ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"18"> ble dans l'état de nature: les inconvéniens d'un tel état, que je vais bientôt exposer, le desir & le besoin de la société, ont obligé les particuliers à s'unir de bonne heure dans un corps civil, fixe & durable. Mais si nous ne pouvons pas supposer que des hommes ayent jamais été dans l'état de nature, à cause que nous manquons de détails historiques à ce sujet, nous pouvons aussi douter que les soldats qui composoient les armées de Xerxès, ayent jamais été enfans, puisque l'histoire ne le marque point, & qu'elle ne parle d'eux que comme d'hommes faits, portant les armes.

Le gouvernement précede toûjours les registres; rarement les Belles - Lettres sont cultivées chez un peuple, avant qu'une longue continuation de société civile ait, par d'autres arts plus nécessaires, pourvû à sa sûreté, à son aise & à son abondance. On commence à fouiller dans l'histoire des fondateurs de ce peuple, & à rechercher son origine, lorsque la mémoire s'en est perdue ou obscurcie. Les sociétés ont cela de commun avec les particuliers, qu'elles sont d'ordinaire fort ignorantes dans leur naissance & dans leur enfance; & si elles savent quelque chose dans la suite, ce n'est que par le moyen des monumens que d'autres ont conservés: ceux que nous avons des sociétés politiques, nous font voir des exemples clairs du commencement de quelques - unes de ces sociétés, ou du moins ils nous en font voir des traces manifestes.

On ne peut guere nier que Rome & Venise, par exemple, n'ayent commencé par des gens indépendans, entre lesquels il n'y avoit nulle supériorité, nulle sujétion. La même chose se trouve encore établic dans la plus grande partie de l'Amérique, dans la Floride & dans le Brésil, où il n'est question ni de roi, ni de communauté, ni de gouvernement. En un mot, il est vraissemblable que toutes les sociétés politiques se sont formées par une union volontaire de personnes dans l'état de nature, qui se sont accordées sur la forme de leur gouvernement, & qui s'y sont portées par la considération des choses qui manquent à l'état de nature.

Premierement, il y manque des lois établies, reçûes & approuvées d'un commun consentement, comme l'étendart du droit & du tort, de la justice & de l'injustice; car quoique les lois de la nature soient claires & intelligibles à tous les gens raisonnables, cependant les hommes, par intérêt ou par ignorance, les éludent ou les méconnoissent sans scrupule.

En second lieu, dans l'état de nature il manque un juge impartial, reconnu, qui ait l'autorité de terminer tous les différends conformément aux lois établies.

En troisieme lieu, dans l'état de nature il manque souvent un pouvoir coactif pour l'exécution d'un jugement. Ceux qui ont commis quelque crime dans l'état de nature, employent la force, s'ils le peuvent, pour appuyer l'injustice; & leur résistance rend quelquefois leur punition dangereuse.

Ainsi les hommes pesant les avantages de l'état de nature avec ses défauts, ont bientôt préféré de s'unir en société. De - là vient que nous ne voyons guere un certain nombre de gens vivre long - tems ensemble dans l'état de nature: les inconvéniens qu'ils y trouvent, les contraignent de chercher dans les lois établies d'un gouvernement, un asyle pour la conservation de leurs propriétés; & en cela même nous avons la source & les bornes du pouvoir législatif & du pouvoir exécutif.

