ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"577"> de se servir pour ravir à Apollon qui gardoit les troupeaux d'Admette, un veau gras dont il faisoit hommage aux nouveaux mariés. Pendant qu'il le mit sur la table, trois quadrilles qui le suivoient exécuterent une entrée.

Diane & ses nymphes succéderent à Mercure. La déesse faisoit suivre une espece de brancard doré, sur lequel on voyoit un cert: c'étoit, disoit - elle, un Actéon qui étoit trop heureux d'avoir cessé de vivre, puisqu'il alloit être offert à une nymphe aussi aimable & aussi sage qu'Isabelle.

Dans ce moment une symphonie mélodieuse attira l'attention des convives; elle annonçoit le chantre de la Thrace; on le vit joüant de sa lyre & chantant les louanges de la jeune duchesse.

« Je pleurois, dit - il, sur le mont Apennin la mort de la tendre Euridice; j'ai appris l'union de deux amans dignes de vivre l'un pour l'autre, & j'ai senti pour la premiere fois, depuis mon malheur, quelque mouvement de joie; mes chants ont changé avec les sentimens de mon coeur; une foule d'oiseaux a volé pour m'entendre, je les offre à la plus belle princesse de la terre, puisque la charmante Euridice n'est plus ».

Des sons éclatans interrompirent cette mélodie; Atalante & Thésée conduisant avec eux une troupe leste & brillante, représenterent par des danses vives une chasse à grand bruit: elle fut terminée par la mort du sanglier de Calydon, qu'ils offrirent au jeune duc en exécutant des ballets de triomphe.

Un spectacle magnifique succéda à cette entrée pittoresque. on vit d'un côté Iris sur un char traîné par des paons, & suivie de plusieurs nymphes vêtues d'une gase legere, qui portoient des plats couverts de ces superbes oiseaux.

La jeune Hébé parut de l'autre, portant le nectar qu'elle verse aux dieux; elle étoit accompagnée des bergers d'Arcadie chargés de toutes les especes de laitages, de Vertumne & de Pomone qui servirent toutes les sortes de fruits.

Dans le même tems l'ombre du délicat Apicius sortit de terre; il venoit préter à ce superbe festin les finesses qu'il avoit inventées, & qui lui avoient acquis la réputation du plus voluptueux des Romains.

Ce spectacle disparut, & il se forma un grand ballet composé des dieux de la mer & de tous les fleuves de Lombardie. Ils portoient les poissons les plus exquis, & ils les servirent en exécutant des danses de différens caracteres.

Ce repas extraordinaire fut suivi d'un spectacle encore plus singulier. Orphée en fit l'ouverture; il conduisoit l'hymen & une troupe d'amours: les graces qui les suivoient entouroient la foi conjugale, qu'ils présenterent à la princesse, & qui s'offrit à elle pour la servir.

Dans ce moment Sémiramis, Helene, Médée, & Cléopatre interrompirent le récit de la foi conjugale, en chantant les égaremens de leurs passions. Celle - ci indignée qu'on osât souiller, par des récits aussi coupables, l'union pure des nouveaux époux, ordonna à ces reines criminelles de disparoître. A sa voix, les amours dont elle étoit accompagnée fondirent, par une danse vive & rapide, sur elles, les poursuivirent avec leurs flambeaux allumés, & mirent le feu aux voiles de gase dont elles étoient coiffées.

Lucrece, Pénélope, Thomiris, Judith, Porcie & Sulpicie, les remplacerent en présentant à la jeune princesse les palmes de la pudeur, qu'elles avoient méritées pendant leur vie. Leur danse noble & modeste fut adroitement coupée par Bacchus, Silene & les Egypans, qui venoient célébrer une noce si illustre; & la fête fut ainsi terminée d'une maniere aussi gaie qu'ingénieuse.

Cet assemblage de tableaux en action, assez peu relatifs peut - être l'un à l'autre, mais remplis cependant de galanterie, d'imagination, & de variété, fit le plus grand bruit en Italie, & donna dans la suite l'idée des carrousels réguliers, des operas, des grands ballets à machines, & des fêtes ingénieuses avec lesquelles on a célébré en Europe les grands évenemens. Voyez le traité de la danse, liv. I. ch. ij. pag. 2, & les articles Ballet, Opéra, Spectacle

On apperçut dès - lors que dans les grandes circonstances, la joie des princes, des peuples, des particuliers même, pouvoit être exprimée d'une façon plus noble, que par quelques cavalcades monotones, par de tristes fagots embrasés en cérémonie dans les places publiques & devant les maisons des particuliers; par l'invention grossiere de tous ces amphithéatres de viandes entassées dans les lieux les plus apparens, & de ces dégoûtantes fontaines de vin dans les coins des rues; ou enfin par ces mascarades déplaisantes qui, au bruit des fifres & des tambours, n'apprêtent à rire qu'à l'ivresse seule de la canaille, & infectent les rues d'une grande ville, dont l'extrème propreté dans ces momens heureux, devroit être une des plus agréables démonstrations de l'allégresse publique.

