ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"491"> roit, quand même il existeroit seul. Ou elles sont des qualités secondes, qui ne consistent que dans les relations que l'objet a avec d'autres, dans la puissance qu'il a d'agir sur d'autres, d'en changer l'état, ou de changer lui - même d'état, étant appliqué à un autre objet; si c'est sur nous qu'il agit, nous appellons ces qualités sensibles; si c'est sur d'autres, nous les appellons puissances ou facultés. Ainsi la propriété qu'a le feu de nous échauffer, de nous éclairer, sont des qualités sensibles, qui ne seroient rien s'il n'y avoit des êtres sensibles, chez lesquels ce corps peut exciter ces idées ou sensations; de même la puissance qu'il a de fondre le plomb par exemple, lorsqu'il lui est appliqué, est une qualité seconde du feu, qui excite chez nous de nouvelles idées, qui nous auroient été absolument inconnues, si l'on n'avoit jamais fait l'essai de cette puissance du feu sur le plomb.

Disons que les idées des qualités premieres des objets représentent parfaitement leurs objets; que les originaux de ces idées existent réellement; qu'ainsi l'idée que vous vous formez de l'étendue, est véritablement conforme à l'étendue qui existe. Je pense qu'il en est de même des puissances du corps, ou du pouvoir qu'il a en vertu de ses qualités premieres & originales de changer l'état d'un autre, ou d'en être changé. Quand le feu consume le bois, je crois que la plûpart des hommes conçoivent le feu, comme un amas de particules en mouvement, ou comme autant de petits coins qui coupent, séparent les parties solides du bois, qui laissent échapper les plus subtiles & les plus légeres pour s'élever en fumée, tandis que les plus grossieres tombent en forme de cendre.

Mais, pour ce qui est des qualités sensibles, le commun des hommes s'y trompe beaucoup. Ces qualités ne sont point réelles, elle ne sont point semblables aux idées que l'on s'en forme; ce qui influe pour l'ordinaire, sur le jugement qu'on porte des puissances & des qualités premieres. Cela peut venir de ce que l'on n'apperçoit pas par les sens, les qualités originales dans les élemens dont les corps sont composés; de ce que les idées des qualités sensibles, qui sont effectivement toutes spirituelles, ne nous paroissent tenir rien de la grosseur, de la figure, ou des autres qualités corporelles; & enfin de ce que nous ne pouvons pas concevoir, comment ces qualités peuvent produire les idées & les sensations des couleurs, des odeurs, & des autres qualités sensibles, suite du mystere inexplicable qui regne, comme nous l'avons dit, sur la liaison de l'ame & du corps. Mais, pour cela, le fait n'en est pas moins vrai; & si nous en cherchons les raisons, nous verrons que l'on en a plus d'attribuer au feu, par exemple, de la chaleur, ou de croire que cette qualité du feu que nous appellons la chaleur, nous est fidellement représentée par la sensation à laquelle nous donnons ce nom, que l'on en a de donner à une aiguille qui me pique, la douleur qu'elle me cause; si ce n'est que nous voyons distinctement l'impression que l'aiguille produit chez moi, en s'insinuant dans ma chair, au lieu que nous n'appercevons pas la même chose à l'égard du feu; mais cette différence, fondée uniquement sur la portée de nos sens, n'a rien d'essentiel. Autre preuve encore du peu de réalité des qualités sensibles, & de leur conformité à nos idées, ou sensations; c'est que la même qualité nous est représentée par des sensations très - différentes, de douleur ou de plaisir suivant les tems & les circonstances. L'expérience montre d'ailleurs en plusieurs cas, que ces qualités que les sens nous font appercevoir dans les objets, ne s'y trouvent réellement pas. D'où nous nous croyons fondés à conclure que les qualités originelles des corps sont des qualités réelles, qui existent réellement dans les corps, soit que nous y pensions, soit que nous n'y pensions pas, & que les perceptions que nous en avons, peuvent être conformes à leurs objets; mais que les qualités sensibles n'y sont pas plus réellement que la douleur dans une aiguille; qu'il y a dans les corps quelques qualités premieres, qui sont les sources & les principes des qualités secondes, ou sensibles, lesquelles n'ont rien de semblable avec cellesci qui en dérivent, & que nous prêtons aux corps.

Faites que vos yeux ne voyent ni lumiere ni couleur, que vos oreilles ne soient frappées d'aucun son, que votre nez ne sente aucune odeur; dès - lors toutes ces couleurs, ces sons, & ces odeurs s'évanouiront & cesseront d'exister. Elles rentreront dans les causes qui les ont produites, & ne seront plus ce qu'elles sont réellement, une figure, un mouvement, une situation de partie: aussi un aveugle n'at - il aucune perception de la lumiere, des couleurs.

