RECHERCHE | Accueil | Mises en garde | Documentation | ATILF | ARTFL | Courriel |
"668">
Parmi les derniers philosophes qui ont suivi le pur Péripatétisme, Jacques Zaborella a été un des plus fameux. Il naquit à Padoue en 1533, d'une famille illustre. L'esprit de ceux qui doivent faire un jour du bruit se developpe de bonne heure. Au milieu des fautes & des mauvaises choses que fait un jeune homme, on découvre quelques traits de génie, s'il est destiné un jour à éclairer le monde. Tel fut Zaborella: il joignoit à une grande facilité un desir insatiable de savoir. Il auroit voulu posséder toutes les sciences, & les épuiser toutes. Il s'escrima de bonne heure dans le Péripatétisme; car c'étoit alors le nec plus ultra des philosophes. Il s'appliqua sur - tout aux Mathématiques & à l'Astrologie, dans laquelle il fit de grands progrès. Le senat de Venise l'estima si fort, qu'il le fit succéder à Bernard Tomitanus. Sa réputation ne fut point concentrée dans l'Italie seulement. Sigismond, alors roi de Pologne, lui offrit des avantages si considérables pour aller professer en Pologne, qu'il se détermina à quitter sa patrie, & à satisfaire aux desirs de Sigismond. Il a écrit plusieurs ouvrages qui lui donneroient une grande réputation, si nous étions encore dans la barbarie de ce tems - là: mais le nouveau jour qui luit sur le monde littéraire, obscurcit l'éclat que jettoient alors ces sortes de livres.
Les Piccolominis ne doivent point être oubliés ici. Cette maison est aussi illustre par les savans qu elle a produits, que par son ancienneté. Les parens d'Alexandre Piccolomini ayanthérité de leurs ancêtres l'amour des sciences, voulurent le transmettre à leur fils: pour cela ils lui donnerent toute sorte de maîtres, & les plus habiles. Ils ne pensoient pas comme on pense aujourd'hui: la vanité fait donner des précepteurs & des gouverneurs aux enfans; il suffit qu'on en ait un, on ne s'embarrasse guere s'il est propre à donner l'éducation convenable; on ne demande point s'il sait ce qu'il doit apprendre à son éleve; on veut seulement qu'il ne soit pas cher. Je suis persuadé que cette façon de penser a causé la chûte de plusieurs grandes maisons. Un jeune homme mal élevé donne dans toute sorte de travers, & se ruine; & s'il ne donne pas dans des travers, il ne fait pas pour s'avancer ce qu'il auroit pû faire s'il avoit eu une meilleure éducation. On dit que les inclinations du Duc de Bourgogne n'étoient pas tournées naturellement au bien: que ne fit donc pas l'éducation que lui donna le grand Fenelon, puisqu'il en fit un prince que la France pleurera toûjours? Pour revenir à Alexandre Piccolomini, il fit avec de tels maîtres des progrès extraordinaires. Je croi que ce qu'on dit de lui tient un peu de l'exagération, & que la flatterie y a eu un peu de part: il est pourtant vrai qu'il fut un des plus habiles hommes de son tems: la douceur de ses moeurs, & son urbanité, digne du tems d'Auguste, lui firent autant d'amis, que son savoir lui avoit attiré d'admirateurs. Il n'eut pas seulement le mérite philosophique, on lui trouva le mérite épiscopal; il fut élevé à cette dignité, & fut ensuite fait co - adjuteur de l'Archevêque de Sienne. Il vieillit estimé & respecté de tout le monde. Il mourut en 1578, regretté de tous les savans & de tous ses diocesains, dont il avoit été le pere.
