ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"816"> mage point de la non - valeur de cette denrée dans les bonnes années; il n'y a que quelques propriétaires aisés qui peuvent attendre les tems favorables pour la vente du blé de leur récolte, qui puissent en profiter.

Il faut donc, à l'égard de cette culture, n'envisager la valeur du blé que conformément au prix ordinaire des bonnes années; mais le peu de debit qu'il y a alors dans les provinces eloignées de la capitale, tient le blé à fort bas prix: ainsi nous ne devons l'évaluer qu'à 12 liv. le septier, froment & seigle, dans les provinces où les terres sont traitées par la petite culture. C'est en effet dans ces provinces, que le prix du blé ne peut soûtenir les frais pécuniaires de la grande culture; qu'on ne cultive les terres qu'aux dépens des terres mêmes, & qu'on en tire le produit que l'on peut en les faisant valoir avec le moins de dépenses qu'il est possible.

Ce n'est pas parce qu'on laboure avec des boeufs, que l'on tire un si petit produit des terres; on pourroit par ce genre de culture, en faisant les depenses necessaires, tirer des terres à - peu - pres autant de produit que par la culture qui se fait avec les chevaux: niais ces depenses ne pourroient être faites que par les propriétaires; ce qu'ils ne feront pas tant que le commerce du ble ne sera pas libre, & que les nonvaleurs de cette denrée ne leur laisseront appercevoir qu'une perte certaine.

On estime qu'il y a environ trente millions d'arpens de terres traitées par la petite culture; chaque arpent du sort au foible produisant, année commune, le grain quatre, ou trente - deux boisseaux non compris la dixme; de ces trente - deux boisseaux il faut en retrancher huit pour la semence. Il reste deux septiers qui se partagent par moitié entre le propriétaire & le métayer. Celui - ci est chargé de la taille & de quelques frais inevitables.

Trente millions d'arpens de terres traitées par la petite culture, sont divisés en deux soles qui produisent du blé alternativement. Il y a quinze millions d'arpens qui portent du blé tous les ans, excepté quelques arpens que chaque métayer reserve pour ensemencer en grains de Mars: car il n'y a point par cette culture de sole particuliere pour ces grains. Nous ne distinguerons point dans les quinze millions d'arpens, la petite récolte des graines de Mars, de celle du ble; l'objet n'est pas assez considérable pour entrer dans ce détail. D'ailleurs la récolte de chaque arpent de blé est si foible, que ces deux sortes de recoltes different peu l'une de l'autre pour le produit.

  Chaque arpent de ble donnant du fort
au foible quatre pour un, ou deux septiers,
semence prélevée, & non compris la dixme; 
le septier à 12 liv. année commune,
froment & seigle, le produit en argent
pour les deux septiers est . . . . . . . .    24
  Ajoûtez un  en - dehors qui a été enlevé 
pour la dixme prise sur toute la récolte,
semence comprise . . . . . . . . . . .     2     13
     Total. . . . . . . . . . . . . . . .    26     13

Les 24 liv. ou les deux septiers se distribuent ainsi:

 Au propriétaire pour les intérêts de              12
ses avances, pour quelques autres frais,            12
pour le dédommagement des fonds oc - 12
cupes pour la nourriture des boeufs de              12
labour . . . . . . . . . . . . . . . . .       9    12
  Pour lui tenir lieu de deux années de            12
fermage, à 1 l. 10 s. par chaque année         3    12
  Au métayer pour ses frais, son entre - 12
tien, & sa subsistance . . . . . . . . .      10    12
  Pour le payement de sa taille . . . .       1    12
  Pour ses risques & profits. . . . . .       1    12

Le produit total de 26 liv. 13 s. par chaque arpent se partage donc ainsi:

  Pour le fermage de deux années..  3     5
  Pour la taille . . . . . . . . .  1     5
  Pour le métayer. . . . . . . . .  1     5
  Pour la dixme. . . . . . . . . .  2 13 21  13
  Pour les frais . . . . . . . . . 19    21  13
     Produit total . . . . . . . . . . . 26  13

La récolte en blé des 15 millions d'arpens traites par la petite culture, donne, la dixme comprise & la semence prélevée, 33,150,000 septiers, qui valent en argent 397,802,040 liv. dont il y a:

