ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"12"> proto - canoniques, dont l'authenticité & la divinité étoient établies d'ailleurs, & n'étoient pas mises en question: & quoique le canon renferme les uns & les autres, c'est d'une maniere différente. L'Eglise fixe la croyance des fideles par rapport aux premiers, & elle la suppose par rapport aux seconds; tout comme elle suppose en s'assemblant, que la religion chrétienne est émanée de Dieu, & que son infaillibilité est déjà crûe des fideles à qui elle propose ses décisions.

Quant au passage de S. Augustin: 1°. entendu à la lettre, il prouveroit beaucoup trop, puisqu'il s'ensuivroit qu'on ne pourroit point amener un incrédule à la croyance de la vérité & de la divinité des Ecritures, sans employer l'autorité divine de l'Eglise.

Je dis, sans employer l'autorité divine; car il faut distinguer l'autorité naturelle dont joüit toute société dans les choses qui la regardent, & qu'on ne peut refuser à l'Eglise considérée comme une société purement humaine, de l'autorité divine qu'elle a reçûe de J. C. & de l'Esprit - saint qui dicte ses décisions. C'est de cette derniere espece d'autorité que les Théologiens parlent, lorsqu'ils disent que l'Eglise est juge du corps même des Ecritures. En effet, l'autorité de l'Eglise considérée sous l'autre point de vûe, entre parmi les motifs de crédibilité qui établissent en même tems la divinité de la religion chrétienne: cette remarque est importante, & j'aurois dû la faire plûtôt; mais elle me fournit ici une explication toute naturelle du passage dont il s'agit ici. Je dis donc:

2°. Que le texte de S. Augustin doit être traduit ainsi: « Je ne crois à l'évangile, que parce que je, m'assûre que l'Eglise universelle considérée comme une société purement humaine, a conservé & nous a transmis sans corruption & sans altération les véritables écrits des premiers disciples de J.C. Que si cette société, qui ne peut pas se tromper dans des choses qui la touchent de si près, regardoit les évangiles comme des livres supposés & contraires à sa doctrine, je ne croirois point aux évangiles ». Enfin si l'on veut absolument que S. Augustin parle là de l'autorité divine de l'Eglise, on pourra croire qu'il ne parle que d'une partie des évangiles, en supposant l'infaillibilité de l'Eglise établie sur les autres.

Je passe à ce qu'on nous oppose de M. Bossuet; & je trouve que ce prélat ne nous est pas contraire: il dit bien que les fideles simples & grossiers reçoivent l'Ecriture des mains de l'Eglise, avant de s'etre convaincus par les Ecritures même que cette Eglise est infaillible; & c'est - là un fait qu'on ne sauroit nier: mais il ne dit pas qu'en la recevant ainsi ils suivent l'ordre du raisonnement; ce n'est point l'analyse de la foi qu'il se propose de faire dans l'endroit qu'on a cité. En effet, pressé par le ministre Claude d'expliquer par quel motif le fidele croit à J'infaillibilite de l'Eglise, au moment qu'il reçoit d'elle les Ecritures, il dit, qu'il ne s'agit pas d'assigner ce motif; qu'il y en a sans doute que le S. Esprit met dans le coeur du fidele baptisé; qu'il n'est question entre lui & M. Claude que du moyen extérieur dont Dieu se sert pour lui faire croire l'Ecriture. Or nous ne parlons ici que du motif raisonné qui fait naître cette persuasion, & point du tout de ce moyen extérieur que je conviens bien être pour les fideles simples & grossiers l'autorité de l'Eglise: & M. Bossuet prétend si peu faire l'analyse de la foi, & assigner les motifs raisonnés qui font croire le fidele à l'Ecriture, qu'il rappelle par - tout le ministre Claude à la foi infuse, que le fidele a reçûe dans le baptême, de l'infaillibilité de l'Eglise & de la divinité de l'Ecriture; foi, dit - il, que le S. Esprit lui a mise dans le coeur, en même tems que la foi en Dieu & en Jesus - Christ. Or nous ne parlons pas ici de la foi infuse, mais seulement de la persuasion raisonnée que renferme la foi d'un adulte qui s'approche de Dieu par la voie du raisonnement.

