ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Jettons les yeux sur un objet qui n'est pas moins important que la culture des grains, je veux dire sur le profit des bestiaux dans l'etat actuel de l'agriculture en France.

Les 30 millions d'arpens traités par la petite culture, peuvent former 375 mille domaines de chacun 80 arpens en calture. En supposant 12 boeufs par domaine, il y a 4 millions 500000 boeufs employés à la culture de ces domaines: la petite culture occupe donc pour le labour des terres 4 ou 5 millions de boeufs. On met un boeuf au travail à trois ou quatre ans; il y en a qui ne les y laissent que trois, quatre, cinq ou six ans: mais la plûpart les y retiennent pendant sept, huit ou neuf ans. Dans ce cas on ne les vend à ceux qui les mettent à l'engrais pour la boucherie, que quand ils ont douze ou treize ans; alors ils sont moins bons, & on les vend moins cher qu'ils ne valoient avant que de les mettre au labour. Ces boeufs occupent pendant long - tems des pâturages dont on ne tire aucun profit; au lieu que si on ne faisoit usage de ces pâturages que pour élever simplement des boeufs jusqu'au tems où ils seroient en état d'être mis à l'engrais pour la boucherie, ces boeufs seroient renouvellés tous les cinq ou six ans.

Par la grande culture les chevaux laissent les pâturages libres; ils se procurent eux - mêmes leur nourriture sans préjudicier au profit du laboureur, qui tire encore un plus grand produit de leur travail que de celui des boeufs; ainsi par cette culture on mettroit à profit les pâturages qui servent en pure perte à nourrir 4 ou 5 millions de boeufs que la petite culture retient au labour, & qui occupent, pris tous ensemble, au moins pendant six ans, les pâturages qui pourroient servir à élever pour la boucherie 4 ou 5 autres millions de boeufs.

Les boeufs, avant que d'être mis à l'engrais pour la boucherie, se vendent différens prix, selon leur grosseur: le prix moyen peut être réduit à 100 liv. ainsi 4 millions 500 mille boeufs qu'il y auroit de surcroît en six ans, produiroient 450 millions de plus tous les six ans. Ajoûtez un tiers de plus que produiroit l'engrais; le total seroit de 600 millions, qui, divisés par six années, fourniroient un profit annuel de 100 millions. Nous ne considérons ce produit que relativement à la perte des pâturages ou des friches abandonnés aux boeufs qu'on retient au labour, mais ces pâturages pourroient pour la plûpart être remis en culture, du moins en une culture qui fourniroit plus de nourriture aux bestiaux: alcrs le produit en seroit beaucoup plus grand.

Les troupeaux de moutons présentent encore un avantage qui seroit plus considérable, par l'accroissement du produit des laines & de la vente annuelle

