ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"369"> n'est point de sens interne particulier, dont l'action n'excite dans l'ame un appétit; que l'action de l'estomac fait naître la faim, & celle du gosier la soif: C'est une suite de la dépendance mutuelle qui regne entre l'ame & le corps, & une suite conforme aux idées que nous avons de l'action & de la réaction de ces deux substances unies par la volonté du Créateur; & comme ces deux substances sont différentes, & que la spirituelle n'est point soûmise aux lois méchaniques, on comprend aisément d'où vient que la réaction n'est presque jamais exactement proportionnelle à l'action, & qu'ordinairement elle lui est de beaucoup supérieure. Voyez Faculté appétitive.

Mais quoique l'objet de l'appétit vital soit bien sensible, que les mouvemens spontanés, ou les effets que nous leur attribuons, ne soient point contestés, bien des gens ne conviendront point de la réalité de cette puissance active; ils opposeront, 1°. que nous ne sentons point que notre ame opere ces effets; 2°. que notre ame n'est pas la maîtresse de les suspendre quand elle veut, ni de les varier à son gré.

Pour résoudre ces difficultés, nous avancerons, 1°. que nous n'avons pas des idées réfléchies de toutes les opérations de notre ame, de toutes ses facultés actives, & de leur exercice; & cela parce qu'il n'a pas plû au Créateur de rendre l'ame unie au corps humain, capable de toutes ces sortes d'idées, ou, pour mieux dire, parce qu'il n'a pas jugé que les idées réfléchies de toutes ces opérations nous fussent nécessaires pour la conservation de notre individu, ou pour les besoins des deux substances dont nous sommes composés; qu'il a jugé au contraire que quelques - unes de ces opérations s'exerceroient mal si nous en avions des idées réfléchies, & que nous en abuserions si elles étoient soûmises à notre volonté. 2°. Nous prétendons que la faculté vitale que nous reconnoissons dans l'ame unie au corps humain, est une puissance non - raisonnable, un appétit aveugle & distinct de la volonté & de la liberté, tel que les Grecs l'ont reconnu sous le nom d'O/RMH\, qu'ils définissoient pars animi rationis expers, & dans lequel, au rapport de Cicéron, les anciens philosophes plaçoient tum motus iroe, tum cupiditatis. Au moyen de cette faculté vitale, ou de cet appétit que Dieu a imprimé dans l'ame, de cette force nécessaire, nonéclairée, & assujettie aux lois qu'il lui a imposées, il est aisé de comprendre que notre ame fait joüer nos organes vitaux, sans que nous sentions qu'elle opere, & sans que nous soyons les maîtres de gouverner leur jeu à notre gré, ou, ce qui est presque le même, sans que nous pussions abuser du pouvoir qu'a notre ame de les mettre en jeu.

On repliquera qu'une faculté non - raisonnable est incompatible avec une substance spirituelle, dont l'essence semble ne consister que dans la pensée ou dans la puissance de raisonner. A cela je réponds, 1°. que nous ne connoissons pas parfaitement l'essence de l'ame, non plus que ses différentes modifications: 2°. que l'ame unie au corps humain, a des propriétés qu'elle n'auroit pas, si elle n'étoit qu'un pur esprit, un esprit non uni à un corps, comme je l'ai observé plus haut; ainsi, quoiqu'on ne conçoive pas dans un pur esprit une faculté non - raisonnable, un appétit ou une tendance tout - à - fait aveugle, on n'est pas en droit de nier une pareille propriété dans un esprit uni au corps humain, sur - tout lorsque les effets nous obligent de l'admettre, & qu'elle est nécessaire aux besoins de la substance spirituelle & de la substance corporelle unies ensemble.

