ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"162"> sous votre conduite, ô Apollon Pythien, & par l'instigation de votre divinité, que je vais détruire la ville de Véies: je vous offre la dixieme partie du butin que j'y ferai. Je vous prie aussi, Junon, qui demeurez présentement à Véïes, de nous suivre dans notre ville, où l'on vous bâtira un temple digne de vous ».

Mais le nom sacré des divinités tutélaires de chaque ville étoit presque toûjours inconnu aux peuples, & révelé seulement aux prêtres, qui, pour éviter ces évocations, en faisoient un grand mystere, & ne les proféroient qu'en secret dans les prieres solennelles: aussi pour lors ne les pouvoit - on évoquer qu'en termes généraux, & avec l'alternative de l'un ou de l'autre sexe, de peur de les offenser par un titre peu convenable.

Macrobe nous a conservé, Saturn. lib. III. c. jx. la grande formule de ces évocations, tirée du livre des choses secretes des Sammoniens: Sérénus prétendoit l'avoir prise dans un auteur plus ancien. Elle avoit été faite pour Carthage; mais en changeant le nom, elle peut avoir servi dans la suite à plusieurs autres villes, tant de l'Italie que de la Grece, des Gaules, de l'Espagne & de l'Afrique, dont les Romains ont évoqué les dieux avant de faire la conquête de ces pays - là. Voici cette formule curieuse.

« Dieu ou déesse tutélaire du peuple & de la ville de Carthage, divinité qui les avez pris sous votre protection, je vous supplie avec une vénération profonde, & vous demande la faveur de vouloir bien abandonner ce peuple & cette cité; de quitter leurs lieux saints, leurs temples, leurs cérémonies sacrées, leur ville; de vous éloigner d'eux; de répandre l'épouvante, la confusion, la négligence parmi ce peuple & dans cette ville: & puisqu'ils vous trahissent, de vous rendre à Rome auprès de nous; d'aimer & d'avoir pour agréables nos lieux saints, nos temples, nos sacres mysteres; & de me donner, au peuple romain & à mes soldats, des marques évidentes & sensibles de votre protection. Si vous m'accordez cette grace, je fais voeu de vous bâtir des temples & de célébrer des jeux en votre honneur ».

Après cette évocation ils ne doutoient point de la perte de leurs ennemis, persuadés que les dieux qui les avoient soûtenus jusqu'alors, alloient les abandonner, & transférer leur empire ailleurs. C'est ainsi que Virgile parle de la desertion des dieux tutélaires de Troye, lors de son embrasement:

Excessêre omnes, adytis, arisque relictis, Dî quibus imperium hoc steterat. . . . AEneïd. lib. II.

Cette opinion des Grecs, des Romains, & de quelques autres peuples, paroît encore conforme à ce que rapporte Josephe, liv. VI. de la guerre des Juifs, ch. xxx. que l'on entendit dans le temple de Jérusalem, avant sa destruction, un grand bruit, & une voix qui disoit, sortons d'ici; ce que l'on prit pour la retraite des anges qui gardoient ce saint lieu, & comme un présage de sa ruine prochaine: car les Juifs reconnoissoient des anges protecteurs de leurs temples & de leurs villes.

Je finis par un trait également plaisant & singulier, qu'on trouve dans Quinte - Curce, liv. IV. au sujet des évocations. Les Tyriens, dit - il, vivement pressés par Alexandre qui les assiégeoit, s'aviserent d'un moyen assez bisarre pour empêcher Apollon, auquel ils avoient une dévotion particuliere, de les abandonner. Un de leurs citoyens ayant déclaré en pleine assemblée qu'il avoit vû en songe ce dieu qui se retiroit de leur ville, ils lierent sa statue d'une chaîne d'or, qu'ils attacherent à l'autel d'Hercule leur dieu tutélaire, afin qu'il retînt Apollon. Voyez les mém. de l'acad. des Inscript. tom. V. Article de M. le chevalier de Jaucourt.

Evocation (Page 6:162)

Evocation des manes, (Littérat.) c'étoit la plus ancienne, la plus solennelle, & en même tems celle qui fut le plus souvent pratiquée.

Son antiquité remonte si haut, qu'entre les différentes especes de magie que Moyse défend, celle - ci y est formellement marquée: Nec sit . . . qui quarat à mortuis veritatem. L'histoire qu'on répete si souvent à ce sujet, de l'ombre de Samuel évoquée par la magicienne, fournit une autre preuve que les évocations étoient en usage dès les premiers siecles, & que la superstition a presque toûjours triomphé de la raison chez tous les peuples de la terre.

Cette pratique passa de l'Orient dans la Grece, où on la voit établie du tems d'Homere. Loin que les Payens ayent regardé l'évocation des ombres comme odicuse & criminelle, elle étoit exercée par les ministres des choses saintes. Il y avoit des temples consacrés aux manes, où l'on alloit consulter les morts; il y en avoit qui étoient destinés pour la cérémonie de l'évocation. Pausanias alla lui - même à Héraclée, ensuite à Phygalia, pour évoquer dans un de ces temples une ombre dont il étoit persécuté. Périandre, tyran de Corinthe, se rendit dans un pareil temple qui étoit chez les Thesprotes, pour consulter les manes de Mélisse.

