ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Feu de joie (Page 6:637)

Feu de joie, (Littérat.) illumination nocturne donnée au peuple pour spectacle public dans des occasions de réjoüissances réelles ou supposées.

C'est une question encore indécise de savoir st les anciens, dans les fêtes publiques, allumoient des feux par un autre motif que par esprit de religion. Un membre de l'académie des Belles - Lettres de Paris soûtient la négative: ce n'est pas qu'il nie que les anciens ne fissent comme nous des réjoüissances aux publications de paix, aux nouvelles des victoires remportées sur leurs ennemis, aux jours de naissance, de proclamation, de mariage de leurs princes, & dans leur convalescence après des maladies dangereuses; mais, selon M. Mahudel, le feu dans toutes ces occasicns ne servoit qu'à brûler les victimes ou l'encens; & comme la plûpart de ces sacrifices se faisoient la nuit, les illuminations n'étoient employées que pour éclairer la cérémonie, & non pour divertir le peuple.

Quant aux buchers qu'on élevoit après la mort des empereurs, quelque magnifiques qu'ils fussent, on conçoit bien que ce spectacle lugubre n'avoit aucun rapport avec des feux de joie. D'un autre côté, quoique la pompe de la marche des triomphes se terminât toûjours par un sacrifice au capitole, où un feu allumé pour la consécration de la victime l'attendoit, ce feu ne peut point passer pour un feu de joie: enfin par rapport aux feux d'artifices qui étoient en usage parmi les anciens, & qu'on pourroit présumer avoir fait partie des réjoüissances publiques, M. Mahudel prétend qu'on n'en voit d'autre emploi que dans les seules machines de guerre, propres à porter l'incendie dans les villes & dans les bâtimens ennemis.

Mais toutes ces raisons ne prouvent point que les anciens n'allumassent aussi des feux de joie en signe de réjoüissances publiques. En effet, il est difficile de se persuader que dans toutes les fêtes des Grecs & des Romains, & dans toutes les celébrations de leurs jeux, les feux & les illuminations publiques se rapportassent toûjours uniquement à la religion, sans que le peuplen'y prît part à - peu - près comme parmi nous.

Dans les lampadophories des Grecs, où l'on se servoit de lampes pour les sacrifices, on y célébroit pour le peuple différens jeux à la lueur des lampes; & comme ces jeux étorent accompagnés de danses & de divertissemens, on voit que ces sor es d'illuminations étoient en même tems prophanes & sacrées. L'appareil d'une autre fête nommée lamptéries, qui se faisoit à Pallene, & qui étoit dédiée à Bacchus, consistoit en une grande illumination nocturne & dans une profusion de vin qu'on versoit aux passans.

Il faut dire la même chose des illuminations qui entroient dans la solennité de plusieurs fêtes des Romains, & entr'autres dans celle des jeux séculaires qui duroient trois nuits, pendant lesquelles il sembloit que les empereurs & les édiles qui en faisoient la dépense, voulussent, par un excès de somptuosité, dédommager le peuple de la rareté de leur célébration. Capitolin observe que l'illumination que donna Philippe, dans les jeux qu'il célébra à ce sujet, fut si magnifique, que ces trois nuits n'eurent point d'obscurité.

On n'a pas d'exemple de feu de joie plus remarquable que celui que Paul Emile, après la conquête de la Macédoine, alluma lui - même à Amphipolis, en présence de tous les princes de la Grece qu'il y avoit invités. La décoration lui coûta une année entiere de pleparatifs; & quoique l'appareil en eût été composé pour rendre hommage aux dieux qui présidoient à la victoire, cette fête fut accompagnée de tous les spectacles auxquels le peuple est sensible.

