ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"757"> Le docteur Peverini, medecin de Citerna hasarda l'inoculation sur une petite fille de cinq ans presque éthique, couverte de gale, nourrie par une femme infectée du mal vénérien. La matiere avoit été prise d'une petite vérole confluente, dont le malade étoit mort. La petite fille guérit. Quatre cens enfans du même canton furent préservés par le même moyen. Leurs meres les inoculoient pendant leur sommeil, à l'insû de leurs peres, avec une épingle trempée dans le pus d'un bouton varioleux bien mûr. Plusieurs confreres du docteur Peverini, entr'autres le docteur Lunadei, aujourd'hui premier medecin d'Urbin, imiterent son exemple, & ce dernier inocula ses propres enfans.

Au commencement de 1754, le docteur Kirkpatrik mit au jour à Londres son analyse de l'inoculation.

Le 24 Avril suivant, M. de la Condamine, par la lecture qu'il fit à l'assemblée publique de l'académie des Sciences de Paris, d'un mémoire sur cette matiere, la tira de l'oubli profond où elle sembloit plongée à Paris depuis trente ans.

A - peu - près dans le même tems, M. Chais, ministre évangélique à la Haye, donna son essai apologétique de l'inoculation, imprimé à Harlem; & l'automne suivante, M. Tissot, de la faculté de Montpellier, publia son inoculation justifiée.

A Lausanne, quatre ouvrages sur le même sujet, dont trois en françois, dans le cours de quelques mois, & leurs extraits répandus par la voie des journaux, réveillerent enfin & fixerent l'attention publique sur un objet important au bien de l'humanité. L'inoculation devint en France la nouvelle du jour. Elle acquit des partisans; on soutint la même année une thèse en sa faveur à Paris sur les mêmes bancs où elle avoit été si maltraitée en 1723.

Le 30 Octobre 1754, deux princesses de la maison royale - électorale de Hannovre furent inoculées à Londres. Au mois de Novembre suivant le docteur Maty, aujourd'hui garde de la bibliotheque du cabinet britannique, donna, en s'inoculant lui - même, une nouvelle preuve que l'insertion ne produit aucun effet sur ceux qui ont eu la petite vérole naturellement.

La doctrine de l'inoculation n'avoit encore été traitée en France que spéculativement & par maniere de controverse; & personne jusqu'alors n'avoit fait usage du nouveau préservatif. Le premier françois qui lui confia volontairement sa vie, fut M. le chevalier de Chatelus, à l'âge de vingt - deux ans. Il se fit inoculer au mois de Mai 1755. M. Tenon, maître en Chirurgie, aujourd'hui de l'académie des Sciences, fit l'opération. Elle avoit été précédée & fut suivie de quelques autres, que M. le chevalier Turgot, par zèle pour le bien de l'humanité, avoit fait faire par le même chirurgien sur des enfans du peuple, du consentement de leurs parens.

Peu de tems après, M. Hosty, docteur - régent de la faculté de Paris, revint de Londres, où il étoit allé muni de recommandations du ministre de France, pour s'instruire par lui - même des détails de la préparation & du traitement des inoculés. Sa relation, publiée dans plusieurs journaux littéraires, contenoit un grand nombre de faits nouveaux, propres à dissiper tous les doutes. Ce fut le moment où les critiques commencerent à s'élever, la plûpart fondées sur des faits légerement hasardés, & depuis démentis par divers écrits & par le certificat public du college des Medecins de Londres.

On continua d'inoculer à Paris pendant l'automne de 1755; & déjà l'on parloit d'introduire cet usage dans l'hôpital des enfans - trouvés, seul moyen de le rendre commun, & d'en faire partager le fruit au peuple, lorsque ses progrès naissans furent arrêtés par la mort de la plus jeune de deux soeurs qui subirent cette opération; accident d'autant plus malheureux qu'on l'auroit dû prévoir, & qu'il eut pour cause une circonstance dont l'inoculateur ne fut pas instruit. Cependant le 13 Novembre suivant on soutint même à Paris une nouvelle thèse de médecine, en faveur de l'inoculation.

Au commencement de l'année suivante 1756, M. Tronchin fut appellé de Genève par M. le duc d'Orléans, qui se détermina de son propre mouvement à faire inoculer les princes ses enfans. L'opération faite le 12 Mars fut très - heureuse. Cet exemple illustre fut suivi d'un grand nombre d'autres, & sur des sujets de la premiere distinction, tant enfans qu'adultes. Trois dames entr'autres qui avoient un double avantage à recueillir de l'inoculation, furent les premieres à en profiter; elles firent un grand nombre de prosélytes dans leur sexe. Ce fut alors que les anti - inoculistes redoublerent leurs clameurs; l'un dans une thèse remplie de personnalités indécentes; l'autre dans un ouvrage par lequel il déféroit sérieusement l'inoculation aux évêques, curés & magistrats du royaume. La thèse fut desavouée par le censeur de la faculté; la dénonciation ne parut que ridicule.