Dans les cours des rois on sentit par cet exemple, que les mariages, les victoires, tous les évenemens heureux ou glorieux, pouvoient donner lieu à des spectacles nouveaux, à des divertissemens inconnus, à des festins magnifiques, que les plus aimables allégories animeroient ainsi de tous les charmes des fables anciennes; enfin que la descente des dieux parmi nous embelliroit la terre, & donneroit une espece de vie à tous les amusemens que le génie pouvoit inventer; que l'art sauroit mettre en mouvement les objets qu'on avoit regardés jusqu'alors comme des masses immobiles, & qu'à force de combinaisons & d'efforts, il arriveroit au point de perfection dont il est capable.

C'est sur ce développement que les cours d'Italie imiterent tour - à - tour la fête de Bergonce de Botta; & Catherine de Medicis en portant en France le germe des beaux Arts qu'elle avoit vû renaître à Florence, y porta aussi le goût de ces fêtes brillantes, qui depuis y fut poussé jusqu'à la plus superbe magnificence & la plus glorieuse perfection.

On ne parlera ici que d'une seule des fêtes de cette reine, qui avoit toûjours des desseins, n'eut jamais de scrupules, & qui sut si cruellement se servir du talent dangereux de ramener tout ce qui échappoit de ses mains, à l'accomplissement de ses vûes.

Pendant sa régence, elle mena le roi à Bayonne, où sa fille reine d'Espagne, vint la joindre avec le duc d'Albe, que la régente vouloit entretenir: c'estlà qu'elle déploy a tous les petits ressorts de sa politique vis - à - vis d'un ministre qui en connoissoit de plus grands, & les ressources d'une fine galanterie vis - à - vis d'une foule de courtisans divisés, qu'elle avoit intérêt de distraire de l'objet principal qui l'avoit amenée.

Les ducs de Savoie & de Lorraine; plusieurs autres princes étraugers, étoient accourus à la cour de France, qui étoit aussi magnifique que nombreuse. La reine qui vouloit donner une haute idée de son administration, donna le bal deux fois le jour, festins sur festins, fête sur fête. Voici celle où je trouve le plus de variété, de goût, & d'invention. Voyez les mémoires de la reine de Navarre.

Dans une petite île située dans la riviere de Bayonne, couverte d'un bois de haute - futaie, la reine fit faire douze grands berceaux qui aboutissoient à un sallon de forme ronde, qu'on avoit pratiqué dans le milieu. Une quantité immense de lustres de fleurs fa<pb-> [p. 578] rent suspendus aux arbres, & on plaça une table de douze couverts dans chacun des berceaux.

La table du roi, des reines, des princes & des princesses du sang, étoit dressée dans le milieu du sallon; ensorte que rien ne leur cachoit la vûe des douze berceaux où étoient les tables destinées au reste de la cour.

Plusieurs symphonistes distribués derriere les berceaux & cachés par les arbres, se firent entendre dès que le roi parut. Les filles d'honneur des deux reines, vêtues élégamment partie en nymphes, partie en nayades, servirent la table du roi. Des satyres qui sortoient du bois, leur apportoient tout ce qui étoit nécessaire pour le service.

On avoit à peine joüi quelques momens de cet agréable coup - d'oeil, qu'on vit successivement paroître pendant la durée de ce festin, différentes troupes de danseurs & de danseuses, représentant les habitans des provinces voisines, qui danserent les uns après les autres les danses qui leur étoient propres, avec les instrumens & les habits de leur pays.

Le festin fini, les tables disparurent: des amphithéatres de verdure & un parquet de gason furent mis en place comme par magie: le bal de cérémonie commença, & la cour s'y distingua par la noble gravité des danses sérieuses, qui étoient alors le fond unique de ces pompeuses assemblées.

C'est ainsi que le goût pour les divers ornemens que les fables anciennes peuvent fournir dans toutes les occasions d'éclat à la galanterie, à l'imagination, à la variété, à la pompe, à la magnificence, gagnoit les esprits de l'Europe depuis la fête ingénieule de Bergonce de Botta.

Les tableaux merveilleux qu'on peut tirer de la fable, l'immensité de personnages qu'elle procure, la foule de caracteres qu'elle offre à peindre & à faire agir, sont en effet les ressources les plus abondantes. On ne doit pas s'étonner si elles furent saisies avec ardeur & adoptées sans scrupule, par les personnages les plus graves, les esprits les plus éclairés, & les ames les plus pures.

