ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"90"> châtimens qu'on inflige aux jeunes latinistes, & que les maîtres ne pourront jamais - supprimer, tant qu'ils demeureront fideles à cette méthode.

Il est donc à souhaiter qu'on change le système des études; qu'au lieu d'exiger des enfans avec rigueur des compositions difficiles & rebutantes, inaccessibles au grand nombre, on ne leur demande que des opérations faciles, & en conséquence rarement suivies des corrections & du dégoût. D'ailleurs la jeunesse passe rapidement; & ce qu'il faut savoir pour entrer dans le monde, est d'une grande étendue. C'est pour cette raison qu'il faut saisir au plus vîte le bon & l'utile de chaque chose, & glisser sur tout le reste; ainsi le premier âge doit être employé par préférence à faire acquisition des connoissances les plus nécessaires. Qu'est - ce en effet que l'éducation, si ce n'est l'apprentissage de ce qu'il faut savoir & pratiquer dans le commerce de la vie? or peuton remplir ce grand objet, en bornant l'instruction de la jeunesse au travail des thèmes & des vers? On sait que tout cela n'est dans la suite d'aucun usage, & que le fruit qui reste de tant d'années d'études, se réduit à peine à l'intelligence du latin: je dis à peine, & je ne dis pas assez. Il n'est guere de latiniste qui n'avoue de bonne foi que le talent qu'il avoit acquis au collége pour composer en prose & en vers, ne lui faisoit point entendre couramment les livres qu'il n'avoit pas encore étudiés. Chacun, dis - je, avoue qu'après ses brillantes compositions, Horace, Virgile, Ovide, Tite - Live & Tacite, Cicéron & Tribonien, ont souvent mis en défaut toute sa latinité. Il falloit donc s'attacher moins à faire des vers inutiles, qu'à bien pénétrer ces auteurs par la lecture & par la traduction; ce qui peut donner tout - à - la-fois ces deux degrés également nécessaires & suffisans, intelligence facile du latin, éloquence & composition françoise.

Pour entrer dans le détail d'une instruction plus utile, plus facile, & plus suivie, je crois qu'il faut mettre les enfans fort jeunes à l'A, B, C: on peut commencer dès l'âge de trois ans; & pourvû qu'on leur fasse de ce premier exercice un amusement plûtôt qu'un travail, & qu'on leur montre les lettres suivant les nouvelles dénominations déjà connues par plusieurs ouvrages, ils liront ensuite couramment & de bonne heure, tant en françois qu'en latin: on fera bien d'y joindre le grec & le manuscrit. Du reste, trois ou quatre ans seront bien employés à fortifier l'enfant sur toute sorte de lecture, & ce sera une grande avance pour la suite des étudés, où il importe de lire aisément tout ce qui se présente. C'est un premier fondement presque toûjours négligé; il en résulte que les progrès ensuite sont beaucoup plus lents & plus difficiles. Je voudrois donc mettre beaucoup de soin dans les premiers tems, pour obtenir une lecture aisée, & une prononciation forte & distincte; car c'est - là, si je ne me trompe, l'un des meilleurs fruits de l'éducation. Quoi qu'il en soit, si l'on donne aux enfans, comme livre de lecture, les rudimens latinsfrançois, ils scront assez au fait à six ans pour expliquer d'abord le catéchisme historique, puis les colloques familiers, les histoires choisies, l'appendix du P. Jouvency, &c.

Le maître aura soin, dans les premiers tems, de rendre son explication fort littérale; il fera sentir la raison des cas & les autres variétés de Grammaire; prenant tous les jours quelques phrases de l'auteur, pour y montrer l'application des regles. On explique de même, à proportion de l'âge & des progrès des enfans, tout ce qui est relatif à l'Histoire & à la Géographie, les expressions figurées, &c. à quoi on les rend attentifs par diverses interrogations. Ainsi la principale occupation des étudians, durant les premieres années, doit être d'expliquer des auteurs faciles, avec l'attention si bien recommandée par M. Pluche, de répéter plusieurs fois la même leçon, tant de latin en françois que de françois en latin: après même qu'on a vû un livre d'un bout à l'autre, & non par lambeaux, comme c'est la coûtume, il ost bon de recommencer sur nouveaux frais, & de revoir le même auteur en entier. On sent bien qu'il ne faut pas suivre pour cela l'usage établi dans les colléges, d'expliquer dans le même jour trois ou quatre auteurs de latinité; usage qui acommode sans doute le libraire, & peut - être le professeur, mais qui nuit véritablement au progrès des enfans, lesquels embarrassés & surchargés de livres, n'en étudient aucun comme il faut; outre qu'ils les perdent, les vendent & les déchirent, & constituent des parens (quelquefois indigens) en frais pour en avoir d'autres.

Au surplus, je conseille fort, contre l'avis de M. Pluche, d'expliquer d'abord à la lettre, & conséquemment de faire la construction; laquelle est, comme je crois, très - utile, pour ne pas dire indispensable, à l'égard des commençans.

