ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"89"> fre rien que de naturel, qui ne trouve de beauté que dans le simple, n'est que le langage de l'homme réduit à la raison. La langue hébraïque au contraire est la vraie langue de la Poésie, de la prophétie, & de la révélation; un feu céleste l'anime & la transporte: quelle ardeur dans ses cantiques! quelles sublimes images dans les visions d'Isaïe! que de pathétique & de touchant dans les larmes de Jérémie! on y trouve des beautés & des modeles en tout genre. Rien de plus capable que ce langage pour élever une ame poétique; & nous ne craignons point d'assûrer que la Bible, en un grand nombre d'endroits supérieure aux Homere & aux Virgile, peut inspirer encore plus qu'eux ce génie rare & particulier qui convient à ceux qui se livrent à la Poésie. On y trouve moins à la vérité, de ce que nous appellons méthode, & de cette liaison d'idées où se plaît le flegme de l'occident: mais en faut - il pour sentir? Il est fort singulier, & cependant fort vrai, que tout ce qui compose les agrémens & les ornemens du langage, & tout ce qui a formé l'éloquence, n'est dû qu'à la pauvreté des langues primitives; l'art n'a fait que copier l'ancienne nature, & n'a jamais surpassé ce qu'elle a produit dans les tems les plus arides. De - là sont venues toutes ces figures de Rhétorique, ces fleurs, & ces brillantes allégories où l'imagination déploie toute sa fécondité. Mais il en est souvent aujourd'hui de toutes ces beautés comme des fleurs transportées d'un climat dans un autre; nous ne les goûtons plus comme autrefois, parce qu'elles sont déplacées dans nos langues qui n'en ont pas un besoin réel, & qu'elles ne sont plus pour nous dans le vrai; nous en sentons le jeu, & nous en voyons l'artifice que les anciens ne voyoient pas. Pour nous, c'est le langage de l'art; pour eux, c'étoit celui de la nature.

La vivacité du génie oriental a fort contribué aussi à donner cet éclat poétique à toutes les parties de la Bible qui en ont été susceptibles, comme les hymnes & les prophéties. Dans ces ouvrages, les pensées triomphent toûjours de la stérilité de la langue, & elles ont mis à contribution le ciel, la terre & toute la nature, pour peindre les idées où ce langage se resusoit. Mais il n'en est pas de même du simple récitatif & du style des annales. Les faits, la clarté, & la précision nécessaire ont gêné l'imagination sans l'échauffer; aussi la diction est - elle toûjours seche, aride, concise, & cependant pleine de répétitions monotones; le seul ornement dont il paroît qu'on a cherché à l'embellir, sont des consonnances recherchées, des paronomasies, des métathèses, & des allusions dans les mots qui présentent les faits avec un appareil qui ne nous paroîtroit aujourd'hui qu'affectation, s'il falloit juger des anciens selon notre façon de penser, & de leur style par le nôtre.

Caïn va - t - il errer dans la terre de Nod, après le meurtre d'Abel, l'auteur pour exprimer fugitif, prend le dérivé de nadad, vagari, pour faire allusion au nom de la contrée où il va.

Abraham part - il pour aller à Gerare, ville d'Abimelech; comme le nom de cette ville sonne avec les dérivés de gur & de ger, voyager & voyageur, l'Ecriture s'en sert par préférence à tout autre terme, parce que peregrinatus est in Gerarâ présente par un double aspect peregrinatus est in peregrinatione.

Nabal refuse - t - il à David la subsistance, on voit à la suite que chez Nabal étoit la folie, que l'Ecriture exprime alors par nebalah.

