ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"88"> « Je me gardai bien, dit - il, de suivre la maniere que l'on suit ordinaitement, qui est de commencer par la composition. Je me suis toûjours étonné de voir pratiquer une telle méthode pour instruire les enfans dans la connoissance de la langue latine; car cette langue, après tout, est comme les autres langues: cependant qui a jamais oüi dire qu'on commence l'hébreu, l'arabe, l'espagnol, &c. par la composition? Un homme qui delibere là - dessus, n'a pas grand commerce avec la saine raison ».

En effet, comment pouvoir composer avant que d'avoir fait provision des matériaux que l'on doit employer? On commence par le plus difficile; on présente pour amorce à des enfans de sept à huit ans, les difficultes les plus compliquées du latin, & l'on exige qu'ils fassent des compositions en cette langue, tandis qu'ils ne sont pas capables de faire la moindre lettre en françois sur les sujets les plus ordinaires & les plus connus.

Quoi qu'il en soit, M. le Febvre suivit uniquement la méthode simple d'expliquer les auteurs, dans l'instruction qu'il donna lui - même à son sils; il le mit à l'explication vers l'âge de dix ans, & il le sit continuer de la même maniere jusqu'à sa quatorzieme année, tems auquel - mourut cet enfant célebre, qui entendoit alors couramment les auteurs grecs & latins les plus difficiles: le tout sans avoir donné un seul instant à la structure des themes, qui du reste n'entroient point dans le plan de M. le Febvre, comme il est aisé de voir par une réfsexion qu'il ajoûte à la fin de sa méthode: « Où pouvoient aller, dit - il, de si beaux & de si heureux commencemens! Que n'eût - on point fait, si cet enfant fût parvenu jusqu'à la vingtieme année de son âge! combien aurions - nous lû d'histoires greques & latines, combien de beaux auteurs de morale, combien de tragédies, combien d'orateurs! car enfin le plus fort de la besogne étoit fait ».

Il ne dit pas, comme on voit, un seul mot des thèmes; il ne parle pas non plus de former son fils à la composition latine, à la poésie, à la rhétorique. Peu curieux des productions de son éleve, il ne lui demande, il ne lui souhaite que du progrès dans la lecture des anciens, & il se tient parfaitement assûré du reste: bien différent de la plûpart des parens & des maîtres, qui veulent voir des fruits dans les enfans, lorsqu'on n'y doit pas encore trouver des fleurs. Mais en cela moins éclairés que M. le Febvre, ils s'inquietent hors de saison, parce qu'ils ne voyent pas, comme lui, que la composition n'est proprement qu'un jeu pour ceux qui sont consommés dans l'intelligence des auteurs, & qui se sont comme transformés en eux par la lecture assidue de leurs ouvrages. C'est ce qui parut bien dans mademoiselle le Febvre, si connue dans la suite sous le nom de madame Dacier: on sait qu'elle fut instruite, comme son frere, sans avoir fait aucun thème; cependant quelle gloire ne s'est - elle pas acquise dans la littérature greque & latine? Au reste, approfondissons encore plus cette matiere importante, & comparons les deux méthodes, pour en juger par leurs produits.

L'exercice littéraire des meilleurs colléges, depuis sept à huit ans jusqu'à seize & davantage, consiste principalement à se former à la composition du latin; je veux dire à lier bien ou mal en prose & en vers quelques centaines de phrases latines: habitude du reste qui n'est presque d'aucun usage dans le cours de la vie. Outre que telle est la sécheresse & la difficulté de ces opérations stériles, qu'avec une application constante de huit ou dix ans de la part des écoliers & des maîtres, à peine est - il un tiers des disciples qui parviennent à s'y rendre habiles; je dis même parmi ceux qui achevent leur carriere: car je ne parle point ici d'une infinité d'autres qui se rebu<cb-> tent au milieu de la course, & pour qui la dépense déjà faite se trouve absolument perdue.

En un mot, rien de plus ordinaire que de voir de bons esprits cultivés avec soin, qui, après s'être fatigués dans la composition latine depuis six à sept ans jusqu'à quinze ou seize, ne sauroient ensuite produire aucun fruit réel d'un travail si long & si pénible; au lieu qu'on peut défier tous les adversaires de la méthode proposée, de trouver un seul disciple conduit par des maîtres capables, qui ait mis envain le même tems à l'explication des auteurs, & aux autres exercices que nous marquerons plus bas. Aussi plusieurs maitres des pensions & des colléges reconnoissent - ils de bonne foi le vuide & la vanité de leur méthode, & ils gémissent en secret de se voir asservis malgré eux à des pratiques déraisonnables qu'ils ne sont pas toûjours libres de changer.