La nouvelle méthode a percé dans quelques provinces de France, sur - tout à Nîmes & à Lyon. Il y a eu plus de cent personnes inoculées dans cette derniere ville, dont aucune n'est morte. Mais les progrès de l'inoculation en France ne sont rien en comparaison de ceux qu'elle a faits dans le Nord, depuis que le mémoire de M. de la Condamine, traduit dans la plûpart des langues de l'Europe, a porté la conviction dans les esprits. On inocule à Copenhague, on établit des hôpitaux d'inoculation en Suede, & cette pratique n'y a pas plus de contradicteurs qu'en Angleterre; elle est aujourd'hui fort répandue en Westphalie & dans tout l'électorat de Hannovre. Elle commence à gagner à Berlin depuis qu'on a reconnu par expérience que la petite vérole naturelle n'y est pas toujours aussi bénigne qu'on le supposoit. Dès 1753 la même méthode avoit passé de Genève en Suisse, où M. de Haller & MM. Bernoulli l'ont accréditée par les exemples qu'ils en ont donnés sur leurs familles, & M. Tissot par ses écrits. M. de la Condamine dans son voyage d'Italie en 1755, fit de nouveaux prosélytes à l'inoculation. C'est à sa persuasion que M. le comte de Richecour, président du conseil de Toscane, l'établit la même année dans l'hôpital de Sienne, & qu'on en fit à Florence des expériences que le D. Targioni a rendu publiques; elle a depuis été pratiquée avec succès à Lucques. Les négocians anglois l'avoient portée depuis long - tems à Livourne, mais la pratique en étoit demeurée renfermée dans le sein de leurs familles.

Jusqu'en 1757 aucun auteur italien n'avoit écrit contre la petite vérole artificielle. Cette année elle fut attaquée à Rome par deux dissertations italiennes, morales & théologiques, d'un auteur anonyme, & à Vienne en Autriche par quatre questions latines de M. de Haen, medecin hollandois, docteur en l'univerfité de Vienne. Elles ont été réimprimées & traduites en françois à Paris en 1758, à la suite du tableau de la petite vérole, nouvelle édition d'une dissertation publiée dès 1755 par un medecin de la faculté de Paris, qui prétend avoir pratiqué l'inoculation très - heureusement, & qui l'a depuis abandonnée sur des oüis - dire, la plûpart convaincus de fausseté.

Au mois de Novembre 1758, M. de la Condamine lut à l'assemblée publique de l'académie des Sciences un second mémoire, depuis imprimé à Genève, comprenant la suite de l'histoire & du progrès de [p. 758] l'inoculation depuis 1754. Il y répond sommairement aux critiques précédentes, & particulierement aux questions du docteur de Vienne, à qui M. Tissot a répondu depuis plus au long & très - solidement en 1759. Plusieurs écrits polémiques pour & contre ont paru, & paroissent journellement sur cette matiere, depuis quatre ans dans le mercure de France & dans diverses journaux

Dans l'histoire précédente de l'inoculation, nous nous sommes renfermés dans les faits de notoriété publique, dont aucun ne peut être contesté, & nous ne nous sommes permis aucune réflexion.

Pratique de l'inoculation. L'insertion de la petite vérole se fait de différentes manieres en différens pays. La Motraye qui vit faire cette opération en Circassie l'année 1712 sur une jeune fille de quatre à cinq ans, rapporte que l'opératrice qui étoit une femme âgée, se servit de trois aiguilles liées ensemble, avec lesquelles elle piqua l'enfant au creux de l'estomac, à la mamelle gauche, au nombril, au poignet droit, & à la cheville gauche. Les femmes grecques, dont l'une pratiquoit l'inoculation à Constantinople depuis 30 ans, & qui avoient inoculé plusieurs milliers de sujets, se servoient d'une aiguille triangulaire, tranchante, avec laquelle elles faisoient au patient de petites blessures à différentes parties du corps, en y joignant certaines superstitions. Le point capital de leur opération consistoit à mêler avec le sang des piquûres, de la matiere liquide récemment recueillie des boutons d'une petite vérole naturelle & bénigne. A Bengale on perce la peau entre le pouce & l'index, avec une aiguille & un fil imbu de pus varioleux. A Tripoli de Barbarie le chirurgien fait une incision sur le dos de la main entre le pouce & l'index, & y introduit un peu de matiere exprimée des boutons les plus gros & les plus pleins d'une autre petite vérole. Au pays de Galles les enfans se gratent le dessus de la main jusqu'au sang, la frotent contre celle d'un malade actuel de la petite vérole, & prennent la maladie. M. Tronchin se contente d'entamer la peau avec une emplâtre vésicatoire, & de placer sur la plaie un fil qui a traversé un bouton mûr de petite vérole.

