ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Il n'y a donc évidemment, ni dans le chant de ce morceau, ni dans les accompagnemens qui n'en sont qu'une froide répétition, rien qui caractérise l'affreux personnage qui parle, & les paroles fortes qu'il dit: l'expression, en un mot, y est totalement manquée.

D'où vient donc ce prestige? car il est certain que ce morceau & tout l'acte produisent un fort grand effet. L'explication de ce paradoxe est facile, si l'on veut bien remonter aux sources. Dans les commencemens on n'a point apperçû le poëte dans les opéra de Lulli: ce musicien n'eut point de rival à combattre, ni de critique lumineuse à craindre. Quinault étoit déchiré par les gens de lettres à la mode, & on se gardoit bien de croire que ses vers pussent être bons. On entendoit des chants qu'on trouvoit beaux, le chanteur ajoûtoit l'expression de l'action à celle des paroles, & toute l'impression étoit imputée au musicien, qui n'y avoit que très - peu ou point de part.

Cependant par l'effet que produit l'acte de Méduse, dépouillé, comme il est réellement, de l'expression qu'il devoit recevoir de la musique, qu'on juge de l'impression étonnante qu'il auroit faite, s'il avoit eu cet avantage qui lui manque absolument. Quelques réflexions sur ce point sont seules capables de rendre très - croyable ce qu'on lit dans l'histoire ancienne de la musique des Grecs: plusieurs de leurs poésies nous restent; leur musique leur prétoit sûrement une nouvelle expression, les spectateurs d'Athenes n'étoient pas gens à se contenter à moins; & par les parties de leurs spectacles que nous admirons encore, il est facile de nous convaincre combien devoit être surprenante la beauté de leur ensemble.

Comment se peut il, dira - t - on peut - être, qu'en accordant l'expression à Lulli dans presque tout son récitatif, en convenant même qu'il l'a poussée quelquefois jusqu'au dernier sublime, on la lui refuse dans les autres parties qu'il connoissoit sans doute aussi - bien que celle qu'il a si habilement maniée?

On pourroit ne répondre à cette conjecture que par le fait: mais il est bon d'aller plus avant, & d'en développer la cause physique. La scene & le chant de déclamation étoient l'objet principal de Lulli: tel étoit le genre à sa naissance. Lorsque l'art n'étoit encore qu'au berceau, Quinault n'avoit pas pû couper ses opérai, comme il les auroit sûrement coupés de nos jours, que l'art a reçû ses accroissemens. Voy. Exécution. Ainsi Lulli appliquoit tous les efforts de son génie au récitatif, qui étoit le grand fond de son spectacle; ses airs de mouvement, pour peu qu'ils fussent différens de la déclamation ordinaire, faisoient une diversion agréable avec la langueur inséparable d'un trop long récitatif; & par cette seule raison, ils étoient constamment applaudis: les acteurs les apprenoient d'ailleurs sans beaucoup de peine, & le public les retenoit avec facilité. En falloit - il davantage à un musicien que la cour & la ville loüoient sans cesse, qui pour soûtenir son théatre, se trouvoit sans doute pressé dans ses compositions, & qui marchoit au surplus en proportion des forces de ses exécutans & des connoissances de ses auditeurs.

Mais est - il bien sûr que le chant doit avoir par lui - même une expression, qui ajoûte une nouvelle chaleur à l'expression des paroles? cette prétention n'est - elle pas une chimere? ne suffit - il pas qu'un chant pour être bon, soit beau, facile, noble, & qu'il fasse passer agréablement à l'oreille des paroles, qui par elles - mêmes expriment le sentiment?

On répond, 1°. que la musique étant une imitation, & ne pouvant point y avoir d'imitation sans expression, tout chant qui n'en a pas une par lui - même, peche évidemment contre le premier principe de l'art'. 2°. Cette prétention est si peu chimérique, que dans Lulli même on trouve, quoiqu'en petit nombre, des symphonies, des choeurs, des airs de mouvement qui ont l'expression qui leur est propre, & qui par conséquent ajoûtent à l'expression des paroles. 3°. Que cette expression est répandue en abondance sur les compositions modernes; que c'est - là précisément ce qui fait leur grand mérite aujourd'hui, & qui dans leur nouveauté les faisoit regarder comme barbares, parce qu'elles étoient en contradiction entiere avec celles qui en manquoient, & qu'on étoit en possession d'admirer. 4°. Un chant, quelque beau qu'il soit, doit paroître difforme, lorsqu'appliqué à des paroles qui expriment un sentiment, il en exprime un tout contraire. Tel est le premier choeur du prologue d'Amadis dont on a déjà parlé; qu'à la place de ces mots éveillons - nous, on chante ceux - ci endormons - nous, on aura trouvé une très - belle expression: mais avec les premieres paroles on ne chante qu'un contre - sens, & ce chant très beau devient insoûtenable à qui sait connoître, distinguer, & reflécnir. Le contre - sens & la lenteur de ce choeur sont d'autant plus insupportables, que le réveil est causé par un coup de tonnerre. 5°. Je demande ce qu'on entend par des chants faciles? La facilité n'est que relative au degré de talent, d'expérience, d'habileté de celui qui exécute. Ce qui étoit fort difficile il y a quatre - vingts ans, est devenu de nos jours d'une très - grande aisance; & ce qui n'étoit que facile alors, est aujourd'hui commun, plat, insipide. Il en est des spectateurs comme des exécutans; la facilité est pour eux plus ou moins grande, selon leur plus ou moins d'habitude & d'instruction. Les Indes galantes, en 1735, paroissoient d'une difficulté insurmontable; le gros des spectateurs sortoit en déclamant contre une musique surchargée de doubles croches, dont on ne pouvoit rien retenir. Six mois après, tous les airs depuis l'ouverture jusqu'à la derniere gavote, furent parodiées & sûs de tout le monde. A la reprise de 1751, notre parterre chantoit brillant soleil, &c. avec autant de facilité que nos peres psalmodioient Armide est encore plus aimable, &c.

