ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"995"> éprouve ce qui doit arriver toûjours de la langueur où l'on a laissé tomber les arts utiles. Il faut vaincre aujourd'hui la mollesse, & détruire l'habitude & le préjugé.

Les exercices du corps si nécessaires à l'homme de guerre, étoient ordonnés chez les Grecs par des lois que les Ephores & les Archontes soûtinrent avec sévérité. Ces exercices étoient publics. Chaque ville avoit son gymnase où la jeunesse étoit obligée de se rendre aux heures prescrites. Le gymnastique chef de ces exercices étoit revêtu d'une grande autorité, & toûjours choisi par élection parmi les citoyens les plus expérimentés & les plus vertueux. Les jeux olympiques, Néméens, Isthmiens & les Pithiens, ne furent institués que pour juger des progrès que la jeunesse faisoit dans les exercices. On y décernoit des prix à ceux qui avoient remporté la victoire à la course, & dans les combats de la lutte, du ceste, & du pugilat. C'est ainsi que la Grece, trop foible contre la multitude d'ennemis qu'elle avoit souvent à combattre, multiplioit ses ferces, & préparoit ses enfans à devenir egalement intrépides & redoutables dans les combats.

On en voit un exemple bien frappant dans l'action vraiment héroique des trois cents Lacédémoniens qui defendirent le pas des Thermopyles; le courage seul n'eût pu suffire à leur petit nombre pour soûtenir si long - tems les efforts redoubles d'une armée presque innombrable, s'ils n'eussent joint la plus grande force & l'adresse à leur dévouement entier à la defense de la patrie.

Le même art fut cultivé chez les Romains; & leurs plus grands capitaines en donnerent l'exemple. Marceilus, Cesar & Antoine, traversoient couverts de leurs armes des fleuves à la nage; ils marchorent à pié & tête nue à la tête des légions, depuis Rome jusqu'aux extrémités des Alpes, des Pyrénees, & du Caucase. Les dépouilles opimes offertes à Jupiter Ferétrien farent toûjours regardées comme l'action la plus héroique; mais bien - tôt le luxe & la mollesse s'introduisirent, lorsque la voix de Caton & son souvenir eurent perdu leurs droits dans la capitale du monde. Si le siecle d'Auguste vit les Arts le perfectionner, les Belles - Lettres l'éclairer, les moeurs se polir, il vit aussi degénérer toutes les qualités qui avoient rendu les Romains les maîtres de toutes les autres nations.

Les exercices du corps se soûtinrent long - tems parmi les Seythes, les Gaulois, & les Germains; mais il n'est point de nation où ils ayent été plus long - tems pratiqués que chez les François.

Avant l'invention des armes - à feu, la chevalerie françoise décidoit seule du gain d'une bataille; & lorsque nous voyons dans les arsenaux les anciennes armes offensives & défensives dont elle se servoit, nous avons peine à concevoir comment il étoit possible d'en faire usage.

La nature cependant n'a point dégénéré. Les hommes sont les mêmes qu'ils etoient; mais l'éducation est bien différente. On accoûtumoit alors les enfans à porter de certains poids qu'on augmentoit peu - à - peu; on les exerçoit dès que leur force commençoit à se déployer; leurs muscles s'endurcissoient en conservant la souplesse. C'est ainsi qu'on les formoit aux plus durs travaux. L'éducation & l'habitude font presque tout dans les hommes, & les enfans des plus grands seigneurs n'étoient point exempts de ces exercices violens; souvent même un pere envoyoit son fils unique pour être élevé à l'exercice des armes & de la vertu chez un autre chevalier, de peur que son éducation ne fut pas suivie avec assez de rigidité dans la maison paternelle. On nommoit cette espece d'éducation noutriture; & l'on disoit d'un brave chevalier, qu'il aroit reçu chez tel autre une bonne & loüable noutriture. Rien ne pouvoit dispenser de cette éducation militaire tous ceux qui prétendoient à l'honneur d'etre armés chevaliers. Quelles actions héroiques de nos rois & de nos ptinces ne lisons-nous pas dans notre histoire!

Quoique l'usage des armes - à - feu ait changé le système de combattre dans presque toute l'Europe, les exescices propres à former l'homme de guerre se sont soûtenus jusqu'à la minorité du feu roi, mais alors les tournois & les combats de la barriere avec des armes pesantes dégénérerent en courte de brgue & de têtes & en carrousels. Les armes défensives surent changées en ornemens somptueux & en livrées galantes; bien - tôt l'art de combattre de sa personne fut négligé; la mollesse s'introduisit au point de craindre même de se servir de la seule arme défensive qui nous reste de l'ancienne chevalerie; & la cuirasse devenant un poids trop incommode, on attacha l'idée d'une fine valeur à ne s'en plus servir.

Les ordonnances du Roi ont remédié à cet abus; & la raison éclairée démontre à l'homme de guerre que lorsqu'il ne se tient pas en état de bien combattre de sa personne, il s'expose à devenir inutile à lui - même & à sa patrie en beaucoup d'occasions, & à donner l'exemple de la mollesse à ceux qui sont sous ses ordres.

