ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"529"> eurent les richesses & les ressources les plus essentielles pour le soûtien de l'état; ainsi l'emploi du fermier est un objet très - important dans le royaume, & mérite une grande attention de la part - du gouvernement.

Si on ne considere l'agriculture en France que sous un aspect général, on ne peut s'en former que des idées vagues & imparfaites. On voit vulgairement que la culture ne manque que dans les endroits où les terres restent en friche; on imagine que les travaux du pauvre cultivateur sont aussi avantageux que ceux du riche fermier. Les moissons qui couvrent les terres nous en imposent; nos regards qui les parcourent rapidement, nous assûrent à la vérité que ces terres sont cultivées, mais ce coup - d'oeil ne nous instruit pas du produit des récoltes ni de l'état de la culture, & encore moins des profits qu'on peut retirer des bestiaux & des autres parties nécessaires de l'agriculture: on ne peut connoître ces objets que par un examen fort étendu & fort approfondi. Les différentes manieres de traiter les terres que l'on cultive, & les causes qui y contribuent, décident des produits de l'agriculture; ce sont les différentes sortes de cultures, qu'il faut bien connoitre pour juger de l'état actuel de l'agriculture dans le royaume.

Les terres sont communément cultivées par des fermiers avec des chevaux, ou par des métayers avec des boeufs. Il s'en faut peu qu'on ne croye que l'usage des chevaux & l'usage des boeufs ne soient également avantageux. Consultez les cultivateurs mêmes, vous les trouverez décidés en faveur du genre de culture qui domine dans leur province. Il faudroit qu'ils fussent également instruits des avantages & des desavan ages de l'un & de l'autre, pour les évaluer & les comparer; mais cet examen leur est inutile, car les causes qui obligent de cultiver avec des boeufs, ne permettent pas de cultiver avec des chevaux.

Il n'y a que des fermiers riches qui puissent se servir de chevaux pour labourer les terres. Il faut qu'un fermier qui s'établit avec une charrue de quatre chevaux, fasse des dépenses considérables avant que d'obtenir une premiere récolte: il cultive pendant un an les terres qu'il doit ensemencer en blé, & après qu'il a ensemencé, il ne recueille qu'au mois d'Août de l'année suivante: ainsi il attend près de deux ans les fruits de ses travaux & de fes dépenses. Il a fait les frais des chevaux & des autres bestiaux qui lui sont nécessaires; il fournit les grains pour ensemencêr les terres, il nourrit les chevaux, il paye les gages & la nourriture des domestiques: toute, ces dépenses qu'il est obligé d'avancer pour les deux premieres années de culture d'un domaine d'une charrue de quatre chevaux, sont estimés à 10 ou 12 mille livres; & pour deux on trois charrues, 20 ou 30 mille livres.

Dans les provinces où il n'y a pas de fermier en état de se procurer de tels établissemens, les propriétaires des terres n'ont d'autres ressources pour retirer quelques produits de leurs biens, que de les faire cultiver avec des boeufs, par des paysans qui leur rendent la moitié de la récolte. Cette sorte de culture exige très - peu de frais de la part du métayer; le propriétaire lui fournit les boeufs & la semence, les boeufs vont après leur travail prendre leur nourriture dans les pâturages; tous les frais du métayer se réduisent aux instrumens du labourage & aux dépenses pour sa nourriture jusqu'au tems de la premiere récolte, souvent même le propriétaire est obligé de lui faire les avances de ces frais.

Dans quelques pays les propriétaires assujettis à toutes ces dépenses, ne partagent pas les récoltes; les métayers leur payent un revenu en argent pour le fermage des terres, & les intérêts du prix des bes<cb-> tianx. Mais ordinairement ce revenu est fort modique: cependant beaucoup de propriétaires qui ne résident pas dans leurs terres, & qui ne peuvent pas être présens au partage des récoltes, préferent cet arrangement.

Les propriétaires qui se chargeroient eux - mêmes de la culture de leurs terres dans les provinces où l'on ne cultive qu'avec des boeufs, seroient obligés de suivre le même usage; parce qu'ils ne trouveroient dans ces provinces ni métayers ni charretiers en état de gouverner & de conduire des chevaux. Il faudroit qu'ils en fissent venir de pays éloignés, ce qui est sujet à beaucoup d'inconvéniens; car si un charretier se retire, ou s'il tombe malade, le travail cesse. Ces évenemens sont fort préjudiciables, surtout dans les saisons pressantes: d'ailleurs le maître est trop dépendant de ces domestiques, qu'il ne peut pas remplacer facilement lorsqu'ils veulent le quitter, ou lorsqu'ils servent mal.

