ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Voici l'ordre que tient cette armée d'herboristes: après s'être partagé le terrein selon leurs étendarts, chaque troupe au nombre de cent, s'etend sur une ligne jusqu'à un terme marqué, en gardant de dix en dix une certaine distance: ils cherchent ensuite avec soin la plante dont il s'agit, en avançant insensiblement sur un même rond; & de cette maniere ils parcourent pendant un certain nombre de jours l'espace qu'on leur a marqué.

Ceux qui vont à la décoûverte de cette plante, n'en conservent que la racine, & ils enterrent dans un même endroit tout ce qu ils peuvent en ramasser durant dix ou quinze jours. Ils la recueillent avec beaucoup de soin & d'appareil au commencement du printems, & sur la sin de l'autonne.

Ils ont soin de la bien laver & de la nettoyer, en ôtant tout ce qu'elle a de matiere étrangere, avec un couteau fait de rambou, dout ils se servent pour la ratisser legerement; car ils évitent religieusement de la toucher avec le fer; ils la trempent ensuite un instant dans de l'eau presque bouillante; & puis ils la font secher à la fumée d'une espece de millet jaune, qui lui communique un peu de sa couleur. Le millet renfermé dans un vase avec de l'eau, se cuit à petit feu.

Les racires couchées sur de petites traverses de bois au - dessus du vase, se sechent insensiblement sous un linge ou sous un autre vase qui les couvre. On les fait aussi sécher au soleil, ou même au feu: mais quoiqu'elles conservent leur vertu, elles n'ont pas alors cette couleur que les Chinois aiment davantage. Quand ces racines sont seches, ils les mettent dans des vaisseaux de cuivre bien lavés, & qui ferment bien; ou ils les tiennent simplement dans quelque endroit sec. Sans cette précaution, elles seroient en dangez de se pourrir promptement & d'être rongées de vers. Ils font un extrait des plus petites racines, & ils gardent les feuilles pour s'en servir comme du thé.

Relation qu'en donne Koempfer. Aux détails du P. Jartoux sur cette racine, il est bon de joindre ceux de Koempfer qui y sont assez conformes, quoiqu'il en ait donné une figure fort différente.

Cette plante, dit ce fameux voyageur, si l'on en excepte le thé, est la plus célebre de toutes celles de l'orient, à cause de sa racine, qui y est singulierement recherchée; celle que l'on apporte de Corée dans le Japon, & que l'on cultive dans les jardins de la ville de Méacc, y vient mieux que dans sa propre patrie, mais elle est presque sans vertu: celle qui naît dans les montagnes de Kataja, où l'air est plus froid, dure plus long - tems; sa racine subsiste & ses feuilles tombent en autonne: dans le Japon elle preduit plusieurs tiges chargées de graine, & elle meurt le plus souvent en un an.

Lorsque le tems de ramasser cette racine approche, on met des gardes dans toutes les entrées de la province de Siamsai, pour empêcher les voleurs d'en prendre avant la recolte.

Ces racines étant nouvellement tirées de la terre, on les macere pendant trois jours dans de l'eau froide, où l'on a fait bouillir du riz; étant ainsi macérées, on les suspend à la vapeur d'une chaudiere couverte, placée sur le feu: ensuite étant sechées jusqu'à la moitié, elles acquierent de la dureté, deviennent rousses, résineuses, & comme transparentes; ce qui est une marque de bonté. On prépare les plus grande fibres de la même maniere.

Prix & choix de cette racine. Le prix de cette racine est si haut parmi les Chinois, qu'une livre se vend aux poids de deux & trois livres pesant d'argent; c'est pourquoi on a coûtume de l'altérer de différentes façons; & nos épiciers lui substituent souvent d'autres racines exotiques, ou celle du behen - blanc.

