ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"616"> que dans les premieres, les coquilles, & les autres corps marins pétrifiés sont à plat; que dans les secondes, elles sont disposées assez irregulierement; que les fentes perpendiculaires sont plus larges dans les substances molles que dans les matieres les plus compactes, &c. Quelle que soit la multiplicité des agens que fasse mouvoir la nature, & la variété des formes qu'elle donne à ses effets, cependant tout tend à un ensemble: un corps étranger qui se trouve placé au milieu de substances de nature différente; un amas de talc au milieu des matieres calcaires; des blocs de grès au milieu des marnes; des sables au milieu des glaises; toutes ces observations sont très - essentielles pour connoître la distribution générale.

Comme un seul homme ne peut pas tout voir par soi - même, & que c'est la condition de nos connoissances de devoir leurs progrès aux découvertes & aux recherches combinées de plusieurs observateurs; il est nécessaire de s'en rapporter au témoignage des autres: mais parmi ces descriptions étrangeres, il y a beaucoup de choix; & dans ce discernement il faut employer une critique sérieuse & une discussion severe. L'expérience & la raison nous autorisent à nous défier généralement de tous les faits de cette nature dont les anciens seuls sont les garans; nous ne nous y attacherons, nous n'y ferons attention que pour les vérifier ou qu'autant qu'on l'aura fait & qu'ils seront dégagés de ce merveilleux que ces écrivains leur prêtent ordinairement; ou enfin lorsque leurs détails rentrent dans des circonstances avérées & indubitables d'ailleurs. Mais nous croyons qu'on doit proscrire nommément tous ces fameux mensonges qui par une négligence blâmable ou par une imbécille crédulité, ont été transmis de siecles en siecles, & qui tiennent la place de la vérité. On peut juger par l'emploi fréquent que s'en permettent les compilateurs, du tort qu'ils font aux Sciences. Cependant pour les proscrire sans retour, il faut être en état de leur substituer le vrai, qui souvent n'est qu'altéré par les idées les plus bizarres. On est entierement détrompé d'une illusion, lorsqu'on connoît les prétextes qui l'ont fait naître.

Quant à ce qui concerne les auteurs qui ont écrit avant le renouvellement des Sciences, ils ne doivent être consultés qu'avec réserve; privés des connoissances capables de les éclairer & de les guider dans la discussion des faits, ils ne les ont observés qu'imparfaitement ou sous un point de vûe qui se rapporte toûjours à leurs préjugés. Kircher décrit, dessine, présente les coupes des réservoirs soûterreins qui servent, selon lui, à la distribution des eaux de la mer par les sources; il nous débite de la meilleure foi du monde des détails merveilleux sur les gouffres absorbans de la mer Caspienne, sur le feu central, sur les cavernes soûterreines, comme s'il eût eu des observations suivies par rapport à tous ces objets, qui ne sont autorisés parmi nous que d'après les écrits hasardés d'écrivains aussi judicieux.

En général, les observateurs ou ignorans, ou prévenus, ou peu attentifs, qui voyent les objets rapidement, sans dessein, & sans discussion, ne méritent que très - peu de croyance: je veux trouver dans l'auteur même, dans les détails qu'il me présente, cette bonne foi, cette simplicité, cette abondance de vûes qui m'inspirent de la confiance pour son génie d'observation, & pour l'exactitude de ses récits.

Souvent l'observation nous abandonne dans certains sujets compliqués; elle n'est pas assez précise; elle ne montre qu'une partie des effets, ou les montre trop en grand pour qu'on puisse atteindre à quelque assertion qui mette de l'ordre dans nos idées. Alors l'expérience est indispensable; il faut se résoudre à suivre les opérations de la nature avec une constance & une opiniâtreté que rien ne décou<cb-> rage, sur - tout lorsqu'on est assûré qu'on est sur la voie. Sans cette ressource, on ne peut être fondé à raisonner sur les faits avec connoissance de cause. Tous les détails de l'observation ne pourront se réunir avec cette précision si desirable dans les Scien ces, & ne porteront que sur des consequences vagues, sur des suppositions gratuites, qui présentent plûtôt nos décisions que celles de la nature. Telle est, par exemple, comme nous l'avons remarqué à l'article Fontaine, l'observation de la quantite de pluie qui tombe sur les différentes parties de la terre, & sa comparaison avec la masse des eaux qui circulent dans la même étendue: de - là dépend le dénouement de tout ce qui concerne l'origine des fontaines, la distribution des vapeurs sur la surface des continens & les eaux courantes. On aura rassemble tous les faits, recueilli toutes les observations les plus curieuses, on ne pourra, sans les résultats précis des experiences, rien prononcer de décisis sur ces objets importans.

Principes qui ont pour objet la combinaison des saits. Comme les faits seuls & isolés n'annoncent rien que de vague, il faut les interpréter en les rapprochant & les combinant ensemble.