La valeur est sans doute la vertu la plus essentielle à l'homme de guerre; mais heureusement c'est la plus commune. Eh, que seroit - il, s'il ne la possédoit pas?

Il n'est personne qui dans le fond de son coeur ne se rende justice à soi - même. L'homme de guerre doit se connoitre, s'apprétier avec sevérité; & lorsqu'il ne ne se sent pas les qualités qui lui sont nécessaires, il manque à la probité, il manque à sa patrie, à son roi, à lui même, s'il s'expose à donner un mauvais exemple, & s'il occupe une place qui pourroit être plus dignement remplie.

Le mérite de l'homme de guerre est presque toûjours jugé sainement par ses pareils; il l'est encore avec plus de justice & de sévérité par le simple soldat.

On ne fait jamais plus qu'on ne doit à la guerre. C'est s'exposer à un deshonneur certain, que de négliger d'acquérir les connoissances nécessaires au nouveau grade qu'on est sur d'obtenir; mais malheureusement rien n'est si commun.

Nous n'entrerons point ici dans les détails de la science immense de la guerre. Que pourrions - nous dire qui puisse égaler les écrits immortels des Vauban, des Feuquieres, & des Puységur?

Au reste, on se feroit une idée tres - fausse de l'homme de guerre, si l'on croyoit que tous ses véritables devoirs sont renfermés dans un art militaire qu'il ne lui est pas permis d'ignorer. Exposé sans cesse à la vûe des hommes, destine par état à les commander, le véritable honneur doit lui faire sentir qu'une réputation intacte est la premiere de toutes les récompenses.

Nous nous renfermons ici dans les seuls devoirs respectifs des hommes. L'homme de guerre n'est dispensé d'en remplir aucun. Si par des circonstances toûjours douloureuses pour une belle ame il se trouve dans le cas de pouvoir se dire comme Abner,

Ministre rigoureux des vengeances des rois;
qu'il reçoive, qu'il excite sans cesse dans son ame les sentimens de ce même Abner; qu'il distingue le mal nécessaire que les circonstances l'obligent à faire, d'avec le mal inutile & les brigandages qu'il ne doit point tolérer; qu'au milieu des spectacles cruels & des desordres qu'enfante la guerre, la pitié trouve toûjours un accès facile dans son coeur; & que rien ne puisse jamais en bannir la justice, le desintéressement, & l'amour de l'humanité. Article de M. le Comte de Tressan.

Guerre (Page 7:995)

Guerre, (Droit naturel & Politique.) c'est, com<pb-> [p. 996] me on l'a dit plus haut, un différend entre des souverains, qu'on vuide par la voie des armes.

Nous avons hérité de nos premiers ayeux, Dès l'enfance du monde ils se faisoient la guerre.

Elle a regné dans tous les siecles sur les plus legers fondemens; on l'a toûjours vû desoler l'univers, épuiser les familles d'héritiers, remplir les états de veuves & d'orphelins; malheurs déplorables, mais ordinaires! De tout tems les hommes par ambition, par avarice, par jalousie, par méchanceté, sont venus à se dépouiller, se brûler, s'égorger les uns les autres. Pour le faire plus ingénieusement, ils ont inventé des regles & des principes qu'on appelle l'Art militaire, & ont attaché à la pratique de ces regles l'honneur, la noblesse, & la gloire.

Cependant cet honneur, cette noblesse, & cette gloire consistent seulement à la défense de sa religion, de sa patrie, de ses biens, & de sa personne, contre des tyrans & d'injustes aggresseurs. Il faut donc reconnoître que la guerre sera légitime ou illégitime, seicon la came qui la produira; la guerre est legitime, si elle se fait pour des raisons évidemment justes; elle est illégitime, si l'on la fait sans une raison juste & suffisante.

Les souverains sentant la force de cette vérité, ont grand soin de répandre des manifestes pour justifier la guerre qu'ils entreprennent, tandis qu'ils cachent soigneusement au public, ou qu'ils se cachent à eux - mêmes les vrais motifs qui les déterminent. Ainsi dans la guerre d'Alexandre contre Darius, les raisons justificatives qu'employoit ce conquérant, rouloient sur les injures que les Grecs avoient reçûes des Perses; les vrais motifs de son entreprise étoient l'ambition de se signaler, soûtenue de tout l'espoir du succès. Il ne seroit que trop aisé d'apporter des exemples de guerres modernes entreprises de la même maniere, & par des vûes également odieuses; mais nous n'approcherons point si près des tems où nos passions nous rendent moins équitables, & peut - être encore moins clairvoyans.

Dans une guerre parfaitement juste, il faut non seulement que la raison justificative sol très - légitime, mais encore qu'elle se confonde avec le motif, c'est - à - dire que le souverain n'entreprenne la guerre que par la nécessité où il est de pourvoir à sa conservation. La vie des états est comme celle des hommes, dit très - bien l'auteur de l'esprit des lois; ceux - ci ont droit de tuer dans le cas de la défense naturelle, ceux - là ont droit de faire la guerre pour leur propre conservation: dans le cas de la défense naturelle, j'ai droit de tuer, parce que ma vie est à moi, comme la vie de celui qui m'attaque est à lui; de même un état fait la guerre justement, parce que sa conservation est juste, comme toute autre conservation.

