ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"154"> pé relativement à la réalité des objets, puisqu'elles ne vous ont représenté que des objets qui vous ont auparavant procuré ces mêmes sensations par la voie des sens. S'il n'y a pas de rapport essentiel entre les objets & les sensations, les connoissances que la mémoire vous rappelle, vous assûrent au moins que dans notre état actuel il y a un rapport conditionnel & nécessaire. Vous ne connoissez pas non plus de rapport essentiel entre l'être sensitif & les sensations, puisqu'il n'est pas évident que l'être sensitif ne puisse pas exister sans les sensations. Vous avouerez aussi, par la même raison, qu'il n'y a pas de rapport essentiel entre l'être sensitif & la cause active de nos sensations. Mais toûjours est - il évident par la réalité des sensations, qu'il y a au moins un rapport nécessaire entre notre être sensitif & nos sensations, & entre la cause active de nos sensations & notre être sensitif. Or un rapport nécessaire connu nous assûre évidemment de la réalité des corrélatifs. Le rapport nécessaire que nous connoissons entre nos sensations & les objets sensibles, nous assûre donc avec évidence de la réalité de ces objets, quels qu'ils soient; je dis quels qu'ils soient, car je ne les connois point en eux - mêmes, mais je ne connois pas plus mon être sensitif: ainsi je ne connois pas moins les corps ou les objets sensibles, que je me connois moi - même. De plus nos sensations nous découvrent aussi entre les corps, des rapports nécessaires qui nous assûrent que les propriétés de ces corps ne se bornent pas à nous procurer des sensations; car nous reconnoissons qu'ils sont eux - mêmes des causes sensibles, qui agissent réciproquement les unes sur les autres; ensorte que le système général des sensations est une démonstration du système général du méchanisme des corps.

La même certitude s'étend jusqu'à la notion que j'ai des êtres sensitifs des autres hommes; parce que les instructions vraies que j'en ai reçûes, & que j'ai vérifiées par l'exercice de mes sens, établissent un rapport nécessaire entre les êtres sensitifs de ces hommes, & mon être sensitif. En effet je suis aussi assûré de la vérité de ces instructions que j'ai confirmées par l'exercice de mes sens, que de la fidélité de ma mémoire, que de la connoissance de mon existence successive, & que de l'existence des corps; puisque c'est par la même évidence que je suis assûré de la vérité de toutes ces connoissances. En effet la vérification des instructions que j'ai reçûes des hommes, me prouve que chacun d'eux a, comme moi, un être sensitif qui a reçû les sensations ou les connoissances qu'il m'a communiquées, & que j'ai vérifiées par l'usage de mes sens.

41°. Qu'un être sensitif, qui est privativement & exclusivement affecté de sensations bornées à lui, & qui ne sont senties que par lui - même, est réellement distinct de tout autre être sensitif. Vous êtes assûré, par exemple, que vous ignorez ma pensée; je suis assûré aussi que j'ignore la vôtre: nous connoissons donc avec certitude que nous pensons séparément, & que votre être sensitif & le mien sont réellement & individuellement distincts l'un de l'autre. Nous pouvons, il est vrai, nous communiquer nos pensées par des paroles, ou par d'autres signes corporels, convenus, & fondés sur la confiance; mais nous n'ignorons pas qu'il n'y a aucune liaison nécessaire entre ces signes & les sensations, & qu'ils sont également le véhicule du mensonge & de la vérité. Nous n'ignorons pas non plus quand nous nous en servons, que nous n'y avons recours que parce que nous savons que nos sensations sont incommunicables par elles - mêmes: ainsi l'usage même de tels moyens est un avec continuel de la connoissance que nous avons de l'incommunicabilité de nos sensations, & de l'individualité de nos ames. On est convaincu par - là de la fausseté de l'idée de Spinosa sur l'unité de substance dans tout ce qui existe.

42°. Que les êtres sensitifs ont leurs sensations à part, qui ne sont qu'à eux, & qui sont renfermées dans les bornes de la réalité de chaque être sensitif qui en est affecté; parce qu'un être qui se sent soi - même ne peut se sentir hors de lui - même, & qu'il n'y a que lui qui puisse se sentir soi - même: d'où il s'ensuit évidemment que chaque être sensitif est simple, & réellement distinct de tout autre être sensitif. Les bêtes mêmes sont assûrées de cette vérité; elles savent par expérience qu'elles peuvent s'entre - causer de la douleur, & chacune d'elles éprouve qu'elle ne sent point celle qu'elle cause à une autre: c'est par cette connoissance qu'elles se défendent, qu'elles se vengent, qu'elles menacent, qu'elles attaquent, qu'elles exercent leurs cruautés dans les passions qui les animent les unes contre les autres; & celles qui ont besoin pour leur nourriture d'en dévorer d'autres, ne redoutent pas la douleur qu'elles vont leur causer.