Ces sortes d'allusions si fréquentes dans la Bible tiennent à ce goût que l'on y remarque aussi de donner toûjours l'étymologie des noms propres: chacune de ces étymologies presente de même un jeu de mots qui sonnoit sans doure agréablement aux oreilles des anciens peuples; elles ne sont point toû<cb-> jours régulierement tirées; & il a paru aux Savans qu'elles étoient plus souvent des approximations & des allusions, que des étymologies vraiment grammaticales. On trouve même dans la Bible plusieurs allusions différentes à l'occasion d'un même nom propre. Nous nous bornerons à un exemple déjà connu. Le nom de Moyse, en hébreu Moschéh, que le vulgaire interprete retiré des eaux, ne signifie point à la lettre retiré, ni encore moins retiré des eaux, mais retirant, ou celui qui retire. Si cependant la fille de Pharaon lui a donné ce nom en le sauvant du Nil, c'est qu'elle ne sçavoit pas l'hébreu correctement, ou qu'elle s'est servie d'une dialecte différente, ou qu'elle n'a cherché qu'une allusion générale au verbe maschah, retirer. Mais il est une autre allusion à laquelle le nom de Moschéh convient davantage; c'est dans ces endroits si fréquens, où il est dit, Moïse qui nous a ou qui nous a retirés d'Egypte. Ici l'allusion est vraiment grammaticale & réguliere, puisqu'elle peut présenter littéralement, le retireur qui nous a retirés d'Egypte. C'est un genre de pléonasme historique fort commun dans l'Ecriture, & duquel il faut bien distinguer les pléonasmes de Rhétorique, qui y sont encore plus communs; sans quoi on courroit le risque de personnifier des verbes & autres expressions du discours, ainsi qu'il est arrivé dans la Mythologie des peuples qui ont abusé des langues de l'orient.

Cette sréquence d'allusions recherchées dans une langue où les consonnances étoient d'ailleurs si naturelles, à cause du fréquent retour des mêmes expressions, a de quoi nous étonner sans doute; mais il est vraissemblable que la stérilité des mots qui obligeoit de les ramener souvent, est ce qui a donné lieu par la suite à les rechercher avec empressement. Ce qui n'étoit d'abord que l'effet de la nécessité a été regardé comme un agrément; & l'oreille qui s'habitue à tout y a trouvé une grace & une harmonie dont il a fallu orner une multitude d'endroits qui pouvoient s'en passer. Au reste, de tous les agrémens de la diction, c'est à celui - là particulierement que tous les anciens peuples se sont plû, parce qu'il est presque naturel aux premiers efforts de l'esprit humain; & que l'abondance n'ayant point été un des caracteres de leur langue primitive, ils n'ont point crû devoir user du peu qu'ils avoient avec cette sobriété & cette délicatesse moderne, enfans du luxe des langues. Nous en voyons même encore tous les jours des exemples parmi le peuple, qui est à l'égard du monde poli ce que les premiers âges du monde renouvellé sont pour les nôtres. On le voit chez toutes les nations qui se forment, ou qui ne se sont pas encore livrées à l'étude. On ne trouve plus dans Cicéron ces jeux sur les noms & sur les mots si fréquens dans Plaute; & chez nous les progrès de l'esprit & du génie ont supprimé ces concetti qui ont fait les agrémens de notre premiere littérature. Nous remarquerons seulement que nous avons conservé la rime qui n'est qu'une de ces anciennes consonnances si familieres aux premiers peuples, dont nos peres l'ont sans doute héritée. Quoique son origine se perde pour nous dans des siecles ténébreux, nous pouvons soupçonner que cette rime ne peut être qu'un présent oriental, puisque ce nom même de rime qui n'a de racine dans aucune langue d'Europe, peut signifier dans celles de l'orient l'élévation de la voix, ou un son élevé.

