ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"592"> de convenance. Tels sont en françois les noms aigle (a), renard, qui sont toûjours masculins, & les noms tourterelle, chauve - souris, qui sont toûjours féminins pour les deux sexes. En latin au contraire, & ceci prouve bien l'indépendance & l'empire de l'usage, les noms correspondans aquila & vulpes sont toûjours féminins; turtur & vespertilio sont toûjours masculins. Les Grammairiens disent que ces noms sont du genre épicene, mot grec composé de la préposition E)PI\ suprà, & du mot KOINOS2, communis: les noms épicenes ont en effet comme les communs, l'invariabilité de la terminaison, & ils ont de plus celle du genre qui est unique pour les deux sexes.

Il ne faut donc pas confondre le genre commun & le genre épicene. Les noms du genre commun conviennent au mâle & à la femelle sans changement dans la terminaison; mais on les rapporte ou au genre masculin, ou au genre féminin, selon la signification qu'on leur donne dans l'occurrence: au genre masculin ils expriment le mâle, au genre féminin la femelle; & si on veut marquer l'espece, on les rapporte au masculin, comme au plus noble des deux genres compris dans l'espece. Au contraire les noms du genre épicene ne changent ni de terminaison ni de genre, quelque sens qu'on donne à leur signification; vulpes au féminin signifie & l'espece, & le mâle, & la femelle.

IV. Quant aux noms des êtres inanimés, on appelle douteux ceux qui sous la même terminaison se rapportent tantôt à un genre, & tantôt à un autre: dies & finis sont tantôt masculins & tantôt féminins; sal est quelquefois masculin & quelquefois neutre. Nous avons également des noms douteux dans notre langue, comme bronze, garde, duché, équivoque, &c.

Ce n'étoit pas l'intention du premier usage de répandre des doutes sur le genre de ces mots, quand il les a rapportés à différens genres; ceux qui sont effectivement douteux aujourd'hui, & que l'on peut librement rapporter à un genre ou à un autre, ne sont dans ce cas que parce qu'on ignore les causes qui ont occasionné ce doute, ou qu'on a perdu de vûe les idées accessoires qui originairement avoient été attachées au choix du genre. L'usage primitif n'introduit rien d'inutile dans les langues; & de même qu'il y a lieu de présumer qu'il n'a autorisé aucuns mots exactement synonymes, on peut conjecturer qu'aucun n'est d'un genre absolument douteux, ou que l'origine doit en être attribuée à quelque mal - entendu.

En latin, par exemple, dies avoit deux sens différens dans les deux genres: au féminin il signifioit un tems indéfini; & au masculin, un tems déterminé, un jour. Asconius s'en explique ainsi: Dies feminino genere, tempus, & ideò diminutivè diecula dicitur breve tempus & mora: dies horarum duodecim generis masculini est, unde hodie dicimus, quasi hoc die. En effet les composés de dies pris dans ce dernier sens, sont tous masculins, meridies, sesquidies, &c. & c'est dans le premier sens que Juvenal a dit, longa dies igitur quid contulit? c'est - à - dire longum tempus; & Virg. (xj. AEneid.) Multa dies, variusque labor mutabilis oevi rettulit in melius. La méthode de Port - Royal remarque que l'on confond quelquefois ces différences; & cela peut être vrai: mais nous devons observer en premier lieu, que cette confusion est un abus si l'usage constant de la langue ne l'autorise: en second lieu, que les Poëtes sacrifient quelquefois la justesse à la commodité d'une licence, ce qui amene insensiblement l'oubli des premieres vûes qu'on s'étoit proposées dans l'origine: en troisieme lieu, que les meil<->

(a) On dit cependant l'aigle romaine, mais a'ors il n'est pas question de l'animal; il s'agit d'une enseigne, & peut - être y a - t - il elliple; l'aigle romaine, au lieu de laigle enseigne romaine.
leurs écrivains ont égard autant qu'ils peuvent à ces distinctions délicates si propres à enrichir une langue & à en caractériser le génie: enfin que malgré leur attention, il peut quelquefois leur échapper des fautes, qui avec le tems font autorité, à cause du mérite personnel de ceux à qui elles sont échappées.

Finis au masculin exprime les extrémités, les bornes d'une chose étendue; redeuntes inde Ligurum extremo fine (Tite - Liv. lib. XXXIII.) Au féminin il désigne cessation d'être; hoec finis Priami fatorum. (Virg. AEneid. ij.)

Sal au neutre est dans le sens propre, & au masculin il ne se prend guere que dans un sens figuré. On trouve dans l'Eunuque de Térence, qui habet salem qui in te est; & Donat fait là - dessus la remarque suivante: sal neutraliter, condimentum; masculinum, pro sapientia.

En françois, bronze au masculin signifie un ouvrage de l'art, & au féminin il en exprime la matiere. On dit la garde du roi, en parlant de la totalité de ceux qui sont actuellement postés pour garcler sa personne, & un garde du roi, en parlant d'un militaire aggrége à cette troupe particuliere de sa maison, qui prend son nom de cette honorable commission. Duché & Comté n'ont pas des différences si marquées ni si certaines dans les deux genres; mais il est vraissemblable qu'ils les ont eues, & peut - être au masculin exprimoient - ils le titre, & au féminin, la terre qui en étoit décorée.