Enfin depuis les derniers siecles du paganisme, on pourroit citer plusieurs exemples de feux allumes pour d'autres sujets que pour des cerémonies sacrées. Saint Bernard remarque que le feu de la veille de S. Jean - Baptiste continué jusqu'à nos jours, se pratiquoit déjà chez les Sarrasins & chez les Turcs. Il semble résulter de ce détail, qu'on peut dater l'usage des feux de joie de la premiere antiquité, & par conséquent long tems avant la découverte de la poudre, qui seulement y a joint les agrémens des feux d'artifice, qu'on y employe avec grand succès dans nos feux de joie, malgré le vent, la pluie, les eaux courantes & profondes.

Au surplus, quel que soit le mérire de nos illuminations modernes, il ne s'en est point fait dans le monde qui ait procuré de plaisir pareil à celui du simple feu d'Hadrien. Ce prince ordonna qu'on le préparât dans la place de Trajan, & que le peuple romain fût invité de s'y rendre. Là, dit Dion, (liv. LXXIX.) l'empereur, en présence de la ville entiere, annula toutes ses créances sur les provinces, en brûla, dans le feu qu'il avoit commandé, les obligations & les mémoires, afin qu'on ne put craindre d'en être un jour recherché, & ensuite il se retira pour laisser le peuple libre de célébrer ses bienfaits. Ils montoient à une somme immense, que des personnes habiles à réduire la valeur des monnoies de ce tems - là, évaluent à environ 133 millions 500 milles livres argent de France (1756). Aussi la mémoire de cette belle action ne périra jamais, puisqu'elle s'est conservée dans les historiens, les inseriptions, & les médailles. Voyez Mabillon, analect. tom. IV. pag. 484 & 486. Onuphre, in fastis, pag. 220. Spanheim de iumisinat. pag. 811. &c. Mais comme cette libéralité n'avoit point eu d'exemple jusqu'alors dans aucun souverain, il faut ajoûter à la honte des - souverains de la terre, qu'elle n'a point eu depuis d'imitateurs. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Feu sacré (Page 6:637)

Feu sacré, (Littérat.) brasier qu'on conservoit toûjours allumé dans les temples, & dont le soin étoit confié aux prêtres ou aux prêtresses de la religion.

Il n'est pas surprenant que des hommes, qui ne consultoient que les effets qui s'operent dans la nature, ayent adoré le Soleil comme le créateur & le maître de l'univers. Le culte du feu suivit de près celui qu'on rendit au Soleil; vive image de cet astre lumineux & le plus pur des élémens, il s'attira des especes d'adorations de tous les peuples du monde, & devint pour eux un grand objet de respect, ou pour mieux dire, un instrument de terreur. L'Ecriture nous enseigne que Dieu s'en est servi de ces deux manieres. Tantôt le Seigneur se compare à un feu ardent pour designer sa sainteté; tantôt il se rend visible sous l'apparence d'un buisson enflammé, ou formidable par des menaces d'un feu dévorant, & par des pluies de soufre; quelquefois avant que de parler aux Juifs, il saisit leur attention par des éclairs; & d'autres fois marchant, pour ainsi dire, avec son peuple, il se fait précéder d'une colonne de feu.

Les rois d'Asie, au rapport d'Hérodote, faisoient toûjours porter du feu devant eux: Ammien Marcellin, parlant de cette coûtume, la tire d'une tradition qu'avoient ces rois, que le feu qu'ils conservoient pour cet usage, étoit descendu du ciel: Quinte - Curce ajoûte que ce feu sacré & éternel étoit aussi porté dans la marche de leurs armées à la tête des troupes sur de petits autels d'argent, au milieu des mages qui chantoient les cantiques de leur pays.

