ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"579"> du Rhin, avec la princesse d'Angleterre, en fut l'occasion & l'objet. Elles commencerent le premier jour par des feux d'artifice en action sur la Tamise; idée noble, ingénieuse, & nouvelle, qu'on a trop négligée après l'avoir trouvée, & qu'on auroit dû employer toûjours à la place de ces desseins sans imagination & sans art, qui ne produisent que quelques étincelles, de la fumée, & du bruit.

Ces feux furent suivis d'un festin superbe, dont tous les dieux de la fable apporterent les services, en dansant des ballets formés de leurs divers caracteres*. Un bal éclairé avec beaucoup de goût, dans des salles préparées avec grande magnificence, termina cette premiere nuit.

La seconde commença par une mascarade aux flambeaux, composée de plusieurs troupes de masques à cheval. Elles précédoient deux grands chariots éclairés par un nombre immense de lumieres, cachées avec art aux yeux du peuple, & qui portoient toutes sur plusieurs grouppes de personnages qui y étoient placés en différentes positions. Dans des coins dérobés à la vûe par des toiles peintes en nuages, on avoit rangé une foule de joüeurs d'instrumens; on joüissoit ainsi de l'effet, sans en appercevoir la cause, & l'harmonie alors a les charmes de l'enchantement.

Les personnages qu'on voyoit sur ces chariots étoient ceux qui alloient représenter un ballet devant le roi, & qui formoient par cet arrangement un premier spectacle pour le peuple, dont la foule ne sauroit à la vérité être admise dans le palais, mais qui dans ces occasions doit toûjours être comptée pour beaucoup plus qu'on ne pense.

Toute cette pompe, après avoir traversé la ville de Londres, arriva en bon ordre, & le ballet commença. Le sujet étoit le temple de l'honneur, dont la justice étoit établie solennellement la prêtresse.

Le superbe conquérant de l'Inde, le dieu des richesses, l'ambition, le caprice, chercherent en vain à s'introduire dans ce temple; l'honneur n'y laissa pénétrer que l'amour & la beauté, pour chanter l'hymne nuptial des deux nouveaux époux

Rien n'est plus ingénieux que cette composition, qui respiroit par - tout la simplicité & la garanterie.

Deux jours après, trois cents gentilshommes représentant toutes les nations du monde, & divisés par troupes, parurent sur la Tamise dans des bateaux ornés avec autant de richesse que d'art. Ils étoient précédés & suivis d'un nombre infini d'instrumens, qui joüoient sans cesse des fanfares, en se répondant les uns les autres. Après s'être montrés ainsi à une multitude innombrable, ils arriverent au palais du roi où ils danserent un grand ballet allégorique.

La religion réunissant la Grande - Bretagne au reste de la terre (a) étoit le sujet de ce spectacle.

Le théatre représentoit le globe du monde: la vérité, sous le nom d'Alithie, étoit tranquillement couchée à un des côtés du théatre. Après l'ouverture, les Muses exposerent le sujet.

Atlas parut avec elles; il dit qu'ayant appris d'Archimede que si on trouvoit un point fixe, il seroit aisé d'enlever toute la masse du monde, il étoit venu en Angleterre, qui étoit ce point si difficile à trouver, & qu'il se déchargeroit desormais du poids qui l'avoit accablé, sur Alithie, compagne inséparable du plus sage & du plus éclairé des rois.

Après ce récit, le vieillard accompagné de trois muses, Uranie, Terpsicore, & Clio, s'approcha du globe, & il s'ouvrit.

L'Europe vêtue en reine en sortit la premiere sui<->

* Cette partie étoit imitée de la fête de Bergonce de Botta. (a) En opposition à cet ancien proverbe, & toto divisos orbe Britannos.
vie de ses filles, la France, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, & la Grece: l'Océan & la Méditerranée l'accompagnoient, & ils avoient à leur suite la Loire, le Guadalquivir, le Rhin, le Tibre, & l'Acheloüs.

Chacune des filles de l'Europe avoit trois pages caractérisés par les habits de leurs provinces. La France menoit avec elle un Basque, un Bas - Breton; l'Espagne, un Arragonois & un Catalan: l'Allemagne, un Hongrois, un Bohémien, & un Danois; l'Italie, un Napolitain, un Vénitien, & un Bergamasque; la Grece, un Turc, un Albanois, & un Bulgare.

Cette suite nombreuse dansa un avant - ballet; & des princes de toutes les nations qui sortirent du globe avec un cortege brillant, vinrent danser successivement des entrées de plusieurs caracteres avec les personnages qui étoient déjà sur la scène.

Atlas fit ensuite sortir dans le même ordre les autres parties de la terre, ce qui forma une division simple & naturelle du ballet, dont chacun des actes fut terminé par les hommages que toutes ces nations rendirent à la jeune princesse d'Angleterre, & par des présens magnifiques qu'elles lui firent.

