ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"367"> dont le pouvoir égale l'intelligence, n'a pas manqué de mettre dans le corps humain quelque chose d'équivalent au poids & au ressort dont on se sert pour faire aller les machines artificielles; en un mot, une force motrice matérielle, capable d'entrctenir les mouvemens spontanés de nos organes; une cause méchanique qui est continuellement renouvellée par la nourriture que nous prenons chaque jour. Mais sans ramener ici une soule de difficultés qu'entraîne cette supposition, la réflexion suivante suffit pour la détruire. Dans les pendules & les montres, la force qui les fait mouvoir, est uniforme & proportionnée aux résistances qu'elle doit vaincre: elle ne s'accélere jamais d'elle - même; & si par quelque cause que ce soit, elle vient à s'affoiblir, ou si les résistances augmentent, le mouvement de ces machines cesse entierement, à moins que l'ouvrier n'y mette la main pour augmenter la force motrice, ou pour diminuer les résistances. Il en seroit donc de même dans le corps humain, si les mouvemens vitaux n'étoient qu'une suite de la disposition méchanique des organes: ces mouvemens, loin de s'accroître jusqu'à un certain point par des obstacles qui leur sont opposés, comme il n'arrive que trop souvent, se rallentiroient & cesseroient bien - tôt entierement, à moins que Dieu ne remît presqu'à tout moment la main à son ouvrage; ce qu'il seroit ridicule de penser. On a coûtume de faire quelques autres suppositions en faveur du méchanisme; comme elles ne sont pas mieux fondées, il est inutile de les rapporter.

En second lieu, je ne saurois me persuader que nos mouvemens vitaux ayent jamais été arbitraires, ou ce qui revient au même, que la faculté de l'ame, qui préside à nos mouvemens volontaires, ait jamais dirigé nos mouvemens spontanés, vitaux & naturels: car quoique nous fassions sans réflexion & sans un consentement exprès de la volonté, certains mouvemens qui ont commencé par être arbitraires, quoique l'habitude & la coûtume les ait rendus entierement involontaires; cependant lorsque nous y faisons attention, nous ne pouvons nous dissimuler que la volonté n'influe sur ces mouvemens, ou qu'elle n'y ait influé originairement. Mais nous avons beau rentrer en nous - mêmes, nous avons beau nous examiner attentivement, & refléchir sur toutes les opérations de notre ame, nous ne sentons en aucune façon que le pouvoir de la volonté s'étende ou se soit jamais étendu sur nos mouvemens vitaux & naturels. L'exemple du colonel Townshend, s'il est vrai que, quelque tems avant sa mort, il eût la faculté de suspendre à son gré tous les mouvemens vitaux, comme le rapporte M. Cheyne dans son traité the English malady, pag. 307. cet exemple, dis - je, ne prouve autre chose, sinon que par l'habitude il avoit acquis un grand empire sur les organes de la respiration, dont les mouvemens sont en partie volontaires & en partie involontaires; de sorte qu'en diminuant par degrés sa respiration, il suspendoit pour quelques momens les battemens alternatifs du coeur & des arteres, & paroissoit entierement comme un homme mort, & qu'en reprenant peu - à - peu la respiration, il remettoit en jeu tous les mouvemens qui avoient été suspendus, & se rappelloit de nouveau à la vie. D'ailleurs si l'on fait réflexion que pendant le sommeil, & dans toutes les affections soporeuses, les mouvemens même que l'habitude a rendus involomaires, sont suspendus, & que les mouvemens vitaux non - seulement ne s'arrêtent point, mais augmentent même d'activité, on ne croira point que ces mouvemens ayent jamais été arbitraires, & qu'ils ne sont devenus nécessaires que par habitude & par coûtume.

