ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"234"> cause des bonnes actions que des mauvaises, mais que c'est par sa volonté seule qu'elles sont mauvaises ou bonnes, & qu'il peut rendre coupable celui qui ne l'est point, & punir & damner sans injustice celui même qui n'a pas péché.

Toutes ces idées sur la souveraineté & la justice de Dieu, sont les mêmes que celles qu'il établissoit sur la souveraineté & la justice des rois. Il les avoit transportées du temporel au spirituel; & les Théologiens en concluoient que, selon lui, il n'y avoit ni justice ni injustice absolue; que les actions ne plaisent pas à Dieu parce qu'elles sont bien, mais qu'elles sont bien parce qu'il lui plaît, & que la vertu tant dans ce monde que dans l'autre, consiste à faire la volonté du plus fort qui commande, & à qui on ne peut s'opposer avec avantage.

En 1649, il fut attaqué d'une fievre dangereuse; le pere Mersenne, que l'amitié avoit attaché à côté de son lit, crut devoir lui parler alors de l'Eglise Catholique & de son autorité. « Mon pere, lui répondit Hobbes, je n'ai pas attendu ce moment pour penser à cela, & je ne suis guere en état d'en disputer; vous avez des choses plus agréables à me dire. Y a - t - il long - tems que vous n'avez vû Gassendi?» Mi pater, hoec omnia jamdudum mecum disputavi, eadem disputare nunc molestum erit; habes quoe dicas ameniora. Quando vidisti Gassendum? Le bon religieux conçut que le philosophe étoit résolu de mourir dans la religion de son pays, ne le pressa pas davantage, & Hobbes fut administré selon le rit de l'église anglicane.

Il guérit de cette maladie, & l'année suivante il publia ses traités de la nature humaine, & du corps politique. Sethus Wardus, célebre professeur en Astronomie à Séville, & dans la suite évêque de Salisbury, publia contre lui une espece de satyre, où l'on ne voit qu'une chose, c'est que cet homme quelqu'habile qu'il fût d'ailleurs, réfutoit une philosophie qu'il n'entendoit pas, & croyoit remplacer de bonnes raisons par de mauvaises plaisanteries. Richard Steele, qui se connoissoit en ouvrage de littérature & de philosophie, regardoit ces derniers comme les plus parfaits que notre philosophe eût composés.

Cependant à mesure qu'il acquéroit de la réputation, il perdoit de son repos; les imputations se multiplioient de toutes parts; on l'accusa d'avoir passé du parti du roi dans celui de l'usurpateur. Cette calomnie prit faveur; il ne se crut pas en sûreté à Paris, où ses ennemis pouvoient tout, & il retourna en Angleterre où il se lia avec deux hommes célebres, Harvée & Seldene. La famille de Devonshire lui accorda une retraite; & ce fut loin du tumulte & des factions qu'il composa sa logique, sa physique, son livre des principes ou élémens des corps, sa géométrie & son traité de l'homme, de ses facultés, de leurs objets, de ses passions, de ses appétits, de l'imagination, de la mémoire, de la raison, du juste, de l'injuste, de l'honnête, du deshonnête, &c.

En 1660, la tyrannie fut accablée, le repos rendu à l'Angleterre, Charles rappellé au trone, la face des choses changée, & Hobbes abandonna sa campagne & reparut.

Le monarque à qui il avoit autrefois montré les Mathématiques, le reconnut, l'accueillit; & passant un jour proche la maison qu'il habitoit, le fit appeller, le caressa, & lui présenta sa main à baiser.

Il suspendit un moment ses études philosophiques, pour s'instruire des lois de son pays, & il en a laissé un commentaire manuscrit qui est estimé.

Il croyoit la Géométrie défigurée par des paralogismes; la plûpart des problèmes, tels que la quadrature du cercle, la trisection de l'angle, la duplication du cube, n'étoient insolubles, selon lui, que parce que les notions qu'on avoit du rapport, de la quantité, du nombre, du point, de la ligne, de la surface, & du solide, n'étoient pas les vraies; & il s'occupa à perfectionner les Mathématiques, dont il avoit commencé l'étude trop tard, & qu'il ne connoissoit pas assez pour en être un réformateur.

Il eut l'honneur d'être visité par Cosme de Médicis, qui recueillit ses ouvrages, & les transporta avec son buste dans la célebre bibliotheque de sa maison.

