ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"114"> vent servir à faire connoître la force: ce n'est donc que dans l'équilibre, ou dans le mouvement retardé, qu'on doit en chercher la mesure. Or tout le monde convient qu'il y a équilibre entre deux corps quand les produits de leurs masses par leurs vîtesses virtuelles, c'est - à - dire par les vîtesses avec lesquelles ils tendent à se mouvoir, sont égaux de part & d'autre. Donc dans l'équilibre, le produit de la masse par la vîtesse, ou, ce qui est la même chose, la quantité de mouvement peut représenter la force. Tout le monde convient aussi que dans le mouvement retardé, le nombre des obstacles vaincus est comme le quarré de la vîtesse: en sorte qu'un corps qui a fermé un ressort, par exemple, avec une certaine vîtesse, pourra avec une vîtesse double fermer, ou tout - à - la - fois ou successivement, non pas deux, mais quatre ressorts semblables au premier, neuf avec une vîtesse triple, & ainsi du reste. D'où les partisans des forces vives concluent que la force des corps qui se meuvent actuellement, est en général comme le produit de la masse par le quarré de la vîtesse. Au fond, quel inconvénient pourroit - il y avoir à ce que la mesure des forces fût différente dans l'équilibre & dans le mouvement retardé, puisque si on veut ne raisonner que d'après des idées claires, on doit n'entendre par le mot de force, que l'effet produit en surmontant l'obstacle, ou en lui résistant? Il faut avoüer cependant, que l'opinion de ceux qui regardent la force comme le produit de la masse par la vîtesse, peut avoir lieu non seulement dans le cas de l'équilibre, mais aussi dans celui du mouvement retardé, si dans ce dernier cas on mesure la force, non par la quantité absolue des obstacles, mais par la somme des résistances de ces mêmes obstacles. Car cette somme de résistances est proportionnelle à la quantité de mouvement, puisque, de l'aveu général, la quantité de mouvement que le corps perd à chaque instant, est proportionnelle au produit de la résistance par la durée infiniment petite de l'instant; & que la somme de ces produits est évidemment la résistance totale. Toute la difficulté se réduit donc à savoir si on doit mesurer la force par la quantité absolue des obstacles, ou par la somme de leurs résistances. Il me paroîtroit plus naturel de mesurer la force de cette derniere maniere: car un obstacle n'est tel qu'en tant qu'il résiste; & c'est, à proprement parler, la somme des résistances qui est l'obstacle vaincu. D'ailleurs en estimant ainsi la force, on a l'avantage d'avoir pour l'équilibre & pour le mouvement retardé une mesure commune: néanmoins, comme nous n'avons d'idée précise & distincte du mot de force, qu'en restraignant ce terme à exprimer un effet, je crois qu'on doit laisser chacun le maître de se décider comme il voudra là - dessus; & toute la question ne peut plus consister que dans une discussion métaphysique très - futile, ou dans une dispute de mots plus indigne encore d'occuper des Philosophes.

Ce que nous venons de dire sur la fameuse question des forces vives, est tiré de la préface de notre traité de Dynamique, imprimé en 1743, dans le tems que cette question étoit encore fort agitée parmi les Savans. Il semble que les Géometres conviennent aujourd'hui assez unanimement de ce que nous soûtenions alors, que c'est une dispute de mots: & comment n'en seroit - ce pas une, puisque les deux partis sont d'ailleurs entierement d'accord sur les principes fondamentaux de l'équilibre & du mouvement? En effet, qu'on propose un problème de Dynamique à résoudre à deux géometres habiles, dont l'un soit adversaire & l'autre partisan des forces vives, leurs solutions, si elles sont bonnes, s'accorderont parfaitement entre elles: la mesure des forces est donc une question aussi inutile à la Méchanique, que les questions sur la nature de l'étendue & du mouvement: sur quoi on peut voir ce que nous avons dit au mot Elémens des Sciences, tome V. pag. 493. col. 1. & 2. Dans le mouvement d'un corps nous ne voyons clairement que deux choses; l'espace parcouru, & le tems qu'il employe à le parcourir. C'est de cette seule idée qu'il faut déduire tous les principes de la Méchanique, & qu'on peut en effet les déduire. Voyez Dynamique.

