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Une derniere observation que je fais sur les arrangemens exposés ci - dessus, c'est qu'ils ôteroient tout prétexte, ce me semble, à la plûpart des railleries & des reproches que font les Déistes & les Protestans sur la religion. On sait que s'ils attaquent cette religion sainte, c'est moins dans ses fondemens inébranlables, que dans sa forme & dans ses usages indifférens: or toutes les propositions de ce mémoire tendent à leur ôter les occasions de plainte & de murmure. Aussi bien convaincu que les pratiques arbitraires, usitées dans l'église romaine, lui ont plus attiré d'ennemis que tous les articles de la créance catholique, je pense, à l'égard des Protestans, que si l'on se rapprochoit un peu d'eux sur la discipline, ils pourroient bien se rapprocher de nous sur le dogme.
Premiere objection. Le grand avantage que vous envisagez dans la suppression des fêtes, c'est l'épargne des dépenses superflues qui se font ces jours - là, & que l'on éviteroit, dites - vous, en rejettant les fêtes au dimanche: mais cette épargne prétendue est indifférente à la société, d'autant que l'argent déboursé par les uns, va nécessairement au profit des autres, je veux dire à tous ceux qui travaillent pour la bonne chere & la parure, pour les amusemens, les jeux, & les plaisirs. L'un gagne ce que l'autre est censé perdre, & par - là tout rentre dans la masse. Ainsi le dommage que vous imaginez dans certaines dépenses, & le gain que vous croyez appercevoir dans certaines épargnes, sont absolument chimériques.
Et qu'on ne dise point, comme c'est l'ordinaire, que les amusemens, les jeux, les festins, &c. occupent & font vivre bien du monde, & qu'ils produisent par conséquent une heureuse circulation: car c'est une raison pitoyable. Avec ce raisonnement, on va montrer que la plûpart des pertes & des calamités
La guerre qu'on regarde comme un fléau, n'est plus un malheur pour l'état, puisqu'enfin elle occupe & fait vivre bien du monde. Une maladie contagieuse qui desole une ville ou une province, n'est point encore un grand mal, vû qu'elle occupe avec fi uit tous les suppôts de la Medecine, &c. & suivant le même raisonnement, celui qui se ruine par les procès ou par la débauche, se rend par - là fort utile au public, d'autant qu'il fait le profit de ceux qui servent ses excès ou ses folies; que dis - je, un incendiaire en brûlant nos maisons mérite des récompenses, attendu qu'il nous met dans l'heureuse nécessité d'employer bien du monde pour les rétablir? & un machiniste, au contraire, en produisant des facilités nouvelles pour diminuer le travail & la peine dans les gros ouvrages, ne peut mériter que du blâme pour une malheureuse découverte qui doit faire congédier plusieurs ouvriers.
Pour moi je pense que l'enrichissement d'une nation est de même nature que celui d'une famille. Comment devient - on riche pour l'ordinaire? Par le travail & par l'économie; travail qui enfante de nouveaux biens; économie qui sait les conserver & les employer à - propos. Ce n'est pas assez pour enrichir un peuple, de lui procurer de l'occupation. La guerre, les procès, les maladies, les jeux, & les festins occupent aussi réellement que les travaux de l'agriculture, des fabriques, ou du commerce: mais de ces occupations les unes sont fructueuses & produisent de nouveaux biens, les autres sont stériles & destructives.
Je dis plus, quand même le goût du luxe & des superfluités feroit entrer de l'argent dans le royaume, cela ne prouveroit point du tout l'accroissement de nos richesses, & n'empêcheroit pas les dommages qui suivent toûjours la dissipation & la prodigalité. Voilà sur cela mon raisonnement.
L'Europe entiere possede au moins trois fois plus d'especes qu'elle n'en avoit il y a trois cents ans; elle a même pour en faciliter la circulation bien des moyens qu'on n'avoit pas encore trouvés. L'Europe est - elle à proportion plus riche qu'elle n'étoit dans ces tems - là? Il s'en faut certainement beaucoup. Les divers états, royaumes, ou républiques, ne connoissoient point alors les dettes nationales; presque tous aujourd'hui sont obérés à ne pouvoir s'en relever de long - tems. On ne connoissoit point aussi pour lors ce grand nombre d'impositions dont les peuples d'Europe sont chargés de nos jours.
Les arts, les métiers, les négoces étoient pour tout le monde d'un abord libre & gratuit; au lieu qu'on n'y entre à - présent qu'en déboursant des sommes considérables. Les offices & les charges de judicature, les emplois civils & militaires étoient le fruit de la faveur ou du mérite; maintenant il faut les acheter, si l'on y veut parvenir: par conséquent il étoit plus facile de se donner un état, & de vivre à son aise en travaillant; & dès - là il étoit plus facile de se marier & d'élever une famille. On sent qu'il ne falloit qu'être laborieux & rangé. Qu'il s'en faut aujourd'hui que cela suffise!
Je conclus de ces tristes différences, que nous sommes réellement plus agités, plus pauvres, plus exposés aux chagrins & aux miseres, en un mot moins heureux & moins opulens, malgré les riches buffets & les tas d'or & d'argent si communs de nos jours.
L'acquisition des métaux précieux, ni la circulation des especes ne sont donc pas la juste mesure de la richesse nationale; & comme je l'ai dit, ce n'est point sur cela que doit rouler la question présente.