J'en trouve un exemple qui fera connoître l'état des moeurs du tems, dans une fête publique préparée avec toute la dépense possible, & exécutée avec la pompe la plus solennelle. Je n'en parle que d'après un religieux aussi connu de son tems par sa piété, que par l'abondance de ses recherches & de ses ouvrages sur cette matiere. C'est à Lisbonne que fut célebrée la fête qu'il va décrire.

« Le 31* Janvier (1610), après l'office solennel du matin & du soir, sur les quatre heures après midi, deux cents arquebusiers se rendirent à la porte de Notre Dame de Lorette, où ils trouverent une machine de bois d'une grandeur énorme, qui représentoit le cheval de Troye.

Ce cheval commença dès - lors à se mouvoir par de secrets ressorts, tandis qu'au tour de ce cheval se représentoient en ballets les principaux évenemens de la guerre de Troye.

Ces représentations durerent deux bonnes heures, après quoi on arriva à la place S. Roch, où est la maison professe des Jésuites.

Une partie de cette place représentoit la ville de Troye avec ses tours & ses murailles. Aux approches du cheval, une partie des murailles tomba; les soldats grecs sortirent de cette machine, & les Troyens de leur ville, armés & couverts de feux d'artifice, avec lesquels ils firent un combat merveilleux.

Le cheval jettoit des feux contre la ville, la ville contre le cheval; & l'un des plus beaux spectacles fut la décharge de dix - huit arbres tous chargés de semblables feux.

* On transcrit tout ceci, mot - à - mot, du traité des Ballets, du pere Menestrier, jésuite.

Le lendemain, d'abord après le dîné, parurent sur mer au quartier de Pampuglia, quatre brigantins richement parés, peints & dorés, avec quantité de banderoles & de grands choeurs de musique. Quatre ambassadeurs, au nom des quatre parties du monde, ayant appris la béatification d'Ignace de Loyola, pour reconnoître les bienfaits que toutes les parties du monde avoient reçus de lui, venoient lui faire hommage, & lui offrir des présens, avec les respects des royaumes & des provinces de chacune de ces parties.

Toutes les galeres & les vaisseaux du port saluerent ces brigantins: étant arrivés à la place de la marine, les ambassadeurs descendirent, & monterent en même tems sur des chars superbement ornés, & accompagnés de trois cents cavaliers, s'avancerent vers le collége, précedés de plusieurs trompettes.

Après quoi des peuples de diverses nations, vétus à la maniere de leur pays, faisoient un ballet très - agréable, composant quatre troupes ou quadrilles pour les quatre parties du monde.

Les royaumes & les provinces, représentés par autant de génies, marchoient avec ces nations & les peuples différens devant les chars des ambassadeurs de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique & de l'Amérique, dont chacun étoit escorté de soixante - dix cavaliers.

La troupe de l'Amérique étoit la premiere, & entre ses danses elle en avoit une plaisante de jeunes enfans déguisés en singes, en guenons, & en perroquets. Devant le char étoient douze nains montés sur des haquenées; le char étoit tiré par un dragon.

La diversité & la richesse des habits ne faisoient pas le moindre ornement de cette fête, quelques-uns ayant pour plus de deux cents mille écus de pierreries ».

Les trois fêtes qu'on a mis sous les yeux des lecteurs, doivent leur faire pressentir que ce genre très peu connu, & sur lequel on a trop négligé d'écrire, embrasse cependant une vaste étendue, offre à l'imagination une grande variété, & au génie une carriere brillante.

Ainsi pour donner une idée suffisante sur cette matiere, on croit qu'une relation succinte d'une fête plus générale, qui fit dans son tems l'admiration de l'Angleterre, & qui peut - être pourroit servir de modele dans des cas semblables, ne sera pas tout - à - fait inutile à l'art.

Entre plusieurs personnages médiocres qui entouroient le cardinal de Richelieu, il s'étoit pris de quelque amitié pour Durand, homme maintenant tout - à - fait inconnu, & qu'on n'arrache aujourd'hui à son obscurité, que pour faire connoître combien les préférences ou les dédains des gens en place, qui donnent toûjours le ton de leur tems, influent peu cependant sur le nom des artistes dans la postérité.

Ce Durand, courtisan sans talens d'un très - grand ministre, en qui le défaut de goût n'étoit peut - être que celui de son siecle, avoit imaginé & conduit le plus grand nombre des fêtes de la cour de Louis XIII. Quelques François qui avoient du génie trouverent les accès difficiles & la place prise: ils se répandirent dans les pays étrangers, & ils y firent éclater l'imagination, la galanterie & le goût, qu'on ne leur avoit pas permis de déployer dans le sein de leur patrie.

La gloire qu'ils y acquirent rejaillit cependant sur elle; & il est flateur encore pour nous aujourd'hui, que les fêtes les plus magnifiques & les plus galantes qu'on ait jamais données à la cour d'Angleterie, ayent été l'ouvrage des François.

Le mariage de Frédéric cinquieme comte Palatin

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