Pour faire mieux comprendre comment l'ame pout avoir une faculté active non - raisonnable, un appétit différent de la volonté & de la liberté, une tendance aveugle & nécessaire, supposons, comme une chose avoüée de presque tout le monde, que l'ame réside, ou, pour mieux dire, qu'elle exerce ses différentes facultés dans un de nos organes intérieurs d'où partent tous les filets des nerfs qui se distribuent dans toutes les parties du corps: supposons encore, comme une chose incontestable, que cet organe privilégié qu'on appelle sensorium commune, a une certaine étendue, telle que l'Anatomie nous la démontre dans la substance médullaire du cerveau, du cervelet, de la moëlle alongée & épiniere, où l'on place communément l'origine de tous les nerfs: supposons aussi que quoiqu'il n'y ait guere de parties qui ne reçoivent des nerfs du cerveau & du cervelet, ou de l'une & de l'autre moëlle, cependant les nerfs qui se repandent dans les organes des sens extérieurs, & dans toutes les parties qui exécutent des mouvemens volontaires, viennent principalement de la substance médullaire du cerveau ou du corps calleux; que ceux qui se distribuent dans les organes vitaux, & dans toutes les parties qui n'ont que des mouvemens spontanés, ne partent la plûpart que du cervelet ou de la moëlle alongée; & qu'aux parties qui ont des mouvemens sensiblement mixtes, ou en partie volontaires & en partie involontaires, il vient des nerfs du cerveau & du cervelet, ou de l'une & de l'autre moëlle: ou si l'on veut que la plûpart des nerfs qui se distribuent en organes vitaux, viennent du corps calleux. Supposons que l'endroit du corps calleux d'où ils parrent, est différent de celui d'où naissent les nerfs destinés aux mouvemens volontaires. Supposons enfin que Dieu, en unissant l'esprit humain à un corps, a établi cette loi, que toutes les fois que l'ame auroit des perceptions claires, feroit des réflexions libres, ou exerceroit des actes de volonté & de liberté, les fibres du corps calleux, ou d'une partie du corps calleux seroient affectées; & réciproquement qu'aux affections de ces fibres répondroient des idées claires, & toutes les modifications de l'ame qui emportent avec elles un sentiment intérieur; & que toutes les fois que l'ame auroit des sensations obscures, qu'elle ne réfléchiroit point sur ses appétits, & qu'elle agiroit nécessairement & aveuglément, les fibres d'une autre partie du corps calleux, du cervelet ou de la moëlle alongée, seroient affectées; & réciproquement, que des affections de ces fibres naîtroient des modifications dans l'ame, qui ne seroient suivies d'aucun sentiment intérieur.

Cela posé, on comprendra aisément la distinction des facultés de l'ame en libres & en nécessaires; & toutes les difficultés qu'on pourroit faire contre l'appétit vital, s'évanoüiront.

Au reste ces suppositions ne doivent révolter personne, &, à la derniere près, il seroit aisé d'en donner des preuves tirées de l'Anatomie: pour celle - ci, il nous suffit qu'elle ne répugne ni à la puissance de Dieu, ni à sa volonté, ni à la nature des deux substances unies.

Mais ce n'est pas tout: je puis encore appuyer cette derniere supposition sur des observations qui ne paroîtront point suspectes; on en trouvera deux qui ont été tirées des volumes de l'académie royale des Sciences, dans le premier tome de l'Encyclopédie, au mot Ame, pages 342. & 343. Il résulte de ces observations, que de l'altération du corps calleux, ou de l'une de ses parties, s'ensuit la perte de la raison, de la connoissance, des sens extérieurs & des mouvemens volontaires, mais non l'abolition des mouvemens vitaux, puisque les malades dont il est question ne sont pas morts brusquement, & que l'un d'eux reprenoit connoissance dès que le corps calleux cessoit d'être comprimé. Il falloit donc que l'ame exerçât alors dans une partie du corps calleux non comprimée, ou dans la moëlle alongée, d'autres opérations qui ne supposent aucune idée réflé<pb-> [p. 370] chie, aucun acte de volonté, & qui ne laissent pas d'entretenir la dépendance mutuelle du corps & de l'ame, pendant la cessation on l'interruption de la connoissance, & de tout ce qui dépend de l'entendement & de la volonté; opérations qui ne peuvent être autre chose que l'exercice de la faculté vitale, qui doit être continuel pendant la vie.