Pour la taille . . . . 15,000,000     75,000,000
Pour les propriétaires 45,000,000     75,000,000
Pour les métayers . .  15,000,000     75,000,000
Pour la dixme . . . .  37,802,040    322,802,040
Pour les frais. . . . 285,000,000    322,802,040
  Produit total . . . . . . . . .   397,802,040

Total des preduits de la grande & de la petite culture réunis.
[omission: table; to see, consult fac-similé version]

Etat d'une bonne culture des grains. La gêne dans le commerce des grains, le défaut d'exportation, la dépopulation, le manque de richesses dans les campagnes, l'imposition indéterminée des subsides, la levée des milices, l'exces des corvées, ont réduit nos récoltes à ce petit produit. Autrefois avec un tiers plus d'habitans qui augmentoient la consommation, notre culture sournissoit à l'étranger une grande quantité de grains; les Anglois se plaignoient en 1621, de ce que les François apportoient chez eux des quantités de blé si considérables & à si bas prix, que la na<cb-> tion n'en pouvoit soûtenir la concurrence dans ses marchés (m); il se vendoit alors en France 18 l. de notre monnoie actuelle: c'étoit un bas prix dans ce siecle. Il falloit donc que nos récoltes produisissent dans ces tems - là au - moins 70 millions de septiers de blé; elles en produisent aujourd'hui environ 45 millions: un tiers d'hommes de plus en consommoit 20 millions au - delà de notre consommation actuelle, & le royaume en fournissoit encore abondamment à l'étranger;

(m) Traité des avantages & des desavantages de la Grande - Bretagne.
[p. 817] cette abondance étoit une heureuse suite du gouvernement économique de M. de Sully. Ce grand ministre ne desiroit, pour procurer des revenus au roi & à la nation, & pour soutenir les forces de l'état, que des laboureurs, des vignerons, & des bergers.

Le retablissement de notre culture suppose aussi l'accioissement de la population; les progrès de l'un & de l'autre doivent aller ensemble; le prix des grains doit sur passer les frais de culture: ainsi il faut que la consommation intérieure & la vente à l'etranger, entretiennent un profit certain sur le prix des grains. La vente a l'etranger facilite le débit, ranime la culture, & augmente le revenu des terres; l'accroissement des revenus procure de plus grandes dépenses qui favorisent la population, parce que l'augmentation des dépenses procure des gains à un plus grand nombre d'hommes. L'accroissement de la population étend la consommation; la consommation soûtient le prix des denrées qui se multiplient par la culture à - proportion des besoins des hommes, c'est - à - dire à - proportion que la population augmente. Le principe de tous ces progrès est donc l'exportation des denrées du crû; parce que la vente à l'étranger augmente les revenus; que l'accroissement des revenus augmente la population; que l'accroissement de la population augmente la consommation; qu'une plus grande consommation augmente de plus en plus la culture, les revenus des terres & la population; car l'augmentation des revenus augmente la population, & la population augmente les revenus.

Mais tous ces accroissemens ne peuvent commencer que par l'augmentation des revenus; voilà le point essentiel & le plus ignoré ou du - moins le plus négligé en France: on n'y a pas même reconnu dans l'emploi des hommes, la différence du produit des travaux qui ne rendent que le prix de la main d'oeuvre, d'avec celui des travaux qui payent la maind'oeuvre & qui procurent des revenus. Dans cette inatrention on a préféré l'industrie à l'Agriculture, & le commerce des ouvrages de fabrication au commerce des denrées du crû: on a même soûtenu des manufactures & un commerce de luxe au préjudice de la culture des terres.

Cependant il est évident que le gouvernerment n'a point d'autres moyens pour faire sleu ir le Commerce, & pour soûtenir & étendre l'industrie, que de veiller à l'accroissement des revenus; car ce sont les revenus qui appellent les marchands & les artisans, & qui payent leurs travaux. Il faut donc cultiver le pie de l'arbre, & ne pas borner nos soins à gouverner les branches; laissons - les s'arranger & s'étendre en liberté, mais ne négligeons pas la terre qui fournit les sucs nécessaires à leur végétation & à leur accroissement. M. Colbert tout occupé des manufactures, a crû cependant qu'il falloit diminuer la taille, & faite des avances aux cultivateurs, pour relever l'Agriculture qui dépérissoit; ce qu'il n'a pû concilier avec les besoins de l'état: mais il ne parle pas des moyens essentiels, qui consistent à assujettir la taille à une impositior reglée & à établir invariablement la liberté du commerce des grains: l'Agriculture sut négligée; les guerres qui étoient continuelles, la milice qui dévastoit les campagnes, diminuerent les revenus du royaume; les traitans, par des secours persides, devinrent les suppôts de l'êtat; la prévoyance du ministre s'étoit bornée à cette malheureuse ressource, dont les effets ont été si funestes à la France*.