En troisieme lieu, avant de discuter le sentiment de ceux qui placent la faculté vitale dans l'irritabilité des fibres des corps animés, je voudrois savoir si cette irritabilité, que je ne conteste pas, n'est qu'une propriété purement méchanique de ces fibres; ou si elle dépend d'un principe actif, supérieur aux causes méchaniques: car l'homme n'étant composé que d'une ame & d'un corps étroitement unis ensemble par la volonté toute - puissante du Créateur, il faut nécessairement que ce qui agit en lui soit ou matiere ou esprit. Si on dit que l'irritabilité n'est qu'une suite du méchanisme, mais d'un méchanisme qui agit par des lois particulieres, & différentes des lois méchaniques ordinaires, & qui le rend capable d'entretenir, & même d'augmenter ou de diminuer les mouvemens spontanés, sans l'intervention d'aucune intelligence créée, je demande quel est ce méchanisme si surprenant; & jusqu'à ce qu'on m'en ait prouvé la réalité, je refuse de l'admettre, avec d'autant plus de raison que je suis persuadé que les lois méchaniques qui ne me sont pas connues, ne peuvent être diamétralement opposées à celles que je connois; que les unes doivent nécessairement appuyer les autres, & non les renverser entierement; ce qu'il faudroit pourtant supposer, pour faire dépendre la faculté vitale du pur méchanisme. Si on prétend au contraire que l'irritabilité des fibres dépend d'un principe hyperméchanique, c'est l'attribuer à l'ame; & alors on retombe dans l'opinion de ceux qui rapportent les mouvemens vitaux à des facultés de cet agent spirituel qui nous anime.

Revenons à notre idée; & pour la mieux développer, prenons la chose d'un peu loin. Tâchons de découvrir s'il n'y auroit pas en nous un sens vital ou un sensorium particulier, capable de transmettre ses impressions jusqu'au sensorium principal; & si à ce sensorium ne seroit pas attachée une faculté active de l'ame, qui soit capable d'opérer les mouvemens vitaux par le moyen des instrumens corporels, & indépendamment de tout acte de la faculté libre & réfléchie qu'on connoît sous le nom de volonté. Nous supposerons néanmoins bien des choses connues des Physiciens & des Métaphysiciens, mais qui ont été ou seront expliquées dans ce Dictionnaire. Nous observerons seulement que l'ame & le corps s'affectent mutuellement en conséquence de leur union; & qu'étant parfaitement unis, tout le corps doit agir sur l'ame, & l'affecter réciproquement: car il ne nous paroît pas naturel de penser que cette union ne soit pas parfaite, & que ce ne soit qu'à l'égard de certains organes qu'il soit vrai de dire, affecto uno, afficitur alterum. Cette idée ne s'accorde point avec la sagesse & la puissance du Créateur, qui en alliant ensemble des substances qui de leur nature sont inalliables, a mis dans son ouvrage toute la perfection possible. Nous observerons aussi que cette union a dû sans doute altérer jusqu'à un certain point les propriétés de l'ame, soit en lui occasionnant des modifications qu'elle n'auroit point, si elle n'étoit pas unie à un corps organisé, soit en la privant d'autres modifications qu'elle n'auroit pas si elle en étoit séparée.

Comme dans l'homme il n'y a que l'ame qui soit capable de sentiment, tout sentiment considéré dans l'ame, est quelque chose de spirituel; mais comme l'ame ne sent que dépendamment du corps, nous envisagerons tous les sens comme corporels, & nous les diviserons en ceux qui n'ont leur siége que dans le cerveau, & en ceux qui sont dispersés dans tout le reste du corps. Nous ne parlerons pas ici des premiers; mais au nombre des seconds nous mettrons non seulement les sens reconnus de tout le monde, tels que la vûe, l'ouie, l'odorat, le goût, le toucher; les sens de la faim & de la soif, & celui d'où vient l'appétit commun aux deux sexes pour la propagation de l'espece, mais encore le sens d'où [p. 368] naît le desir naturel de perpétuer les mouvemens vitaux pour la conservation de l'individu: desir qui agit en nous indépendamment de notre volonté. Ce dernier sens, que j'appelle vital, est une espece de toucher; ou du moins il peut, comme tous les autres sens, être rapporté au toucher. Voyez Toucher.