Nous ne sommes point entrés dans ce détail pour faire des reproches aux écrivains hébreux qui n'ont point été les inventeurs de leur langue, & qui ont été obligés de se servir de celle qui étoit en usage de leur tems & dans leur nation. Ils n'ont fait que se conformer au génie & au caractere de la langue reçûe & à la tournure de l'esprit national dont Dieu a [p. 90] bien voulu emprunter le goût & le langage. Toutes les nations orientales ont eu, comme les Hébreux, ce style familier en allusion; & ceux d'entre eux qui ont voulu écrire en langues européennes, n'ont pas manqué de se dévoiler par là; tels sont entre autres ceux qui ont composé les sibylles vraies ou fausses dont nous avons quelques fragmens. Il ne faut que ce passage apocalyptique pour y reconnoître le pays de leurs auteurs:

*E)/S2AI KAI\ *SA/MOS2 A)/MMOS2, E)S2AI *DH=LOS2 A\DHLOS2, KAI\ *RW(/MH RU(/MH; Et erit Samos arena, erit Delos ignota, & Roma vicus.

Nous ne devons donc trouver rien d'extraordinaire ni de particulier dans le style des livres saints; il faut toûjours avoir égard aux tems & aux peuples: la seule différence que nous devions mettre entre les auteurs sacrés & les autres orientaux, c'est que comme pour le fond des choses ils ont été inspirés, ils n'ont jamais sacrifié la vérité aux allusions & aux autres agrémens de la diction; en quoi ils auroient dû être pris pour modeles des autres écrivains de leur nation, qui n'ont souvent usé du caractere & du goût de leur langue, que pour inventer des fables. Nous pouvons même dire en faveur des auteurs sacrés qui se sont ordinairement conformés à ce genre de style, que l'on juge par une multitude d'endroits, qu'ils ont eu la sage discrétion d'éviter très - souvent certaines allusions qui devoient naturellement se présenter à leurs yeux, & leur offrir des expressions quelquefois très - relatives aux différens objets qu'ils avoient à traiter. Entre autres exemples de cette prudente retenue, dont il y a mille traces dans les saintes Ecritures, on peut citer le troisieme chapitre de la Genèse, qui contient l'histoire de la triste chûte de nos premiers peres; ce récit est de la plus belle simplicité dans le texte comme dans les traductions, & sans aucune affectation dans le choix des mots. Mais quiconque possede l'hébreu apperçoit aisément quelle a dû être l'attention de l'auteur pour écarter séverement toutes les expressions analogues au nom d'Eve, & au sujet historique de ce chapitre, quoiqu'elles se présentent d'elles - mêmes & qu'elles soient comme autant de coups de pinceau singulierement propres au tableau de la source de toutes nos miseres. Nous en rapporterons quelques - unes, pour faire connoître l'attention particuliere des auteurs sacrés, & leur sagesse à éviter le monotone, & à chasser des mots qui auroient paru mystérieux à un peuple qui ne cherchoit que trop le mystère.

, havah, Eve, la vie, & de plus, existence & souffrance; , hevah, la bête, & chez les Phéniciens evi, un serpent; , havah, montrer, indiquer; , ev, arbrisseau & son fruit; , havah, le bien & le mal, la misere & la richesse; , ev, , eveh, & , avah, desir, passion ardente, concupiscence, amour; , avah, commettre le mal, se pervertir; , malice, vice, iniquité; , hava, se cacher; , hevion, cachette; , le crime & sa peine, le peché & la douleur; , eveion, misere & misérable, pauvre & pauvreté; , evah, haine, inimitié. Telles sont en partie les expressions que la sagesse des auteurs sacrés a évitées; ce qu'ils n'ont pû faire sans doute sans quelque attention, pour n'employer que des synonymes indifférens, dont le sens égal en valeur a rendu l'historique, en épargnant aux oreilles & à l'esprit le monotone & le singulier. Ceux des rabbins qui ont été les premiers auteurs des contes judaïques, n'eussent jamais été capables d'une semblable discrétion; & cherchant Eve & son histoire dans les mots même où la finale varie selon la licence qu'ils se donnent, ils auroient vû encore, aval, trompeur, séducteur; avel, séduction; aven, mensonge; avac, s'enorgueillir; havar, rougir; hevis, pudeur, honte, confusion; aval, pleurer, gémir; hevel, douleur, accouchement douloureux; avedah, servante; avad, travailler, labourer; avad, périr, mourir; avaq, poussiere; haval, rentrer au néant, &c.

