ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"152"> des petites statues de bronze, il y en a plusieurs qu'on croit être des dieux lares ou pénates d'Herculanum.

C'en est assez sur les édifices publics de cette ville; les édifices particuliers que l'on a découverts dans une espace d'environ 300 perches de longueur, & 150 de largeur, ont paru d'une architecture uniforme.

Toutes les rues d'Herculanum sont tirées au cordeau, & ont de chaque côté des parapets peur la commodité des gens de pié; elles sont pavées de pierres semblables à celles dont la ville de Naples est aussi pavée; ce qui donne lieu de croire qu'elles ont été tirées de la même carriere, c'est - à - dire d'un amas de laves du Vésuve.

L'intérieur de quelques maisons d'Herculane étoit peint à fresque de charmans tableaux, représentans des sujets tirés de la fable ou de l'histoire. Le roi des deux Siciles en a fait transporter tant qu'il a pu dans son palais. Ces peintures sont d'ordinaire accompagnées d'ornemens de fleurs, d'oiseaux posés sur des cordelettes, suspendus par le bec ou par les piés, de poissons ou d'autres animaux. En un mot, les peintures transportées chez le roi des deux Siciles forment près sept cens tableaux de toute grandeur. Il est vrai que la plûpart n'ont que dix ou douze pouces de hauteur sur une largeur proportionnée. Ils représentent de petits amours, des bêtes sauvages, des poissons, des oiseaux, &c.

Parmi les grands tableaux, il y en a deux qui méritent d'être ici décrits, & qui furent trouvés dans deux niches au fond d'un temple d'Hercule. Dans la premiere de ces niches étoit peint un Thésée, semblable à un athlete, tenant la massue levée & appuyée sur le bras gauche, & ayant sur l'épaule un manteau de couleur rouge, avec l'anneau au doigt. Le minotaure est étendu à ses pieds avec la tête d'un taureau & le corps d'un homme: la tête du monstre paroît toute entiere; le corps est représenté en ligne presque droite & très - bien racourci. Trois jeunes Grecs sont autour du héros: l'un lui embrasse le genou; le second lui baise la main droite; le troisieme lui serre le bras gauche avec une attitude gracieuse: une fille, qu'on croit être Ariane, touche modestement sa massue. On voit dans l'air une septieme figure, qui peut dénoter une victoire, & on apperçoit enfin les détours du labyrinthe.

Le tableau de l'autre niche est aussi composé de plusieurs figures de grandeur naturelle. On y voit une femme assise, couronnée d'herbes & de fleurs, tenant dans sa main un bâton de couleur de fer; à sa gauche est une corbeille pleine d'oeufs & de fruits, sur - tout de grenades: derriere elle est un faune qui joue de la flûte à sept tuyaux: en face de cette femme assise, on voit debout un homme à barbe courte & noire, ayant l'arc, le carquois plein de fleches, & la massue. Derriere cet homme est une autre femme couronnée d'épics, qui semble parler à la premiere; à ses piés, est une biche qui alaite un petit enfant. Au milieu du tableau & dans le vuide, on voit une aigle à aîles déployées; & sur la même ligne, un lion dans une attitude tranquille. Il faut avouer que les tableaux de ces deux niches ne sont pas dessinés avec correction, & que l'expression manque dans la plûpart des têtes.

Au sortir du temple d'Hercule, l'on découvrit çà & là plusieurs autres tableaux, en particulier un Hercule de grandeur naturelle; Virginie accompagnée de son pere & d'Icilius son époux, en présence d'Appius - Décemvir siégeant sur son tribunal; l'éducation d'Achille par Chiron, qui montre au jeune héros à jouer de la lyre; enfin divers autres morceaux d'histoire, outre des paysages, des repré<cb-> sentations de sacrifices, de victimes, & de prêtres en habits blancs & sacerdotaux.

Les connoisseurs assurent que plusieurs des tableaux, tirés des fouilles d'Herculane, quoique précieux d'ailleurs, péchent dans le coloris & les carnations, soit que ces défauts procedent des peintures mêmes, ou que le tems les ait altérées. Le coloris y est presque toujours trop rouge, & les gradations rarement conformes aux préceptes de l'art. Une seule couleur forme souvent le champ de ces tableaux; quelques - uns cependant sont composés de deux, de trois & de quatre couleurs. Il y en a même un à fresque, représentant des fleurs où toutes les couleurs sont mises en usage.

