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Au reste, ce secours devient d'une nécessité absolue,
lorsqu'il faut connoître exactement, non pas
le sens qu'un mot a dû ou doit avoir, mais celui
qu'il a eû dans l'esprit de tel auteur, dans tel tems,
dans tel siecle: ceux qui observent la marche de
l'esprit humain dans l'histoire des anciennes opinions,
& plus encore ceux qui, comme les Théologiens, sont obligés d'appuyer des dogmes respectables
sur les expressions des livres révélés, ou sur
les textes des auteurs témoins de la doctrine de leur
siecle, doivent marcher sans cesse le flambeau de
l'étymologie à la main, s'ils ne veulent tomber dans
mille erreurs. Si l'on part de nos idées actuelles sur
la matiere & ses trois dimensions; si l'on oublie que
le mot qui répond à celui de matiere, materia,
Je n'ai point encore parlé de l'usage le plus ordinaire que les savans ayent fait jusqu'ici de l'art étymologique, & des grandes lumieres qu'ils ont crû en tirer, pour l'éclaircissement de l'Histoire ancienne. Je ne me laisserai point emporter à leur enthousiasme: j'inviterai même ceux qui pourroient y être plus portés que moi, à lire la Démonstration évangélique, de M. Huet; l'Explication de la Mythologie, par Lavaur; les longs Commentaires que l'évêque Cumberland & le célebre Fourmont ont donnés sur le fragment de Sanchoniathon; l'Histoire du Ciel, de M. Pluche, les ouvrages du P. Pezron sur les Celtes, l'Atlantique de Rudbeck, &c. Il sera très - curieux de comparer les différentes explications que tous ces auteurs ont données de la Mythologie & de l'Histoire des anciens héros. L'un voit tous les patriarches de l'ancien Testament, & leur histoire suivie, où l'autre ne voit que des héros Suédois ou Celtes; un troisieme des leçons d'Astronomie & de Labourage, &c. Tous présentent des systèmes assez bien liés, àpeu - près également vraissemblables, & tous ont la même chose à expliquer. On sentira probablement, avant d'avoir fini cette lecture, combien il est frivole de prétendre établir des faits sur des étymologies purement arbitraires, & dont la certitude seroit évaluée très - favorablement en la réduisant à de simples possibilités. Ajoûtons qu'on y verra en même tems que si ces auteurs s'étoient astreints à la séverité des re<cb->
A l'égard de l'Histoire ancienne, j'examinerois les connoissances que les différentes nations prétendent avoir sur l'origine du monde; j'étudierois le sens des noms qu'elles donnent dans leurs récits aux premiers hommes, & à ceux dont elles remplissent les premieres générations; je verrois dans la tradition des Germains, que Theut fut pere de Mannus; ce qui ne veut dire autre chose sinon que Dieu créa l'homme; dans le fragment de Sanchoniathon, je verrois, après l'air ténébreux & le cahos, l'esprit produire l'amour; puis naitre successivement les être intelligens, les astres, les hommes immortels; & enfin d'un certain vent de la nuit, AEon & Protogonos, c'est - à - dire mot pour mot, le tems (que l'on représente pourtant comme un homme), & le premier homme; ensuite plusieurs générations, qui désignent autant d'époques des inventions successives des premiers Arts. Les noms donnés aux chefs de ces générations sont ordinairement relatifs à ces Arts, le chasseur, le pêcheur, le bâtisseur; & tous ont inventé les Arts dont ils portent le nom. A - travers toute la confusion de ce fragment, j'entrevois bien que le prétendu Sanchoniathon n'a fait que compiler d'anciennes traditions qu'il n'a pas toûjours entendues: mais dans quelque source qu'il ait puisé, peut - on jamais reconnoître dans son fragment un récit historique? Ces noms, dont le sens est toûjours assujetti à l'ordre systématique de l'invention des Arts, ou identique avec la chose même qu'on raconte, comme celui de Protogonos, présentent sensiblement le caractere d'un homme qui dit ce que lui ou d'autres ont imaginé & crû vraissemblable, & répugnent à celui d'un témoin qui rend compte de ce qu'il a vû ou de ce qu'il a entendu dire à d'autres témoins. Les noms répondent aux caracteres dans les comédies, & non dans la société: la tradition des Germains est dans le même cas; on peut juger par là ce qu'on doit penser des auteurs qui ont osé préférer ces traditions informes, à la narration simple & circonstanciée de la Genèse.
Les Anciens expliquoient presque toûjours les noms des villes par le nom de leur fondateur; mais cette façon de nommer les villes est - elle réellement bien commune? & beaucoup de villes ont - elles eu un fondateur? N'est - il pas arrivé quelquefois qu'on ait imaginé le fondateur & son nom d'après le nom de la ville, pour remplir le vuide que l'Histoire laisse toûjours dans les premiers tems d'un peuple? L'étymologie peut, dans certaines occasions, éclaircir ce doute. Les Historiens grecs attribuent la fondation de Ninive à Ninus; & l'histoire de ce prince, ainsi que de sa femme Sémiramis, est assezbien circonstanciée, quoiqu'un peu romanesque. Cependant Ninive, en hébreu, langue presque absolument la même que le chaldéen, Nineveh, est le participe passif du verbe navah, habiter; & suivant cette étymologie, ce nom signifieroit habitation, & il auroit été assez naturel pour une ville, sur - tout dans les premiers tems, où les peuples bornés à leur territoire, ne donnoient guere un nom à la ville, que pour la distinguer de la campagne. Si cette étymologie est vraie, tant que ce mot a été entendu, c'est - à - dire jusqu'au tems de la domination persanne, on n'a pas dû lui chercher d'autre origine, & l'histoire de Ninus n'aura été imaginée que postérieurement à cette époque. Les Historiens grecs qui nous l'ont racontée, n'ont écrit effectivement que long - tems après; & le soupçon que nous avons formé s'accorde d'ailleurs très - bien avec les livres sacrés, qui donnent Assur pour fondateur à la ville de Ninive. Quoi qu'il en soit de la vérité absolue de cette idée, il sera toûjours vrai qu'en général le nom d'une ville a, dans la langue qu'on y parle, un sens naturel & vraissemblable. On est en droit de
On voit assez jusqu'où & comment on peut faire usage des étymologies, pour éclaircir les obscurités de l'Histoire.
Si, après ce que nous avons dit pour montrer
l'utilité de cette étude, quelqu'un la méprisoit encore,
nous lui citerions l'exemple des Leclerc, des
Leibnitz, & de l'illustre Freret, un des Savans qui
ont sû le mieux appliquer la Philosophie à l'érudition.
Nous exbortons aussi à lire les Mémoires de M.
Falconet, sur les étymologies de la langue françoi e
(Mémoires de l'Académie des Belles - Lettres, tome
XX.), & sur - tout les deux Mémoires que M. le
Président de Brosses à lûs à la même académie,
sur les étymologies; titre trop modeste, puisqu'il s'y
agit principalement des grands objets de la théorie
générale des langues, & des raisons suffisantes
de l'art de la parole. Comme l'auteur a bien voulu
nous les communiquer, nous en eussions profité
plus souvent, s'il ne fût pas entre dans notre plan
de renvoyer la plus grande partie des vûes profondes
& philosophiques dont ils sont remplis, aux
articles
Nous concluerons donc cet article, en disant, avec Quintilien: ne quis igitur tam parva fastidiat elementa . . . quia interiora velut sacri hujus adeuntibus apparebit multa rerum subtilitas, quoe non modo acuere ingenia, sed exercère altissimam quoque eruditionem possit.
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