Les voyages que les Poëtes font faire à leurs héros dans les enfers, n'ont peut - être d'autre fondement que les évocations, auxquelles eurent autrefois recours de grands hommes pour s'éclaircir de leur destinée. Par exemple, le fameux voyage d'Ulysse au pays des Cymmériens, où il alla pour consulter l'ombre de Tyrésias; ce fameux voyage, dis - je, qu'Homere a décrit dans l'Odyssée, a tout l'air d'une semblable évocation. Enfin Orphée qui avoit été dans la Thesprotie pour évoquer le phantôme de sa semme Euridice, nous en parle comme d'un voyage d'enfer, & prend de - là occasion de nous débiter tous les dogmes de la Théologie payenne sur cet article; exemple que les autres Poëtes ont suivi.

Mais il faut remarquer ici que cette maniere de parler, évoquer une ame, n'est pas exacte; car ce que les prêtres des temples des manes, & ensuite les magiciens, évoquoient, n'étoit ni le corps ni l'ame, mais quelque chose qui tenoit le milieu entre le corps & l'ame, que les Grecs appelloient E)I/DWLON, les Latins simulacrum, imago, umbra tenuis. Quand Patrocle prie Achille de le faire enterrer, c'est afin que les images legeres des morts, E)IDWLA *KAMO/NTON, ne l'empêchent pas de passer le fleuve fatal.

Ce n'étoit ni l'ame ni le corps qui descendoient dans les champs élysées, mais ces idoles. Ulysse voit l'ombre d'Hercule dans ces demeures fortunées, pendant que ce héros est lui - même avec les dieux immortels dans les cieux, où il a Hébé pour épouse. C'étoit donc ces ombres, ces spectres ou ces manes, comme on voudra les appeller, qui étoient évoqués.

De savoir maintenant si ces ombres, ces spectres ou ces manes ainsi évoqués apparoissoient, ou si les gens trop crédules se laissoient tromper par l'artifice des prêtres, qui avoient en main des fourbes pour les servir dans l'occasion, c'est ce qu'il n'est pas difficile de décider.

Ces évocations, si communes dans le paganisme, se pratiquoient à deux fins principales; ou pour consoler les parens & les amis, en leur faisant apparoitre les ombres de ceux qu'ils regrettoient; ou pour en tirer leur horoscope. Ensuite parurent sur la scene les magiciens, qui se vanterent aussi de tirer par leurs enchantemens ces ames, ces spectres ou ces phantômes de leurs demeures sombres.

Ces derniers, ministres d'un art frivole & funeste, vinrent bientôt à employer dans leurs évocations les [p. 163] pratiques les plus folles & les plus abominables; ils alloient ordinairement sur le tombeau de ceux dont ils vouloient évoquer les manes; ou plûtôt, selon Suidas, ils s'y laissoient conduire par un bélier qu'ils tenoient par les cornes, & qui ne manquoit pas, dit cet auteur, de se prosterner dès qu'il y étoit arrivé. On faisoit là plusieurs cérémonies, que Lucain nous a décrites en parlant de la fameuse magicienne nommée Hermonide; on sait ce quil en dit:

Pour des charmes pareils elle garde en tous lieux Tout ce que la nature enfante d'odieux; Elle mêle à du sang qu'elle puise en ses veines, Les entrailles d'un lynx, &c.

Dans les évocations de cette espece, on ornoit les autels de rubans noirs & de branches de cyprès; on y sacrifioit des brebis noires: & comme cet art fatal s'exerçoit la nuit, on immoloit un coq, dont le chant annonce la lumiere du jour, si contraire aux enchantemens. On finissoit ce lugubre appareil par des vers magiques, & des prieres qu'on récitoit avec beaucoup de contorsions. C'est ainsi qu'on vint à bout de persuader au vulgaire ignorant & stupide, que cette magie avoit un pouvoir absolu, non - seulement sur les hommes, mais sur les dieux mêmes, sur les astres, sur le soleil, sur la lune, en un mot, sur toute la nature. Voilà pourquoi Lucain nous dit:

L'univers les redoute, & leur force inconnue S'éleve impudemment au - dessus de la nue; La nature obéit à ses impressions, Le soleil étonné sent mourir ses rayons, . . . . . . . . . . . . . . . . Et la lune arrachée à son throne superbe, Tremblante, sans couleur, vient écumer sur l'herbe.

Personne n'ignore qu'il y avoit dans le paganisme différentes divinités, les unes bienfaisantes & les autres malfaisantes, à qui les magiciens pouvoient avoir recours dans leurs opérations. Ceux qui s'adressoient aux divinités malfaisantes, professoient la magie goétique, ou sorcelerie dont je viens de parler. Les lieux soûterreins étoient leurs demeures; l'obscurité de la nuit étoit le tems de leurs évocations; & des victimes noires qu'ils immoloient, répondoient à la noirceur de leur art.