* Le financier citoyen, chap. iij. & jv.

La culture du blé est fort chere; nous avons beaucoup plus de terres qu'il ne nous en faut pour cette culture; il faudroit la borner aux bonnes terres, dont le produit surpasseroit de beaucoup les frais d'une bonne culture. Trente millions d'arpens de bonnes terres formeroient chaque année une sole de 10 millions d'arpens qui porteroient du blé: de bonnes terres bien cultivées, produiroient au - moins, année commune, six septiers par arpent, semence prelevée: ainsi la sole de dix millions d'arpens donneroit, la dixme comprise, au - moins 65 millions de septiers de blé. (n) La consommation intérieure venant à augmenter, & la liberté du commerce du blé étant pleinement rétablie, le prix de chaque septier de blé, année commune, peut être évalué à 18 liv. un peu plus ou moins, cela importe peu; mais à 18 liv. le produit seroit de 108 liv. non compris la dixme.

Pour déterminer plus sûrement le prix commun du blé, l'exportation étant permise, il faut faire attention aux variations des produits des récoltes & des prix du blé selon ces produits. On peut juger de l'état de ces variations dans le cas de l'exportation, en se reglant sur celles qui arrivent en Angleterre, où elles ne s'étendent depuis nombre d'années, qu'environ depuis 18 jusqu'à 22 liv. Il est facile de comprendre pourquoi ces variations y sont si peu considérables: l'Agriculture a fait de très - grands progres dans ce royaume; les récoltes, quelque foibles qu'elles y soient, sont toûjours plus que suffisantes pour la subsistance des habitans. Si notre agriculture étoit en bon état, nous recueillerions dans une mauvaise année à - peu - près autant de blé que nous en fournit aujourd'hui une bonne récolte: ainsi on ne pourroit, sans des accidens extraordinaires, éprouver la disette dans un royaume où les moindres récoltes jointes à ce qui resteroit nécessairement des bonnes annees, seroient toûjours au - dessus des besoins des habitans. On peut en juger par l'exposition que nous allons donner des variations des récoltes que produit une bonne culture selon la diversité des années. On y remarquera qu'une mauvaise récolte de 10 millions d'arpens donne 40 millions de septiers de blé sans la recolte d'une même quantité d'arpens ensemencés en grains de Mars.

(n) Nous supposons que chaque arpent produise six septiers, semence prélevée: nons savons cependant qu'un bon arpent de terre bien cultivé doit produire davantage. Nous avons juge à - propos, pour une plus grande sûreté dars l'estimation, de nous fixer à ce produit; mais afin qu'on puisse juger de ce que peut rapporter un arpent de terre, dans le cis dont il sagit ici, nous en citerons un exemple tiré de l'article Ferme, donné par M. le Roy, lieutenant des chasses du paic de Versailles. « J'ai actuellement, dit l'auteur, sous les yeux une ferme qui est de plus de trois cents arpens, dont les terres sont bonnes sans être du premier ordre. Flles étoient il y a quatre ans entre les mains d'un fermier qui les labouroit assez bien, mais qui les fumoit très - mal, parce qu'il vendoit ses pailles, & nourrissoit peu le bétail. Ces terres ne rapportoient que trois à quatre septiers de blé par arpent dans les meillenres années; il s'est ruiné, & on l'a contraint de remettre sa ferme à un autre cultivateur plus industrieux. Tout a changé de face; la dépense n'a point été épargnée; les terres encore mieux labourées qu'elles n'étoient, ont été convertes de troupeaux & de fumier: en deux ans elles on été ameliorée - au point de rapporter dix septiers de blé par arpent, & d'en faire espérer encore plus par la suite. Ce succès sera répété toutes les fois qu'il sera tenté. Multiphons nos troupeaux, nous doublerons presque nos récoltes. Puisse cette persuasion frapper également les fertniers & les propriétaires! Si elle devenoit générale, si elle étoit encouragée, nous verrions bientôt l'Agriculture faire des progrès rapides, nous lui devrions l'abondance avec tous ses effets ».

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