L'objet philosophique de tous les articles de cet Ouvrage, est de répandre, autant qu'il est possible, des lumieres nouvelles sur les différentes opérations des Arts; mais on est bien loin de vouloir s'arroger le droit de leur prescrire des regles, dans les cas mêmes où ils operent à l'aventure, & où nulle loi écrite, nulle réflexion, nul écrit, ne leur a tracé les routes qu'ils doivent suivre. L'honneur de la législation ne tente point des hommes qui ne savent qu'aimer leurs semblables; ils écrivent moins dans le dessein de les instruire, que dans l'espérance de les rendre un jour plus heureux.

C'est l'unique but & la gloire véritable des Arts. Comme on doit à leur industrie les commodités, les plaisirs, les charmes de la vie, plus ils seront éclairés, plus leurs opérations, répandront d'agréables délassemens sur la terre; plus les nations où ils seront favorisés auront des connoissances, & plus le goût fera naître dans leur ame des sentimens délicieux de plaisir.

C'est dans cette vûe qu'on s'est étendu sur cet article. On a déjà dû appercevoir, par le détail où on est entré, que le point capital dans ces grands spectacles, est d'y répandre la joie, la magnificence, l'imagination, & sur - tout la décence: mais une qualité essentielle qu'il faut leur procurer avec adresse, est la participation sage, juste, & utile, qu'on doit y ménager au peuple dans tous les cas de réjoüissance générale. On a démélé sans peine dans les fêtes de Londres, que les préparatifs des spectacles qu'on donna à la cour, furent presque tous offerts à la curiosité des Anglois. Outre les feux d'artifice donnés sur la Tamise, on eut l'habileté de faire partir des quartiers les plus éloignés de Londres, & d'une maniere aussi élégante qu'ingénieuse, les acteurs qui devoient amuser la cour. On donnoit ainsi à tous les citoyens la part raisonnable qui leur étoit dûe des plaisirs qu'alloient prendre leurs maîtres.

Le peuple, qu'on croit faussement ne servir que de nombre, nos numerus sumus, &c. n'est pas moins cependant le vrai trésor des rois: il est, par son industrie & sa fidélité, cette mine féconde qui fournit sans cesse à leur magnificence; la nécessité le ranime, l'habitude le soûtient, & l'opiniâtreté de ses travaux devient la source intarissable de leurs forces, de leur pouvoir, de leur grandeur. Ils doivent donc lui donner une grande part aux réjoüissances solennelles, puisqu'il a été l'instrument secret des avantages glorieux qui les causent. Voyez Fêtes de la Cour, de la Ville, des Princes de France , &c. Festins royaux, Illuminations , &c. Feu d'Artifice. (B) [p. 580]

Fêtes de la Cour de France (Page 6:580)

Fêtes de la Cour de France. Les tournois & les carrousels, ces fêtes guerrieres & magnifiques, avoient produit à la cour de France en l'année 1559 un évenement trop tragique pour qu'on pût songer à les y faire servir souvent dans les réjoüissances solennelles. Ainsi les bals, les mascarades, & sur - tout les ballets qui n'entraînoient après eux aucun danger, & que la reine Catherine de Médicis avoit connus à Florence, furent pendant plus de 50 ans la ressource de la galanterie & de la magnificence françoise.

L'aîné des enfans de Henri II. ne regna que dixsept mois; il en coûta peu de soins à sa mere pour le distraire du gouvernement, que son imbécillité le mettoit hors d'état de lui disputer; mais le caractere de Charles IX. prince fougueux, qui joignoit à quelque esprit un penchant naturel pour les Beaux - Arts, tint dans un mouvement continuel l'adresse, les ressources, la politique de la reine: elle imagina fêtes sur fêtes pour lui faire perdre de vûe sans cesse le seul objet dont elle auroit dû toûjours l'occuper. Henri III. devoit tout à sa mere; il n'étoit point naturellement ingrat; il avoit la pente la plus forte au libertinage, un goût excessif pour le plaisir, l'esprit leger, le coeur gâté, l'ame foible. Catherine profita de cette vertu & de ces vices pour arriver à ses fins: elle mit en jeules festins, les bals, les mascarades, les balets, les femmes les plus belles, les courtisans les plus libertins. Elle endormit ainsi ce prince malheureux sur un throne entouré de précipices: sa vie ne fut qu'un long sommeil embelli quelquefois par des images riantes, & troublé plus souvent par des songes funestes.

Pour remplir l'objet que je me propose ici, je crois devoir choisir parmi le grand nombre de fêtes qui furent imaginées duiant ce regne, celles qu'on donna en 1581 pour le mariage du duc de Joyeuse & de Marguerite de Lorraine, beile - soeur du roi. Je ne fais au reste que copier d'un historien contemporain les détails que je vais écrire.

« Le lundi 18 Septembre 1581, le duc de Joyeuse & Marguerite de Lorraine, fille de Nicolas de Vaudemont, soeur de la reine, furent fiancés en la chambre de la reine, & le dimanche suivant furent mariés à trois heures après midi en la paroisse de S. Germain de l'Auxerrois.