Encore une réflexion. M. Bossuet place ensemble & en même tems dans l'esprit de cet adulte, & la foi de la divinité des Ecritures, & la foi de l'existence de Dieu & de l'infaillibilité de l'Eglise: cependant il est impossible de soûtenir que la persuasion de ces deux dernieres vérités ait pour motifs raisonnés l'autorité même de l'Eglise. Il faut donc convemr que M. Bossuet ne parle pas des motifs raisonnés, & qu il ne prétend pas plus assigner ces motifs, lorsqu'il parle de la foi de la divinité du corps des Ecritures, que lorsqu'il parle de ces deux autres principes. On peut donc dire que le fidele dont parle M. Bossuet croit la divinité des Ecritures, sans l'intervention de l'Eglise, précisément comme il croit l'autorité de l'Eglise, par les miotifs de crédibilité que le S. Esprit met dans son coeur, pour employer les termes mêmes de M. Bossuet. Or comme la foi à l'Eglise universelle, quoiqu'appuyée sur ces motifs de crédibilité indépendans de lautorité de l'Eglise, n'en est pas moms mise dans le coeur du fidele baptisé, en même tems que la foi en Dieu & en Jesus - Christ, selon M. Bossuet lui - même, la foi de ce fidele à la divinité des Ecritures pourra être aussi mise dans son coeur par l'Esprit - saint, sans l'intervention de l'autorité de l'Eglise. Je ne vois pas ce qu'on peut répondre à cela.

Je pourrois ajouter une remarque, en la soûmettant cependant au jugement des lecteurs instruits. En supposant même que M. Bossuet parle de la foi raisonnée de la divinité des Ecritures; s'il soûtient que cette foi ne peut être fondee que sur l'autorité même de l'Eglise, ce n'est - là qu'un argument qu'il employe dans la chaleur de la dispute, pour presser plus fortement la nécessité d'une autorité infaillible. Son argument peut bien n'être pas solide, sans que sa cause en souffre: un tribunal supreme pour décider les points obscurs, difficiles, & controversés, n'en est pas moins nécessaire, quoique la question générale, claire, & facile à décider, de la divinité des Ecritures, que tous les Chrétiens reçoivent, & celle de l'infaillibilité de l'Eglise, ne puissent pas être portées à ce même tribunal. Aussi voyons - nous que c'est en attaquant M. Bossuet sur ce principe qui semble opposé à notre analyse, que le ministre Claude le presse avec le plus de force & de vivacite.

2°. Mais, dira - t - on, il est toûjours vrai que selon votre analyse un adulte ne peut pas croire la divinité & l'inspiration des Ecritures sans les avoir lûes. Or cela est contraire aux principes de nos théologiens contre les Protestans, & très - favorable à ce que ceux - ci soûtiennent de la suffisance de l'Ecriture pour régler la croyance des Chrétiens.

De même, dans votre sentiment il sera nécessaire pour croire à l'infaillibilité de l'Eglise, d'avoir lû les passages sur lesquels son autorité est établie, & d'en avoir pénétré le sens.

Et comme le plus grand nombre des Chrétiens ne lisent point l'Ecriture; faute de remplir cette condition ils ne croiront ni à la divinité des livres saints, ni à l'infaillibilité de l'Eglise.