Avant que de quitter ce qui regarde la peinture, il faut lever un doute, qui sera vraissemblablement resté dans l'esprit des lecteurs, au sujet des tableaux à fresque, transportés d'Herculanum à Portici. Ils demanderont comment on a pu procéder dans cette oprération. Je leur répondrai, avec ceux qui en ont été témoins, qu'on a suivi la même méthode qui fut jadis heureusement employée pour les ouvrages de Damophile & Gorgase, sculpteur & peintre illustres, qui avoient décoré le temple de Cérès, situé près du grand cirque à Rome. Lors, dit Varron, que l'on voulut réparer & crépir de nouveau les murs de cet édifice, on coupa tous les tableaux qui étoient peints dessus, & on les déposa dans des caisses. La même chose s'est pratiquée pour les tableaux d'Herculanum. On a d'abord commencé à les fortifier par derriere avec de la pierre propre à cet effet, sur laquelle attachant par le moyen du plâtre l'enduit & ses peintures; coupant ensuite le tout, & le serrant avec beaucoup de précaution dans des caisses de bois, on l'a tiré du fond de la ville souterraine avec autant de dextérité que de bonheur. Enfin, on a appliqué sur ces peintures un vernis transparent, pour les ranimer & les pouvoir conserver pendant des siecles.

Qu'on se représente à cette heure la surprise des gens de l'art, à la vue de tant de peintures renaissantes, pour ainsi dire, avec leur fraîcheur: ni celles du tombeau des Nasons, lavées & presque effacées par le tems, ni celles que Gregorio Capponi a si fort vantées, ne sauroient être comparées aux peintures d'Herculane. Le roi des deux Siciles peut seul se vanter d'avoir, & la plus vaste collection qu'on connoisse en ce genre, & même des espèces de chef d'oeuvres parfaitement conservés.

A peine les tableaux des murs d'Herculanum avoient passé des ténebres au grand jour, qu'on porta la curiosité dans l'intérieur d'un maison qu'on venoit de découvrir à souhait. On y entra; & dans une chambre de plain - pié, on y trouva quelques caraffes de crystal, un petit étui de bronze renfermant des poinçons pour écrire sur des tablettes de cire, & une lame d'airain, sur laquelle on lisoit des immunités accordées par Titus aux affranchis qui voudroient s'appliquer à la navigation.

En parcourant la maison dont nous parlons, on trouva dans une chambre du haut (qui étoit peut - être la cuisine) plusieurs vases de terre & de bronze, & entr'autres des oeufs entiers, des noix, des noisettes, belles en dehors, mais pleines de cendres en dedans.

Près de cette maison étoit un temple de Neptune, avec la statue du Dieu. Dans un endroit de ce temple sont représentées des galeres avec leurs combattans, & ces galeres n'ont qu'un rang de rames.

Ailleurs on découvrit une cave, contenant de grands vases de terre cuite, posés dans le gravois, & ensevelis tout - à - fait sous terre, à l'exception des gouleaux enchâssés dans un banc de marbre, qui régnoit tout autour de la cave. La capacité de ces [p. 153] vases pouvoit être, à ce qu'on conjecture, d'environ dix barrils mesure de Toscane; je dis à ce qu'on conjecture, car malheureusement tout fut brisé au grand regret des Antiquaires. Au sortir de cette cave, on découvrit une statue de bronze, représentant le fils de Jupiter & d'Alcmene; une lanterne à deux meches, & un bracelet d'or ciselé.

Dès qu'on eut commencé de rompre le pavé de mosaïque du temple d'Hercule, l'on trouva sous ce pavé des piédestaux de marbre, plusieurs lacrymatoires, & divers fragmens de métal blanc qui servoient de miroir.

En avançant d'autres fouilles, on apperçut quelques édifices qui avoient une suite uniforme de petites galeries pavées en mosaïque, des fenêtres de médioere grandeur, & dans quelques - unes des restes de pierres diaphanes, faites de talc ou d'albâtre très - fin.

Après de nouveaux travaux, l'étonnement redoubla à la vue de huit statues colossales assises qui ont été restaurées, & qui servent d'embellissement au théâtre de la maison royale de Portici.

L'oeil fut ensuite récréé par le spectacle de quantité de vases, trépiés, & statues d'idoles de plusieurs pieces qui sembloient sortir de ces fouilles, comme d'une source. Dans quelques - uns de ces vases, l'on a trouvé des provisions de toute espece, comme grains, fruits, olives, réduits en charbons; ainsi qu'un pâté d'environ un pié de diametre, serré dans sa tourtiere & clos dans le four.

On n'a gardé cependant de toutes les curiosités de ce genre qu'un seul pain, semblable de figure à deux pains posés l'un sur l'autre, dont celui de dessous est plus plat, & celui de dessus plus rond. Autour de ce pain on lit: Seligo C. Granii E. Cicere. Il a environ huit pouces de diametre sur quatre de hauteur. Seroit - il de la qualité de ceux dont Juvenal dit:

Et tener, & niveus, molli seligine factus Servatur domino.

Mais que ce soit un pain mollet ou non, il est entier, & le roi des deux Siciles l'a mis dans des crvstaux comme une chose très singuliere. Rien n'est en effet plus rare, que de posséder du pain de seize siècles, conservant encore sa forme & son étiquete.