En effet, dans l'état de nature les hommes, outre la liberté de joüir des plaisirs innocens, ont deux sortes de pouvoirs. Le premier est de faire tout ce qu'ils trouvent à propos pour leur conservation & pour celle des autres, suivant l'esprit des lois de la nature; & si ce n'étoit la dépravation humaine, il ne seroit point nécessaire d'abandonner la communauté naturelle, pour en composer de plus petites. L'autre pouvoir qu'ont les hommes dans l'état de nature, c'est de punir les crimes commis contre les lois: or ces mêmes hommes, en entrant dans une société, ne font que remettre à cette société les pouvoirs qu'ils avoient dans l'état de nature: donc l'autorité législative de tout gouvernement ne peut jamais s'étendre plus loin que le bien public ne le demande; & par conséquent cette autorité se doit réduire à conserver les propriétés que chacun tient de l'état de nature. Ainsi, qui que ce soit qui ait le pouvoir souverain d'une communauté, est obligé de ne suivre d'autres regles dans sa conduite, que la tranquillité, la sûrete, & le bien du peuple. Quid in toto terrarum orbe validum sit, ut non modò casus rerum, sed ratio étiam, causoeque noscantur. Tacit. histor. lib. I. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Etat moral (Page 6:18)

Etat moral, (Droit nat.) On entend par état moral en général, toute situation où l'homme se rencontre par rapport aux êtres qui l'environnent, avec les relations qui en dépendent.

L'on peut ranger tous les états moraux de la nature humaine sous deux classes générales; les uns sont des états primitifs; & les autres, des états accessoires.

Les états primitifs sont ceux où l'homme se trouve placé par le souverain maître du monde, & indépendamment d'aucun évenement ou fait humain.

Tel est, premierement, l'état de sa dépendance par rapport à Dieu; car pour peu que l'homme fasse usage de ses facultés, & qu'il s'étudie lui - même, il reconnoit que c'est de ce premier être qu'il tient la vie, la raison, & tous les avantages qui les accompagnent; & qu'en tout cela il éprouve sensiblement les effets de la puissance & de la bonté du Créateur.

Un autre état primitif des hommes, c'est celui où ils sont les uns à l'égard des autres. Ils ont tous une nature commune, mêmes facultés, mêmes besoins, mêmes desirs. Ils ne sauroient se passer les uns des autres, & ce n'est que par des secours mutuels qu'ils peuvent se procurer une vie agréable & tranquille: aussi remarque - t - on en eux une inclination naturelle qui les rapproche pour former un commerce de services, d'où procedent le bien commun de tous, & l'avantage particulier de chacun.

Mais l'homme étant par sa nature un être libre, il faut apporter de grandes modifications à son état primitif, & donner par divers établissemens, comme une nouvelle face à la vie humaine: de - là naissent les états accessoires, qui sont proprement l'ouvrage de l'homme. Voyez Etat accessoire.

Nous remarquerons seulement ici qu'il y a cette différence entre l'état primitif & l'état accessoire, que le premier étant comme attaché à la nature de l'homme & à sa constitution, est par cela même commun à tous les hommes. Il n'en est pas ainsi des états accessoires, qui supposant un fait humain, ne sauroient convenir à tous les hommes indifféremment, mais seulement à ceux d'entr'eux qui en joüissent, ou qui se les sont procurés.

Ajoûtons que plusieurs de ces états accessoires, pourvû qu'ils n'ayent rien d'incompatible, peuvent se trouver combinés & réunis dans la même personne; ainsi l'on peut être tout - à - la - fois pere de famille, juge, magistrat, &c.

Telles sont les idées que l'on doit se faire des divers états moraux de l'homme, & c'est de - là que résulte le système total de l'humanité. Ce sont comme autant de roues d'une machine, qui combinées ensemble & habilement ménagées, conspirent au même but; mais qui au contraire étant mal conduites [p. 19] & mal dirigées, se heurtent & s'entre - détruisent. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Etat accessoire (Page 6:19)

Etat accessoire, (Droit nat.) état moral où l'on est mis en conséquence de quelqu'acte humain, soit en naissant, ou après être né. Voyez Etat moral.

Un des premiers états accessoires, est celui de famille. Voyez Famille.

La propriété des biens, autre établissement très important, produit un second état accessoire. Voyez Propriété.

Mais il n'y a point d'état accessoire plus considérable que l'état civil, ou celui de la société civile & du gouvernement. Voyez Société civile & Gouvernement.