Le roi mena la mariée au moûtier, suivie de la reine, princesses, & dames tant richement vêtues, qu'il n'est mémoire en France d'avoir vû chose si somptueuse. Les habillemens du roi & du marié étoient semblables, tant couverts de broderie, de perles, pierreries, qu'il n'étoit possible de les estimer; car tel accoûtrement y avoit qui coûtoit dix mille écus de façon: & toutefois, aux dix - sept festins qui de rang & de jour à autre, par ordonnance du roi, furent faits depuis les nôces, par les princes, seigneurs, parens de la mariée, & autres des plus grands de la cour, tous les seigneurs & dames changerent d'accoûtremens, dont la plûpart étoient de toile & drap d'or & d'argent, enrichi, de broderies & de pierreries en grand nombre & de grand prix.

La dépense y fut si grande, y compris les tournois, mascarades, présens, devises, musique, livrées, que le bruit étoit que le roi n'en seroit pas quitte pour cent mille écus.

Le mardi 18 Octobre, le cardinal de Bourbon fit son festin de nôces en l'hôtel de son abbaye S. Germain des Prés, & fit faire à grands frais sur la riviere de Seine, un grand & superbe appareil d'un grand bac accommodé en forme de char triomphant, dans lequel le roi, princes, princescesses, & les mariés devoient passer du louvre au pré - aux - clercs, en pompe moult solemnelle; car ce beau char triomphant devoit être tiré par - dessus l'eau par d'autres bateaux déguisés en chevaux marins, tritons, dauphins, baleines, & autres monstres marins, en nombre de vingt - quatre, en aucun desquels étoient portés à couvert au ventre desdits monstres, trompettes, clairons, cornets, violons, haut - bois, & plusieurs musiciens d'excellence, même quelques tireurs de feux artificiels, qui pendant le trajet devoient donner maints passe - tems, tant au roi qu'à 50000 personnes qui étoient sur le rivage; mais le mystere ne fut pas bien joüé, & ne put - on faire marcher les animaux, ainsi qu'on l'avoit projetté; de façon que le roi ayant attendu depuis quatre heures du soir jusqu'à sept, aux Tuileries, le mouvement & acheminement de ces animaux, sans en appercevoir aucun effet, dépité, dit, qu'il voyoit bien que c'étoient des bêtes qui commandoient à d'autres bêtes; & étant monté en coche, s'en alla avec la reine & toute la suite, au festin qui fut le plus magnifique de tous, nommément en ce que ledit cardinal fit représenter un jardin artificiel garni de fleurs & de fruits, comme si c'eût été en Mai ou en Juillet & Août.

Le dimanche 15 Octobre, festin de la reine dans le Louvre; & après le festin, le ballet de Circé & de ses nymphes ».

Le triomphe de Jupiter & de Minerve étoit le sujet de ce ballet, qui fut donné sous le titre de ballet comique de la reine; il fut représenté dans la grande salle de Bourbon par la reine, les princesses, les princes, & les plus grands seigneurs de la cour.

Balthazar de Boisjoyeux, qui étoit dans ce tems un des meilleurs joüeurs de violon de l'Europe, fut l'inventeur du sujet, & en disposa toute l'ordonnance. L'ouvrage est imprimé, & il est plein d'inventions d'esprit; il en communiqua le plan à la reine, qui l'approuva: enfin tout ce qui peut démontrer la propriété d'une composition se trouve pour lui dans l'histoire. D'Aubigné cependant, dans sa vie qui est à la tête du baron de Foeneste, se prétend hardiment auteur de ce ballet. Nous datons de loin pour les vols littéraires.

« Le lundi 16, en la belle & grande lice dressée & bâtie au jardin du Louvre, se fit un combat de quatorze blancs contre quatorze jaunes, à huit heures du soir, aux flambeaux ».

« Le mardi 17, autre combat à la pique, à l'estoc, au tronçon de la lance, à pié & à cheval; & le jeudi 19, fut fait le ballet des chevaux, auquel les chevaux d'Espagne, coursiers, & autres en combattant s'avançoient, se retournoient, contournoient au son & à la cadence des trompettes & clairons, y ayant été dressés cinq mois auparavant.

Tout cela fut beau & plaisant: mais la grande excellence qui se vit les jours de mardi & jeudi, fut la musique de voix & d'instrumens la plus harmonieuse & la plus déliée qu'on ait jamais ouie (on la devoit au goût & aux soins de Baïf); furent aussi les feux artificiels qui brillerent avec effroyable épouvantement & contentement de toutes personnes, sans qu'aucun en fût offensé ».

La partie éclatante de cette fête, qui a été saisie par l'historien que j'ai copié, n'est pas celle qui méritoit le plus d'éloges: il y en eut une qui lui fut très - supérieure, & qui ne l'a pas frappé.

La reine & les princesses qui représentoient dans le ballet les nayades & les néréïdes, terminerent ce spectacle par des présens ingénieux qu'elles offrirent aux princes & seigneurs, qui, sous la figure de tritons, avoient dansé avec elles. C'étoient des médailles d'or gravées avec assez de finesse pour le tems: peut - être ne sera - t - on pas fâché d'en trouver

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