumus, & refellere sine pertinaciâ, & refelli sine iracundiâ parati sumus. Cic. Tusc. II. ij. 5. (B. E. R. M.)
INVESTIR (Page 8:862)
INVESTIR, (Art milit.) Investir une place, c'est
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