A ces observations j'en ajoûterai une autre, rapportée dans la Physiologie de M. Fizes, imprimée à Avignon en 1750. Vitam vegetativam, dit ce professeur, in filio pauperculoe mulieris septemdecim annos nato, memini me observasse. Is miser absque usu ullo sensuum, absque ullo motu artuum, colli, maxilloe, omninò perfectè paralyticus undequaque septemdecim annos, velut planta à nativitate vixerat. Ejus corpus corporis infantis decem annorum vix oequabat molem, de coetero marcidum ac flaccidum: pulsus erat debilis ac languidus, respiratio lentissima: in eo nec somni nec vigilioe alternationes distingui poterant ullo signo: nulla vox, nullum signum appetitûs, nullus motus unquam in oculis, qui semper clausi erant, absque tamen palpebrarum coalitu: nulli barboe pili, nulli pubi. Mater ejus alimenta masticabat, labiisque in ejus os insertis, ea in fauces insufflabat: filius ea emollita ac propulsa deglutiebat, ut & potulenta similiter impulsa: egerebat autem, ut par erat, excrementa alvina ac urinam.

Il paroît que cet enfant n'avoit jamais exercé, du moins depuis sa naissance, aucune des fonctions qui dépendent de l'entendement, de la connoissance & de la volonté; mais s'ensuit - il de - là que cet enfant ait vêcu pendant dix - sept ans comme une plante, & qu'il n'ait point eu une ame semblable à celle des autres hommes? point du tout: autrement il faudroit supposer qu'un apoplectique dont les fonctions animales sont entierement abolies pendant des trois, quatre ou cinq jours; que le paysan cité par M. de la Peyronie, à qui on ôtoit la connoissance en comprimant le corps calleux; que l'enfant dont parle M. Littre, qui après avoir joüi deux ans & demi depuis sa naissance d'une santé parfaite, souffrit ensuite pendant dix - huit mois une telle altération dans l'exercice des facultés de son ame, qu'il vint à ne donner plus aucun signe de perception ni de mémoire, pas même de goût, d'odorat, ni d'ouie, & qui ne laissa pas de vivre dans cet état pendant six autres mois: il faudroit, dis - je, supposer que tous ces malades n'ont eu, pendant tout le tems qu'ils étoient sans connoissance & sans sentiment, qu'une vie purement végétative, & que leur ame cessoit alors d'être unie à leur corps: ou bien il faut reconnoître une ame dans l'enfant dont nous venons de parler, quoique cet enfant n'exerçât que les seules fonctions vitales & naturelles; & on doit le faire avec d'autant plus de raison, que ces fonctions, comme on l'a vû ci - dessus, ne peuvent pas dépendre de la seule disposition méchanique du corps humain. Il paroît même que les lois de l'union de l'ame avec le corps n'ayant plus lieu à l'égard des fonctions animales dans les sujets où ces fonctions sont entierement abolies, il faut, pour que l'ame ne soit pas censée avoir abandonné le corps & s'en être séparée, que ces lois ayent lieu à l'égard d'autres fonctions, telles que les vitales, dont l'entiere abolition emporte la cessation de la vie ou la séparation de l'ame avec le corps.

De ces observations il résulte que le siége de l'ame ne doit pas être borné au seul corps calleux, ou à la partie de ce corps où l'ame apperçoit les objets, réfléchit sur ses idées, les compare les unes aux autres, & se détermine à agir d'une façon plûtôt que d'une autre; mais qu'on doit étendre ce siege à une autre partie du corps calleux, au cervelet, à la moëlle alongée, où nous croyons que réside la faculté vitale, dont l'exercice cesse pour toûjours dès que la moëlle alongêe est coupée transversalement ou fortement comprimée par la luxation de la premiere vertebre du cou; ce qui favorise entierement ma derniere supposition.