Quant à l'exercice de la mémoire, je ne demanderois par coeur aux enfans que les prieres & le petit catéchisme, avec les déclinaisons & conjugaisons latines & françoises: mais je leur ferois lire tous les jours, à voix haute & distincte, des morceaux choisis de l'histoire, & je les accoûtumerois à répéter sur le champ ce qu'ils auroient compris & retenu; quand ils seroient assez forts, je leur ferois mettre le tout par écrit. Du reste, je les appliquerois de bonne heure à l'écriture, vers l'âge de six ans au plûtard; & dès qu'ils sauroient un peu manier la plume, je leur ferois copier plusieurs fois tout ce qu'il y a d'irrégulier dans les noms & dans les verbes, des prétérits & supins, des mots isolés, &c. Ensuite à mesure qu'ils acquerreroient l'expédition de l'écriture, je leur ferois écrire avec soin la plûpart des choses qu'on leur fait apprendre, comme les maximes choisies, le catéchisme, la syntaxe, & la méthode, les vers du P. Buffier pour l'Histoire & la Géographie, & enfin les plus beaux endroits des Auteurs. Ainsi j'exigerois d'eux beaucoup d'écriture nette & lisible, mais je ne leur demanderois guere de leçons, persuadé qu'elles sont presque inutiles, & qu'elles ne laissent rien de bien durable dans la mémoire.

Par cette pratique habituelle & continuée sans interruption pendant toutes les études, on s'assûreroit aisément du travail des écoliers, qui reculent presque toûjours pour apprendre par coeur, & dont on ne sauroit empêcher ni découvrir la négligence à cet égard, à moins qu'on ne mette à cela un tems considérable, qu'on peut employer plus utilement. D'ailleurs, bien que l'écriture exige autant d'application que l'exercice de la mémoire, elle est néanmoins plus satisfaisante & plus à la portée de tous les sujets; elle est en même tems plus utile dans le commerce de la vie, & sur - tout elle suppose la résidence & l'assiduité; en un mot, elle fixe le corps & l'esprit, & donne insensiblement le goût des livres & du cabinet: au lieu que le travail des leçons ne donne le plus souvent que de l'ennui.

Outre l'explication des bons auteurs, & la répétition du texte latin, faite, comme on l'a dit, sur l'explication françoise, on occupera nos jeunes latinistes à traduire de la prose & des vers; mais au lieu de prendre, suivant la coûtume, des morceaux détachés de l'explication journaliere, je pense qu'il vaut mieux traduire un livre de suite, en poussant toûjours l'explication qui doit aller beaucoup plus vîte. Le brouillon & la copie de l'écolier seront écrits posément, avec de l'espace entre les lignes, pour corriger; opération importante, qui est autant du [p. 91] maître que du diseiple, & à laquelle il faut être fidele. La version sera donc corrigée avec soin, tant pour l'orthographe que pour le françois; après quoi elle sera mise au net sur un cahier propre & bien entretenu.

Ces pratiques formeront peu - à - peu les enfans, non seulement aux touis de notre langue, mais encore plus à l'écriture; acquisition précieute, qui est propre à tous les états & à tous les âges.

Il seroit à souha ter qu'on en sit un exercice classique, & qu'on y attachât des prix à la fin de l'année. J'ajouterai sur cela, qu'au lieu de longs barbouillages qu'on exige en pensums, il vaudroit mieux demander chaque tois un morceau d'écriture correcte, &, s'il se peut, élégante.

A l'égard du grec, l'application qu'on y donne est le plus souvent infructueuse, sur - tout dans les - colléges, où l'on exige des themes avec la position des accens: on pourroit employer beaucoup mieux le tems qu'on perd à tout cela; c'est pourquoi j'en voudrois decharger la jeunesse, persuadé qu il suffit à des écoliers de lire le grec aisement, & d'acquérir l'intelligence originale de mots françois qui en sont dérivés. Si cependant on étoit à portée de suivre le plan du P Giraudeau, on se procureroit par sa méthode une intelligence raisonnable des auteurs grecs; le tout sans se fatiguer, & sans nuire aux autres études.

Mais travail pour travail, il vaudroit encore mieux étudier quelque langue moderne, comme l'italien, l'espagnol, ou plûtôt l'anglois, qui est plus utile & plus à la mode: la grammaire angloise est courte & facile; on se met au fait en peu d'heures. A la verité la prononciation n'est pas aisée, non seulement par la faute des Anglois, qui laissent leur orthographe dans une imperfection, une inconséquence qu'on pardonneroit à peine à un peuple ignorant, mais encore par la négligence de ceux qui ont fait leurs grammaires & leurs dictionnaires, & qui n'ont pas indiqué, comme ils le pouvoien, la valeur actuelle de leurs lettres, dans une iafinité de mots où cette valeur est différente de l'usage ordinaire. M. King, maitre de langues à Paris, remédie aujourd hui à ce défaut; il montre l'anglois avec beaucoup de méthode, & il en facilite extremement la lecture & la prononciation.