On sent plus que jamais aujourd'hui, qu'il est presque aussi important de mettre de l'ordre dans les découvertes, que d'en faire; les traits épars qui représentent la nature, nous échapperoient sans cette ressource. Presque tous les phénomenes, sur - tout ceux que nous avons en vûe, n'ont d'utilité que dans la relation qu'ils peuvent avoir avec d'autres; comme les lettres de l'alphabet qui sont inutiles en elles - mêmes, forment par leur réunion les mots & les langues. La nature d'ailleurs ne se montre pas toute entiere dans un seul fait ou même dans plusieurs. Un phénomene solitaire ne peut être mis en réserve, que dans l'espoir qu'il se réunira quelque jour à d'autres de même espece: & comme dans le plan de la nature un tel fait est impossible, un observateur intelligent en trouvera peu de cette nature: un fait isolé, en un mot, n'est pas un fait physique; & la vraie Philosophie consiste à découvrir les rapports cachés aux vûes courtes & aux esprits inattentifs: un exemple frappant fera sentir la justesse de ces principes. Le P. Feuillée avoit observé « que les coupes des rochers près de Coquimbo, dans le Pérou, étoient perpendiculaires au niveau; que les unes allant de l'est à l'oüest & les autres du nord au sud, se coupoient à angles droits; que les premieres coupes étoient paralleles à l'équateur, & les autres au méridien ». Si ce savant religieux eût été conduit par les vûes que nous indiquons ici, bien loin de remarquer, comme il le fait, que la nature avoit ainsi configuré les montagnes pour rendre cette partie du monde déjà si riche par ses mines, plus parfaite que les autres; il auroit conçû le dessein de se procurer des observations correspondantes dans les autres continens, & ne se seroit pas borné à la considération infructueuse des causes finales. Voy. Causesfinales. Cette idée bien combinée depuis valut à M. Bourguet la découverte des angles correspondans, &c.

Ainsi il est facile de sentir la nécessité de combiner les faits; cette opération délicate s'exécute sur deux plans différens. Il y a une combinaison d'ordre & de collection; il y a une combinaison d'analogie.

A - mesure que l'on amasse des faits & des observations, on en seroit plûtôt accablé qu'éclairé, si l'on n'avoit soin de les réduire à certaines classes déterminées plûtôt par le sujet que par leur enchaînement naturel: car les recherches n'étant pas assez multipliées, on n'a que des chaînons épars & qui n'annoncent pas encore la correspondance mutuelle qui pourra quelque jour en former une suite noninterrompue. Cependant comme on a toûjours besoin d'une [p. 617] certaine apparence d'ordre, on arrange même dans des partitions inexactes: la verité se fera jour plûtôt à - travers de cette petite méprise, qu'à - travers de la consusion; le tems & les recherches rectifieront l'une, au lieu qu'ils augmenteroient l'autre.

Il faut même avoüer que ces partitions générales, quoiqu'imparfaites, seroient plus convenables à notre travail present, qui est de recueillir pour l'usage de la postérite, & plus assorties à nos connoissances bornées & imparfaites sur certains sujets compliqués qui n'ont encore reçû que la premiere ébauche, que ces vûes tronquées auxquelles l'imagination donne la forme & l'apparence d'une théorie. Ces tables seroient comme les archives des decouvertes, & le depôt de nos connoissances acquises, ouvert à tous ceux qui se sentiroient du zele & des talens pour l'enrichir de nouveau. Les observateurs y parcourroient d'un seul coup d'oeil & sous une précision lumineuse, ce que nous delayons quelquefois dans une confusion d'idées étrangeres & bizarres, au milieu desquelles la plus grande sagacité les déméle avec peine.

Cette premiere opération offriroit de très - grandes facilités à la seconde: en contemplant les faits simplifiés, classisiés avec un certain ordre, on est plus en état de saisir leurs correspondances mutuelles & ce qui peut les unir dans la nature; cette distribution n'auroit pas lieu seulement pour les observations que nous aurions recueillies des autres, mais aussi pour celles que nous aurions faites par nous - mêmes.

Ainsi nous tirerions de très - grands avantagesde cette classification des phenomenes, pour saisir leurs rapports: mais il faut convenir que lorsque nous nous serons familiarisés avec les objets eux - mêmes, & que nous anrons acquis l'habitude de les voir avec intelligence, ils formeront dans notre esprit de ces impressions durables, & s'annonceront à nons avec ces caracteres de correspondance qui sont le fondement de l'analogie. Nous nous éleverons insensiblement à des vûes plus générales par lesquelles nous embrasserons à - la - fois plusieurs objets: nous saisirons l'ordre naturel des faits; nous lierons les phenomenes; & nous parcourrons d'un seul coup - d'oeil une suite d'observations analogues, dont l'enchaînement se perpétuera sans effort.