Que ce soit la pauvreté du langage qui ait réduit les écrivains orientaux à ces consonnances, ainsi que nous venons de le dire, & le peu de variété qui se trouve très - souvent entre des mots qui désignent des choses très contraires, il est certain qu'ils avoient peu d'autre moyen d'orner & d'embellir leur diction. L'hébreu manque de ces mots composés qui ont si fort enrichi les anciennes langues de l'Europe: il a fallu qu'il tirât tout d'un certain nombre de racines qui n'ont ordinairement que trois lettres, & d'un nombre très - borné de dérivés qui varient peu leur son. Les substantifs n'ont que le plurier & le singulier, & sont d'ailleurs indéclinables; ils sont masculins & féminins, & jamais neutres. Pour distinguer les cas, on se sert d'articles ou de lettres préfixes, dont l'usage varie & dont l'application est fort incertaine. Les verbes manquent des modes les plus nécessaires, & n'ont que le passé & le futur. On ne peut pas y dire j'aime, mais je suis aimant: de - là vient peut - être qu'ils usent souvent du futur en sa place. Pour exprimer les autres temps, on est obligé de se servir de diverses autres tournures, ou de lettres préfixes qui caractérisent aussi les personnes. Le prétérit, dont la troisieme personne est toûjours la racine ou le thème du verbe, comme l'infinitif chez les Latins, sert encore d'imparfait, de plusqueparfait, de prétérit antérieur, & de conditionnel passé: ainsi pacad, il a visité, marque aussi il visitoit, il avoit visité, il eût visité, il auroit visité; d'où il suit nécessairement un monotone dans le style, & quelquefois de l'incertitude pour le sens. Enfin presque toûjours privé d'adjectif, sans copulatif & sans degré de comparaison, ce n'est que par des circonlocutions particulieres, & par des répétitions qui ne peuvent point toûjours avoir de l'élégance, que cette langue écrit mauvais mauvais pour très - mauvais, puits puits pour plusieurs puits, homme d'iniquité pour homme inique, terre de sainteté pour terre sainte, & montagnes de Dieu, cedres de Dieu, pour très - hautes montagnes & très - grands cedres. C'est ainsi que l'emphase & l'hyperbole sont aussi sorties d'une véritable inanition. Au milieu de cette disette, l'hébreu a cependant la singularité d'avoir sept conjugaisons pour chaque verbe; trois sont actives, trois passives, & une réciproque: aimer, aimer beaucoup ou point - dutout, faire aimer, sont les trois actives: être aimé, être aimé beaucoup ou point - du - tout, être fait aimé, sont les trois passives; & la septieme, c'est s'aimer soi - même ou se croire aimé. On doit remarquer que la seconde conjugaison est propre pour la négative comme pour l'affirmative. D'ailleurs cette richesse de conjugaisons n'empêche point que la même ne soit quelquefois indifféremment employée en actif ou passif: c'étoit sans doute une licence permise; & la grammaire hébraïque avoit certainement les siennes, puisqu'il y a peu de regles parmi celles qu'on remarque dans la Bible, où il ne soit pas besoin de mettre quelques exceptions pour suivre le sens des auteurs sacrés.

D'un autre côté, cette langue a l'avantage d'avoir une construction où les mots suivent l'ordre des idées; elle n'a point connu ces phrases renversées des Grecs & des Latins, qui ont souvent préféré l'harmonie des sons à la clarté d'un style simple & direct. Elle doit cet avantage à la cause même de ses autres défauts; c'est - à - dire à sa pauvreté, à la variété des sens de chaque mot, & au peu d'étendue

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