Au reste, un avantage que nous avons pour l'anglois, & qui nous manque pour le grec, c'est que la moitié des mots qui constituent la langue moderne, sont pris du françois ou du latin; presque tous les autres sont pris de l'allemand. De plus, nous sommes tous les jours à portée de converser avec des Anglois naturels, & de nous avancer par - là dans la connoissance de leur langue. La gazette d'Angleterre qu'on trouve à Paris en plusieurs endroits, est encore un moyen pour faciliter la même étude. Comme cette feuille est amusante, & qu'elle roule sur des sujets connus d'ailleurs; pour peu qu'on entende une partie, on devine aisément le reste; & cette lecture donne peu à peu l'intelligence que l'on cherche.

La singularité de cette étude, & la facilité du progrès, mettroient de l'émulation parmi les jeunes gens, à qui avanceroit davantage; & bientôt les plus habiles serviroient de guides aux autres. Je conclus enfin que, toutes choses égales, on apprendroit plus d'anglois en un an que de grec en trois ans; c'est pourquoi comme nous avons plus à traiter avec l'Angleterre qu'avec la Grece, que d'ailleurs il n'y a pas moins à profiter d'un côté que de l'autre, après le siançois & le latin, je conseillerois aux jeunes gens de donner quelques momens à l'anglois.

J'ajoûte que notre empressement pour cette langue adouciroit peut - être nos fiets rivaux, qui prendroient pour nous, en conséquence, des senti<cb-> mens plus équitables; ce qui peut avoir son utilité dans l'occasion.

Du reste, il est des exercices encore plus utiles au grand nombre, & qui doivent faire partie de l'éducation; tels sont le Dessein, le Calcul & l'Ecriture, la Géométrie élémentaire, la Géographie, la Musique, &c. Il ne faut sur cela tout au plus que deux leçons par semaine; on y employe souvent le tems des récréations, & l'on en fait sur - tout la principale occupation des fêtes & des congés. Si l'on est fidele à cette pratique depuis l'âge dé huit à neuf ans jusqu'à la fin de l'éducation, on fera marcirer le tout à la fois, sans mure à l'étude des langues; & l'on aura le plaisir touchant de voir bien des sujets réussir à tout. C'est une satisfaction que j'ai eu moi - même assez souvent. Aussi je soûtiens que tous ces exercices sont moins difficiles & moins rebutans que des themes, & qu'ils attirent aux écoliers beaucoup moins de punitions de la part des maîtres.

Depuis l'âge de douze ans jusqu'à quinze & seize, on suivra le systeme d'études exposé ci - dessus; mais alors les enfans prépareront eux - mêmes l'explication. Pour cela on leur fournira tous les secours, traductions, commentaires, &c. L'usage contraire m'a toûjours paru déraisonnable; il est en effet bien étrange que des maîtres qui se procurent toutes sortes de facilités pour entrer dans les livres, s'obstinent à refuser les mêmes secours à de jeunes écoliers. Au surplus, ces enfans seront occupés à diverses compositions françoises & latines: sur quoi l'une des meilleures choses à faire en ce genre, est de donner des morceaux d'auteurs à traduire en françois; donnant ensuite tantôt la version même à remettre en latin, tantôt des thèmes d'imitation sur des sujets semblables. On pourra les appliquer également à d'autres compositions ratines, pourvû que tout se fasse dans les circonstances & avec les précautions qui conviennent. Je ne puis m'empêcher de placer ici quelques réflexions que fait sur cela M. Pluche, tom. VI. du Spectacle de la Nature, pag. 125.

« S'il est, dit - il, de la derniere absurdité d'exiger des enfans de composer en prose dans une langue qu'ils ne savent pas, & dont aucune regle ne peut leur donner le goût; il n'est pas moins absurde d'exiger de toute une troupe, qu'elle se mette à méditer des heures entieres pour faire huit ou dix vers, sans en sentir la structure ni l'agrément: il vaudroit mieux pour eux avoir écrit une petite lettre d'un style aisé, dans leur propre langue, que de s'être fatigué pour produire à coup sûr de mauvais vers, soit en latin soit en grec.

Il est sensible que plusieurs courront les mêmes risques dans le travail des amplifications & des pieces d'éloquence, où il faut que l'esprit fournisse tout de lui - même, le fonds & le style: peu y réussissent; s'il s'en trouve six dans cent, quelle vraissemblance y a - t - il à exiger des autres de l'invention, de l'ordonnance, du raisonnement, des images, des mouvemens, & de l'éloquence? C'est demander un beau chant à ceux qui n'ont ni musique ni gosier..... Lorsqu'une heureuse facilité de concevoir & de s'énoncer encourage le travail des jeunes gens, & inspire plus de hardiesse au maître, je voudrois principalement insister sur ce qui a l'air de délibération ou de raisonnement; j'aurois fort à coeur d'assujettir un beau naturel à ce goût d'analyse, à cet esprit méthodique & aisé, qui est recherché & applaudi dans toutes les conditions, puisqu'il n'y a aucun état où il ne faille parler sur le champ, exposer un projet, discuter des inconvéniens, & rendre compte de ce qu'on a vû, &c.».

Quoi qu'il en soit, il est certain que des enfans bien dirigés par la nouvelle méthode, auront vû

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