C'est donc dans l'expression que consiste la beauté du chant en général; & sans cette partie essentielle, il est absolument sans mérite. Il reste maintenant à examiner en quoi consiste en particulier l'expression du chant de déclamation (c'est ce qu'on expliquera à l'article Récitatif), & celle que doit encore y ajoûter l'acteur qui l'exécute.

Quoique ce que nous nommons très - improprement récitatif doive exprimer réellement les paroles, & qu'il ne puisse pas porter trop loin cette qualité importante, il doit cependant être toûjours simple, & tel à - peu - près que nous connoissons la déclamation ordinaire: c'est la maniere dont un excellent comédien débiteroit une tragédie, qu'il faut que le musicien saisisse & qu'il réduise en chant. Voyez Récitatif. Et comme il est certain qu'un excellent comédien ajoûte beaucoup à l'expression du poëte par sa maniere de débiter, il faut aussi que le récitatif soit un surcroît d'expression, en devenant une déclamation notée & permanente.

Mais l'acteur qui doit le rendre ayant par ce moyen une déclamation trouvée, de laquelle il ne sauroit s'écarter, quelle est donc l'expression qu'il peut encore lui prêter? Celle que suggere une ame sensible, toute la force qui naît de l'action théatrale, la grace que répandent sur les paroles les inflexions d'un bel organe, l'impression que doit produire un geste noble, naturel, & toûjours d'accord avec le chant.

Si l'opéra exige de l'expression dans tous les chants & dans chacune des différentes symphonies, il est évident qu'il en demande aussi dans la danse. Voyez Ballet, Danse, Chant, Débit, Débiter, Maitre à chanter, Déclamation, Exécution, Opéra, Récitatif , & Rôle. (B) [p. 319]

Expression (Page 6:319)

Expression, (Peinture,) Il est plus aisé de développer le sens de ce terme, qu'il n'est facile de réduire en préceptes la partie de l'art de la Peinture qu'il signifie. Le mor expression s'applique aux actions & aux passions, comme le mot imitation s'adapte aux formes & aux couleurs: l'un est l'art de rendre des qualités incorporelles, telles que le mouvement & les affection, de l'ame: l'autre est l'art d'imiter les formes qui distinguent à nos yeux les corps des uns des autres, & les couleurs que produit l'arrangement des parties qui composent leur surface.

Représenter avec des traits les formes des corps, imiter leurs couleurs avec des teintes nuancées & combinées entre elles, c'est une adresse dont l'effet foûmis à nos sens, paroît vraissemblable à l'esprit: mais exprimer dans une image matérielle & immobile le mouvement, cette qualité abstraite des corps; faire naître par des figures muettes & inanimées l'idée des passions de l'ame, ces agitations internes & çachées; c'est ce qui en paroissant au - dessus des moyens de l'art, doit sembler incompréhensible.

Cependant cet effort de l'art existe; & l'on peut dire des ouvrages qu'ont composés les peintres d'expression, ce qu'Horace disoit des poésies de Sapho:

Spirat adhuc amor, Vivuntque commissi calores AEolioe fidibus puelloe.

Pour parvenir à sentir la possibilité de cet effet de la peinture, il faut se représenter cette union si intime de l'ame & du corps, qui les fait continuellement participer à ce qui est propre à chacun d'eux en particulier. Le corps souffre - t - il une altération, l'ame éprouve de la douleur; l'ame est - elle affectée d'une passion violente, le corps à l'instant en partage l'impression: il y a donc dans tous les mouvemens du corps & de l'ame une double progression dépendante l'une de l'autre; & l'artiste observateur attaché à examiner ces différens rapports, pourra, dans les mouvemens du corps, suivre les impressions de l'ame. C'est - là l'etude que doit faire le peintre qui aspire à la partie de l'expression; son succès dépendra de la finesse de ses observations, & sur - tout de la justesse avec laquelle il mettra d'accord ces deux mouvemens. Les passions ont des degrés, comme les couleurs ont des nuances; elles naissent, s'accroissent, parviennent à la plus grande force qu'elles puissent avoir, diminuent ensuite & s'évanoüissent. Les leviers que ces forces font mouvoir, suivent la progression de ces états différens; & l'artiste qui ne peut reptésenter qu'un moment d'une passion, doit connoître ces rapports, s'il veut que la vérité fasse le mérite de son imitation. Cette vérité, qui est une exacte convenance, naîtra donc de la précision avec laquelle (après avoir choisi la nuance d'une passion) il en exprimera le juste effet dans les formes du corps & dans leur couleur; s'il se trompe d'un degré, son imitation sera moins parfaite; si son erreur est plus considérable, d'une contradiction plus sensible naîtra le défaut de vraissemblance qui détruit l'illusion.