* La petite quantité d'enfans de formiers que la milice enleve, est un fort petit objet; mais ceux qu'elle détermine à abandonner la profession de leurs peres, méritent une plus grande attention par rapport à l'Agriculture qui fait la vraie force de l'état. Il y a actuellement, selon M. Dupré de Saint - Maur, environ les [omission: formula; to see, consult fac-similé version] du royaume cultivés avec des boeufs: ainsi il n'y a qu'un huitieme des terres cultivées par des fermiers, dont le nombre ne va pas à 30000, ce qui ne peut pas fournir 1000 miliciens fils de formiers. Cette petite quantité est zéro dans nos armées: mais 4000 qui sont effrayés & qui abandonnent les campagnes chaque fois qu'on tire la milice, sont un grand objet pour la culture des terres. Nous ne parlerons ici que des laboureurs qui cultivent avec des chevaux; car (selon l'auteur de cet article) les autres n'en méritent pas le nom. Or il y a environ six ou sept millions d'arpens de terre cultivée par des chevaux, ce qui peut être l'emploi de 30000 charrues, à 120 arpens par chacune. Une grande partie des fermiers ont deux charrues: beaucoup en ont trois. Ainsi le nombre des fermiers qui cultivent par des chevaux, ne va guere qu'à 30000: surtout si on ne les confond pas avec les propriétaires nobles & privilégiés qui exercent la même culture. La moitié de ces fermiers n'ont pas des enfans en âge de tirer à la milice; car ce ne peut être qu'après dix - huit ou vingt ans de leur mariage qu'ils peuvent avoir un enfant à cet age, & il y a autant de femelles que de mâles. Ainsi il ne peut pas y avoir 10000 fils de fermiers en état de tirer à la milice: une partie s'enfuit dans les villes: ceux qui restent exposés au sort, tirent avec les autres paysans; il n'y en a donc pas mille, peut - être pas cinq cents, qui échoient à la milice. Quand le nombre des fermiers augmenteroit autant qu'il est possible, l'état devroit encore les protéger pour le soûtien de l'Agriculture, & en faveur des contributions considérables qu'il en retireroit. Note des Editeurs.
de ces bestiaux. Dans les 375 mille domaines cultivés par des boeufs, il n'y a pas le tiers des troupeaux qui pourroient y être nourris, si ces terres étoient mieux cultivées, & produisoient une plus grande quantité de fourrages. Chacun de ces domaines avec ses friches nourriroit un troupeau de 250 moutons; ainsi une augmentation des deux tiers seroit environ de 250 mille troupeaux, ou de 60 millions de moutons, qui partagés en brebis, agneaux, & moutons proprement dits, il y auroit 30 millions de brebis qui produiroient 30 millions d'agneaux, dont moitié seroient mâles; on garderoit ces mâles, qui forment des moutons que l'on vend pour la boucherie quand ils ont deux ou trois ans. On vend les agneaux femelles, à la reserve d'une partie que l'on garde pour renouveller les brebis. Il y auroit 15 millions d'agneaux femelles; on en vendroit 10 millions, qui, à 3 liv. piece, produiroient 30 millions.

Il y auroit 15 millions de moutons qui se succéderoient tous les ans; ainsi ce seroit tous les ans 15 millions de moutons à vendre pour la boucherie, qui étant supposés pour le prix commun à huit livres la piece, produiroient 120 millions. On vendroit par an cinq millions de vieilles brebis, qui, à 3 livres piece, produiroient 15 millions de livres. Il y auroit chaque année 60 millions de toisons (non compris celles des agneaux), qui réduites les unes avec les autres à un prix commun de 40 sous la toison, produiroient 120 millions; l'accroissement du produit annuel des troupeaux monteroit donc à plus de 285 millions; ainsi le surcroît total en blé, en boeufs & en moutons, seroit un objet de 685 millions.

Peut - être objectera - t - on que l'on n'obtiendroit pas ces produits sans de grandes dépenses. Il est vrai que si on examinoit simplement le profit du laboureur, il faudroit en soustraire les frais; mais en envisageant ces objets relativement à l'état, on apperçoit que l'argent employé pour ces frais reste dans le royaume, & tout le produit se trouve de plus.

Les observations qu'on vient de faire sur l'accroissement du produit des boeufs & des troupeaux, doivent s'étendre sur les chevaux, sur les vaches, sur les veaux, sur les pores, sur les volailles, sur les vers à soie, &c. car par le rétablissement ou la grande culture on auroit de riches moissons, qui procureroient beaucoup de grains, de légumes & de fourrages. Mais en faisant valoir les terres médiocres par la culture des menus grains, des racines, des herbages, des prés artificiels, des mûriers, &c. on multiplieroit beaucoup plus encore la nourriture des bestiaux, des volailles, & des vers à soie, dont il résulteroit un surcroît de revenu qui seroit aussi considérable que celui qu'on tireroit des bestiaux que nous avons évalués; ainsi il y auroit par le rétablissement total de la grande culture, une augmentation continuelle de richesses de plus d'un milliard.

Ces richesses se répandroient sur tous les habitans, elles leur procureroient de meilleurs alimens, elles satisferoient à leurs besoins, elles les rendroient heureux, elles augmenteroient la population, elles accroîtroient les revenus des propriétaires & ceux de l'état.