Il s'agit simplement de savoir si le surcroît de dépense qui se fait toûjours pendant les fêtes, n'occa<pb-> [p. 570]
Il est visible en effet qu'une portion considérable des biens les plus solides se prodigant chez nous durant les fêtes, la masse entiere de ces vrais biens est nécessairement diminuée d'autant; perte qui se répand ensuite sur le public & sur les particuliers: car il n'est pas vrai, comme on le dit, que l'un gagne tout ce que l'autre dépense. Le bûveur, l'homme de bonne - chere & de plaisir qui dissipe un loüis mal - à - propos, perd à la vérité son loüis à pur & à plein; mais le cabaretier, le traiteur qui le reçoit, ne le gagne pas également: à peine y fait - il un quart ou un cinquieme de profit, le reste est en pure perte pour la société. En un mot toute consommation de vivres ou d'autres biens dont on use à contretems & dont on prive souvent sa famille, devient une véritable perte que l'argent ne répare point en passant d'une main à l'autre: l'argent reste, il est vrai; mais le bien s'anéantit. Il en résulte que si par la suppression des fêtes nous étions tout - à - coup délivrés des folles dépenses qui en sont la suite inévitable, ce seroit sans contredit une épargne fructueuse & une augmentation sensible de notre opulence; outre que les travaux utiles, alors beaucoup mieux suivis qu'à présent, produiroient chez nous une abondance générale.
Pour mieux développer cette vérité, supposons que la nation françoise dépensât durant une année moitié moins de toute sorte de biens; que néanmoins les choses fussent arrangées de façon que chacun travaillât moitié davantage ou moitié plus fructueusement, & qu'en conséquence toutes les productions de nos terres, fabriques, & manufactures, devinssent deux ou trois fois plus abondantes; n'est - il pas visible qu'à la fin d'une telle année la nation se trouveroit infiniment plus à l'aise, ou pour mieux dire, dans l'affluence de tous biens, quand même il n'y auroit pas un sou de plus dans le royaume?
Si cet accroissement de richesses est constant pour
une année entiere, il l'est à proportion pour six mois,
pour quatre, ou pour deux; & il l'est enfin à proportion
pour tant de fêtes qu'il s'agit de supprimer,
& qui nous ôtent à Paris un douzieme des jours ouvrables.
En un mot, il est également vrai dans la
politique & dans l'économie, également vrai pour
le public & pour les particuliers, que le grand
moyen de s'élever & de s'enrichir est de travailler
beaucoup, & d'éviter la dépense: c'est par ce loüable
moyen que des nations entieres se sont aggrandies,
& c'est par la même voie que tant de familles
s'élevent encore tous les jours. Voyez
Mais, poursuit on, qu'on dise & qu'on fasse tout ce que l'on voudra, il est toûjours vrai que si le public gagnoit à la suppression des fêtes, certaines professions y perdroient infailliblement, comme les Cabaretiers, les Traiteurs, & les autres artisans du luxe & des plaisirs.
A cela je pourrois dire: soit, que quelques professions perdent, pourvû que la totalité gagne sensiblement. Plusieurs gagnent aux maladies populaires; s'avise - t - on de les plaindre parce que leur gain diminue avec le mal épidémique? Le bien & le
Au reste, je veux répondre plus positivement, en montrant que les professions que l'on croit devoir être lésées dans la suppression des fêtes, n'y perdront ou rien ou presque rien. Qui ne voit en effet que si les moindres particuliers gagnent à cette suppression, tant par l'augmentation de leurs gains que par la cessation des folles dépenses, ils pourront faire alors & feront communément une dépense plus forte & plus raisonnable? Tel, par exemple, qui dissipe 30 sous pour s'enivrer un jour de fête, & qui en conséquence fait maigre chere & boit de l'eau le reste du tems; au lieu de faire cette dépense ruineuse pour le ménage & pour la santé, fera la même dépense dans le cours de la semaine, & boira du vin tous les jours de travail; ce qui sera pour lui une nourriture journaliere, & une source de joie, d'union, & de paix dans sa famille.
Remarquez que les raisonnemens qui font voir en ceci l'avantage des particuliers, prouvent en même tems une augmentation de gain pour les fermiers des aides: ainsi l'on se persuade qu'ils ne seront point alarmés des arrangemens que nous proposons.
Au surplus, ce que nous disons du vin se peut dire également de la viande & des autres denrées. Le surcroît d'aisance où sera chaque travailleur influera bien - tôt sur sa table; il fera beaucoup moins d'excès à la vérité, mais fera meilleure chere tous les jours; & les professions qui travaillent pour la bouche, loin de perdre à ce changement verront augmenter leur commerce.
J'en dis autant de la dépense des habits. Quand une fois les fêtes seront rejettées au dimanche, on aura moins de frais à faire pour l'élégance & la parure superflue; & c'est pourquoi l'on s'accordera plus volontiers le nécessaire & le commode: & non seulement chaque ménage, mais encore chaque branche de commerce y trouvera des utilités sensibles.
J'ajoûte enfin que si ces nouveaux arrangemens faisoient tort à quelques professions, c'est un si petit objet, comparé à l'économie publique & particuliere, qu'il ne mérite pas qu'on y fasse attention. D'ailleurs ces pretendus torts, s'il en est, ne se font pas sentir tout d'un coup. Les habitudes vicieuses ne sont que trop difficiles à déraciner, & les réformes dont il s'agit iront toûjours avec assez de lenteur: de sorte que la profession qui sera moins employée se tournera insensiblement d'un autre côté, & chacun trouvera sa place comme auparavant.
II. Objection. Vous ne prenez pas garde que vous donnez dans un relâchement dangereux; & que dans un tems où les fideles ne sont déjà que trop portés à secoüer le joug de l'austérité chrétienne, vous faites des propositions qui ne respirent que l'aisance & la douceur de la vie.
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