Mais pour approfondir cette partie importante, puisque c'est elle qui ennoblit l'art de la Peinture en la faisant participer aux opérations de l'esprit; il seroit nécessaire d'entrer dans quelque détail sur les passions, & c'est ce que je tâcherai de faire au mot Passion. Je reprendrai alors les principes que je viens d'exposer; & les appliquant à quelques développemens des mouvemens du corps rapportés aux mouvemens de l'ame, je donncrai au moins l'idée d'un ouvrage d'observations qui seroient curieuses & utiles, mais dont l'étendue & la difficulté extrèmes pourront nous priver long - tems. Cet article est de M. Watelet.

Expression (Page 6:319)

Expression, (Pharm. Chimie.) est l'action de presser un corps pour en faire sortir une liqueur.

L'expression se fait ou à l'aide d'une presse, ou à l'aide d'un linge, dans lequel on renferme les matieres, & qu'une ou deux personnes tordent plus ou moins fortement: cette derniere maniere est suffisante pour exprimer certaines infusions, décoctions, les émulsions, les feces des teintures, &c. Mais on a communément recours à la presse, lorsqu'on veur tirer les sucs des fruits, des plantes, des fleurs, &c. sur - tout quand ces fruits ne sont pas très - succulens: ces dernieres matieres doivent être disposées à lâcher leurs sucs par une opération préalable, qui consiste à les piler ou les raper. Voyez Piler & Raper.

L'expression par le secours de la presse, est encore employée pour retirer des semences émulsives les huiles qui sont connues dans l'art sous le nom d'huile par expression: telles sont les huiles d'amandes, de noix, de semences froides, de graine de lin, de chenevis, &c. Voyez Huile. (b)

EXPULSER (Page 6:319)

EXPULSER, terme de Medecine, chasser avec esfort, pousser hors les humeurs, &c.

Expulser (Page 6:319)

Expulser, terme de Piatique, chasser avec une sorte de violence & par autorité de justice: expulser se dit sur - tout d'un propriétaire qui voulant occuper sa maison par lui - même, force un locataire à la lui céder avant l'expiration de son bail. Voy. Evincer.

L'usage est communément à Paris, qu'au cas d'expulsion par le propriétaire ou par l'acquéreur, on accorde six mois de joüissance gratuite au locataire, comme en dédommagement des dépenses qu'il a faites pour s'arranger dans la maison qu'on lui ôte, & de celles qu'il doit faire ensuite pour s'arranger dans une autre; ce qui fort souvent n'est pas susceptible de compensation.

Quoi qu'il en soit, la faculté que la loi donne en certains cas d'expulser un locataire avant le terme convenu, paroît absolument contraire à l'essence de tous les baux: car enfin la destination, la nature, & la propriété d'un bail, c'est d'assûrer de bonnefoi au locataire l'occupation actuelle d'une maison pour un tems limité, à la charge par lui de payer certaine somme toutes les années, mais avec égale obligation pour les contractans, de tenir & d'observer leurs conventions réciproques, l'un de faire joüir, & l'autre de payer, &c.

Quand je m'engage à donner ma maison pour six ans, je conserve il est vrai la propriété de cette maison, mais je vends en effet la joüissance des six années; car le loüage & la vente sont à - peu - près de même nature, suivant le droit romain; ils ne different proprement que dans les termes; & comme dit Justinien, ces deux contrats suivent les mêmes regles de droit: locatio & conductio proxima est emptioni & venditioni, üsdemque juris regulis consistie. Lib. III. instit. tit. xxv. Or quand une chose est vendue & livrée, on ne peut plus la revendiquer, l'acheteur est quitte en payant, & il n'y a plus à revenir: de - là dépendent la tranquillité des contractans & le bien général du commerce entre les hommes; sans cela nulle décision, nulle certitude dans les affaires.

La faculté d'occuper par soi - même accordée au propriétaire malgré la promesse de faire joüir, portée dans le bail, est donc visiblement abusive & contraire au bien de la société. C'est ce qu'on nomme le privilége bourgeois; c'est, à proprement parler, le privilége de donner une parole & de ne la pas tenir: pratique odieuse, par laquelle on accoûtume les hommes à la fraude & à se joüer des stipulations & des termes. Outre que par - là on fait pancher la balance en faveur d'une partie au desavantage de l'autre; puisque tandis qu'on accorde au propriétaire la faculté de reprendre sa maison, on refuse au locataire la liberté de résilier son bail.

Au surplus si cette prérogative est injuste, elle est

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