Cette distinction bien établie pourroit nous mener à la question de l'essence & des qualités essentielles des êtres, à faire voir le peu d'exactitude des idées que nous nous formons des êtres extérieurs; à ce que nous connoissons des substances, & à ce qui nous en restera toujours inconnu, aux modes ou aux manieres d'être, & à ce qui en fait le principe; mais outre que cela nous meneroit trop loin, on trouvera ces sujets traités dans les articles relatifs. Contentons - nous d'avoir indiqué cette distinction sur la maniere de connoître les qualités premieres, & les qualités sensibles d'un objet, & passons aux êtres qui n'ont qu'une existence idéale. Pour les faire connoître, nous choisissons, comme ayant un rapport distinct à nos perceptions, ceux que notre esprit considere d'une maniere générale, & dont il se forme ce que l'on appelle idées universelles.

Si je me représente un être réel, & que je pense en même tems à toutes les qualités qui lui sont particulieres, alors l'idée que je me fais de cet individu, est une idée singuliere; mais, si écartant toutes ces idées particulieres, je m'arrête seulement à quelques qualités de cet être, qui soient communes à tous ceux de la même espece, je forme par - là une idée universelle, générale.

Nos premieres idées sont visiblement singulieres. Je me fais d'abord une idée particuliere de mon pere, de ma nourrice; j'observe ensuite d'autres êtres qui ressemblent à ce pere, à cette femme, par la forme, par le langage, par d'autres qualités. Je remarque cette ressemblance, l'y donne mon attention, je la détourne des qualités par lesquelles mon pere, ma nourrice, sont distingués de ces êtres; ainsi je me forme une idée à laquelle tous ces êtres participent également; je juge ensuite par ce que j'entends dire, que cette idée se trouve chez ceux qui m'environnent, & qu'elle est désignée par le mot d'hommes. Je me fais donc une idée générale, c'est - à - dire, j'écarte de plusieurs idées singulieres, ce qu'il y a de particulier à chacune, & je ne retiens que ce qu'il y a de commun à toutes: c'est donc à l'abstraction que ces sortes d'idées doivent leur naissance. Voyez Abstraction.

Nous avons raison de les ranger dans la classe des êtres de raison, puisqu'elles ne sont que des manieres de penser, & que leurs objets qui sont des êtres universels, n'ont qu'une existence idéale, qui néanmoins a son fondement dans la nature des choses, ou dans la ressemblance des individus; d'où il suit qu'en observant cette ressemblance des idées singulieres, on se forme des idées générales; qu'en retenant la ressemblance des idées générales, on vient à s'en former de plus générales encore; ainsi l'on construit une sorte d'échelle ou de pyramide qui monte par dégré, depuis les individus jusqu'à l'idée de toutes, la plus générale, qui est celle de l'être. [p. 492]

Chaque degré de cette pyramide, à l'exception du plus haut & du plus bas, sont en même tems espece & genre; espece, relativement au degré supérieur; genre, par rapport à l'inferieur. La ressemblance entre plusieurs personnages de différentes nations, leur fait donner le nom d'hommes. Certains rapports entre les hommes & les bêtes, les fait ranger sous une même classe, désignée sous le nom d'animaux. Les animaux ont plusieurs qualités communes avec les plantes, on les renferme sous le nom d'êtres vivans; l'on peut aisément ajoûter des degrés à cette échelle. Si on la borne là, elle présente l'être vivant, pour le genre, ayant sous lui deux especes, les animaux & les plantes, qui, relativement a des dégrés inférieurs, deviennent à leur tour des genres.

Sur cette exposition des idées universelles, qui ne sont telles, que parce qu'elles ont moins de parties, moins d'idées particulieres, il semble qu'elles devroient être d'autant plus à la portée de notre esprit. Cependant l'expérience fait voir que plus les idées sont abstraites, & plus on a de peine à les saisir & à les retenir, à moins qu'on ne les fixe dans son esprit par un nom particulier, & dans sa mémoire, par un emploi fréquent de ce nom; c'est que ces idées abstraites ne tombent ni sous les sens, ni sous l'imagination, qui sont les deux facultés de notre ame, dont nous aimons le plus à faire usage. Que pour produire ces idées universelles ou abstraites, il faut entrer dans le détail de toutes les qualités des êtres, observer & retenir celles qui sont communes, écarter celles qui sont propres à chaque individu; ce qui ne se fait pas sans un travail d'esprit, pénible pour le commun des hommes, & qui devient difficile, si l'on n'appelle les sens & l'imagination au secours de l'esprit, en fixant ces idées par des noms; mais, ainsi déterminées, elles deviennent les plus familieres & les plus communes. L'étude & l'usage des langues nous apprennent que presque tous les mots, qui sont des signes de nos idées, sont des termes généraux, d'où l'on peut conclure, que presque toutes les idées des hommes sont des idées générales, & qu'il est beaucoup plus aisé & plus commode de penser ainsi d'une maniere universelle. Qui pourroit en effet imaginer & retenir des noms propres pour tous les êtres que nous connoissons? A quoi aboutiroit cette multitude de noms singuliers? Nos connoissances, il est vrai, sont fondées sur les existences particulieres, mais elles ne deviennent utiles que par des conceptions générales des choses, rangées pour cela sous certaines especes, & appellées d'un même nom.