Mais une premiere condition pour parvenir à ce point de vûe, est d'avoir scrupuleusement observé chaque objet comparé; autrement on ne peut bien saisir les justes limites des rapports qui peuvent les réunir. Si nous avons été exacts à démêler ce qui pouvoit rapprocher un fait d'un autre, & à découvrir ce qui dans les phénomenes annonçoit une tendance marquée à la correspondance d'organisation, dèslors les analogies se présenteront à notre esprit d'elles - mêmes.

On se laisse souvent séduire dans le cours de ses observations, ou bien par négligence, ou bien par une prévention de système; en conséquence on a la présomption de voir au - delà de ce que la nature nous montre, ou bien l'on craint d'appercevoir tout ce qu'elle peut nous découvrir. D'après cette illusion, on imagine de la ressemblance entre les objets les plus dissemblables, de la régularité & de l'ordre au milieu de la confusion.

Dans toutes ces opérations, le grand art n'est pas de suppléer aux faits, mais d'en combiner les détails connus; d'imaginer des circonstances, mais de savoir les découvrir. En effet, à - mesure qu'on étudie de plus en plus la nature, son méchanisme, son art, ses ressources, la multiplicité de ses moyens dans l'exécution, ses desordres mêmes apparens, tout nous etonne, tout nous surprend; tout enfin nous inspire cette défiance & cette circonspection qui mo<cb-> derent ce penchant indiseret de nous livrer à nos premieres vues, ou de suivre nos premieres impressions.

Afin de ne rien brusquer, il sera done tres prudent de ne nous attacher qu'aux rapports les plus immédiats, & de nous servir de ceux qui ont été apperçûs & vérisiés exactement, pour nous élever à d'autres. Pour cela nous rangeons par ordre nos observations, & nous en faisons de nouvelles lorsque les rapports intermédiaires nous manquent. Nous avons l'attention de ne pas lier des faits sans avoir parcouru tous ceux qui occupent l'intervalle, par une induction dont la nature elle - même aura conduit la chaîne. Bien - loin de surcharger de circonstances merveilleuses ou étrangeres les objets compliqués, nous les décomposerons par une eipece d analyse, afin de nous borner à la comparaison des parties; & à - mesure que nous avancerons dans ce travail, nous recomposerons de nouveau toutes les parties & leurs rapports, pour jouir de l'esset du tout ensemble.

Ainsi nous nous attacherons d'abord aux analogies des formes extérieures, ensuite à celles des masses ou des configurations interieures; enfin nous discuterons celles des circonstances. J'ai suivi les contours de deux montagnes qui courent parallelement; j'ai remarqué la correspondance de leurs angles saillans & sentrans; je penetre dans leur masie, & je découvre avec surprise que les couches qui par leur addi ion forment la solidité de ces avance angulaires, sont assujetties à la même régularite que les couches extérieures. Je conclus la même analogie de regularité par rapport aux directions ext rieures & mutuelles des chaines, & par rapport a l'organisation correspondante des masses. Je vais plus loin: je dis que la forme extérieure des montagnes prise absolument, a un rapport marqué de dépendance avec la disposition des lits qui entrent dans leur structure intérieure. Je pousserai même mes analogies sur la nature des substances, leurs hauteurs correspondantes, & j'observerai, comme une circonstance tres remarquable, que les angles sont plus fréquens & plus aigus dans les vallons profonds & resserrés, &c.

Un point important sur lequel j'insisterai, sera de ne point perdre de vûe, ni de dissimuler les différences les plus remarquables, ou les exceptions les plus legeres qui s'offriront à mes regards dans le cours des rapports que j'aurai lieu de saisir & d'indiquer. Les rapports que j'établirai en couséquence de cette attention, seront moins vagues; & d'après ce plan je serai même en êtat d'établir de nouveaux rapports & des combinaisons lumineuses entre ces variétés, lorsqu'elles s'annonceront avec les caracteres décisifs d'une ressemblance marquée. Par ce moyen je ne me permettrai aucune espece de supposition; & bien - loin d'être tenté d'étendre des rapports au - delà de ce que les faits me prétentent, dans le cas où une exception me paroitroit figurer mal, l'espoir que j'aurai de l'employer un jour avec succes, me déterminera à ne la pas dissimuler ou négliger, comme j'aurois été tenté de le faire, si je l'eusse regardée comme inutile. Cette exception me donnant lieu d'en former une nouvelle classe de variétés assujetties à des effets réguliers, mon observation n'aurat - elle pas été plus avantageuse pour le progres de la Géographie physique, que si j'eusse, à l'aide d'une illusion assez facie, supposé des régularités uniformes?

Ce n'est qu'avec ces précautions qu'on pourra recueillir une suite bien liée de faits analogues, & qu'on en formera un ensemble dans lequel l'esprit contemplera sans peine un ordre méthodique d'idées claires & de rapports féconds.

Principes de la généralisation des rapports. C'est alors que les principaux faits bien déterminés, décrits avec exactitude, combinés avec sagacité, sont pour nous une source de lumiere qui guide les ob<pb->

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