Je ne parlerai point ici du siége de tous les sens, je me bornerai au sens vital, que je place dans le coeur, dans les arteres & les veines, & dans tous les visceres, ou dans toutes les parties intérieures qui ont des mouvemens vitaux ou spontanés. J'accorde à toutes ces parties un sensorium particulier; car pourquoi leur refuseroit - on cette prérogative? n'ont - elles pas tout ce qui est nécessaire pour le matériel d'un sens? leurs fibres musculeuses ou membraneuses ne sont - elles pas entrelacées de fibrilles nerveuses? & ces fibrilles n'aboutissent - elles pas à la moëlle alongée, qui est un prolongement du cerveau & du cervelet? c'est de quoi l'Anatomie ne nous permet pas de douter. Cela étant ainsi, & l'union du corps avec l'ame n'étant qu'une dépendance mutuelle de ces deux différentes substances, les fibrilles nerveuses du coeur, des arteres, &c. ne peuvent être affectées que l'ame ne le soit aussi; ce qui suffit pour qu'elles soient le matériel d'un sens.

On opposera peut - être que les lois de l'union de l'ame & du corps ne s'étendent pas jusqu'aux organes qui ne sont point soûmis aux ordres de la volonté; que ces lois n'ont été établies qu'à l'égard des parties sur lesquelles la volonté a quelqu'empire, & qu'ainsi l'ame n'est affectée que lorsque ces parties à l'égard desquelles l'union a lieu, sont affectées; & que lorsque des organes sur lesquels la volonté n'influe point, font affectés, tels que le coeur, les arteres, &c. l'ame n'est point affectée; d'où l'on conclura que ces organes ne constituent point un sensorium particulier.

J'ai prévenu ci - dessus cette objection; mais à ce que j'ai dit je vais ajoûter, 1°. que c'est bien gratuitement qu'on avance que les lois de l'union du corps avec l'ame ne s'étendent pas à toutes les parties de notre machine, & que l'ame n'est affectée que lorsque les organes à l'égard desquels l'union a lieu, sont affectés: car enfin, seroit - ce parce que Dieu ne l'a pû, ou ne l'a pas voulu? Mais quelles raisons a - t - on pour restraindre la puissance de Dieu, ou pour limiter ainsi sa volonté? Qu'est - ce qui peut porter à croire que Dieu n'a pas donné à cette union toute la perfection dont elle peut être susceptible? n'est - il pas au contraire plus naturel de penser que Dieu a fait cette union aussi entiere & aussi parfaite que la nature des deux substances qu'il a unies a pû le permettre? Or toutes les parties du corps humain étant également matérielles, il n'a pas été plus difficile à Dieu d'unir le corps à l'ame par rapport à toutes ses parties, que par rapport à quelques - uns de ses organes.

Je réponds, 2°. que l'expérience nous apprend que l'imagination & les passions de l'ame influent sensiblement sur nos mouvemens vitaux, & les troublent & les dérangent; ce qui prouve évidemment que l'ame étant affectée, les organes vitaux sont affectés à leur tour: d'où je conclus que les affections de ces organes affectent aussi l'ame, car cela doit être réciproque à raison de la dépendance mutuelle des deux substances, dans laquelle consistent les lois de l'union. Nous avons donc l'expérience de notre côté, & nous sommes fondés à soûtenir que puisque l'ame par ses passions agit sensiblement sur nos organes vitaux, son union avec le corps doit avoir lieu à leur égard; & cette union étant réciproque, il faut que ces organes agissent aussi sur l'ame, & qu'ils constituent par consequent un sensorium particulier, ou le matéricl d'un sens que nous avons appellé vital.