François Piccolomini fut encore un de ceux qui firent honneur à la Philosophie péripatéticienne. Il semble que son esprit vouloit sortir des entraves où il étoit. L'autorité d'Aristote ne lui suffisoit pas: il osa aussi penser comme Platon; ce qui lui attira sur les bras le fougueux Zaborella. Leur dispute fut singuliere; ce n'étoit point sur les principes de la Morale qu'ils disputoient, mais sur la façon de latraiter. Pic colomini vouloit qu'on la traitât synthétiquement; c'est - à - dire, qu'on partît des principes pour arriver aux conclusions. Zaborella disoit qu'à la vérité dans l'ordre de la nature on procédoit ainsi, mais qu'il n'en étoit pas de même de nos connoissances; qu'il falloit commencer par les effets pour arriver aux causes; & toute son attention étoit à démontrer qu'Aristote avoit pensé ainsi; croyant bien avoir terminé la dispute s'il venoit à bout de le démontrer: mais il se trompoit. Lorsque Piccolomini étoit battu par Aristote, il se réfugioit chez Platon. Zaborella ne daignoit pas même l'y attaquer; il auroit crû manquer au respect dû à son maître, en lui donnant un rival. Piccolomini voulut accorder ces deux philosophes ensemble; il croyoit que leurs principes étoient les mêmes, & que par consequent ils devoient s'accorder dans les conclusions. Les zélateurs d'Aristote improuverent cette conduite; ils vouloient que leur maître fût le seul de l'antiquité qui eût bien pensé. Il mourut âgé de quatre - vingts - quatre ans. Les larmes qui furent versées à sa sépulture, sont l'oraison funebre la plus éloquente qu'on puisse faire de lui; car les hommes n'en aiment pas un autre précisément pour ses talens; si le coeur lui manque, ils se bornent à estimer l'esprit. François Piccolomini mérita l'estime & l'amitié de tous ses citoyens. Nous avons de lui un commentaire sur les livres d'Aristote qui traitent du ciel, & sur ceux qui traitent de l'origine & de la mort de l'ame; un système de Philosophie naturelle & morale, qui pa<pb-> [p. 669]
Les grands étudioient alors la Philosophie, quoiqu'elle ne fût pas, à beaucoup près, si agréable qu'aujourd'hui. Cyriaque Strozzi fut du nombre: il étoit de l'illustre maison de ce nom chez les Florentins. Après une éducation digne de sa haute naissance, il crut nécessaire pour sa perfection, de voyager dans les différentes parties de l'Europe. Il ne le fit point en homme qui voyage précisément pour s'amuser. Toute l'Europe devint un cabinet pour lui, où il travailloit autant & avec plus de fruit que certains savans qui croiroient perdre leur tems s'ils voyoient quelquefois le jour. De retour dans sa patrie, on le nomma professeur; car les grands ne se croyoient pas alors deshonorés en prouvant qu'ils en savoient plus que les autres. Il fut ensuite professeur à Bologne, d'où il fut transféré à Pise; par - tout il soûtint sa réputation qui étoit fort grande. Il entreprit de donner au public le neuvieme & le dixieme livre de la politique d'Aristote qui sont perdus. Ils ne sont peut - être pas de la force de ceux qui sont sortis de la plume d'Aristote: mais on peut dire qu'il y a de la finesse dans ses réflexions, de la profondeur dans ses vûes, & de l'esprit semé dans tout son livre. Or dans ce tems - là l'esprit étoit beaucoup plus rare que le savoir; & je suis persuadé que tels qui brilloient alors, ne pour>oient pas écrire deux lignes aujourd'hui; il faut allier la science avec l'esprit.
André Caesalpin & César Crémonin se rendirent fort illustres dans leur siecle. Il est aisé de fixer les yeux de tout le monde sur soi même, en écrivant contre la religion, & sur - tout lorsqu'on écrit avec esprit; on voit que tout le monde s'empresse à acheter ces livres; on diroit que les hommes veulent se vanger de la gêne où les tient la religion, & qu'on est bien - aise de voir attaquer des préceptes qui sont les ennemis de toutes les passions de l'homme. Caesalpin passa pour impie, & non sans raison: jamais personne n'a fait moins de case des vérités révélées. Après les études ordinaires, il prit la résolution de devenir habile dans la Medecine & dans la philosophie d'Aristote. Son génie perçant & facile lui fit faire des progrès rapides dans ces deux sciences. Sa vaste érudition couvrit un peu la tache d'impiété dont il étoit accusé; car le pape Clément VIII. le fit son premier Medecin, & lui donna une chaire de Medecine au collége de Sapience: ce fut là qu'il fit connoître toute sa sagacité. Il se fit un grand nom par les différens ouvrages qu'il donna, & sur - tout par la découverte de la circulation du sang; car il paroît en cela avoir prévenu Harvei. La justice demande que nous rapportions sur quoi l'on se fonde pour disputer à Harvei la gloire de cette découverte. Voici comme parle Caesalpin: Idcirco pulmo per venam arteriis similem ex dextro cordis ventriculo fervidum hauriens sanguinem, eumque per anastomosim arterioe venali reddens quoe in sinistrum cordis ventriculum tendit, transmisso interim aere frigido per asperoe arterioe canales, qui juxia arteriam venalem protenduntur, non tamen osculis communicantes, ut putavit Galenus, solo tactu temperat. Huic sanguinis circulationi ex dextro cordis ventriculo per pulmones in sinistrum ejusdem ventriculum, optime respondent ea quoe in dissectione apparent: nam duo sunt vasa in dextrum ventriculum desinentia, duo etiam in sinistrum; duorum autem unum intromittit tantùm, alterum educit, membranis eo ingenio constitutis. Je laisse aux Medecins à juger si ces paroles ne prouvent pas que Caesalpin a connu la circulation du sang. La philosophie est ce qui nous intéresse le plus dans la personne de Caesalpin; puisque c'est ici de la philosophie seulement qu'il s'agit. Il s'étoit proposé de suivre Aristote à la rigueur; aucun commentateur n'étoit une autorité suffisante pour lui. Heureux s'il avoit pû secoüer celle d'Aris<cb->
Next page
The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.