Les frais de la culture n'en seroient guere plus considérables, il faudroit seulement de plus grands fonds pour en former l'établissement; mais ces fonds manquent dans les campagnes, parce qu'on les a attirés dans les grandes villes. Le gouvernement qui fait mouvoir les ressorts de la société, qui dispose de l'ordre général, peut trouver les expédiens convenables & intéressans pour les faire retourner d'eux - mêmes à l'agriculture, où ils seroient beaucoup plus profitables aux particuliers, & beau coup plus avantageux à l'état. Le lin, le chanvre, les laines, la soie, &c. seroient les matieres premieres de nos ma<pb-> [p. 538] nufactures; le blé, les vins, l'eau - de - vie, les cuirs, les viandes salées, le beurre, le fromage, les graisses, le suif, les toiles, les cordages, les draps, les étoffes, formeroient le principal objet de notre commerce avec l'étranger. Ces marchandises seroient indépendantes du luxe, les besoins des hommes leur assûrent une valeur réelle; elles naîtroient de notre propre fonds, & seroient en pur profit pour l'état: ce seroit des richesses toûjours renaissantes, & toûjours supérieures à celles des autres nations.

Ces avantages, si essentiels au bonheur & à la prospérité des sujets, en procureroient un autre qui ne contribue pas moins à la force & aux richesses de l'état; ils favoriseroient la propagation & la conservation des hommes, sur - tout l'augmentation des habitans de la campagne. Les fermiers riches occupent les paysans, que l'attrait de l'argent détermine au travail: ils deviennent laborieux, leur gain leur procure une aisance qui les fixe dans les provinces, & qui les met en état d'alimenter leurs enfans, de les retenir auprès d'eux, & de les établir dans leur province. Les habitans des campagnes se multiplient donc à proportion que les richesses y soûtiennent l'agriculture, & que l'agriculture augmente les richesses.

Dans les provinces où la culture se fait avec des boeufs, l'agriculteur est pauvre, il ne peut occuper le paysan: celui - ci n'étant point excité au travail par l'appât du gain, devient paresseux, & languit dans la misere; sa seule ressource est de cultiver un peu de terre pour se procurer de quoi vivre. Mais quelle est la nourriture qu'il obtient par cette culture? Trop pauvre pour préparer la terre à produire du blé & pour en attendre la récolte, il se borne, nous l'avons déjà dit, à une culture moins pénible, moins longue, qui peut en quelques mois procurer la moisson: l'orge, l'avoine, le blé noir, les pommes de terre, le blé de Turquie ou d'autres productions de vil prix, sont les fruits de ses travaux; voilà la nourriture qu'il se procure, & avec laquelle il éleve ses enfans. Ces alimens, qui à peine soûtiennent la vie en ruinant le corps, font périr une partie des hommes dès l'enfance; ceux qui résistent à une telle nourriture, qui conservent de la santé & des forces, & qui ont de l'intelligence, se délivrent de cet état malheureux en se refugiant dans les villes: les plus débiles & les plus ineptes restent dans les campagnes, où ils sont aussi inutiles à l'état qu'à charge à eux - mêmes.