Il faut choisir le gins - eng qui est récent, odorant, & non carié ni vermoulu; ce qui est l'ordinaire: j'en ai vû en 1734 chez Séba, la partie entiere qu'avoit reçû la compagnie hollandoise des Indes orientales, & qu'il venoit d'acheter à la vente publique de cette compagnie: dans cette quantité, qui lui coûtoit d'achat quelques milliers de florins, il y en avoit bien une cinquieme partie de gâtée.

Le P. Lafiteau paroît avoir trouvé la même plante au Canada.

On a eu beau femer la graine de gins - eng, soit à la Chine soit au Japon, elle meurt, ou la racine qu'elle pousse est sans vertu.

On ne la connoissoit que dans les montagnes de la Tartarie dont nous avons parlé, quand le P. Lafiteau jésuite, missionnaire des Iroquois du Sault S. Louis, naturellement amateur des plantes, & éclairé par la lettre que le P. Jartoux avoit écrite sur le gins - eng, se mit à le chercher dans les forêts de Canada, & crut enfin l'avoir trouvé.

Il a depuis soûtenu sa découverte par un livre qu'il publia en 1718, & qu'il distribua à l'académie des Sciences, dont il tâcha de dissiper entierement les doutes.

On voit dans cet ouvrage une description du ginseng du Canada, nommé par les Iroquois garent oguen, encore plus circonstanciée que celle du P. Jartoux: garent - oguen, veut dire, deux choses separées comme deux cuisses. Le nom de gen seng ou gins - eng, signifie pareillement en chinois, cuisses d'homme, ressemblance d'homme, homme plante.

M. de Jussieu a semé au jardin royal, des graines assez fraîches & bien conditionnées du gins eng d'Amérique, qu'il avoit reçues du P. Lafiteau, mais qui n'ont pas réussi; de sorte que le gins - eng du Canada est encore plus rare en Europe, que celui de la Chine. Je dis le gins - eng du Canada, parce que toutes les présomptions semblent réunies pour ne regarder les deux gins - eng que comme une même plante.

Le degré de latitude, le terroir, la position des montagnes, l'aspect des marais qui sont semblables, la ressemblance des feuilles, des pédicules, des fleurs, des fruits, des tiges, des racines vivaces, & des effets, donnent tout lieu de penser que la plante d'Amérique est la même que celle d'Asie. La transparence qu'a d'ordinaire le gins - eng de la Chine, & qui manque au ginseng du Canada, n'est point une preuve que ce soient deux plantes différentes: en effet, cette transparence n'est que le produit de l'art & de la préparation qu'on donne presque toûjours au gins - eng de la Chine. Mais j'en ai vû en Hollande de naturel, très - ancien, & bien conservé, qui n'avoit point acquis en vieillissant ni cette couleur ni cette transparence du ginseng préparé. Ainsi le tems ne lui donne point cette qualité, comme il la donne quelquefois à d'autres racines pleines de suc, à des fibres très - deliées, qui étant bien seches, ont beaucoup moins de capacité, & ressemblent à - peu - près à de la corne.

Si l'on tentoit cette pratique sur le gins - eng du Canada, il n'y a pas de doute qu'on ne parvînt à le rendre semblable au gens - eng chinois préparé. M. Geoffroy, qui me fournit cette observation, & qui possédoit dans sa collection d'histoire naturelle un morceau très - opaque de gins - eng, apporté autrefois en France par les ambassadeurs de Siam, ajoûte (mém. de l'Acad. 1740, p. 97.) qu'il a fait l'essai dont je viens de parler, sur quelques racines des plantes ombelliferes, & sur - tout sur celle du chervi, qu'il a rendue transparente, en la faisant simplement bouillir dans de l'eau commune, & l'exposant ensuite à l'air pour la faire sécher.