43°. Qu'on ne peut supposer un assemblage d'êtres qui ayent la propriété de sentir, sans reconnoître qu'ils ont chacun en particulier cette propriété; que chacun d'eux doit sentir en son particulier, à part, privativement & exclusivement à tout autre; que leurs sensations sont réciproquement incommunicables par elles - mêmes de l'un à l'autre; qu'un tout composé de parties sensitives, ne peut pas former une ame ou un être sensitif individuel; parce que chacune de ces parties penseroit séparément & privativement les unes aux autres; & que les sensations de chacun de ces êtres sensitifs n'étant pas communicables de l'un à l'autre, il ne pourroit y avoir de réunion ou de combinaisons intimes d'idées, dans un assemblage d'êtres sensitifs, dont les divers états ou positions varieroient les sensations, & dont les diverses sensations de chacun d'eux seroient inconnues aux autres. De - là il est évident qu'une portion de matiere composée de parties réellement distinctes, placées les unes hors des autres, ne peut pas former une ame. Or toute matiere étant composée de parties réellement distinctes les unes des autres, les êtres sensitifs individuels ne peuvent pas être des substances matérielles.

44°. Que les objets corporels qui occasionnent les sensations, agissent sur nos sens par le mouvement.

45°. Que le mouvement n'est pas un attribut essentiel de ces objets; car ils peuvent avoir plus ou moins de mouvement, & ils peuvent en être privés entierement; or ce qui est essentiel à un être en est inséparable, & n'est susceptible ni d'augmentation, ni de diminution, ni de cessation.

46°. Que le mouvement est une action; que cette action indique une cause; & que les corps sont les sujets passifs de cette action.

47°. Que le sujet passif, & la cause qui agit sur ce sujet passif, sont essentiellement distincts l'un de l'autre.

48°. Que nous sommes assûrés en effet par nos sensations, qu'un corps ne se remet point par lui - même en mouvement lorsqu'il est en repos, & n'augmente jamais par lui - même le mouvement qu'il a reçu: qu'un corps qui en meut un autre, perd autant de son mouvement que celui - ci en reçoit; ainsi, rigoureusement parlant, un corps n'agit pas sur un autre corps; l'un est mis en mouvement, par le mouvement qui se sépare de l'autre; un corps qui communique son mouvement à d'autres corps, n'est donc pas lui - même le mouvement ni la cause du mouvement qu'il communique à ces corps.

49°. Que les corps n'étant point eux - mêmes la cause du mouvement qu'ils reçoivent, ni de l'aug<pb-> [p. 155] mentation du mouvement qui leur survient, ils sont réellement distincts de cette cause.

50°. Que les corps ou les objets qui occasionnent nos sensations par le mouvement, n'étant eux - mêmes ni le mouvement ni la cause du mouvement, ils ne sont pas la cause primitive de nos sensations; car ce n'est que par le mouvement qu'ils sont la cause conditionnelle de nos sensations.

51°. Que notre ame ou notre être sensitif ne pouvant se causer lui - même ses sensations, & que les corps ou les objets de nos sensations n'en étant pas eux - mêmes la cause primitive, cette premiere cause est réellement distincte de notre être sensitif, & des objets de nos sensations.

52°. Que nous sommes assûrés par nos sensations, que ces sensations elles - mêmes, tous les effets & tous les changemens qui arrivent dans les corps, sont produits par une premiere cause; que c'est l'action de cette même cause qui vivisie tous les corps vivans, qui constitue essentiellement toutes les formes actives, sensitives, & intellectuelles; que la forme essentielle & active de l'homme, entant qu'animal raisonnable, n'est point une dépendance du corps & de l'ame dont il est composé; car ces deux substances ne peuvent agir, par elles - mêmes, l'une sur l'autre. Ainsi on ne doit point chercher dans le corps ni dans l'ame, ni dans le composé de l'un & de l'autre, la forme constitutive de l'homme moral, c'est - à - dire du principe actif de son intelligence, de sa force d'intention, de sa liberté, de ses déterminations morales, qui le distinguent essentiellement des bêtes. Ces attributs résultent de l'acte même du premier principe de toute intelligence & de toute activité; de l'acte de l'Etre suprème qui agit sur l'ame, qui l'affecte par des sensations, qui exécute ses volontes décisives, & qui éleve l'homme à un degré d'intelligence & de force d'intention, par lesquelles il peut suspendre ses décisions, & dans lesquelles consiste sa liberté. Cette premiere cause, & son action qui est une création continuelle, nous est évidemmen. indiquée; mais la maniere dont elle agit sur nous, les rapports intimes entre cette action & notre ame, sont inaccessibles à nos lumieres naturelles; parce que l'ame ne connoît pas intuitivement le principe actif de ses sensations, ni le principe passif de sa faculté de sentir: elle n'apperçoit sensiblement en elle d'autre cause de ses volontés & de ses déterminations que ses sensations mêmes.