Dans tous les tems & dans tous les pays on a cultivé les terres avec des boeufs; cet usage a été plus ou moins suivi, selon que la nécessité l'a exigé: car les causes qui ont fixé les hommes à ce genre de culture, sont de tout tems & de tout pays; mais elles augmentent ou diminuent, selon la puissance & le gouvernement des nations.

Le travail des boeufs est beaucoup plus lent que celui des chevaux: d'ailleurs les boeufs passent beaucoup de tems dans les pâturages pour prendre leur nourriture; c'est pourquoi on employe ordinairement douze boeufs, & quelquefois jusqu'à dix - huit, dans un domaine qui peut être cultivé par quatre chevaux. Il y en a qui laissent les boeufs moins de tems au pâturage. & qui les nourrissent en partie avec du fourrage sec: par cet arrangement ils tirent plus de travail de leurs boeufs; mais cet usage est peu suivi.

On croit vulgairement que les boeufs ont plus de force que les chevaux, qu'ils sont nécessaires pour la culture des terres fortes, que les chevaux, dit - on, ne pourroient pas labourer; mais ce préjugé ne s'accorde pas avec l'expérience. Dans les charrois, six boeufs voiturent deux ou trois milliers pesant, au lieu que six chevaux voiturent six à sept milliers.

Les boeufs retiennent plus fortement aux montagnes, que les chevaux; mais ils tirent avec moins de force. Il semble que les charrois se tirent mieux dans les mauvais chemins par les boeufs que par les chevaux; mais leur charge étant moins pesante, elle s'engage beaucoup moins dans les terres molles; ce qui a fait croire que les boeuss tirent plus fortement que les chevaux, qui à la vérité n'appuyent pas fermement quand le terrein n'est pas solide.

On peut labourer les terres fort legeres avec deux boeufs, on les laboure aussi avec deux petits chevaux. Dans les terres qui ont plus de corps, on met quatre boeufs à chaque charrue, ou bien trois chevaux.

Il faut six boeufs par charrue dans les terres un peu pesantes: quatre bons chevaux suffisent pour ces terres.

On met huit boeufs pour labourer les terres fortes: on les laboure aussi avec quatre forts chevaux.

Quand on met beaucoup de boeufs à une charrue, on y ajoûte un ou deux petits chevaux; mais ils ne servent guere qu'à guider les boeufs. Ces chevaux assujettis à la lenteur des boeufs, tirent très - peu, ainsi ce n'est qu'un surcroît de dépense.

Une charrue menée par des boeufs, laboure dans les grands jours environ trois quartiers de terre; une charrue tirée par des chevaux, en laboure environ un arpent & demi: ainsi lorsqu'il faut quatre boeufs à une charrue, il en faudroit douze pour trois charrues, lesquelles laboureroient environ deux arpens de terre par jour; au lieu que trois charrues me<pb-> [p. 530] nées chacune par trois chevaux, en laboureroient environ quatre arpens & demi.

Si on met six boeufs à chaque charrue, douze boeufs qui tireroient deux charrues, laboureroient environ un arpent & demi; mais huit bons chevaux qui meneroient deux charrues, laboureroient environ trois arpens.

S'il faut huit boeufs par charrue, vingt - quatre boeufs ou trois charrues labourent deux arpens; au lieu que quatre forts chevaux étant suffisans pour une charrue, vingt - quatre chevaux, ou six charrues, labourent neuf arpens: ainsi en réduisant ces différens cas à un état moyen, on voit que les chevaux labourent trois fois autant de terre que les boeufs. Il faut donc au moins douze boeufs où il ne faudroit que quatre chevaux.

L'usage des boeufs ne paroît préférable à celui des chevaux, que dans des pays montagneux ou dans des terreins ingrats, où il n'y a que de petites portions de terres labourables dispersées, parce que les chevaux perdroient trop de tems à se transporter à toutes ces petites portions de terre, & qu'on ne profiteroit pas assez de leur travail; au lieu que l'emploi d'une charrue tirée par des boeufs, est borné à une petite quantité de terre, & par conséquent à un terres beaucoup moins étendu que celui que les chevaux parcourroient pour labourer une plus grande quantité de terres si dispersées.

Les boeufs peuvent convenir pour les terres à seigle, ou fort legeres, peu propres à produire de l'avoine; cependant comme il ne faut que deux petits chevaux pour ces terres, il leur faut peu d'avoine, & il y a toûjours quelques parties de terres qui peuvent en produire suffisamment.

Comme on ne laboure les terres avec les boeufs qu'au défaut de fermiers en état de cultiver avec des chevaux, les propriétaires qui fournissent des boeufs aux paysans pour labourer les terres, n'osent pas ordinairement leur confier des troupeaux de moutons, qui serviroient à faire des fumiers & à parquer les terres; on craint que ces troupeaux ne soient mal gouvernés, & qu'ils ne périssent.

