RECHERCHE | Accueil | Mises en garde | Documentation | ATILF | ARTFL | Courriel |
"154">
La même certitude s'étend jusqu'à la notion que j'ai des êtres sensitifs des autres hommes; parce que les instructions vraies que j'en ai reçûes, & que j'ai vérifiées par l'exercice de mes sens, établissent un rapport nécessaire entre les êtres sensitifs de ces hommes, & mon être sensitif. En effet je suis aussi assûré de la vérité de ces instructions que j'ai confirmées par l'exercice de mes sens, que de la fidélité de ma mémoire, que de la connoissance de mon existence successive, & que de l'existence des corps; puisque c'est par la même évidence que je suis assûré de la vérité de toutes ces connoissances. En effet la vérification des instructions que j'ai reçûes des hommes, me prouve que chacun d'eux a, comme moi, un être sensitif qui a reçû les sensations ou les connoissances qu'il m'a communiquées, & que j'ai vérifiées par l'usage de mes sens.
41°. Qu'un être sensitif, qui est privativement & exclusivement affecté de sensations bornées à lui, & qui ne sont senties que par lui - même, est réellement distinct de tout autre être sensitif. Vous êtes assûré, par exemple, que vous ignorez ma pensée; je suis assûré aussi que j'ignore la vôtre: nous connoissons donc avec certitude que nous pensons séparément, & que votre être sensitif & le mien sont réellement & individuellement distincts l'un de l'autre. Nous pouvons, il est vrai, nous communiquer nos pensées par des paroles, ou par d'autres signes corporels, convenus, & fondés sur la confiance; mais nous n'ignorons pas qu'il n'y a aucune liaison nécessaire entre ces signes & les sensations, & qu'ils sont également le véhicule du mensonge & de la vérité. Nous n'ignorons pas non plus quand nous nous en servons, que nous n'y avons recours que parce que nous savons que nos sensations sont incommunicables par elles - mêmes: ainsi l'usage même de tels moyens est un avec continuel de la connoissance que nous avons de l'incommunicabilité de nos sensations, & de l'individualité de nos ames. On est
42°. Que les êtres sensitifs ont leurs sensations à part, qui ne sont qu'à eux, & qui sont renfermées dans les bornes de la réalité de chaque être sensitif qui en est affecté; parce qu'un être qui se sent soi - même ne peut se sentir hors de lui - même, & qu'il n'y a que lui qui puisse se sentir soi - même: d'où il s'ensuit évidemment que chaque être sensitif est simple, & réellement distinct de tout autre être sensitif. Les bêtes mêmes sont assûrées de cette vérité; elles savent par expérience qu'elles peuvent s'entre - causer de la douleur, & chacune d'elles éprouve qu'elle ne sent point celle qu'elle cause à une autre: c'est par cette connoissance qu'elles se défendent, qu'elles se vengent, qu'elles menacent, qu'elles attaquent, qu'elles exercent leurs cruautés dans les passions qui les animent les unes contre les autres; & celles qui ont besoin pour leur nourriture d'en dévorer d'autres, ne redoutent pas la douleur qu'elles vont leur causer.
43°. Qu'on ne peut supposer un assemblage d'êtres qui ayent la propriété de sentir, sans reconnoître qu'ils ont chacun en particulier cette propriété; que chacun d'eux doit sentir en son particulier, à part, privativement & exclusivement à tout autre; que leurs sensations sont réciproquement incommunicables par elles - mêmes de l'un à l'autre; qu'un tout composé de parties sensitives, ne peut pas former une ame ou un être sensitif individuel; parce que chacune de ces parties penseroit séparément & privativement les unes aux autres; & que les sensations de chacun de ces êtres sensitifs n'étant pas communicables de l'un à l'autre, il ne pourroit y avoir de réunion ou de combinaisons intimes d'idées, dans un assemblage d'êtres sensitifs, dont les divers états ou positions varieroient les sensations, & dont les diverses sensations de chacun d'eux seroient inconnues aux autres. De - là il est évident qu'une portion de matiere composée de parties réellement distinctes, placées les unes hors des autres, ne peut pas former une ame. Or toute matiere étant composée de parties réellement distinctes les unes des autres, les êtres sensitifs individuels ne peuvent pas être des substances matérielles.
