ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"jv"> devoir, ou plûtôt il ne s'apperçut pas qu'il eût de sacrifice à faire; il alla remplir auprès de Melun en 1744 une Cure assez modique, qui en le rapprochant de ses parens le mettoit à portée de leur être plus utile. Il y passa environ sept années, dans l'obscurité, la retraite, & le travail, partageant son peu de fortune avec les siens, enseignant à des hommes simples les maximes de l'Evangile, & donnant le reste de son tems à l'étude: ces années furent de son aveu les plus heureuses de sa vie, & on n'aura pas de peine à le croire.

La mort de sa mere, & les mesures qu'il avoit prises pour rendre meilleure la situation de sa famille, lui permirent de revenir à Paris en 1751, pour y occuper dans le Collége de Navarre une Chaire de Théologie, à laquelle le Roi l'avoit nommé sans qu'il le demandât. Il s'acquitta des fonctions de cette place en homme qui ne l'avoit point sollicitée. Néanmoins la maniere distinguée dont il la remplissoit ne l'empêchoit pas de trouver du tems pour d'autres occupations. Il mit au jour en 1753 son Essai sur les bienséances oratotres, & ses Principes pour la lecture des Orateurs. La solitude où il vivoit dans sa Cure avoit déjà produit en 1745 ses Principes pour la lecture des Poëtes. Malgré le besoin qu'il avoit alors de protecteurs, il n'en chercha pas pour cet ouvrage; il l'offrit à Messieurs de la Live ses éleves; ce fut sa premiere & son unique dédicace.

Ces différens écrits, & quelques autres du même genre qu'il a mis au jour, étant principalement destinés à l'instruction de la jeunesse, il n'y faut point chercher, comme il nous en avertit lui - même, des analyses profondes & de brillans paradoxes: il croyoit, & ce sont ici ses propres paroles*, qu'en matiere de goût les opinions établies depuis long - tems dans la république des Lettres, sont toûjours préférables aux singularités & aux prestiges de la nouveauté; maxime qu'on ne peut contester en général, pourvû qu'une superstition aveugle n'en soit pas le fruit. Ainsi dans les ouvrages dont nous parlons, l'Auteur se borne à exposer avec netteté les préceptes des grands maîtres, & à les appuyer par des exemples choisis, tirés des Auteurs anciens & modernes.

Tant de travaux ne servoient, pour ainsi dire, que de prélude à de plus grandes entreprises. Il a laissé une traduction complette de l'Histoire de Davila, qui doit paroître dans quelques mois avec une préface. Il avoit formé le projet de deux autres ouvrages considérables, pour lesquels il avoit déjà recueilli bien des matériaux; le premier étoit une Histoire générale de toutes nos guerres depuis l'établissement de la Monarchie jusqu'à Louis XIV. inclusivement; le second étoit une Histoire du Concile de Trente qu'il vouloit opposer à celle de Fra - Paolo donnée par le P. le Courayer. Ces deux savans hommes, si souvent combattus, & plus souvent injuriés, auroient enfin été attaqués sans fiel & sans amertume, avec cette modération qui honore & qui annonce la vérité.

Des circonstances que nous ne pouvions prévoir nous ayant placés à la tête de l'Encyclopédie, nous crûmes que M. l'Abbé Mallet, par ses connoissances, par ses talens, & par son caractere, étoit très - propre à seconder nos travaux. Il voulut bien se charger de deux parties considérables, celle des Belles - Lettres & celle de la Théologie. Tranquille comme il l'étoit sur la pureté de ses intentions & de sa doctrine, il ne craignit point de s'associer à une entreprise qui a le précieux avantage d'avoir tous les hommes de parti contre elle. Aussi malgré leur jalouse vigilance, les articles nombreux que M. l'Abbé Mallet nous avoit donnés sur les matieres les plus importantes de la Religion, demeurerent absolument sans atteinte. Mais si ces articles furent à l'abri de la censure, sa personne n'échappa pas aux délateurs. Tandis que d'un côté les Auteurs d'une gazette hebdomadaire qui prend le nom d'ecclésiastique**, cherchoient, suivant leur usage, à rendre sa religion suspecte, le parti opposé à ceux - ci l'accusoit de penser comme eux. De ces deux imputations la derniere parut la plus importante au severe dispensateur des Bénéfices, feu M. l'ancien Evêque de Mirepoix, que son âge avancé & sa délicatesse excessive sur l'objet de l'accusation rendoient facile à prévenir. Ce Prélat, à qui on ne reprochera pas d'avoir voulu favoriser les Auteurs de l'Encyclopédie, fit en cette occasion ce que les hommes en place devroient toûjours faire; il examina, reconnut qu'on l'avoit surpris, & récompensa d'un Canonicat de Verdun la doctrine & les moeurs de l'accusé. Un évenement si humiliant pour les ennemis de M. l'Abbé Mallet, montra clairement que leur crédit étoit égal à leurs lumieres, & fort au - dessous de l'opinion qu'ils vouloient en donner.