Tout ce qu'il y a de plus ébloüissant & de plus fort en faveur de la méthode usitée pour le latin, c'est que ceux qui ont le bonheur d'y réussir & d'y briller, doivent faire pour cela de grands efsorts d'application & de génie; & qu'ainsi l'on espere avec quelque fondement qu'ils acquerront par - là plus de capacité pour l'éloquence & la poésie latine: mais nous l'avons déjà dit, & rien de plus vrai, ceux qui se distinguent dans la méthode régnante, ne font pas le tiers du total. Quand il seroit donc bien constant qu'ils dûssent faire quelque chose de plus par cette voie, conviendroit - il de négliger une méthode qui est à la portée de tous les esprits, pour s'entêter d'une autre toute semée d'épines, & qui n'est faite que pour le petit nombre, dans l'espérance que ceux qui vaincront la difficulté, deviendront un jour de bons latinistes? En un mot, est - il juste de sacrifier la meilleure partie des étudians, & de leur faire perdre le tems & les frais de leur éducation, pour procurer à quelques sujets la perfection d'un talent qui est le plus souvent inutile, & qui n'est presque jamais nécessaire?

Mais que diront nos antagonistes, si nous soûtenons avec M. le Febvre, que le moyen le plus efficace pour arriver à la perfection de l'éloquence latine, est précisément la méthode que nous conseillons; je veux dire la lecture constante, l'explication & la traduction perpétuelle des auteurs de la bonne latinité? On ignore absolument, dit ce grammairien célebre, la véritable route qui mene à la gloire littéraire; route qui n'est autre que l'étude exacte des anciens auteurs. C'est, dit - il encore, cette pratique si féconde qui a produit les Budés, les Scaligers, les Turnebes, les Passerats, & tant d'autres grands hommes: Viam illam planè ignorant quâ majores nostros ad oeternoe famoe claritudinem pervenisse videmus. Quoenamilla sit fortasse rogas, vir clarissime? Nulla certè alia quàm veterum seriptorum accurata lectio. Ea Budoeos & Scaligeros; ea Turnebos, Passeratos, & tot ingentia nomina edidit. Epist. xlij. ad D. Sarrau.

Schorus, auteur allemand, qui écrivoit il y a deux siecles sur la maniere d'apprendre le latin, étoit bien dans les mêmes sentimens. « Rien, dit - il, de plus contraire à la perfection des études latines, que l'usage où l'on est de négliger l'imitation des auteurs, & de conduire les enfans au latin plûtôt par des compositions de collége, que par la lecture assidue des anciens »: Neque verò quicquam pernitiosiùs accidere studüs linguoe latinoe potest, quàm quod neglectâ omni imitatione, puert à suis magistris magis quàm à Romanis ipsis latinitatem discere cogantur. Antonü Schori libro de ratione docendoe & discendoe linguoe latinoe, page 34.

Aussi la méthode qu'indiquent ces savans, étoit proprement la seule usitée pour apprendre le latin, lorsque cette langue étoit si répandue en Europe, qu'elle y étoit presque vulgaire; au tems, par exem<pb-> [p. 89] ple, de Charlemagne & de S. Louis. Que faisoit - on pour lors autre chose, que lire ou expliquer les auteurs? N'est - ce pas de - là qu'est venu le mot de lecteur, pour dire professeur? & n'est - ce pas enfin ce qu'il faut entendre par le pioelectio des anciens latimstes? terme qu'ils employent perpétuellement pour désigner le principal exercice de leurs écoles, & qui ne peut signifier autre chose que l'explication des livres classiques. Voyez les colloques d'Erasme.

D'ailleurs, il n'y avoit anciennement que cette voie pour devenir latiniste: les dictionnaires françois - latins n'ont paru que depuis environ deux cents ans; avant ce tems - là il n'étoit pas possible de faire ce qu'on appelle un thème, & il n'y avoit pas d'autre exercice de latinite que la lecture ou l'explication des auteurs. Ce fut pourtant, comme dit M. le Febvre, ce fut cette methode si simple qui produisit les Budés, les Turnebes, les Scaligers. Ajoutons que ce fut cette méthode qui produisit madame Dacier.

Quoi qu'il en soit, il est visible qu'on doit plus attendre d'une instruction grammaticale suivie & raisonnée, où les difficultés se developpent à mesure qu'on les trouve dans les livres, que d'un fatras de regles isolées, le plus souvent fausses & mal conçûes; & qui, bien que décorées du beau nom de principes, ne sont au vrai que les exceptlons des regles générales, ou, si l'on veut, les caprices d'une syntaxe mal développée.

Au reste, l'exercice de l'explication est tout - à - fait indépendant des difficultés compliquées dont on régale des enfans qui commencent. En effet, ces difficultés se trouvent rarement dans les auteurs; elles ne sont, pour ainsi dire, que dans l'imagination & dans les recueils de ces prétendus méthodistes, qui loin de chercher le latin, comme autrefois, dans les ouvrages des anciens, se sont frayés une route à cette langue, par de nouveaux détours où ils brusquent toutes les difficultés du françois; route scabreuse & comme impratiquable, en ce que les tours, les expressions & les figures des deux langues ne s'accordant presque jamais en tout, il a fallu, pour aller du françois au latin, imaginer une espece de méchanique fondée sur des milliers de regles; mais regles embrouillées, & le plus souvent impénétrables à des enfans, jusqu'à ce que le bénéfice des années & le sentiment que donne un long usage, produisent à la sin dans quelques - uns une mesure d'intelligence & d'habileté que l'on attribue faussement à la pratique de ces regles.