44°. Que les objets corporels qui occasionnent les sensations, agissent sur nos sens par le mouvement.
45°. Que le mouvement n'est pas un attribut essentiel de ces objets; car ils peuvent avoir plus ou moins de mouvement, & ils peuvent en être privés entierement; or ce qui est essentiel à un être en est inséparable, & n'est susceptible ni d'augmentation, ni de diminution, ni de cessation.
46°. Que le mouvement est une action; que cette action indique une cause; & que les corps sont les sujets passifs de cette action.
47°. Que le sujet passif, & la cause qui agit sur ce sujet passif, sont essentiellement distincts l'un de l'autre.
48°. Que nous sommes assûrés en effet par nos sensations, qu'un corps ne se remet point par lui - même en mouvement lorsqu'il est en repos, & n'augmente jamais par lui - même le mouvement qu'il a reçu: qu'un corps qui en meut un autre, perd autant de son mouvement que celui - ci en reçoit; ainsi, rigoureusement parlant, un corps n'agit pas sur un autre corps; l'un est mis en mouvement, par le mouvement qui se sépare de l'autre; un corps qui communique son mouvement à d'autres corps, n'est donc pas lui - même le mouvement ni la cause du mouvement qu'il communique à ces corps.
49°. Que les corps n'étant point eux - mêmes la cause du mouvement qu'ils reçoivent, ni de l'aug<pb-> [p. 155]
50°. Que les corps ou les objets qui occasionnent nos sensations par le mouvement, n'étant eux - mêmes ni le mouvement ni la cause du mouvement, ils ne sont pas la cause primitive de nos sensations; car ce n'est que par le mouvement qu'ils sont la cause conditionnelle de nos sensations.
51°. Que notre ame ou notre être sensitif ne pouvant se causer lui - même ses sensations, & que les corps ou les objets de nos sensations n'en étant pas eux - mêmes la cause primitive, cette premiere cause est réellement distincte de notre être sensitif, & des objets de nos sensations.
52°. Que nous sommes assûrés par nos sensations, que ces sensations elles - mêmes, tous les effets & tous les changemens qui arrivent dans les corps, sont produits par une premiere cause; que c'est l'action de cette même cause qui vivisie tous les corps vivans, qui constitue essentiellement toutes les formes actives, sensitives, & intellectuelles; que la forme essentielle & active de l'homme, entant qu'animal raisonnable, n'est point une dépendance du corps & de l'ame dont il est composé; car ces deux substances ne peuvent agir, par elles - mêmes, l'une sur l'autre. Ainsi on ne doit point chercher dans le corps ni dans l'ame, ni dans le composé de l'un & de l'autre, la forme constitutive de l'homme moral, c'est - à - dire du principe actif de son intelligence, de sa force d'intention, de sa liberté, de ses déterminations morales, qui le distinguent essentiellement des bêtes. Ces attributs résultent de l'acte même du premier principe de toute intelligence & de toute activité; de l'acte de l'Etre suprème qui agit sur l'ame, qui l'affecte par des sensations, qui exécute ses volontes décisives, & qui éleve l'homme à un degré d'intelligence & de force d'intention, par lesquelles il peut suspendre ses décisions, & dans lesquelles consiste sa liberté. Cette premiere cause, & son action qui est une création continuelle, nous est évidemmen. indiquée; mais la maniere dont elle agit sur nous, les rapports intimes entre cette action & notre ame, sont inaccessibles à nos lumieres naturelles; parce que l'ame ne connoît pas intuitivement le principe actif de ses sensations, ni le principe passif de sa faculté de sentir: elle n'apperçoit sensiblement en elle d'autre cause de ses volontés & de ses déterminations que ses sensations mêmes.