Les habitans des villes croyent ingénument que ce sont les bras des paysans qui cultivent la terre, & que l'agriculture ne dépérit que parce que les hommes manquent dans les campagnes. Il faut, diton, en chasser les maîtres d'école, qui par les instructions qu'ils donnent aux paysans, facilitent leur désertion: on imagine ainsi des petits moyens, aussi ridicules que desavantageux; on regarde les paysans comme les esclaves de l'état; la vie rustique paroît la plus dure, la plus pénible, & la plus méprisable, parce qu'on destine les habitans des campagnes aux travaux qui sont réservés aux animaux. Quand le paysan laboure lui - même la terre, c'est une preuve de sa misere & de son inutilité. Quatre chevaux cultivent plus de cent arpens de terre; quatre hommes n'en cultiveroient pas 8. A la reserve du vigneron, du jardinier, qui se livrent à cette espece de travail, les paysans sont employés par les riches fermiers à d'autres ouvrages plus avantageux pour eux, & plus utiles à l'agriculture. Dans les provinces riches où la culture est bien entretenue, les paysans ont beaucoup de ressources; ils ensemencent quelques arpens de terre en blé & autres grains: ce sont les fermiers pour lesquels ils travaillent qui en font les labours, & c'est la femme & les enfans qui en recueillent les produits: ces petites moissons qui leur donnent une partie de leur nourriture, leur produisent des fourrages & des fumiers. Ils cultivent du lin, du chanvre, des herbes potageres, des légumes de toute espece; ils ont des bestiaux & des volailles qui leur fournissent de bons alimens, & sur lesquels ils retirent des profits; ils se procurent par le travail de la moisson du laboureur, d'autres grains pour le reste de l'année; ils sont toûjours employés aux travaux de la campagne; ils vivent sans contrainte & sans inquiétude; ils méprisent la servitude des domestiques, valets, esclaves des autres hommes; ils n'envient pas le sort du bas peuple qui habite les villes, qui loge au sommet des maisons, qui est borné à un gain à peine suffisant au besoin présent, qui étant obligé de vivre sans aucune prévoyance & sans aucune provision pour les besoins à venir, est continuellement exposé à languir dans l'indigence.

Les paysans ne tombent dans la misere & n'abandonnent la province, que quand ils sont trop inquiétés par les vexations auxquelles ils sont exposés, ou quand il n'y a pas de fermiers qui leur procurent du travail, & que la campagne est cultivée par de pauvres métayers bornés à une petite culture, qu'ils exécutent eux - mêmes fort imparfaitement. La portion que ces métayers retirent de leur petite récolte, qui est partagée avec le propriétaire, ne peut suffire que pour leurs propres besoins; ils ne peuvent reparer ni améliorer les biens.

Ces pauvres cultivateurs, si peu utiles à l'état, ne représentent point le vrai laboureur, le riche fermier qui cultive en grand, qui gouverne, qui commande, qui multiplie les dépenses pour augmenter les profits; qui ne négligeant aucun moyen, aucun avantage particulier, fait le bien général; qui employe utilement les habitans de la campagne, qui peut choisir & attendre les tems favorables pour le débit de ses grains, pour l'achat & pour la vente de ses bestiaux.

Ce sont les richesses des fermiers qui fertilisent les terres, qui multiplient les bestiaux, qui attirent, qui fixent les habitans des campagnes, & qui font la force & la prospérité de la nation.

Les manufactures & le commerce entretenus par les desordres du luxe, accumulent les hommes & les richesses dans les grandes villes, s'opposent à l'amélioration des biens, dévastent les campagnes, inspirent du mépris pour l'agriculture, augmentent excessivement les dépenses des particuliers, nuisent au soûtien des familles, s'opposent à la propagation des hommes, & affoiblissent l'état.

La décadence des empires a souvent suivi de près un commerce florissant. Quand une nation dépense par le luxe ce qu'elle gagne par le commerce, il n'en résulte qu'un mouvement d'argent sans augmentation réelle de richesses. C'est la vente du superflu qui enrichit les sujets & le souverain. Les productions de nos terres doivent être la matiere premiere des manufactures & l'objet du commerce: tout autre commerce qui n'est pas établi sur ces fondemens, est peu assûré; plus il est brillant dans un royaume, plus il excite l'émulation des nations voisines, & plus il se partage. Un royaume riche en terres fertiles, ne peut être imité dans l'agriculture par un autre qui n'a pas le même avantage. Mais pour en profiter, il faut éloigner les causes qui font abandonner les campagnes, qui rassemblent & retiennent les richesses dans les grandes villes. Tous les seigneurs, tous les gens riches, tous ceux qui ont des rentes ou des pensions suffisantes pour vivre commodément, fixent leur séjour à Paris ou dans quelqu'autre grande ville, où ils dépensent presque tous les revenus des fonds du royaume. Ces dépenses attirent une multitude de marchands, d'artisans, de domestiques, & de ma<pb->

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