Je répons 1°. tout ce qu'on pourroit conclure de nos principes, c'est qu'on ne croit point d'une foi raisonnée les deux dogmes de la divinité des Ecritures & de l'infaillibilité de l'Eglise sans avoir lû les Ecritures; & que ceux qui n'auront pas rempli cette condition, n'auront point de motifs raisonnés de leur croyance: mais cela n'entraîne aucun inconvenient qui nous soit particulier; il restera toûjours aux simples cette autre foi dont nous ne parlons point dans notre analyse, & que les Théologiens appellent infuse. Pour cette foi, il n'est pas besoin d'avoir lû l'Ecriture, ni refléchi sur les principes de la croyance chrétienne. [p. 13]

Ceux qui nous font cette difficulté, pourroient - ils assûrer que les simples ont une persuasion raisonnée de beaucoup d'autres principes non moins essentiels à croire; l'infaillibilité même de l'Eglise, la croyent-ils d'une foi raisonnée? Si cette vérité n'est point fondée sur la révélation, mais sur des motifs de crédibilité, il faudra que ces hommes grossiers y fassent réflexion pour que leur foi soit raisonnée; & ces réflexions quelles qu'elles soient, valables ou peu solides, peut - on assûrer qu'ils les ont faites?

2°. Pour que le chrétien se convainque de la divinité & de l'inspiration de l'Ecriture, il n'est pas nécessaire qu'il la lise. Nous avons représenté dans notre analyse cette proposition, l'Ecriture est la parole de Dieu, comme étroitement & évidemment liée avec celle ci, la religion chrétienne est émanée de Dieu; cette liaison est évidente, & les plus simples la peuvent saisir. Il n'y a point de dogme plus essentiel à la religion chrétienne, qu'elle enseigne plus expressément & qu'elle suppose plus nécessairement; de sorte que le fidele s'élevera par la voie du raisonnement à la persuasion de cette vérité, l'Ecriture - sainte est la parole de Dieu, en même tems qu'il parviendra à se convaincre de celle - ci, la religion chrétienne est émanée de Dieu. Or pour acquérir une persuasion raisonnée de cette derniere proposition, le simple fidele n'a pas besoin de lire l'Ecriture; il suffit qu'il sache en gros l'histoire de la religion, de la vie & de la mort de Jesus - Christ, des miracles qui ont servi à son établissement, &c. ces choses sont connues dans la société dans laquelle il vit; on les raconte sans que personne reclame; on cite les endroits de l'Ecriture qui les contiennent; le sens qu'on leur donne est simple & naturel. Voilà une certitude dans le genre moral, d'après laquelle l'homme grossier regle prudemment sa croyance.

En effet, entendre citer l'Ecriture par tant de gens qui la lisent & qui l'ont lûe, c'est exactement comme si on la lisoit soi - même. Remarque importante, à laquelle je prie qu'on fasse attention. Je dis à - peu - près la même chose de la croyance de l'infaillibilite de l'Eglise.

Si je ne m'étois pas déjà beaucoup étendu sur cette matiere, je ferois remarquer les avantages que peut donner la méthode que je propose dans nos controverses avec les Protestans. Si on veut faire sur cela quelques réflexions, on se convaincra facilement que cette maniere d'analyser la foi ne laisse plus aucun lieu aux difficultés qu'ils ont opposées aux théologiens catholiques; difficultés tirées de l'embarras, qu'on éprouve à faire concourir ensemble, comme motifs de la foi, l'autorité de l'Eglise & celle de l'Ecriture, de la dignité & de la suffisance de l'Ecriture, &c.

Nous terminerons cette question en rapportant les analyses de la foi que proposent les Protestans, & en les comparant à la nôtre.

On conçoit d'abord que l'autorité de l'Eglise n'entre pour rien dans leurs méthodes; & c'est ce qui les distingue de celles que les Catholiques adoptent. Nous avons vû que dans l'analyse de la foi il faut expliquer comment le fidele est certain de ces deux vérités, l'Ecriture est la parole de Dieu, & ce que je crois est contenu dans l'Ecriture; en excluant l'autorité infaillible de l'Eglise, ils ont été embarrassés sur l'un & sur l'autre point.

Pour le premier article, le plus grand nombre des docteurs protestans ont dit que l'Ecriture avoit des caracteres qui prouvent sa divinité à celui qui la lit, par la voie du jugement particulier.