Une considération qu'il ne faut pas négliger, & qui prouve bien qu'il ne s'agit ici que d'une question de nom toute pure; c'est que soit qu'un corps ait une simple tendance au mouvement arrêtée par quelque obstacle, soit qu'il se meuve d'un mouvement uniforme avec la vîtesse que cette tendance suppose, soit enfin que commençant à se mouvoir avec cette vîtesse, son mouvement soit anéanti peu - à - peu par quelque obstacle; dans tous ces cas, l'effet produit par le corps est différent: mais le corps en lui même ne reçoit rien de nouveau; seulement son action est différemment appliquée. Ainsi quand on dit que la force d'un corps est dans certains cas comme la vîtesse, dans d'autres comme le quarré de la vîtesse; on veut dire seulement que l'effet dans certains cas est comme la vîtesse, dans d'autres comme le quarré de cette vîtesse: encore doit on remarquer que le mot effet est ici lui - même un terme assez vague, & qui a besoin d'être défini avec d'autant plus d'exactitude, qu'il a des sens différens dans chacun des trois cas dont nous venons de parler. Dans le premier, il signifie l'effort que le corps fait contre l'obstacle; dans le second, l'espace parcouru dans un tems donné & constant; dans le troisieme, l'espace parcouru jusqu'à l'extinction totale du mouvement, sans avoir d'ailleurs aucun égard au tems que la force a mis à se consumer.

On peut remarquer par tout ce que nous venons de dire, qu'un même corps, selon que sa tendance au mouvement est différemment appliquée, produit différens effets; les uns proportionnels à sa vîtesse, les autres au quarré de sa vîtesse. Ainsi ce prétendu axiome, que les effets sont proportionnels à leurs causes, est au moins très - mal énoncé, puisque voilà une même cause qui produit différens effets. Il faudroit mettre cette restriction à la proposition dont il s'agit, que les effets sont proportionnels à leurs causes, agissantes de la même maniere. Mais nous avons déjà fait voir aux mots Accélératrice & Cause, que ce prétendu axiome est un principe très - vague, très - mal exprimé, absolument inutile à la Méchanique, & capable de conduire à bien des paralogismes, quand on n'en fait pas usage avec précaution.

Conservation des forces vives (Page 7:114)

Conservation des forces vives. C'est un principe de Méchanique que M. Huyghens semble avoir apperçù le premier, & dont M. Bernoulli, & plusieurs autres géometres après lui, ont fait voir depuis l'étendue & l'usage dans la solution des problèmes de Dynamique. Voici quel est ce principe; il consiste dans les deux lois suivantes.

1°. Si des corps agissent les uns sur les autres, soit en se tirant par des fils ou des verges inflexibles, soit en se poussant, soit en se choquant, pourvû que dans ce dernier cas, ils soient à ressort parfait, la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses fait toûjours une quantité constante. 2°. Si les corps sont animés par des puissances quelconques, la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses à chaque instant, est égale à la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses initiales, plus les quarrés des vîtesses que les corps auroient acquises, si étant animés par les mêmes puissances, ils s'étoient mûs librement chacun sur la ligne qu'il a décrite.

Nous avons dit soit en se poussant, soit en se choquant, & nous distinguons la pulsion d'avec le choc, [p. 115] parce que la conservation des forces vives a lieu dans les mouvemens des corps qui se poussent, pourvû que ces mouvemens ne changent que par degrés insensibles, ou plûtôt infiniment petits; au lieu qu'elle a lieu dans les corps élastiques qui se choquent, dans le cas même où le ressort agiroit en un instant indivisible, & les feroit passer sans gradation d'un mouvement à un autre.

M. Huyghens paroît être le premier qui ait apperçu cette loi de la conservation des forces vives dans le choc des corps élastiques. Il paroît aussi avoir connu la loi de la conservation des forces vives dans le mouvement des corps qui sont animés par des puissances. Car le principe dont il se sert pour résoudre le problème des centres d'oscillation, n'est autre chose que la seconde loi exprimée autrement. M. Jean Bernoulli dans son discours sur les lois de la communication du mouvement dont nous avons parlé, a développé & étendu cette découverte de M. Huyghens, & il n'a pas oublié de s'en servir pour prouver son opinion sur la mesure des forces, à laquelle il croit ce principe très - favorable, puisque dans l'action mutuelle de deux corps, ce n'est presque jamais la somme des produits des masses par les vîtesses qui fait une somme constante, mais la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses. Descartes croyoit que la même quantité de force devoit toûjours subsister dans l'univers, & en conséquence il pretendoit faussement que le mouvement ne pouvoit pas se perdre, parce qu'il supposoit la force proportionnelle à la quantité de mouvement. Ce philosophe n'auroit peut - être pas été éloigné d'admettre la mesure des forces vives par les quarrés des vîtesses, si cette idée lui fût venue dans l'esprit. Cependant si on fait attention à ce que nous avons dit ci - dessus sur la notion qu'on doit attacher au mot de force, il semble que cette nouvelle preuve en faveur des forces vives, ou ne présente rien de net à l'esprit, ou ne lui présente qu'un fait & une vérité avcués de tout le monde.

Dans mon traité de Dynamique imprimé en 1743, j'ai démontré le principe de la conservation des forces vives dans tous les cas possibles; & j'ai fait voir qu'il dépend de cet autre principe, que quand des puissances se font équilibre, les vîtesses virtuelles des points où elles sont appliquées, estimées suivant la direction de ces puissances, sont en raison inverse de ces mêmes puissances. Ce dernier principe est reconnu depuis long - tems par les Géometres pour le principe fondamental de l'équilibre, ou du moins pour une conséquence nécessaire de l'équilibre.