On dira que dans les foetus humains qui naissent sans tête, la vie est entretenue pendant six, sept, ou neuf mois par la nourriture que leur fournit le cordon ombilical, & qu'alors leur vie n'est pas différente de celle des plantes. Mais si ces enfans ne sont pas des masses informes, si le reste de leur corps est bien organisé, & que les mouvemens vitaux s'y executent comme dans les autres enfans, leur vie n'est pas simplement végétative; elle dépend de leur ame, dont le siége dans ces cas extraordinaires s'étend jusqu'à la moëlle épiniere, ou à quelque chose d'équivalent. Et quoique ces enfans n'ayent jamais exercé aucune des fonctions qui caractérisent un esprit humain, on ne doit pas toutefois s'imaginer qu'ils n'eussent point d'ame; on doit penser seulement que leur ame n'a pû exercer ces fonctions, parce qu'elle manquoit des organes nécessaires à l'exercice & à la manifestation de ses principales facultés. On doit dire la même chose des enfans, dans le crane desquels on ne trouve point de cerveau après la mort, ou dont le cerveau s'est fondu ou petrifié; car alors ou la moëlle alongée ou la moëlle épiniere y suppléent.

La faculté vitale une fois établie dans le principe intelligent qui nous anime, on conçoit aisément que cette faculté excitée par les impressions que le sensorium vital transmet à la partie du sensorium commun à laquelle son exercice est attaché, détermine nécessairement l'influx du suc nerveux dans les fibres motrices des organes vitaux; & qu'étant excitée alternativement par les impressions de ce sensorium qui se succedent continuellement pendant la vie, elle détermine un influx toûjours alternatif, & tel qu'il est nécessaire pour faire contracter alternativement ces organes tant que l'homme vit. On conçoit aussi que lorsque ces impressions sont plus fortes qu'à l'ordinaire, comme il arrive lorsque les organes vitaux trouvent quelqu'obstacle à leurs mouvemens, la faculté vitale est alors plus irritée, & détermine un plus grand influx pour vaincre, s'il est possible, les résistances qui lui sont opposées; & tout cela en conséquence des lois de l'union de l'ame avec le corps. Mais comment la faculté vitale détermine - t - elle cet influx? c'est un mystere pour nous, comme la maniere dont la volonté fait couler le suc nerveux dans les organes soûmis à ses ordres, est un écueil contre lequel toute la sagacité des Physiciens modernes a échoüé jusqu'ici. Tout ce qu'on peut avancer, c'est que la faculté vitale a cela de commun avec la volonté, qu'à l'occasion des impressions qui lui sont transmises, elle excite des mouvemens, qu'elle les augmente selon les lois qu'il a plû au Créateur de lui imposer, & que sa réaction surpasse l'action des causes qui l'ont mise en jeu, & ne suit point les lois méchaniques ordinaires; mais qu'elle en differe en ce que la volonté étant une faculté libre & éclairée, elle suspend ou fait continuer à son gré les mouvemens qu'elle commande, au lieu que la faculté vitale étant un agent aveugle & nécessaire, elle ne péut point arrêter ou suspendre les mouvemens qu'elle excite, & qu'elle est obligée d'entretenir selon les lois qui lui ont été imposées.

L'ame par sa volonté n'a aucun pouvoir immédiat sur la faculté vitale; car comme l'ame ne peut empêcher les sensations qui sont occasionnées par les causes de la faim & de la soif, elle ne peut aussi empêcher les sensations qui lui sont communiquées par les organes vitaux, ni par conséquent suspendre l'exercice de la faculté vitale: elle n'a qu'un pouvoir éloigné sur cette faculté, qui consiste à empêcher les organes du sentiment & du mouvement volontaire de

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