Ce jugement particulier, selon eux, suffit au fidele pour lui faire distinguer sûrement les livres canoniques de ceux qui ne le sont pas, même alors que tous les Chrétiens ne les reçoivent pas, & pour juger aussi de l'authenticité des textes courts: d'où l'on voit qu'il ne faut pas confondre ce jugement particulier, avec le jugement général qu'on porte de la divinité du corps des Ecritures, & qu'on fonde sur les motifs de crédibilité qui appuient la divinité de la religion chrétienne.

Il faut distinguer encore ce jugement particulier de l'enthousiasme & de l'inspiration immédiate qu'ont admis quelques fanatiques, comme Robert Barclay, & ne pas reprocher aux docteurs protestans une opinion qu'ils rejettent expressément.

Ce jugement particulier n'est pas même admis uniquement par tous les théologiens protestans pour juger de la divinité des Ecritures. La Placette ministre très - estimé, mort à Utrecht en 1718, s'est rapproché en ce point des théologiens catholiques, dans un traité de la foi divine. Il soûtient d'après Grégoire de Valence & d'autres théologiens catholiques, que la divinité des Ecritures peut être appuyée dans l'esprit du fidele & dans l'analyse de la foi, immédiatement sur la divinité de la religion chrétienne: c'est ce que nous avons dit, mais avee des restrictions que ce ministre ne peut pas apporter, & au défaut desquelles son analyse est défectueuse. En effet dans nos principes, la divinité des déutérocanoniques des textes courts, &c. n'étant pas liée intimement & évidemment avec cette vérité, la religion chrétienne est émanée de Dieu, il est nécessaire de recourir à l'autorité suprème de l'Eglise, pour recevoir d'elle ces livres & ces textes comme divins & inspirés; d'où il suit que le protestant qui a secoüé le joug de l'Eglise, ne peut plus appuyer solidement le jugement qu'il porte de leur authenticité.

Quant au sens des Ecritures, tous les Protestans ont dit que l'esprit privé, ou le jugement particulier, en étoit juge; & ils ont fondé cette assertion sur ce que l'Ecriture est claire, & qu'une médiocre attention suffit pour en découvrir le sens naturel. Ils ont ajoûte qu'en supposant même qu'elle eût quelque obscurité pour les fideies simples & grossiers, ce qui manqueroit non pas à l'évidence de l'objet, mais à la disposition du sujet, pouvoit être suppléé par Dieu au moyen d'un secours qui ouvre l'esprit des simples, & qui les rend capables de saisir & de comprendre les vérités nécessaires à croire pour le salut.

La Placette manie cette idée avec beaucoup d'adresse; il s'appuie de l'autorite de nos controversistes qui ont reconnu un semblable secours; & il forme cette analyse de la foi, que je rapporterai en entier, parce qu'on peut dire que c'est ce qu'il y a de mieux sur cet article dans la théologie protestante.

1°. La religion chrétienne est émanée de Dieu; 2°. si elle est véritable & émanée de Dieu, l'Ecriture - sainte est la parole de Dieu; 3°. si l'Ecriture est la parole de Dieu, on peut & on doit croire de foi divine tout ce qu'elle contient; 4°. on ne manque pas de moyens pour s'assûrer que certaines choses sont dans l'Ecriture; 5°. il y a diverses choses dans l'Ecriture qu'on peut s'assûrer qui y sont contenues, en se servant de ces moyens.

Nous avons déjà remarqué le défaut de cette analyse, quant à la deuxieme proposition; elle est encore défectueuse dans la troisieme & dans la quatrieme. Il y a beaucoup de choses qu'on ne peut pas s'assûrei être contenues dans l'Ecriture, sans le secours d'une autorité dépositaire & interprete du sens des passages qui les renferment. L'Ecriture en beaucoup d'endroits est obscure & difficile, même pour les personnes un peu instruites. On avance gratuitement que Dieu donne ce secours extraordinaire que supposent les Prote stans; & il est bien plus simple qu'il ait donné aux apôtres & à leurs successeurs, le droit suprème d'expliquer l'Ecriture dans les endroits difficiles, & de décider en dernier ressort les contesta<pb->

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