On opposera qu'il n'y a point de sens sans sensation, ni de sensation sans sentiment intérieur, ou sans un témoignage secret de notre conscience. Or, ajoûtera - t - on, il n'y a ici ni sensation, ni sentiment intérieur d'aucune sensation; car lorsque nous ne sommes agités d'aucune passion, nous ne sentons point que le sensorium vital affecte notre ame, ni que notre ame agisse sur ce sensorium, d'où l'on conclura qu'il n'y a point de sens vital.

Je conviens que Dieu, qui ne fait rien d'inutile, a attaché un exercice à chaque faculté, & que la sensation n'étant que l'exercice de la faculté sensitive, ou le sens réduit en acte, il ne peut y avoir aucun sens qu'il n'y ait sensation; & que s'il n'y a pas de sensation, le sensorium ou les instrumens du sens vital deviennent inutiles. Mais je nie qu'il n'y ait pointici de sensation; & après avoir observé que toutes les sensations ne sont pas également fortes & vives, qu'il y en a de foibles & d'obscures, j'ajoûte, 1°. qu'outre que le pur sens intime de notre existence, qui, selon les principes de la Métaphysique, ne nous manque jamais, n'est dû dans bien des cas, dans l'apoplexie, par exemple, qu'à la sensation excitée par le sensorium vital; c'est à ce même sensorium legerement effleuré que nous devons la sensation foible & obscure de la bonne disposition de notre esprit & de notre corps, de notre bien - être, ou de ce plaisir que nous ressentons intérieurement lorsque tout est en nous dans l'ordre naturel, & que le sensorium vital ne reçoit de nos humeurs qu'une legere impression, un doux tremoussement ou une espece de chatouillement. C'est encore à ce même sens, mais différemment affecté, que je rapporte les douleurs intérieures, les anxiétés, les inquiétudes, l'abattement, qui sans cause manifeste se font sentir lorsque quelque cause intérieure & inconnue diminue ou augmente les mouvemens de nos humeurs, & dérange plus ou moins l'action organique de nos parties. Or là où il y a plaisir ou douleur, joie ou tristesse, tranquillité ou inquiétude, vigueur ou abattement spontané, là il y a sénsation agréable ou desagréable, & par conséquent faculté de sentir, aussi - bien que sensorium ou organe d'un sens particulier.

J'ajoûte, 2°. que quand même nous ne nous appercevrions pas de cette sensation, il ne s'ensuivroit point que l'ame ne l'ait point, parce que nous ne connoissons pas toutes les modifications de notreame, & qu'il y en a sans doute qui ne se replient pas sur elles - mêmes, ou dont on n'a aucun sentiment intérieur. Mais il y a plus: si nous faisons une sérieuse attention à tout ce qui se passe dans l'intérieur de notre ame, en quelqu'état que nous nous trouvions, nous nous appercevrons bientôt, du moins confusément, qu'elle sent son existence agréable ou desagréable, dépendamment du bon ou mauvais état de nos organes intérieurs ou vitaux; & notre conscience nous rendra un témoignage, du moins obscur, que nous avons une sensation qui dépend de ces mêmes organes, & qui nous informe de leur bonne ou mauvaise disposition.

Nous croyons avoir suffisamment établi cette sensation ou cette faculté passive de notre ame: il nous feste à faire voir qu'à cette faculté sensitive doit répondre une faculté appétitive; c'est - à - dire que de l'impression du sensorium vital, ou de son action sur l'ame, doit naître une réaction ou puissance active de l'ame, qui, par le moyen du fluide nerveux, agisse à son tour sur les organes vitaux, qui en entretienne continuellement les moùvemens alternatifs; & qui, sans attendre les ordres de la volonté, ou même contre ses ordres, les augmente ou les diminue dans certains cas, suivant les lois qu'il a plû au Créateur d'établir. Or l'on ne révoquera poînt en doute cette faculté active, si l'on fait attention qu'il

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