A ces découvertes succéda celle de quantité de nouvelles peintures, dont voici les principales. Une chasse de cerfs & de sangliers; une victoire; un vase de fleurs avec un chevreuil de chaque côté; deux muses, dont l'une joue de la lyre, & l'autre a un masque qui couvre son visage; trois têtes de Méduse; deux têtes d'animaux imaginaires; un oiseau qui voltige autour d'un cerf; un prêtre de Bacchus qui joue des timbales; un autre assis sur un tigre; Ariane abandonnée sur le rivage de la mer, & Thésée qui s'enfuit sur son vaisseau; Jupiter sous diverses formes; Hercule qui extermine les oiseaux du lac Stymphale; six ou sept tableaux représentant chacun une bacchante, qui se prépare à danser, & qui est vêtue d'une étoffe de gaze avec toute la recherche imaginable, pour former la nudité variée des épaules & du sein; enfin d'autres peintures offrent des marines, des coupes d'architecture, & des édifices élégans représentés en perspective & dans toutes les regles de ce genre si difficile.

Laissons aux Antiquaires le soin de parler des médailles que les ruines d'Herculanum ont procurées à sa majesté des deux Siciles, & en particulier des médailles de Vitellius en bronze, grandes & moyennes qui sont rares; la légende de celles - ci du principal côté est: A. Vitellius Germanicus Imp. Aug. P. M. Fr. P. Les revers sont différens. Dans quelques uns, on voit Mars avec la lance & l'enseigne romaine. Dans d'autres, la paix tient de la main droite le rameau d'olivier, & de la gauche la corne d'abondance.

Mais nous ne devons pas taire les lampes en grand nombre, qui ont été trouvées à Herculanum, & qui sont presque toutes consacrées à Vénus. Les anciens poëtes nous peignent cette ville & ses environs, comme un des siéges de l'empire de cette déesse. Pour juger à quel point on y portoit son culte, il ne faut que jetter un coup - d'oeil sur les lampes dont nous parlons. Si celles de terre cuite sont modestes en général, les lampes de cuivre sont autant de monumens par leur différentes figures, de la dépravation de l'esprit & des moeurs des habitans qui les possédoient.

Il seroit long de décrire les ustensiles des sacrifices; & ce n'en est pas ici le lieu. Peut - être aussi sera - t - il impossible de connoître précisément la destination de chacun. Il suffira donc de remarquer qu'on en a découvert de toutes especes, en marbre, en verre, en cuivre, en terre cuite, les uns pour les sacrifices proprement dits, les autres pour les libations; ceux - ci pour l'eau lustrale, ceux là pour recevoir le vin dont on arrosoit les victimes, &c.

Outre ces ustensiles sacrés, Herculanum a sourni quelques meubles de ménage ou de luxe, comme tables & trépiés. Parmi les tables entieres, on en vante une d'un marbre couleur de fer, avec son pied de la même matiere, représentant 10. On ne loue pas moins le trépié que le roi des deux Siciles a placé dans son appartement. Les ornemens de ce trépié sont d'un goût délicat, & la cuvette est soutenue par trois sphynx aîlés d'une très - belle ciselure.

Les autres curiosités consistent en casques, armes de differentes especes, cuillers, bouteilles, vases, chandeliers, pateres, urnes, anneaux, agraffes, boucles d'oreilles, colliers & bracelets, indépendamment d'une cassette qui contenoit les instrumens propres aux occupations des femmes, comme ciseaux, aiguilles, dés à coudre, &c.

Ma joie seroit grande, si je pouvois terminer cet article par la nouvelle d'un beau manuscrit, tiré des ruines d'Herculanum: mais dans le petit nombre de ceux qu'on a déterrés de cette ville souterraine, ou l'écriture étoit effacée, ou les feuilles si fort collées les unes aux autres, qu'elles ont parti par lambeaux. Nous serions trop heureux si les excavations fussent tombées sur le temple d'un homme de lettres; je veux dire, sur une maison écartée, consacrée aux muses, dans laquelle on eût trouvé en bon état quelqu'un de ces précieux ouvrages complets qui nous manquent toujours, comme un Diodore de Sicile, un Polybe, un Saluste, un Tite Live, un Tacite, la seconde partie des fastes d'Ovide, les vingt - quatre livres de la guerre des Germains, que Pline commença lorsqu'il servoit dans ce pays; ou bien enfin, puisque ce peuple aimoit tant le théâtre, un Eschyle, un Eurypide, un Aristophane, un Ménandre; certes on pouvoit se flatter de ce dernier genre de découvertes.

La Campanie où étoit Herculanum, n'offroit pas seulement une contrée délicieuse par la fécondité de ses champs, la beauté de ses fruits, l'aménité de ses bords, la salubrité de son air, mais encore par le séjour que les muses faisoient dans son voisinage. La plûpart des beaux - esprits de Rome sembloient s'être accordés pour venir habiter toutes les campagnes d'alentour. Enfin Herculanum étoit, pour ainsi dire, ceinte & munie de domiciles des sciences, & d'atteliers des beaux - arts. Ciceron, Pompée, celui qui le vainquit à Pharsale, & tant d'autres Romains, aussi célebres par leur savoir que par leur habileté dans la conduite de l'état, avoient des mai<pb->

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.