Le droit de la guerre dérive donc de la nécessité & du juste rigide. Si ceux qui dirigent les consciences ou les conseils des princes ne se bornent pas là, tout est perdu; car les principes arbitraires de gloire, de biemeance, d'aggrandissement, d'utilité, ne sont pas des droits, ce sont des horreurs; si la réputation de la puissance d'un monarque peut augmenter les forces de son royaume, la réputation de sa justice les augmenteroit de même.

Mais toute guerre est injuste dans ses causes, 1°. lorsqu'on l'entreprend sans aucune raison justificative, ni motif d'utilité apparente, si tant est qu'il y ait des exemples de cette barbarie: 2°. lorsqu'on atraque les autres pour son propre intérêt, sans qu'ils nous ayent fait de tort réel, & ce sont - là de vrais brigandages: 3°. lorsqu'on a des motiss fondés sur des causes justificatives spécieuses, mais qui bien examinées sont réellement illégitimes: 4°. lorsqu'avec de bonnes raisons justificatives, on entreprend la guerre par des motifs qui n'ont aucun rapport avec le tort qu'on a reçu, comme pour acquérir une vaine gloire, se rendre redoutable, exercer ses troupes, étendre sa domination, &c. Ces deux dernieres sortes de gnerre sont très - communes & très - iniques. Il faut dire la même chose de l'envie qu'auroit un peuple, de changer de demeure & de quitter une terre ingrate, pour s'établir à force ouverte dans un pays fertile; il n'est pas moins injuste d'attenter par la voie des armes sur la liberté, les vies, & les domaines d'un autre peuple, par exemple des Américains, sous prétexte de leur idolatrie. Quiconque a l'usage de la raison, doit jouir de la liberté de choisir lui - même ce qu'il croit lui être le plus avantageux.

Concluons de ces principes que toute guerre juste doit se faire pour nous défendre contre les attaques de ceux qui en veulent à nos vies & à nos possessions; ou pour contraindre les autres à nous rendre ce qu'ils nous doivent en vertu d'un droit parfait & incontestable qu'on a de l'exiger, ou pour obtenir la réparation du dommage qu'ils nous ont in ustement causé: mais si la guerre est légitime pour les raisons qu'on vient d'alléguer, c'est encore à cette seule condition, que celui qui l'entreprend se propose de venir par ce moyen violent à une paix solide & durable.

Outre la distinction de la guerre, en celle qui est juste & celle qui est injuste, quelques auteurs politiques distinguent la guerre en guerre offensive & en défensive. Les guerres défensives sont celles que les souverains entreprennent pour se défendre contre d'autres souverains, qui se proposent de les conquérir ou de les détruire. Les guerres offensives sont celles que les souverains font pour forcer d'autres souverains à leur rendre ce qu'ils prétendent leur être dû, ou pour obtenir la réparation du dommage qu'ils estiment qu'on leur a causé très - injustement.

On peut admettre cette distinction, pourvû qu'on ne la confonde pas avec celle que nous avons établie, & qu'on ne pense pas que toute guerre défensive soit juste, & que toute guerre offensive soit injuste; car il y a des guerres offensives qui sont justes, comme il y a des guerres défensives qui sont injustes. La guerre offensive est injuste, lorsqu'elle est entreprise sans une cause légitime, & alors la guerre defensive, qui dans d'autres occasions pourroit être injuste, devient très - juste. Il faut donc se contenter de dire, que le souverain qui prend le premier les armes, soit qu'il le fasse justement ou injustement, commence une guerre ossensive, & que celui qui s'y oppose, soit qu'il ait ou qu'il n'ait pas tort de le faire, commence une guerre défensive. Ceux qui regardent le mot de guerre offensive comme un terme odieux, qui renferme toûjours quelque chose d'injuste, & qui considerent au - contraire la guerre défensive comme inséparable de l'équité, s'abusent sur cette matiere. Il en est des princes comme des particuliers en litige: le demandeur qui entame un procès a quelquefois tort, & quelquefois raison; il en est de même du défendeur: on a tort de ne vouloir pas payer une somme justement dûe, comme on a raison de se défendre de payer ce qu'on ne doit pas.

Quelque juste sujet qu'on ait de faire la guerre offensive ou défensive, cependant puisqu'elle entraine après elle inévitablement une infinité de maux, d'injustices, & de desastres, on ne doit se porter à cette extrémité terrible qu'après les plus mûres considérations. Plutarque dit là - dessus, que parmi les anciens Romains, lorsque les prêtres nommés seciaux avoient conclu que l'on pouvoit justement entreprendre la guerre, le sénat examinoit encore s'il seroit avantageux de s'y engager.

En effet, ce n'est pas assez que le sujet de la guerre soit juste en lui - même, il faut avant que d'en venir

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