Qui peut ignorer parmi nous que le mot équivoque est douteux, & qui ne connoît ces vers de Despréaux? Du langage françois bisarre hermaphrodite, De quel genre te faire équivoque maudite, Ou maudit? car sans peine aux rimeurs hazardeux,

L'usage encor, je crois, laisse le choix des deux. Ces vers de Boileau rappellent le souvenir d'une note qui se trouve dans les éditions posthumes de ses oeuvres, sur le vers 91. du quatrieme chant de l'art poétique: que votre ame & vos moeurs peintes dans vos ouvrages, &c. & cette note est très - propre à confirmer une observation que nous avons faite plus haut: on remarque donc que dans toutes les éditions l'auteur avoit mis peints dans tous vos ouvrages, attribuant à moeurs le genre masculin; & que quand on lui fit appercevoir cette faute, il en convint sur le champ, & s'étonna fort qu'elle eût échappé pendant si long - tems à la critique de ses amis & de ses ennemis. Cette faute qui avoit subsisté tant d'années sans être apperçue, pouvoit l'être encore plûtard, & lorsqu'il n'auroit plus été tems de la corriger; la juste célébrité de Boileau auroit pû en imposer ensuite à quelque jeune écrivain qui l'auroit copié, pour l'être ensuite lui - même par quelque autre, s'il avoit acquis un certain poids dans la Littérature: & voilà moeurs d'un genre douteux, à l'occasion d'une faute contre laquelle il n'y auroit eu d'abord aucune réclamation, parce qu'on ne l'auroit pas apperçue à tems.

V. La derniere classe des noms irréguliers dans le genre, est celle des hétérogenes. R. R. E(/TEROS2, autre, & GE/NOS2, genre. Ce sont en effet ceux qui sont d'un genre au singulier, & d'un autre au pluriel.

En latin, les uns sont masculins au singulier, & neutres au pluriel, comme sibilus, tartarus, plur. sibila, tartara: les autres au contraire neutres au singulier, sont masculins au pluriel, comme coelum, elysium, plur. coeli, elysii.

Ceux - ci féminins au singulier sont neutres au pluriel, carbasus, supellex; plur. carbasa, suppellectilia: ceux - là neutres au singulier, sont féminins au pluriel; delicium, epulum; plur. delicioe, epuloe.

Enfin quelques - uns masculins au singulier, sont [p. 593] masculins & neutres au pluriel, ce qui les rend toutà - la - sois hétérogenes & douteux; jocus, locus, plur. joci & joca, loci & loca: quelques autres au contraire neutres au singulier, sont au plutiel neutres & masculins; froenum, rastrum; plur. froena & froeni, rastra & rastri.

Balnaum neutre au singulier, est au pluriel neutre & feminin; balnea & balneoe.

Cette sorte d'irrégularité vient de ce que ces noms ont eu autrefois au singulier deux terminaisons disferentes, relatives sans doute à deux genres, & vraisemblablement avec différentes idées accessoires dont la memoire s'est insensiblement perdue; ainsi nous connoissons encore la différence des noms féminins, malus pommier, prunus prunier, & des noms neutres malum pomme, prunum prune; mais nous n'avons que des conjectures sur les différences des mots acinus & acinum, baculus & baculum.

Il etoit naturel que les pronoms avec une signification vague & propre à remplacer celle de tout autre nom, ne fussent attachés à aucun genre détermine, mais qu'ils se rapportasient à celui du nom qu'ils représentent dans le discours; & c'est ce qui est arrivé: ego en latin, je en françois, sont masculins dans la bouche d'un homme, & féminins dans celle d'une semme: ille ego qui quondam, &c. ast ego qu ae divûm incedo regina, &c. je suis certain, je suis certaine. L'usage en a déterminé quelques - uns par des formes exclusivement propres à un genre distinct: ille, a, ud; il, elle.

« Ce est souvent substantif, dit M. du Matsais, c'est le hoc des latins; alors, quoi qu'en disent les grammairiens, ce est du genre neutre: car on ne peut pas dire qu'il soit masculin ni qu'il soit féminin ».

Ce neutre en françois! qu'est ce donc que les genres? Nous croyons avoir suffisamment établi la notion que nous en avons connee plus haut; & il en résulte très - clairement que la langue françoise n'ayant accordé à ses adjectifs que deux terminaisons relatives à la distinction des genres, elle n'en admet en effet que deux, qui sont le masculin & le féminin; un bon citoyen, une bonne mere.