Hobbes étoit alors parvenu à la vieillesse la plus avancée, & tout sembloit lui promettre de la tranquillité dans ses derniers momens, cependant il n'en fut pas ainsi. La jeunesse avide de sa doctrine, s'en repaissoit; elle étoit devenue l'entretien des gens du monde, & la dispute des écoles. Un jeune bachelier dans l'université de Cambridge, appellé Scargil, eut l'imprudence d'en insérer quelques propositions dans une these, & de soutenir que le droit du souverain n'étoit fondé que sur la force; que la sanction des lois civiles fait toute la moralité des actions; que les livres saints n'ont force de loï dans l'état que par la volonté du magistrat, & qu'il faut obéir à cette volonté, que ses arrêts soient conformes ou non à ce qu'on regarde comme la loi divine.

Le scandale que cette these excita fut général; la puissance ecclésiastique appella à son secours l'autorité séculiere; on poursuivit le jeune bachelier; on impliqua Hobbes dans cette affaire. Le philosophe eut beau reclamer, prétendre & démontrer que Scargil ne l'avoit point entendu, on ne l'écouta pas; la these fut lacérée; Scargil perdit son grade, & Hobbes resta chargé de tout l'odieux d'une aventure dont on jugera mieux après l'exposition de ses principes.

Las du commerce des hommes, il retourna à la campagne qu'il eût bien fait de ne pas quitter, & il s'amusa des Mathématiques, de la Poésie & de la Physique. Il traduisit en vers les ouvrages d'Homere, à l'âge de quatre - vingt - dix ans; il écrivit contre l'évêque Laney, sur la liberté ou la nécessité des actions humaines; il publia son décameron physiologique, & il acheva l'histoire de la guerre civile.

Le roi à qui cet ouvrage avoit été présenté manuscrit, le desapprouva; cependant il parut, & Hobbes craignit de cette indiscrétion quelques nouvelles persécutions qu'il eût sans doute essuyées, si sa mort ne les eût prévenues. Il fut attaqué au mois d'Octobre 1679, d'une rétention d'urine qui fut suivie d'une paralysie sur le côté droit qui lui ôta la parole, & qui l'emporta peu de jours après. Il mourut âgé de quatre - vingt - onze ans; il étoit né avec un tempérament foible, qu'il avoit fortifié par l'exercice & la sobriété; il vécut dans le célibat, sans être toutefois ennemi du commerce des femmes.

Les hommes de génie ont communément dans le cours de leurs études une marche particuliere qui les caractérise. Hobbes publia d'abord son ouvrage du citoyen: au lieu de répondre aux critiques qu'on en fit, il composa son traité de l'homme; du traité de l'homme il s'éleva à l'examen de la nature animale; de - là il passa à l'étude de la Physique ou des phénomenes de la nature, qui le conduisirent à la recherche des propriétés générales de la matiere & de l'enchaînement universel des causes & des effets. Il termina ces différens traités par sa logique & ses livres de mathématiques; ces différentes productions ont été rangées dans un ordre renversé. Nous allons en exposer les principes, avec la précaution de citer le texte par - tout où la superstition, l'ignorance & la calomnie, qui semblent s'être réunies pour attaquer cet ouvrage, seroient [p. 235] tentées de nous attribuer des sentimens dont nous ne sommes que les historiens.

Principes élémentaires & généraux. Les choses qui n'existent point hors de nous, deviennent l'objet de notre raison; ou pour parler la langue de notre philosophe, sont intelligibles & comparables, par les noms que nous leur avons imposés. C'est ainsi que nous discourons des fantomes de notre imagination, dans l'absence même des choses réelles d'après lesquelles nous avons imaginé.

L'espace est un fantome d'une chose existente, phantasma rei existentis, abstraction faite de toutes les propriétés de cette chose, à l'exception de celle de paroître hors de celui qui imagine.

Le tems est un fantome du mouvement consideré sous le point de vûe qui nous y fait discerner priorité & postériorité, ou succession.

Un espace est partie d'une espace, un tems est partie d'un tems, lorsque le premier est contenu dans le second, & qu'il y a plus dans celui - ci.

Diviser un espace ou un tems, c'est y discerner une partie, puis une autre, puis une troisieme, & ainsi de suite.

Un espace, un tems sont un, lorsqu'on les distingue entre d'autres tems & d'autres espaces.

Le nombre est l'addition d'une unité à une unité, à une troisieme, & ainsi de suite.

Composer un espace ou un tems, c'est après un espace ou un tems, en considérer un second, un troisieme, un quatrieme, & regarder tous ces tems ou espaces comme un seul.

Le tout est ce qu'on a engendré par la composition; les parties, ce qu'on retrouve par la division.

Point de vrai tout qui ne s'imagine comme composé de parties dans lesquelles il puisse se résoudre.

Deux espaces sont contigus, s'il n'y a point d'espace entre eux.