* Préface des Principes pour la lecture des Poëtes, page 75. ** On peut juger par un trait peu remarquable en lui - même, mais décisif, du degré de croyance que cette gazette mérite. Nous avons dit dans l'éloge de M. de Montesquieu que ce grand homme quittoit son travail sans en ressentir la moindre impression de fatigue, & nous avions dit quelques lignes auparavant que sa santé s'etoit alterée par l'effet lent & presque infaillible des études profondes. Pourquoi en rapprochant ces deux passages, a - t - on supprimé les mots lent & presque insaillible, qu'on avoit sous les yeux? c'est évidemment parce qu'on a senti qu'un effet lent n'est pas moins réel, pour n'être pas ressenti sur le champ, & que par conséquent ces mots détruisoient l'apparence même de la contradiction qu'on prétendoit faire remarquer. Telle est la bonne foi de ces Auteurs dans des bagatelles, & à plus forte raison dans des matieres plus sérieuses.
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Notre estimable collegue méritoit sur - tout les bontés du Souverain par son attachement inviolable à nos libertés & aux maximes du Royaume, deux objets que les Auteurs de l'Encyclopédie se feront toûjours une gloire d'avoir devant les yeux. On peut se convaincre par la lecture du mot Excommunicution imprimé dans ce Volume, que M. l'Abbé Mallet pensoit sur cette importante matiere en Citoyen, en Philosophe, & même en Théologien éclairé sur les vrais intérêts de la Religion. Un autre de ses articles, le mot Communion, ne doit pas faire moins d'honneur à sa modération & à sa bonne foi. Il s'y explique avec une égale impartialité, & sur le célebre Arnaud, dont les talens & les lumieres ont si étrangement dégeneré dans ceux qui se disent ses disciples, & sur le fameux P. Pichon, proscrit par les Evêques de France, & abandonné enfin courageusement par ses confreres mêmes. M. l'Abbé Mallet, quoiqu'attaqué en différentes occasions par les Journalistes de Trévoux, ne chercha point à leur reprocher les éloges qu'ils avoient d'abord donnés au livre de ce Religieux; son peu de ressentiment & son indulgence ordinaire le portoient à excuser une distraction si pardonnable. Il est naturel, nous disoit - il avec un ancien, de loüer les Athéniens en présence des Athéniens.

Toute l'Europe a entendu parler de la These qui fit tant de bruit en Sorbonne il y a plus de quatre ans, & dont l'Auteur étoit M. l'Abbé de Prades, alors Bachelier en Théologie, & aujourd'hui Lecteur & Secrétaire des Commandemens de S. M. le Roi de Prusse, & Honoraire de l'Académie Royale des Sciences & des Belles - Lettres de Berlin. L'accusé demandoit avec instance à être entendu; il promettoit de se soûmettre sans reserve: mais il se proposoit de représenter à ses Juges (& nous ne sommes ici qu'Historiens) qu'il avoit cru voir sa doctrine sur les Miracles dans les ouvrages de deux des principaux membres de la Faculté, & que cette ressemblance, apparente ou réelle, avoit causé son erreur *. Plusieurs Docteurs craignirent, peut - être avec quelque fondement, les inconvéniens qui pouvoient résulter d'un examen de cette espece, dût - il se terminer à la décharge des deux Auteurs. Ils opinerent donc à condamner le Bachelier sans l'entendre: M. l'Abbé Mallet, moins prévoyant & plus équitable, fut avec beaucoup d'autres d'un avis contraire; mais le nombre l'emporta.

Il mourut le 25 Septembre 1755 d'une esquinancie qui le conduisit en deux jours au tombeau.

Son esprit ressembloit à son style: il l'avoit juste, net, facile, & sans affectation; mais ce qui doit principalement faire le sujet de son éloge, c'est l'attachement qu'il montra toûjours pour ses amis, sa candeur, son caractere doux & modeste. Dès qu'il parut à Verdun, il y acquit l'estime & la confiance générale de son Chapitre, qui le chargea dès ce moment de ses affaires les plus importantes; il fut toûjours considéré de même par ses Supérieurs les plus respectables. Quoique très - attaché à la Religion par principes & par état, il ne cherchoit point à en étendre les droits au - delà des bornes qu'elle s'est prescrites elle - même. Les articles Déisme & Enfer pourroient servir à montrer combien il savoit distinguer dans ces matieres délicates les limites de la raison & de la Foi. Il ne mérita jamais ni par ses discours, ni par sa conduite, le reproche qu'on a quelquefois fait aux Théologiens d'être par leurs querelles une occasion de trouble **. L'affliction que lui causoient les disputes présentes de l'Eglise, & le funeste triomphe qu'il voyoit en résulter pour les ennemis de la Religion, lui faisoient regretter que dès la naissance de ces disputes le Gouvernement n'eût pas imposé un silence efficace sur une matiere qui en est si digne. Pendant la derniere Assemblée du Clergé, il fit à la priere d'un des principaux membres de cette Assemblée plusieurs mémoires théologiques qui établissoient de la maniere la plus nette & la plus solide la vérité, la concorde, & la paix. Il paya son zele de sa vie, ce travail forcé ayant occasionné la maladie dont il est mort à la fleur de son âge. Ennemi de la persécution, tolérant même autant qu'un Chrétien doit l'être, il ne vouloit employer contre l'erreur que les armes de l'Evangile, la douceur, la persuasion, & la patience. Il ne cherchoit point sur - tout à grossir à ses propres yeux & à ceux des autres la liste déjà trop nombreuse des incrédules, en y faisant entrer (par une mal - adresse si commune aujourd'hui) la plûpart des Ecrivains célebres. Ne nous brouillons point, disoit - il, avec les Philosophes.

* L'Auteur [défunt] du Traité dogmatique sur les saux Miracles du tems, & l'Auteur [aussi défunt] des Lettres Théologiques sur ces mêmes Miracles éphemeres; & sur ces Convulsions qui deshonorent notre siecle. ** Les Auteurs d'un Dictionnaire qui est entre les mains de tout le monde ont étendu ce reproche beaucoup au delà de ce qu'ils pouvoient se permettre. Voyez le Dict. de Tr. au mot Perturbateur.
Noms des personnes qui ont fourni des Articles ou des secours pour ce Volume, & les suivans (Page 6:v)

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