Ainsi la vénération pour le feu se répandit chez toutes les nations, qui toutes l'envisagerent comme une chose sacrée, parce que le même esprit de la nature regnoit dans leurs rites & leur culte extérieur. On ne voyoit alors aucun sacrifice, aucune [p. 638] cérémonie religieuse où il n'entrât du feu; & celui qui servoit à parer les autels & à consumer les victimes, étoit fur - tout regardé avec le plus grand respect. C'est par cette raison que l'on gardoit du feu perpétuellement allumé dans les temples des Perses, des Chaldéens, des Grecs, des Romains & des Egyptiens. Moyse, établi de Dieu le conducteur des Hébreux, en fit de la part du Seigneur une loi pour ce peuple. « Le feu, dit - il, brûlera sans cesse sur l'autel, & le prêtre aura soin de l'entretenir, en y mettant le matin de chaque jour du bois, sur lequel ayant posé l'holocauste, il fera brûler par - dessus la graisse des hosties pacifiques, & c'est - là le feu qui brûlera toûjours sans qu'on le puisse éteindre ». Lévitiq. ch. vj.

Il semble toutefois que le lieu du monde où l'on révéra davantage cet élément, étoit la Perse: on y trouvoit par - tout des enclos fermés de murailles & sans toîts, où l'on faisoit assidûment du feu, & où le peuple dévot venoit en foule à certaines heures pour prier. Les grands seigneurs se ruinoient à y jetter des essences précieuses & des fleurs odoriférantes; privilége qu'ils regardoient comme un des plus beaux droits de la noblesse. Ces enclos ou ces temples découverts, ont été connus des Grecs sous le nom de PURAQEIA, & ce sont les plus anciens monumens qui nous restent de l'idolatrie du feu. Strabon qui avoit eu la curiosité de les examiner, raconte qu'il y avoit un autel au milieu de ces sortes de temples, avec beaucoup de cendres, sur lesquelles les mages entretenoient un feu perpétuel.

Quand les rois de Perse étoient à l'agonie, on éteignoit le feu dans les villes principales du royaume; & pour le rallumer, il falloit que son successeur fût couronné. Ces peuples s'imaginoient que le feu avoit été apporté du ciel, & mis sur l'autel du premier temple que Zoroastre avoit fait bâtir dans la ville de Xis en Médie. Il étoit défendu d'y jetter rien de gras ni d'impur; on n'osoit pas même le regarder fixement. Enfin pour en imposer davantage, les prêtres entretenoient ce feu secretement, & faisoient accroire au peuple qu'il étoit inaltérable, & se nourrissoit de lui - même. Voyez Th. Hyde, de relig. Persarum.

Cette folie du culte du feu passa chez les Grecs; un feu sacré brûloit dans le temple d'Apollon à Athenes, & dans celui de Delphes, où des veuves chargées de ce soin, devoient avoir une attention vigilante pour que le brasier fût toûjours ardent. Un feu semblable brûloit dans le temple de Cérès à Mantinée, ville de Péloponese: Sétenus commit un nombre de filles à la garde du feu sacré, & du simulacre de Pallas dans le temple de Minerve. Plutarque parle d'une lampe qui brûloit continuellement dans le temple de Jupiter Hammon, LU/XION A)/SBESTON, & l'on y mettoit de l'huile en cachette une seule fois l'année.

Mais dans l'antiquité payenne, nul feu sacré n'est plus célebre que le feu de Vesta, la divinité du Feu, ou le feu même. Son culte consistoit à veiller à la conservation du feu qui lui étoit consacré, & à prendre bien garde qu'il ne s'éteignît; ce qui faisoit le principal devoir des vestales, c'est - à - dire des prêtresses vierges attachées au service de la déesse. V. Vesta & Vestales.

L'extinction du feu sacré de Vesta, dont la durée passoit pour le type de la grandeur de l'empire, étoit regardé conséquemment comme un présage des plus funestes; & la négligence des vestales à cet égard, étoit punie du foüet. D'éclatans & de malheureux évenemens que la fortune avoit placés à - peu - près dans les tems où le feu sacré s'étoit éteint, avoient fait naître une superstition qui s'étendit jusque sur les gens les plus sensés. Le feu sacré s'éteignit dans la conjoncture de la guerre de Mithridate; Rome vit encore consumer le feu & l'autel de Vesta, pendant ses troubles intestins. C'est à cette occasion que Plutarque remarque que la lampe sacrée finit à Athenes durant la tyrannie d'Aristion, & qu'on éprouva la même chose à Delphes, peu de tems après l'incendie du temple d'Apollon: l'évenement néanmoins ne justifia pas toûjours la foiblesse d'esprit, & le scrupule des Romains.