Enfin, sans qu'on ait même besoin de séduire les Chinois par aucune préparation, il est certain qu'ils ne savent pas distinguer le gins - eng pur & naturel du Canada de celui de Tartarie: notre compagnie des [p. 666] Indes profitant de leur erreur, leur vend habilement l'un pour l'autre, & a déjà eu le secret jusqu'à ce jour (1757), de débiter à la Chine trois à quatre milie livres pesant du gins - eng de la Nouvelle France.

Epoque de la connoissance du gins - eng en Europe. Celui de la Chine n'a commencé d'être connu en Europe qu'en 1610, par des Hollandois curieux qui en apporterent les premiers en revenant du Japon; il se vendoit alors au - dessus du poids de l'or. Cependant notre nation en avoit peu oüi parler avant l'arrivée des ambassadeurs de Siam en France, qui entr'autres présens, en donnerent à Louis XIV.

Estime singuliere que les Asiatiques font du gins eng. Les Asiatiques le regardent comme une panacée souveraine; les gens riches & les seigneurs chinois y ont recours dans leurs maladies comme à la deruiere ressource: je dis les gens riches, parce qu'il faut l'être beaucoup pour pouvoir faire, comme eux, un usage commun de cette racine, dont la livre vaut dans les Indes orientales mêmes une centaine d'écus argent de France. Mais le cas singulier que les Chinois & les Japonois font du gins - eng, est encore au - dessus de son prix.

Si nous en croyons la traduction que nous a donné le docteur Vandermonde d'un auteur chinois, sur le mérite de cette racine, « elle est utile, dit cet auteur, dans les diarrhées, les dyssenteries, le dérangement de l'estomac & des intestins, de même que dans le syncope, la paralysie, les engourdissemens, & les convulsions; elle ranime d'une maniere surprenante ceux qui sont épuisés par les plaisirs de l'amour; il n'y a aucun remede qu'on puisse lui comparer pour ceux qui sont affoiblis par des maladies aiguë, ou chroniques. Lorsqu'après l'éruption, la petite vérole cesse de pousser, les forces étant déjà affoiblies, on en donne une grande dose avec un heureux succès: enfin en la prenant à plusieurs reprises, elle rétablit d'une maniere surprenante les forces affoiblies; elle augmente la transpiration; elle répand une douce chaleur dans les corps des vieillards, & assermit tous les membres: bien plus, elle rend tellement les forces à ceux même qui sont déjà à l'agonie, qu'elle leur procure le tems de prendre d'autres remedes, & souvent de recouvrer la santé ». Voilà des vertus admirables, si elles étoient vraies.

« Cependant, continue l'auteur chinois, le ginseng est peu secourable à ceux qui mangent beancoup & à ceux qui boivent du vin: il faut l'employer avec précantion, & sur le déclin de l'accès dans les fievres malignes & épidémiques; il faut l'éviter avec soin dans les maladies inflammatoires; il faut en donner rarement dans les hémorrhagies, & seulement après en avoir connu la cause. On l'essayera vainement, quoique sans danger, dans les maladies écroüelleuses, scorbutiques, & vénériennes; mais il fortifie & réveille ceux qui sont languissans; il secourt d'une maniere agréable ceux qui sont abattus par de longues tristesses & par la consomption, en l'employant prudemment depuis un scrupule jusqu'à demi - dragme en infusion en poudre, en extrait; ou si l'on aime mieux, en le mêlant avec d'autres remedes, depuis dix grains jusqu'à soixante, & même devantage dans certains cas, & selon que la nécessité l'exige ».

On ne peut s'empêcher, après avoir lû ce panégyrique, de le prendre plûtôt pour l'ouvrage d'un missionnaire medecin traduit en chinois, que pour celui d'un medecin chinois traduit en françois.

Usage du gins - eng en Europe, & son peu d'efficacité. Quoi qu'il en soit, on se contente en Europe de prescrire quelquefois le gins - eng dans la foiblesse, la cardialgie, les syncopes, les maux de nerfs, & les vertiges qui viennent d'inanition, comme aussi dans l'épuisement des esprits causé par les plaisirs de l'amour, par des remedes ou des maladies.