Ce doit donc appartenir à l'un de ces deux genres; & il est effectivement masculin, puisqu'or donne la terminaison masculine aux adjectifs corrélatifs de ce, comme ce que j'avance est certain. Quelles pouvoient donc être les vûes de notre illustre auteur, quand il prétendoit qu'on ne pouvoit pas dire de ce, qu'il fût masculin ni qu'il fût féminin? Si c'est parce que c'est le hoc des Latins, comme il semble l'insinuer; disons donc aussi que temple est neutre, comme templum, que montagne est mascuiin comme mons. L'influence de la langue latine sur la nôtre, doit être la même dans tous les cas pareils, ou plûtôt elle est absolument nulle dans celui - ci.

Nous osons espérer qu'on pardonnera à notre amour pour la vérité cette observation critique, & toutes les autres que nous pourrons avoir occasion de faire par la suite, sur les articles de l'habile grammairien qui nous a précédé: cette liberté est écessaire à la perfection de cet ouvrage. Au sur<-> lus c'est rendre une elpece d'hommage aux grands hommes que de critiquer leurs écrits: si la critique est mal fondée, elle ne leur sait aucun tort aux yeux u public qui en juge; elle ne sert même qu'à met<-> e le vrai dans un plus grand jour: si elle est solide, elle empêche la contagion de l'exemple, qui est d'au<-> nt plus dangereux, que les auteurs qui le donnent ont plus de mérite & de poids; mais dans l'un & dans l'autre cas, c'est un aveu de l'estime que l'on a bour eux; il n'y a que les écrivains médiocres qui uissent errer sans conséquence.

Nous terminerions ici notre article des genres, si une rematque de M. Duclos, sur le chap. v. de la ij. partie de la Grammaire générale, n'exigeoit encore de nous quelques réflexions. « L'institution ou la distinction des genres, dit cet illustre académicien, est une chose purement arbitraire, qui n'est nullement fondée en raison, qui ne paroit pas avoir le moindre avantage, & qui a beaucoup d'inconvéniens ». Il nous semble que cette décision peut recevoir à certains égards quelques modifications.

Les genres ne paroissent avoir été institués que pour rendre plus sensible la corrélation des noms & des adjectifs; & quand il seroit vrai que la concordance des nombres & celle des cas, dans les langues qui en admettent, auroient suffi pour caractériser nettement ce rapport, l'esprit ne peut qu'être satisfait de rencontrer dans la peinture des pensées un coup de pinceau qui lui donne pius de fidélité, qui la détermine plus sûrement, en un mot, qui éloigne plus infailliblement l'équivoque. Cet accessoire étoit peut - être plus nécessaire encore dans les langues où la construction n'est assujettie à aucune loi méchanique, & que M. l'abbé Girard nomme transpositives. La corrélation de deux mots souvent très eloignés, seioit quelquefois difficilement apperçue sans la concordance des genres, qui y produit d'ailleurs, pour la satisfaction de l'oreille, une grande variété dans les sons & dans la quantité des syllabes. Voyez Quantité.

Il peut donc y avoir quelqu'exagération à dire que l'institution des genres n'est nullement fondée en raison, & qu'elle ne paroît pas avoir le moindre avantage; elle est fondée sur l'intention de produire les effets mêmes qui en sont la suite.

Mais, dit - on, les Grecs & les Latins avoient trois genres; nous n'en avons que deux, & les Anglois n'en ont point: c'est donc une chose purement arbitraire. Il faut en convenir; mais quelle conséquence ultérieure tirera t - on de celle - ci? Dans les langues qui admettent des cas, il faudra raisonner de la même maniere contre leur institution, elle est aussi arbitraire que celle des genres: les Arabes n'ont que trois cas. les Allemands en ont quatre, les Grecs en ont cinq, les Latins six, & les Arméniens jusqu'à dix, tandis que les langues moderne, du midi de l'Euiope n'en ont point.

On repliquera peut - être que si nous n'avons point de cas, nous en remplaçons le service par celui des prépositions (voyez Cas & Préposition), & par l'ordonnance respective des mots (voyez Construction & Régime), mais on peut appliquer la même observation au service des genres, que les Anglois remplacent par la position, parce qu'il est indilpensable de marquer la relation de l'adjectif au nom.

Il ne reste plus qu'à objecter que de toutes les manieres d'indiquer la relation de l'adjectif au nom, la maniere angioise est du moins la meilleure; elle n'a l'embarras d'aucune terminaison: ni genres, ni nombres, ni cas, ne viennent arrêter par des difficultés factices, les progrès des étrangers qui veulent apprendre cette langue, ou même tendre des piéges aux nationaux, pour qui ces variétés arbitraires sont des occasions continuelles de fautes. Il faut avouer qu'il y a bien de la vérité dans cette remarque, & qu'à parler en général, une langue débarrassee de toutes les inflexions qui ne marquent que des rapports, seroit plus facile à apprendre que toute autre qui a adopté cette maniere; mais il faut avoucr aussi que les langues n'ont point été instituées pour être apprises par les étrangers, mais pour être parlées dans la nation qui en fait usage; que les fautes des étrangers ne peuvent rien prouver contre une langue, & que les erreurs des naturels sont encore dans le même cas, parce qu'elles ne sont qu'une suite ou d'un detaut d'éducation, ou d'un défaut

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