Tous ces moyens paroissent également propres à introduire le virus dans le sang, ce qui est le but de l'opération; mais le contact seul suffit: la maladie communique en tenant seulement dans la main pendant quelque tems, de la matiere des pustules prise dans le tems de la suppuration. Un chirurgien de Padoue nommé Bertri, a inoculé sa fille en lui appliquant un parchemin enduit de cette matiere sous les aisselles, sous les jarrets & sur les poignets. A la Chine on introduit dans le nez du coton parfumé, saupoudré de croutes varioleuses desséchées. On a reconnu en Angleterre que cette méthode étoit dangereuse: elle fut essayée en 1721 sur une fille de dix - huit ans du nombre des six criminels choisis pour subir l'épreuve de l'inoculation; elle eut de violens maux de tête, & fut plus malade que tous les autres. L'incision que Timoni avoit déja substituée aux piquûres, a prévalu. L'expérience a fait aussi connoître qu'il importe peu ou point que la matiere soit prise d'une petite vérole bénigne ou maligne, & qu'une seule incision suffit, quoiqu'on en fasse ordinairement deux, soit aux bras ou aux jambes, tant pour avoir une plus grande certitude que l'opération produira son effet, que pour ouvrir un double canal à l'épanchement de la matiere varioleuse, & pour rendre par ce moyen celle qui forme les boutons moins abondante, moins âcre & moins corrosive. On s'est encore assuré par expérience, & les Chinois l'avoient déja reconnu, que la matiere propre à l'inoculation se conserve plusieurs mois, & que prise d'une petite vérole, soit naturelle soit artificielle, elle n'en produit pas moins son effet.

Voici la méthode pratiquée par M. Ramby, premier chirurgien du roi d'Angleterre, le plus célebre & le plus heureux des inoculateurs. C'est celle qu'on a suivie le plus communément à Genève.

Les enfans ont à peine besoin de préparation: quelques jours de régime & une ou deux purgations suffisent; rarement on emploie la saignée. A l'égard des adultes, comme il s'agit de disposer le corps à une maladie inflammatoire, plus le sujet est sain & vigoureux, plus généralement parlant ses forces ont besoin d'être affoiblies par la saignée, la diete, l'usage des remedes rafraichissans. On y joitit quelques purgatifs & quelquefois les bains. Il est à propos de consulter un medecin sage, qui connoisse le tempérament de celui qu'il dispose à l'inoculation, & qui puisse lui prescrire un régime convenable.

Quant à l'opération, on fait aux deux bras dans la partie externe & moyenne, au - dessous de l'insertion du muscle deltoïde, pour ne point gêner la liberté du mouvement, une incision de moins d'un pouce de long, & si peu profonde, qu'elle entame à peine la peau. On insere dans la plaie un fil de la même longueur, imprégné de la matiere d'un bouton mûr & sans rougeur à sa base, pris d'une petite vérole soit naturelle soit artificielle, d'un enfant sain; on couvre le tout d'un plumasseau, d'un emplâtre de diaplame, & d'une compresse qu'on assujettit avec une bande. On leve cet appareil environ quarante heures après, & on pense la plaie une fois tous les vingt - quatre heures.

Quoique les premiers jours après l'opération, le sujet soit en état de sortir, on lui fait garder la chambre & continuer le régime. On le met au lit quand les symptomes commencent à paroître; ordinairement c'est le six ou le septieme jour; on lui retranche alors la viande, & on lui prescrit la même diete que dans les maladies aiguës. Tous les symptomes cessent par l'éruption; l'inflammation des plaies diminue, elles donnent plus de matiere. Le nombre des boutons est ordinairement peu considérable, & va rarement à deux ou trois cens sur tout le corps. Ils ne laissent point de cicatrices. Le dixieme jour après l'éruption les plaies commencent à se remplir; le quinzieme à se cicatriser: elles se ferment souvent le vingtieme. Si l'on voit qu'elles continuent à fluer, il ne faut pas se hâter de les fermer.

Quelquefois le venin s'échappe presque tout par les plaies; ensorte que le malade n'a qu'une ou deux pustules; quelquefois même pas une seule. On a reconnu qu'il n'en est pas moins à l'abri de contracter la petite vérole naturelle, quand même on l'inoculeroit de nouveau, ce qu'on a plusieurs fois éprouvé. La preuve évidente que c'est le virus varioleux qui sort par les incisions, c'est que cette matiere étant insérée dans un autre corps y produit une petite vérole sous la forme ordinaire. M. Maty a été témoin de cette expérience.

On choisit pour inoculer une saison qui ne soit ni trop froide ni trop chaude. Le printems & l'automne y paroissent également propres. On préfere ordinairement le printems, parce que la belle saison favorise la convalescence; mais il y a nombre d'exemples d'inoculations qui ont réussi en toute saison. Les opératrices greques inoculoient en hiver à Constantinople. L'été est, d'un aveu général, la saison la moins convenable, cependant on inocule avec succès à la Jamaïque qui est située dans la Zone torride. M. Tronchin vient d'inoculer à Genève au mois d'Août 1759, une dame de Paris qui vouloit être en état de revenir au mois de Septembre; il est vrai que par des précautions très - recherchées, il a trouvé le moyen d'entretenir le thermometre de Reaumur de quinze à dix - sept degrés dans la chambre de la

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