M. Daniel Bernoulli dans son excellent ouvrage intitulé Hydrodynamica, a appliqué le premier au mouvement des fluides le principe de la conservation des forces vives, mais sans le démontrer. J'ai publié à Paris en 1744, un traité de l'équilibre & du mouvement des fluides, où je crois avoir démontré le premier la conservation des forces vives dans le mouvement des fluides. C'est aux savans à juger si j'y ai réussi. Je crois aussi avoir prouvé que M. Daniel Bernoulli s'est servi quelquefois du principe de la conservation des forces vives dans certains cas où il n'auroit pas dû en faire usage. Ce sont ceux où la vîtesse du fluide ou d'une partie du fluide change brusquement & sans gradation, c'est - à - dire sans diminuer par des degrés insensibles. Car le principe de la conservation des forces vives n'a jamais lieu lorsque les corps qui agissent les uns sur les autres passent subitement d'un mouvement à un mouvement différent, sans passer par les degrés de mouvement intermédiaires, à - moins que les corps ne soient supposés à ressort parfait. Encore dans ce cas le changement ne s'opere - t - il que par des degrés infiniment petits; ce qui le fait rentrer dans la regle générale. Voyez Hydrodynamique & Fluide.

Dans les mém. de l'académie des Sciences de 1742, M. Clairaut a démontré aussi d'une maniere particuliere le principe de la conservation des forces vives; & je dois remarquer à ce sujet, que quoique le mémoire de M. Clairaut soit imprimé dans le vol. de 1742, & que mon traité de Dynamique n'ait paru qu'en 1743, cependant ce mémoire & ce traité ont été présentés tous deux le même jour à l'académie.

On peut voir par différens mémoires répandus dans les volumes des académies des Sciences de Paris, de Berlin, de Petersbourg, combien le principe de la conservation des forces vives facilite la solution d'un grand nombre de problemes de Dynamique; nous croyons même qu'il a été un tems où on auroit été fort embarrassé de résoudre plusieurs de ces problemes sans employer ce principe; & il me semble, si une prévention trop favorable pour mon propre travail ne m'en impose point, que j'ai donné le premier dans mon traite de Dynamique une méthode générale & directe pour résoudre toutes les questions imaginables de ce genre, sans y employer le principe de la conservation des forces vives, ni aucun autre principe indirect & secondaire. Cela n'empêche pas que je ne convienne de l'utilité de ces derniers principes pour faciliter, ou plûtôt pour abréger en certains cas les solutions, sur - tout lorsqu'on aura eu soin de démontrer auparavant ces mêmes principes.

Du rapport de la force vive avec l'action. Nous avons vû au mot Cosmologie, que les partisans modernes des forces vives avoient imaginé l'action comme le produit de la masse par l'espace & par la vîtesse, ou ce qui revient au même, comme le produit de la masse par le quarré de la vîtesse & par le tems, car dans le mouvement uniforme tel qu'on le suppose ici, l'espace est le produit de la vîtesse par le tems. Voyez Vîtesse.

Nous avons dit aussi aux mots Action & Cosmologie, que cette définition de l'action prise en elle - même, est absolument arbitraire; cependant noas craignons que les partisans modernes des forces vives n'ayent prétendu attacher par cette définition quelque réalité à ce qu'ils appellent action. Car selon eux la force instantanée d'un corps en mouvement, est le produit de la masse par le quarré de la vîtesse; & ils paroissent avoir regardé l'action comme la somme des forces instantanées, puisqu'ils font l'action égale au produit de la force vive par le tems. On peut voir sur cela un mémoire, d'ailleurs assez médiocre, du feu professeur Wolf, inséré dans le I. volume de Petersbourg; & l'on se convaincra que ce professeur croyoit en effet avoir fixé dans ce mémoire la véritable notion de l'action; mais il est aisé de voir que cette notion, quand on voudra la regarder autrement que comme une définition de nom, est tout - à - fait chimérique & en elle - même & dans les principes des partisans des forces vives; 1°. en elle - même, parce que dans le mouvement uniforme d'un corps, il n'y a point de résistance à vaincre, ni par conséquent d'action à proprement parler; 2°. dans les principes des partisans des forces vives, parce que selon eux, la force vive est celle qui se consume, ou qu'on suppose pourvoir se consumer en s'exerçant. Il n'y a donc proprement d'action que lorsque cette force se consume réellement en agissant contre des obstacles. or dans ce cas, selon les défenseurs même des forces vives, le tems doit être compté pour rien, parce qu'il est de la nature d'une force plus grande d'être plus long - tems à s'anéantir. Pourquoi donc veulent - ils faire entrer le tems dans la considération de l'action? L'action ne devroit être dans leurs principes que la force vive même en tant

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