Ce que nous venons de dire sur les idées universelles, peut s'étendre à tous les objets de nos perceptions, dont l'existence n'est qu'idéale: passons à la maniere dont elles nous peignent ces objets.

3°. A cet égard on distingue les idées, en idées claires ou obscures, appliquant par analogie à la vûe de l'esprit, les mêmes termes dont on se sert pour le sens de la vûe. C'est ainsi que nous disons qu'une idée est claire, quand elle est telle, qu'elle suffit pour nous faire connoître ce qu'elle représente, dès que l'objet vient à s'offrir à nous. Celle qui ne produit pas cet effet, est obscure. Nous avons une idée claire de la couleur rouge, lorsque, sans hésiter, nous la discernons de toute autre couleur; mais bien des gens n'ont que des idées obscures des diverses nuances de cette couleur, & les confondent les unes avec les autres, prenant, par exemple, le couleur de cerise pour le couleur de rose. Celui - là a une idée claire de la vertu, qui sait distinguer sûrement une action vertueuse d'une qui ne l'est pas; mais c'est en avoir une idée obscure, que de prendre des vices à la mode pour des vertus.

La clarté & l'obscurité des idées peuvent avoir di<cb-> vers degrés, suivant que ces idées portent avec elles plus ou moins de marques propres à les discerner de toute autre. L'idée d'une même chose peut être plus claire chez les uns, moins claire chez les autres; obscure pour ceux - ci, très - obscure à ceux - là; de même elles peuvent être obscures dans un tems, & devenir très - claires dans un autre. Ainsi une idée claire peut être subdivisée en idee distincte & confuse. Distincte, quand nous pouvons détailler ce que nous avons observé dans cette idée, indiquer les marques qui nous les font reconnoître, rendre compte des différences qui distinguent cette idée d'autres à peu - près semblables; mais on doit appeller une idée confuse, lorsqu'étant claire, c'est - à - dire distinguée de toute autre, on n'est pas en état d'entrer dans le détail de ses parties.

Il en est encore ici comme du sens de la vûe. Tout objet vû clairement ne l'est pas toujours distinctement. Quel objet se présente avec plus de clarté que le soleil, & qui pourroit le voir distinctement à moins que d'affoiblir son éclat? des exemples diront mieux que les définitions. L'idée de la couleur rouge est une idée claire, car l'on ne confondra jamais le rouge avec une autre couleur; mais si l'on demande à quelqu'un, à quoi donc il reconnoît la couleur rouge, il ne saura que repondre. Cette idée claire est donc contuse pour lui, & je crois qu'on peut dire la même chose de toutes les perceptions simples. Combien de gens qui ont une idée claire de la beauté d'un tableau, qui guidés par un goût juste & sûr, n'hésiteront pas à le distinguer sur dix autres tableaux médiocres. Demandez - leur ce qui les détermine à trouver cette peinture bonne, & ce qui en fait la beauté, ils ne sauront pas rendre raison de leur jugement, parce qu'ils n'ont pas une idée distincte de la beauté. Et voilà une différence sensible entre une idée simplement claire, & une idée distincte; c'est que celui qui n'a qu'une idée claire d'une chose, ne sauroit la communiquer à un autre. Si vous vous adressez à un homme qui n'a qu'une idée claire, mais confuse de la beauté d'un poëme, il vous dira que c'est l'Iliade, l'Enéide, ou il ajoûtera quelques synonymes; c'est un poëme qui est sublime, noble, harmonieux, qui ravit, qui enchante; des mots tant que vous voudrez, mais des idées, n'en attendez pas de lui.

Ce ne sont aussi que les idées distinctes qui sont propres à étendre nos connoissances, & qui par - là sont préférables de beaucoup aux idées simplement claires, qui nous séduisent par leur éclat, & nous jettent cependant dans l'erreur; ce qui mérite que l'on s'y arrête pour faire voir que, quoique distinctes, elles sont encore susceptibles de perfection. Pour cela une idée distincte doit être complette, c'est - à - dire qu'elle loit renfermer les marques propres à faire reconnoitre son objet en tout tems & en toutes circonstances. Un fou, dit - on, est un homme qui allie des idées incompatibles; voilà peut - être une idée distincte, mais fournit - elle des marques pour distinguer en tout tems un fou d'un homme sage?

Outre cela les idées distinctes doivent être ce qu'on appelle dans l'école adéquates. On donne ce nom à une idée distincte des marques même qui distinguent cette idée; un exemple viendra au secours de cette définition. On a une idée distincte de la vertu, quand on sait que c'est l'habitude de conformer ses actions libres à la loi naturelle. Cette idée n'est ni complettement distincte, ni adéquate, quand on ne sait que d'une maniere confuse ce que c'est que l'habitude de conformer ses actions à une loi, ce que c'est qu'une action libre. Mais elle devient complette & adéquate, quand on se dit qu'une habitude est une facilité d'agir, qui s'acquiert par un fréquent exercice; que conformer ses actions à une loi, c'est choisir entre plusieurs manieres d'agir également

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