Dans la seconde guerre punique, parmi tous les prodiges vûs à Rome ou rapportés du dehors, selon Tite - Live, la consternation ne fut jamais plus grande que lorsqu'on apprit que le feu sacré venoit de s'éteindre au temple de Vesta: ni, selon cet historien, les épis devenus sanglans entre les mains des moissonneurs, ni deux soleils apperçûs à - la - fois dans la ville d'Albe, ni la foudre tombée sur plusieurs temples des dieux, ne firent point sur le peuple la même impression qu'un accident arrivé de nuit par une pure négligence humaine. On en fit une punition exemplaire; le pontife n'eut d'égard qu'à la loi casa flagro est vestalis; toutes les affaires cesserent, tant publiques que particulieres; on alla en procession au temple de Vesta, & on expia le crime de la vestale par l'immolation des grandes victimes. L'appréhension du peuple romain portoit cependant à faux dans cette occasion; & cet accident qui avoit mis tout Rome en mouvement, fut précédé du triomphe de Marcus Livius & de Claudius Néron, & suivi des grands avantages par lesquels Scipion finit la guerre d'Espagne contre les Carthaginois.

Quoi qu'il en soit, quand le feu sacré venoit à s'éteindre par malheur, on ne songeoit qu'à le rallumer le plûtôt possible: mais comment s'y prenoit - on? car il ne talloit pas user pour cela d'un feu matériel, comme si ce feu nouveau ne pouvoit être qu'un présent du ciel? du moins, selon Plutarque, il n'étoit permis de le tirer que des rayons même du Soleil: à l'aide d'un vase d'airain les rayons venant à se réunir, la matiere seche & aride sur laquelle tomboient ces rayons, s'allumoit aussi - tôt; ce vase d'airain étoit, comme l'on voit, une espece de miroir ardent. Voyez Ardent.

On sait que Festus n'est point d'accord avec Plutarque sur ce sujet; car il assûre que pour rallumer le feu sacré, on prenoit une table de bois qu'on perçoit avec un vilbrequin, jusqu'à ce que l'attrition produisît du feu qu'une vestale recevoit dans un crible d'airain, & le portoit en hâte au temple de Vesta, bâti par Numa Pompilius; & alors elle jettoit ce feu dans des réchauds ou vaisseaux de terre, qui étoient placés sur l'autel de la déesse.

Lipse adopte ce dernier sentiment de Festus, & soûtient que le passage de Plutarque cité ci - dessus, se doit entendre des Grecs & non des Romains, d'autant mieux que les vases creux dont il parle, & qui n'étoient autre chose que les miroirs paraboliques, ont été inventés par Archimede, lequel est postérieur à Numa de plus de 500 ans.

Cependant, outre qu'on ne peut guere appliquer les paroles de Plutarque à la coûtume des Grecs sans leur faire une grande violence, il seroit aisé de concilier Festus & Plutarque, en ayant égard aux divers tems de la république. Je croirois donc que depuis Numa jusqu'à Archimede, les Romains ignorant l'usage des miroirs ardens, ont pû se servir de l'invention de produire du feu qui est décrite par Festus: mais depuis qu'Archimede eut fait des épreuves merveilleuses avec ses miroirs, & sur - tout depuis qu'il en eut écrit un livre exprès, comme Pappus le rapporte, cette invention fut connue de tout le monde, & pour lors les Romains s'en servirent sans doute comme d'un moyen plus noble & plus facile que tout autre pour rallumer le feu sacré. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

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