Dans un tout composé de trois parties, la partie moyenne est celle qui en a deux contiguës; & les deux extrèmes sont contiguës à la moyenne.

Un tems, un espace est fini en puissance, quand on peut assigner un nombre de tems ou d'espaces finis qui le mesurent exactement ou avec excès.

Un espace, un tems est infini en puissance, quand on ne peut assigner un nombre d'espaces ou de tems finis qui le mesurent & qu'il n'excede.

Tout ce qui se divise, se divise en parties divisibles, & ces parties en d'autres parties divisibles; donc il n'y a point de divisible qui soit le plus petit divisible.

J'appelle corps, ce qui existe indépendamment de ma pensée, co - étendu ou co - incident avec quelque partie de l'espace.

L'accident est une propriété du corps avec laquelle on l'imagine, ou qui entre nécessairement dans le concept qu'il nous imprime.

L'étendue d'un corps, ou sa grandeur indépendante de notre pensée, c'est la même chose.

L'espace co - incident avec la grandeur d'un corps est le lieu du corps; le lieu forme toûjours un solide; son étendue differe de l'étendue du corps; il est terminé par une surface co - incidente avec la surface du corps.

L'espace occupé par un corps est un espace plein; celui qu'un corps n'occupe point est un espace vuide.

Les corps entre lesquels il n'y a point d'espace sont contigus; les corps contigus qui ont une partie commune sont continus; & il y a pluralité s'il y a continuité entre des contigus quelconques.

Le mouvement est le passage continu d'un lieu dans un autre.

Se reposer, c'est rester un tems quelconque dans un même lieu; s'être mu, c'est avoir été dans un lieu autre que celui qu'on occupe.

Deux corps sont égaux, s'ils peuvent remplir un même lieu.

L'étendue d'un corps un & le même, est une & la même.

Le mouvement de deux corps égaux est égal, lorsque la vîtesse considerée dans toute l'étendue de l'un est égale à la vîtesse considerée dans toute l'étendue de l'autre.

La quantité de mouvement considerée sous cet aspect, s'appelle aussi force.

Ce qui est en repos est conçu devoir y resler toûjours, sans la supposition d'un corps qui trouble le repos.

Un corps ne peut s'engendrer ni périr; il passe sous divers états successifs auxquels nous donnons différens noms: ce sont les accidens du corps qui commencent & finissent; c'est improprement qu'on dit qu'ils se meuvent.

L'accident qui donne le nom à son sujet, est ce qu'on appelle l'essence.

La matiere premiere, ou le corps consideré en général n'est qu'un mot.

Un corps agit sur un autre, lorsqu'il y produit ou détruit un accident.

L'accident ou dans l'agent ou dans le patient, sans lequel l'effet ne peut être produit, causa sine qua non, est nécessaire par hypothèse.

De l'aggrégat de tous les accidens, tant dans l'agent que dans le patient, on conclut la nécessité d'un effet; & réciproquement on conclut du défaut d'un seul accident, soit dans l'agent soit dans le patient, l'impossibilité de l'effet.

L'aggrégat de tous les accidens nécessaires à la production de l'effet s'appelle dans l'agent cause complette, causa simpliciter.

La cause simple ou complette s'appelle après la production de l'effet, cause efficiente dans l'agent, cause matérielle dans le patient; où l'effet est nul, la cause est nulle.

La cause complette a toûjours son effet; au moment où elle est entiere, l'effet est produit & est nécessaire.

La génération des effets est continue.

Si les agens & les patiens sont les mêmes & disposés de la même maniere, les effets seront les mêmes en différens tems.

Le mouvement n'a de cause que dans le mouvement d'un corps contigu.

Tout changement est mouvement.

Les accidens considerés relativement à d'autres qui les ont précédés, & sans aucune dépendance d'effet & de cause, s'appellent contingens.

La cause est à l'effet, comme la puissance à l'acte, ou plûtôt c'est la mê me chose.

Au moment où la puissance est entiere & pleine, l'acte est produit.

La puissance active & la puissance passive ne sont que les parties de la puissance entiere & pleine.

L'acte à la production duquel il n'y aura jamais de puissance pleine & entiere, est impossible.

L'acte qui n'est pas impossible est nécessaire; de ce qu'il est possible qu'il soit produit, il le sera; autrement il seroit impossible.

Ainsi tout acte futur l'est nécessairement.

Ce qui arrive, arrive par des causes nécessaires; & il n'y a d'effets contingens que relativement à d'autres effets avec lesquels les premiers n'ont ni liaison ni dépendance.

La puissance active consiste dans le mouvement.

La cause formelle ou l'essence, la cause finale ou le terme dépendent des causes efficientes.

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