53°. Que la cause primitive des formes actives sensitives, intellectuelles, est elle - même une cause puissante, intelligente & directrice; car les formes actives qui consistent dans des mouvemens & dans des arrangemens de causes corporelles ou instrumentales, d'où résultent des effets déterminés, sont elles - mêmes des actes de puissance, d'intelligence, de volonté directrice. Les forme, sensitives dans lesquelles consistent toutes les différentes sensations de lumiere, de couleurs, de bruit, de douleur, de plaisir, d'étendue, &c. ces formes par lesquelles toutes ces sensations ont entr'elles des différences essentielles, par lesquelles les êtres sensitifs les distinguent nécessairement les unes des autres, & par lesquelles ils sont eux - mêmes assujettis à ces sensations, sont des effets produits dans les êtres sensitifs par des actes de puissance, d'intelligence, & de volonté décisive, puisque les sensations sont les effets de ces actes, qui par les sensations mêmes qu'ils nous causent, sont en nous la source & le principe de toute notre intelligence, de toutes nos déterminations, & de toutes nos actions volontaires. Les formes intellectuelles dans lesquelles consistent les liaisons, les rapports & les combinaisons des idées, & par lesquelles nous pouvons déduire de nos idées actuelles d'autres idées ou d'autres connoissances, consis<cb->
54°. Que chaque homme est assûré par la connoissance
intime des fonctions de son ame, que tous les
hommes & les autres animaux qui agissent & se dirigent
avec perception & discernement, ont des sensations
& un être qui a la propriété de sentir; & que
cette propriété rend tous les êtres sensitifs susceptibles
des mêmes fonctions naturelles purement relatives
à cette même propriété; puisque dans les êtres
sensitifs, la propriété de sentir n'est autre chose que
la faculté passive de recevoir des sensations, & que
toutes les fonctions naturelles, relatives à cette faculté,
s'exercent par les sensations mêmes. Des êtres
réellement différens par leur essence, peuvent avoir
des propriétés communes. Par exemple, la substantialité,
la durée, l'individualité, la mobilité, &c.
sont communs à des êtres de différente nature. Ainsi
la propriété de sentir n'indique point que l'être sensitif
des hommes & l'être sensitif des bêtes soient de
même nature. Nos lumieres naturelles ne s'étendent
pas jusqu'à l'essence des êtres. Nous ne pouvons en
distinguer la diversité, que par des propriétés qui
s'excluent essentiellement les unes les autres. Nos
connoissances ne peuvent s'étendre plus loin que par
la foi. En effet j'apperçois dans les animaux l'exercice
des mêmes fonctions sensitives que je reconnois
en moi - même; ces fonctions en général se reduisent
à huit, au discernement, à la remémoration, aux relations, aux indications, aux abstractions, aux déductions, aux inductions, & aux passions. Il est évident
que les animaux discernent, qu'ils se ressouviennent
de ce qu'ils ont appris par leurs sensations; qu'ils
apperçoivent les relations ou les rapports qu'il y a
entr'eux & les objets qui les intéressent, qui leur sont
avantageux ou qui leur sont nuisibles: qu'ils ont des
sensations indicatives qui les assûrent de l'existence
des choses qu'ils n'appcrçoivent pas par l'usage actuel
des sens; que la seule sensation, par exemple,
d'un bruit qui les inquiete, leur indique sûrement
une cause qui leur occasionne cette sensation; qu'ils
ne peuvent avoir qu'une idée abstraite générale de
cette cause quand ils ne l'apperçoivent pas; que par
conséquent ils ont des idées abstraites: que leurs sensations
actuelles les conduisent encore par déduction
ou raisonnement tacite à d'autres connoissances;
que, par exemple, un animal juge par la grandeur
d'une ouverture & par la grosseur de son corps s'il
peut passer par cette ouverture. On ne peut pas non
plus douter des inductions que les animaux tirent de
leurs sensations, & d'où resultent les déterminations
de leurs volontés: on apperçoit aussi qu'ils aiment,
Next page
The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.