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Ce que nous venons de dire sur la fameuse question des forces vives, est tiré de la préface de notre traité de Dynamique, imprimé en 1743, dans le tems que cette question étoit encore fort agitée parmi les Savans. Il semble que les Géometres conviennent aujourd'hui assez unanimement de ce que nous soûtenions alors, que c'est une dispute de mots: & comment n'en seroit - ce pas une, puisque les deux partis sont d'ailleurs entierement d'accord sur les principes fondamentaux de l'équilibre & du mouvement? En effet, qu'on propose un problème de Dynamique à résoudre à deux géometres habiles, dont l'un soit adversaire & l'autre partisan des forces vives, leurs solutions, si elles sont bonnes, s'accorderont parfaitement entre elles: la mesure des forces est donc une question aussi inutile à la Méchanique, que les questions sur la nature de l'étendue & du mouvement:
Une considération qu'il ne faut pas négliger, & qui prouve bien qu'il ne s'agit ici que d'une question de nom toute pure; c'est que soit qu'un corps ait une simple tendance au mouvement arrêtée par quelque obstacle, soit qu'il se meuve d'un mouvement uniforme avec la vîtesse que cette tendance suppose, soit enfin que commençant à se mouvoir avec cette vîtesse, son mouvement soit anéanti peu - à - peu par quelque obstacle; dans tous ces cas, l'effet produit par le corps est différent: mais le corps en lui même ne reçoit rien de nouveau; seulement son action est différemment appliquée. Ainsi quand on dit que la force d'un corps est dans certains cas comme la vîtesse, dans d'autres comme le quarré de la vîtesse; on veut dire seulement que l'effet dans certains cas est comme la vîtesse, dans d'autres comme le quarré de cette vîtesse: encore doit on remarquer que le mot effet est ici lui - même un terme assez vague, & qui a besoin d'être défini avec d'autant plus d'exactitude, qu'il a des sens différens dans chacun des trois cas dont nous venons de parler. Dans le premier, il signifie l'effort que le corps fait contre l'obstacle; dans le second, l'espace parcouru dans un tems donné & constant; dans le troisieme, l'espace parcouru jusqu'à l'extinction totale du mouvement, sans avoir d'ailleurs aucun égard au tems que la force a mis à se consumer.
On peut remarquer par tout ce que nous venons
de dire, qu'un même corps, selon que sa tendance au
mouvement est différemment appliquée, produit différens
effets; les uns proportionnels à sa vîtesse, les
autres au quarré de sa vîtesse. Ainsi ce prétendu axiome,
que les effets sont proportionnels à leurs causes, est
au moins très - mal énoncé, puisque voilà une même
cause qui produit différens effets. Il faudroit mettre
cette restriction à la proposition dont il s'agit, que les
effets sont proportionnels à leurs causes, agissantes de la
même maniere. Mais nous avons déjà fait voir aux
mots
Conservation des forces vives (Page 7:114)
1°. Si des corps agissent les uns sur les autres, soit en se tirant par des fils ou des verges inflexibles, soit en se poussant, soit en se choquant, pourvû que dans ce dernier cas, ils soient à ressort parfait, la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses fait toûjours une quantité constante. 2°. Si les corps sont animés par des puissances quelconques, la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses à chaque instant, est égale à la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses initiales, plus les quarrés des vîtesses que les corps auroient acquises, si étant animés par les mêmes puissances, ils s'étoient mûs librement chacun sur la ligne qu'il a décrite.