53°. Que la cause primitive des formes actives sensitives, intellectuelles, est elle - même une cause puissante, intelligente & directrice; car les formes actives qui consistent dans des mouvemens & dans des arrangemens de causes corporelles ou instrumentales, d'où résultent des effets déterminés, sont elles - mêmes des actes de puissance, d'intelligence, de volonté directrice. Les forme, sensitives dans lesquelles consistent toutes les différentes sensations de lumiere, de couleurs, de bruit, de douleur, de plaisir, d'étendue, &c. ces formes par lesquelles toutes ces sensations ont entr'elles des différences essentielles, par lesquelles les êtres sensitifs les distinguent nécessairement les unes des autres, & par lesquelles ils sont eux - mêmes assujettis à ces sensations, sont des effets produits dans les êtres sensitifs par des actes de puissance, d'intelligence, & de volonté décisive, puisque les sensations sont les effets de ces actes, qui par les sensations mêmes qu'ils nous causent, sont en nous la source & le principe de toute notre intelligence, de toutes nos déterminations, & de toutes nos actions volontaires. Les formes intellectuelles dans lesquelles consistent les liaisons, les rapports & les combinaisons des idées, & par lesquelles nous pouvons déduire de nos idées actuelles d'autres idées ou d'autres connoissances, consis<cb-> tent essentiellement aussi dans des actes de puissance, d'intelligence, & de volonté décisive; puisque ces actes sont eux - mêmes la cause constitutive, efficiente, & directrice de nos connoissances, de notre raison, de nos intentions, de notre conduite, de nos décisions. La réalité de la puissance, de l'intelligence, des intentions ou des causes finales, nous est connue évidemment par les actes de puissance, d'intelligence, d'intentions & de déterminations éclairées que nous observons en nous - mêmes; ainsi on ne peut contester cette réalité. On ne peut pas contester non plus que ces actes ne soient prouuits en nous par une cause distincte de nous - mêmes: or une cause dont les actes produisent & constituent les actes mêmes de notre puissance, de notre intelligence, est nécessairement elle - même puissante & intelligente; & ce qu'elle exécute avec intelligence, est de même nécessairement décidé avec connoissance & avec intention. Nous ne pouvons donc nous refuser à l'évidence de ces vérités que nous observons en nous - mêmes, & qui nous prouvent une puissance, une intelligence, & des intentions décisives dans tout ce que cette premiere cause exécute en nous & hors de nous.

54°. Que chaque homme est assûré par la connoissance intime des fonctions de son ame, que tous les hommes & les autres animaux qui agissent & se dirigent avec perception & discernement, ont des sensations & un être qui a la propriété de sentir; & que cette propriété rend tous les êtres sensitifs susceptibles des mêmes fonctions naturelles purement relatives à cette même propriété; puisque dans les êtres sensitifs, la propriété de sentir n'est autre chose que la faculté passive de recevoir des sensations, & que toutes les fonctions naturelles, relatives à cette faculté, s'exercent par les sensations mêmes. Des êtres réellement différens par leur essence, peuvent avoir des propriétés communes. Par exemple, la substantialité, la durée, l'individualité, la mobilité, &c. sont communs à des êtres de différente nature. Ainsi la propriété de sentir n'indique point que l'être sensitif des hommes & l'être sensitif des bêtes soient de même nature. Nos lumieres naturelles ne s'étendent pas jusqu'à l'essence des êtres. Nous ne pouvons en distinguer la diversité, que par des propriétés qui s'excluent essentiellement les unes les autres. Nos connoissances ne peuvent s'étendre plus loin que par la foi. En effet j'apperçois dans les animaux l'exercice des mêmes fonctions sensitives que je reconnois en moi - même; ces fonctions en général se reduisent à huit, au discernement, à la remémoration, aux relations, aux indications, aux abstractions, aux déductions, aux inductions, & aux passions. Il est évident que les animaux discernent, qu'ils se ressouviennent de ce qu'ils ont appris par leurs sensations; qu'ils apperçoivent les relations ou les rapports qu'il y a entr'eux & les objets qui les intéressent, qui leur sont avantageux ou qui leur sont nuisibles: qu'ils ont des sensations indicatives qui les assûrent de l'existence des choses qu'ils n'appcrçoivent pas par l'usage actuel des sens; que la seule sensation, par exemple, d'un bruit qui les inquiete, leur indique sûrement une cause qui leur occasionne cette sensation; qu'ils ne peuvent avoir qu'une idée abstraite générale de cette cause quand ils ne l'apperçoivent pas; que par conséquent ils ont des idées abstraites: que leurs sensations actuelles les conduisent encore par déduction ou raisonnement tacite à d'autres connoissances; que, par exemple, un animal juge par la grandeur d'une ouverture & par la grosseur de son corps s'il peut passer par cette ouverture. On ne peut pas non plus douter des inductions que les animaux tirent de leurs sensations, & d'où resultent les déterminations de leurs volontés: on apperçoit aussi qu'ils aiment,

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