Les boeufs qui passent la nuit & une partie du jour dans les pâturages, ne donnent point de fumier; ils n'en produisent que lorsqu'on les nourrit pendant l'hyver dans les étables.

Il s'ensuit de - là que les terres qu'on laboure avec des boeufs, produisent beaucoup moins que celles qui sont cultivées avec des chevaux par des riches fermiers. En effet, dans le premier cas les bonnes terres ne produisent qu'environ quatre septiers de blé mesure de Paris; & dans le second elles en produisent sept ou huit. Cette même différence dans le produit se trouve dans les fourrages, qui serviroient à nourrir des bestiaux, & qui procureroient des fumiers.

Il y a même un autre inconvénient qui n'est pas moins préjudiciable: les métayers qui partagent la récolte avec le propriétaire, occupent, autant qu'ils peuvent, les boeufs qui leur sont confiés, à tirer des charrois pour leur profit, ce qui les intéresse plus que le labourage des terres; ainsi ils en négligent tellement la culture, que si le propriétaire n'y apporte pas d'attention, la plus grande partie des terres reste en friche.

Quand les terres restent en friche & qu'elles s'enbuissonnent, c'est un grand inconvénient dans les pays où l'on cultive avec des boeufs, c'est - à - dire où l'on cultive mal, car les terres y sont à très - bas prix; ensorte qu'un arpent de terre qu'on esserteroit & défricheroit, coûteroit deux fois plus de frais que le prix que l'on acheteroit un arpent de terre qui seroit en culture: ainsi on aime mieux acquérir que de faire ces frais, ainsi les terres tombées en friche restent pour toûjours en vaine pâture, ce qui dégrade essentiellement les fonds des propriétaires.

On croit vulgairement qu'il y a beaucoup plus de profit, par rapport à la dépense, à labourer avec des boeufs, qu'avec des chevaux: c'est ce qu'il faut examiner en détail.

Nous avons remarqué qu'il ne faut que quatre chevaux pour cultiver un domaine où l'on employe douze boeufs.

Les chevaux & les boeufs sont de différens prix. Le prix des chevaux de labour est depuis 60 liv. jusqu'à 400 liv. celui des boeufs est depuis 100 livres la paire, jusqu'à 500 liv. & au - dessus; mais en supposant de bons attelages, il faut estimer chaque cheval 300 livres, & la paire de gros boeufs 400 livres, pour comparer les frais d'achat des uns & des autres.

Un cheval employé au labour, que l'on garde tant qu'il peut travailler, peut servir pendant douze années. Mais on varie beaucoup par rapport au tems qu'on retient les boeufs au labour; les uns les renouvellent au bout de quatre années, les autres au bout de six années, d'autres après huit années: ainsi en réduisant ces différens usages à un tems mitoyen, on le fixera à six années. Après que les boeufs ont travaillé au labour, on les engraisse pour la boucherie; mais ordinairement ce n'est pas ceux qui les employent au labour, qui les engraissent; ils les vendent maigres à d'autres, qui ont des pâturages convenables pour cet engrais. Ainsi l'engrais est un objet à part, qu'il faut distinguer du service des boeufs. Quand on vend les boeufs maigres après six années de travail, ils ont environ dix ans, & on perd à - peu - près le quart du prix qu'ils ont coûté; quand on les garde plus long - tems, on y perd davantage.

Après ce détail, il sera facile de connoître les frais d'achat des boeufs & des chevaux, & d'appercevoir s'il y a à cet égard plus d'avantage sur l'achat des uns que sur celui des autres.

Quatre bons chevaux de labour estimés chacun 300 livres, valent . . . . . . . 1200 liv.

Ces quatre chevaux peuvent servir pendant douze ans: les intérêts des 1200 liv. qu'ils ont coûté, montent en douze ans à . . . . . . . 720 liv.

Supposons qu'on n'en tire rien après douze ans, la perte seroit de 1920 liv.

Douze gros boeufs estimés chacun 200 livres, valent . . . 2400 liv. Ces boeufs travaillent pendant six ans. Les intérêts des 2400 livres qu'ils ont coûté, montent en six ans à . . . . 720 liv.

Ils se vendent maigres, après six ans de travail, chacun 150 livres; ainsi on retire de ces douze boeufs 1800 liv. ils ont coûté 2400 livres d'achat. Il faut ajoûter 720 liv. d'intérêts, ce qui monte à 3120 liv. dont on retire 1800 livres; ainsi la perte est de 1320 liv.

Cette perte doublée, en douze ans est de . . . . . . . . . . . .2640 liv.

La dépense des boeufs surpasse donc à cet égard celle des chevaux d'environ 700 livres. Supposons même moitié moins de perte sur la vente des boeufs, quand on les renouvelle; cette dépense surpasseroit encore celle des chevaux: mais la différence en douze ans est pour chaque année un petit objet.

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