Nous avons dit soit en se poussant, soit en se choquant, & nous distinguons la pulsion d'avec le choc, [p. 115]
M. Huyghens paroît être le premier qui ait apperçu cette loi de la conservation des forces vives dans le choc des corps élastiques. Il paroît aussi avoir connu la loi de la conservation des forces vives dans le mouvement des corps qui sont animés par des puissances. Car le principe dont il se sert pour résoudre le problème des centres d'oscillation, n'est autre chose que la seconde loi exprimée autrement. M. Jean Bernoulli dans son discours sur les lois de la communication du mouvement dont nous avons parlé, a développé & étendu cette découverte de M. Huyghens, & il n'a pas oublié de s'en servir pour prouver son opinion sur la mesure des forces, à laquelle il croit ce principe très - favorable, puisque dans l'action mutuelle de deux corps, ce n'est presque jamais la somme des produits des masses par les vîtesses qui fait une somme constante, mais la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses. Descartes croyoit que la même quantité de force devoit toûjours subsister dans l'univers, & en conséquence il pretendoit faussement que le mouvement ne pouvoit pas se perdre, parce qu'il supposoit la force proportionnelle à la quantité de mouvement. Ce philosophe n'auroit peut - être pas été éloigné d'admettre la mesure des forces vives par les quarrés des vîtesses, si cette idée lui fût venue dans l'esprit. Cependant si on fait attention à ce que nous avons dit ci - dessus sur la notion qu'on doit attacher au mot de force, il semble que cette nouvelle preuve en faveur des forces vives, ou ne présente rien de net à l'esprit, ou ne lui présente qu'un fait & une vérité avcués de tout le monde.
Dans mon traité de Dynamique imprimé en 1743, j'ai démontré le principe de la conservation des forces vives dans tous les cas possibles; & j'ai fait voir qu'il dépend de cet autre principe, que quand des puissances se font équilibre, les vîtesses virtuelles des points où elles sont appliquées, estimées suivant la direction de ces puissances, sont en raison inverse de ces mêmes puissances. Ce dernier principe est reconnu depuis long - tems par les Géometres pour le principe fondamental de l'équilibre, ou du moins pour une conséquence nécessaire de l'équilibre.
M. Daniel Bernoulli dans son excellent ouvrage intitulé Hydrodynamica, a appliqué le premier au mouvement des fluides le principe de la conservation des forces vives, mais sans le démontrer. J'ai publié à Paris en 1744, un traité de l'équilibre & du mouvement des fluides, où je crois avoir démontré le premier la conservation des forces vives dans le mouvement des fluides. C'est aux savans à juger si j'y ai réussi. Je crois aussi avoir prouvé que M. Daniel Bernoulli s'est servi quelquefois du principe de la conservation des forces vives dans certains cas où il n'auroit pas dû en faire usage. Ce sont ceux où la vîtesse du fluide ou d'une partie du fluide change brusquement & sans gradation, c'est - à - dire sans diminuer par des degrés insensibles. Car le principe de la conservation des forces vives n'a jamais lieu lorsque les corps qui agissent les uns sur les autres passent subitement d'un mouvement à un mouvement différent, sans passer par les degrés de mouvement intermédiaires, à - moins que les corps ne soient supposés à ressort parfait. Encore dans ce cas le changement ne s'opere - t - il que par des degrés infiniment petits; ce qui le fait rentrer dans la regle
Dans les mém. de l'académie des Sciences de 1742, M. Clairaut a démontré aussi d'une maniere particuliere le principe de la conservation des forces vives; & je dois remarquer à ce sujet, que quoique le mémoire de M. Clairaut soit imprimé dans le vol. de 1742, & que mon traité de Dynamique n'ait paru qu'en 1743, cependant ce mémoire & ce traité ont été présentés tous deux le même jour à l'académie.
On peut voir par différens mémoires répandus dans les volumes des académies des Sciences de Paris, de Berlin, de Petersbourg, combien le principe de la conservation des forces vives facilite la solution d'un grand nombre de problemes de Dynamique; nous croyons même qu'il a été un tems où on auroit été fort embarrassé de résoudre plusieurs de ces problemes sans employer ce principe; & il me semble, si une prévention trop favorable pour mon propre travail ne m'en impose point, que j'ai donné le premier dans mon traite de Dynamique une méthode générale & directe pour résoudre toutes les questions imaginables de ce genre, sans y employer le principe de la conservation des forces vives, ni aucun autre principe indirect & secondaire. Cela n'empêche pas que je ne convienne de l'utilité de ces derniers principes pour faciliter, ou plûtôt pour abréger en certains cas les solutions, sur - tout lorsqu'on aura eu soin de démontrer auparavant ces mêmes principes.
Du rapport de la force vive avec l'action. Nous
avons vû au mot
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