On donne cette racine en poudre ou en infusion dans l'eau bouillante, depuis un scrupule jusqu'à une dragme; ou bien on prend, par exemple, deux scrupules de gins - eng; écorce d'orange & de citron, ana quinze grains; de castoreum, cinq grains: le tout etant pulvérisé, on y ajoûte quelque conserve, pour en former un bol.

Son odeur agréable, sa saveur douce un peu acre mêlée de quelque amertume, semble indiquer qu'elle doit posséder des vertus analogues à celles de l'angélique & du méum.

Le P. Jartoux assûre avoir éprouvé sur lui, pendant qu'il étoit en Tartarie, les vertus salutaires du gins - eng, après un tel épuisement de travail & de fatigue, qu'il ne pouvoit pas même se tenir à cheval: je sais même que d'autres personnes prétendent avoir fait dans nos climats, avec un succès surprenant, la même expérience. Mais des medecins celebres, sur le témoignage desquels on peut certainement compter, & je dois mettre Boerhaave à la tête, m'ont dit qu'ils avoient donné, répété, prodigué en bol, en poudre, en infusion, jusqu'à deux onces entieres de gins - eng du meilleur & du plus cher, dans les cas où il pouvoit le mieux réussir, à des gens qui le desiroient & qui espéroient beaucoup de l'efsicace de ce remede, sans néanmoins en avoir vû presque d'autres effets marqués, que ceux d'une augmentation de force & de vivacité dans le pouls.

Si l'on a de la peine à imaginer que des peuples entiers fassent à la longue un si grand cas de cette racine, en s'abusant perpétuellement sur le succès, il faudra conclure qu'elle agit plus puissamment sur leur corps que sur les nôtres, ou qu'elle possede quand elle est fraîche, des qualités qu'elle perd par la vétusté, par le transport, & avant que de nous parvenir. D'ailleurs, un grand inconvénient de son usage en Europe, est qu'il est rare d'en avoir de bonne sans vermoulure. Je ne parle pas de son prix, parce qu'il y a bien des gens en état de le payer, si son efficace y répondoit.

M. Réneaume, dans l'hist. de l'acad. des Sciences, ann. 1718, fait grand fond sur l'hépatique, pour nous consoler du gins - eng: mais cette plante vulnéraire européenne ne répond point aux propriétés attribuées à la racine d'Asie.

De son débit à la Chine & en Europe. Tout le ginseng qu'on ramasse en Tartarie chaque année, & dont le montant nous est inconnu, doit être porté à la doüane de l'empereur de la Chine, qui en préleve deux onces pour les droits de capitation de chaque tartare employé à cette récolte; ensuite l'empereur paye le surplus une certaine valeur, & fait revendre tout ce qu'il ne veut pas à un prix beaucoup plus haut dans son empire, où il ne se débite qu'en son nom; & ce débit est toûjours assûré.

C'est par ce moyen que les nations européennes trafiquantes à la Chine, s'en pourvoyent, & en particulier la compagnie hollandoise des Indes orientales, qui achete presque tout celui qui se consomme en Europe.

Je n'ai jamais pû savoir la quantité qu'elle en apporte chaque année pour le débit. Les courtiers d'Amsterdam auxquels je me suis adressé, & qui pouvoient en être instruits, n'ont pas voulu se donner la peine d'en faire la recherche: ce n'étoit - là pour moi qu'un simple objet de curiosité stérile; mais il y a telle connoissance de la consommation de certaines drogues propres à produire l'exécution de projets avant tageux au bien de l'état, si ceux qui le gouvernent prenoient à coeur ces sortes d'objets de commerce.

Auteurs sur le gins - eng. Les curieux peuveut consulter la lettre du P. Jartoux, qui est insérée dans les lettres édisiant. tome X. outre que la figure qu'il a donnée de cette plante est vraissemblablement la meilleure.

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