Tant d'extravagances & d'absurdités établies chez des nations savantes & policées, nous paroissent incroyables; mais indépendamment du retour sur nous - mêmes, qu'il seroit bon de faire quelquefois, l'étonnement doit cesser, dès qu'on considere que la magie & la théologie payenne se touchoient de près, & qu'elles émanoient l'une & l'autre des mêmes principes. Voyez Magie, Goétie, Manes, Lémures, Enchantemens , &c. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Evocation (Page 6:163)

Evocation, (Jurisprud.) est appellée en Droit litis translatio ou évocatio; ce qui signifie un changement de juges, qui se fait en ôtant la connoissance d'une contestation à ceux qui devoient la juger, selon l'ordre commun, & donnant à d'autres le pouvoir d'en decider.

Plutarque, en son traité de l'amour des peres, regarde les Grecs comme les premiers qui inventerent les évocations & les renvois des affaires à des siéges étrangers; & il en attribue la cause à la défiance que les citoyens de la même ville avoient les uns des autres, qui les portoit à chercher la justice dans un autre pays, comme une plante qui ne croissoit pas dans le leur.

Les lois romaines son contraires à tout ce qui dérange l'ordre des jurisdictions, & veulent que les parties puissent toûjours avoir des juges dans leur province, comme il paroît par la loi juris ordinem, au code de jurisdict, omn. jud. & en l'auth. si verò, cod. de jud. ne provinciales recedentes à patriâ, ad longinqua trahantur examina. Leur motif étoit que souvent l'on n'évoquoit pas dans l'espérance d'obtenir meilleure justice, mais plûtôt dans le dessein d'éloigner le jugement, & de contraindre ceux contre lesquels on plaidoit, à abandonner un droit légitime, par l'impossibilité d'aller plaider à 200 lieues de leur domicile: commodiùs est illis (dit Cassiodore, lib. VI. c. xxij.) causam perdere, quàm aliquid per talia dispendia conquirere, suivant ce qui est dit en l'auth. de appellat.

Les Romains considéroient aussi qu'un plaideur faisoit injure à son juge naturel, lorsqu'il vouloit en avoir un autre, comme il est dit en la loi litigatores, in principio, ff. de recept. arbitr.

Il y avoit cependant chez eux des juges extraordinaires, auxquels seuls la connoissance de certaines matieres étoit attribuée; & des juges pour les causes de certaines personnes qui avoient ce qu'on appelloit privilegium fori, aut jus revocandi domum.

Les empereurs se faisoient rendre compte des affaires de quelques particuliers, mais seulement en deux cas; l'un, lorsque les juges des lieux avoient refusé de rendre justice, comme il est dit en l'authentique ut differant judices, c. j. & en l'authentique de quoestore, §. super hoc; l'autre, lorsque les veuves, pupilles & autres personnes dignes de pitié, demandoient elles - mêmes l'évocation de leur cause, par la crainte qu'elles avoient du crédit de leur partie.

Capitol n'rapporte que Marc Antonin, surnommé le philosophe, loin de dépouiller les juges ordinaires des causes des parties, renvoyoit même celles qui le concernoient, au sénat.

Tibere vouloit pareillement que toute affaire, grande ou petite, passât par l'autorité du sénat.

Il n'en fut pas de même de l'empereur Claude, à qui les historiens imputent d'avoir cherché à attirer à lui les fonctions des magistrats, pour en retirer profit.

Il est parlé de lettres évocatoires dans le code théodosien & dans celui de Justinien, au titre de decurionibus & silentiariis; mais ces lettres n'étoient point des évocations, dans le sens où ce terme se prend parmi nous: c'étoient proprement des congés que le prince donnoit aux officiers qui étoient en province, pour venir à la cour; ce que l'on appelloit évocare ad comitatum.

Il taut entendre de même ce qui est dit dans la novelle 151 de Justinien: ne decurio aut cohortalis perducatur in jus, citrà jussionem principis. Les lettres évocatoires que le prince accordoit dans ce cas, étoient proprement une permission d'assigner l'officier, lequel ne pouvoit être autrement assigné en jugement, afin qu'il ne fût pas libre à chacun de le distraire trop aisément de son emploi.

En France les évocations trop fréquentes, & faites sans cause légitime, ont toûjours été regardées comme contraires au bien de la justice; & les anciennes ordonnances de nos rois veulent qu'on laisse à chaque juge ordinaire la connoissance des affaires de son district. Telles sont entr autres celles de Philippe - le - Bel, en 1302; de Philippe de Valois, en 1344; du roi Jean, en 1351 & 1355; de Charles V. en 1357; de Charles VI. en 1408, & autres postérieurs.

Les ordonnances ont aussi restraint l'usage des évocations à certains cas, & déclarent nulles toutes les évocations qui seroient extorquées par importunité ou par inadvertance, contre la teneur des ordonnances.

C'est dans le même esprit que les causes sur lesquelles l'évocation peut être fondée, doivent être mûrement examinées, & c'est une des fonctions principales du conseil. S'il y a lieu de l'accorder, l'affaire est renvoyée ordinairement à un autre tribunal; &

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