Cependant il est des observations raisonnables que l'on doit faire sur le système grammatical, & qui réduites pour les commençans à une douzaine au plus, forment des regles constantes pour fixer les rapports les plus communs de concordance & de régime; & ces regles fondamentales clairement expliquées, sont à la portée des enfans de sept à huit ans. Celles qui sont plus obscures, & dont l'usage est plus rare, ne doivent être présentées aux étudians que lorsqu'ils sont au courant des auteurs latins. D'ailleurs, la plûpart de ces regles n'ont été occasionnées que par l'ignorance où l'on est, tant des vrais principes du latin, que de certaines expressions abrégées qui sont particulieres à cette langue; & qui une fois bien approfondies, comme elles le sont dans Sanctius, Port - royal & ailleurs, ne présentent plus de vraie difficulté, & rendent même inutiles tant de regles qu'on a faites sur ces irrégularités apparentes. La brieveté qu'exige un article de dictionnaire, ne me permet pas de m'étendre ici là - dessus; mais je compte y revenir dans quelque autre occasion.

J'ajoûte que l'un des grands avantages de cette nouvelle institution, c'est qu'elle épargneroit bien des châtimens aux enfans; article délicat dont on ne parle guere, mais qui mérite autant ou plus qu'un autre d'être bien discuté. Je trouve donc qu'il y a sur cela de l'injustice du côté des parens & du côté des maîtres; je veux dire trop de mollesse de la part des uns, & trop de dureté de la part des autres.

En effet, les maîtres de la méthode vulgaire, bornés pour la plûpart à quelque connoissance du latin, & entêtés follement de la composition des thèmes, ne cessent de tourmenter leurs éleves, pour les pousser de force à ce travail accablant; travail qui ne paroit inventé que pour contrister la jeunesse, & dont il ne résulte presqu'aucun fruit. Premier excès qu'il faut éviter avec soin.

Les parens, d'un autre côté, bien qu'inquiets, impatiens même sur les progrès de leurs enfans, n'approuvent pas pour l'ordinaire qu'on les mene par la voie des punitions. En vain le sage nous assûre que l'instruction appuyée de la punition, fait naître la sagesse; & que l'enfant livré à ses caprices devient la honte de sa mere (Prov. xxjx. 16.); que celui qui ne châtie pas son fils, le hait véritablement (ibid. xiij. 24.); que celui qui l'aime, est attentif à le corriger, pour en avoir un jour de la satisfaction. Ecclésiastiq. xxx. 1.

En vain il nous avertit que si on se familiarise avec un enfant, qu'on ait pour lui de la foiblesse & des complaisances, il deviendra comme un cheval fougueux, & fera trembler ses parens; qu'il faut par conséquent le tenir soûmis dans le premier âge, le châtier à - propos tant qu'il est jeune, de peur qu'il ne se roidisse jusqu'à l'indépendance, & qu'il ne cause un jour de grands chagrins. Ibid. xxx. 8. 9. 10. 11. 12. En vain S. Paul recommande aux peres d'élever leurs enfans dans la discipline & dans la crainte du seigneur. Ephes. vj. 4.

Ces oracles divins ne sont plus écoutés: les parens, aujourd'hui plus éclairés que la sagesse même, rejettent bien loin ces maximes; & presque tous aveugles & mondains, ils voyent avec beaucoup plus de plaisir les agrémens & l'embonpoint de leurs enfans, que le progrès qu'ils pourroient faire dans les habitudes vertueuses.

Cependant la pratique de l'éducation sévere est trop bien établie & par les passages déjà cités, & par les deux traits qui suivent, pour être regardée comme un simple conseil. Il est dit au Deutéronome xxj. 18. &c. que s'il se trouve un fils indocile & mutin, qui, au mépris de ses parens, vive dans l'indépendance & dans la débauche, il doit être lapidé par le peuple, comme un mauvais sujet dont il faut délivrer la terre. On voit d'un autre côté que le grand prêtre Héli, pour n'avoir pas arrêté les desordres de ses fils, attira sur lui & sur sa famille les plus terribles punitions du Ciel. Liv. I. des Rois, ch. ij.

Il est donc certain que la mollesse dans l'éducation peut devenir criminelle; qu'il faut par conséquent une sorte de vigilance & de sévérité pour contenir les enfans, & pour les rendre dociles & laborieux: c'est un mal, jen conviens, mais c'est un mal inévitable. L'expérience confirme en cela les maximes de la sagesie; elle fait voir que les châtimens sont quelquefois nécessaires, & qu'en les rejettant tout - à - fait on ne forme guere que des sujets inutiles & vicieux.

Quoi qu'il en soit, le meilleur, l'unique tempérament qui se présente contre l'inconvénient des punitions, c'est la facilité de la méthode que je propose; méthode qui, avec une application médiocre de la part des écoliers, produit toûjours un avancement raisonnable, sans beaucoup de rigueur de la part des maîtres. Il s'en faut bien qu'on en puisse dire autant de la composition latine; elle suppose beaucoup de talent & beaucoup d'application, & c'est la cause malheureuse, mais la cause nécessaire, de tant de

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