La propriété des biens & l'état civil ont encore donné lieu à plusieurs établissemens qui décorent la société, & d'où naissent de nouveaux états accessoires, tels que sont les emplois de ceux qui ont quelque part au gouvernement, comme des magistrats, des juges, des ministres de la religion, &c. auxquels l'on doit ajoûter les diverses professions de ceux qui cultivent les Arts, les Métiers, l'Agriculture, la Navigation, le Commerce, avec leurs dépendances, qui forment mille autres états particuliers dans la vie.

Tous les états accessoires procedent du fait des hommes; cependant comme ces différentes modifications de l'état primitif sont un effet de la liberté, les nouvelles relations qui en résultent, peuvent être envisagées comme autant d'états naturels, pourvû que leur usage n'ait rien que de conforme à la droite raison. Mais ne confondez point les états naturels, dans le sens que je leur donne ici, avec l'état de nature. Voyez Etat de Nature. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Etat (Page 6:19)

Etat, (Droit polit.) terme générique qui désigne une société d'hommes vivant ensemble sous un gouvernement quelconque, heureux ou malheureux.

De cette maniere l'on peut définir l'état, une société civile, par laquelle une multitude d'hommes sont unis ensemble sous la dépendance d'un souverain, pour joüir par sa protection & par ses soins, de la sureté & du bonheur qui manquent dans l'état de nature.

La définition que Cicéron nous donne de l'état, revient à - peu près à la même chose, & est préférable à celle de Puffendorf, qui confond le souverain avec l'état. Voici la définition de Cicéron: Multitudo, juris consensu, & utilitatis communione sociata: « une multitude d'hommes joints ensemble par des intérêts & des lois communes, auxquelles ils se soûmettent d'un commun accord ».

On peut considérer l'état comme une personne morale, dont le souverain est la tête, & les particuliers les membres: en conséquence on attribue à cette personne certaines actions qui lui sont propres, certains droits distincts de ceux de chaque citoyen, & que chaque citoyen, ni plusieurs, ne sauroient s'arroger.

Cette union de plusieurs personnes en un seul corps, produite par le concours des volontes & des forces de chaque particulier, distingue l'état, d'une multitude: car une multitude n'est qu'un assemblage de plusieurs personnes, dont chacune a sa volonté particuliere, au lieu que l'état est une société animée par une seule ame qui en dirige tous les mouvemens d'unemaniere constante, relativement à l'utilité commune. Voilà l'état heureux, l'état par excellence.

Il falloit pour former cet état, qu'une multitude d'hommes se joignissent ensemble d'une façon si particuliere, que la conservation des uns dépendit de la conservation des autres, afin qu'ils fussent dans la nécessité de s'entre - secourir; & que par cette union de forces & d'intérêts, ils pussent aisement repousser les insultes dont ils n'auroient pû se garantir chacun en particulier; contenir dans le devoir ceux qui voudroient s'en écarter, & travailler plus efficacement au bien commun.

Ainsi deux choses contribuent principalement à maintenir l'état. La premiere, c'est l'engagement même, par lequel les particuliers se sont soûmis à l'empire du souverain; engagement auquel l'autorité divine & la religion du serment ajoûtent beaucoup de poids. La seconde, c'est l'établissement d'un pouvoir supérieur, propre à contenir les méchans par la crainte des peines qu'il peut leur infliger. C'est donc de l'union des volontés, soûtenue par un pouvoir supérieur, que résulte le corps politique, ou l'état; & sans cela on ne sauroit concevoir de société civile.

Au reste, il en est du corps politique comme du corps humain: on distingue un état sain & bien constitué, d'un état malade. Ses maladies viennent ou de l'abus du pouvoir souverain, ou de la mauvaise constitution de l'état; & il faut en chercher la cause dans les défauts de ceux qui gouvernent, ou dans les vices du gouvernement.

Nous indiquerons ailleurs la maniere dont les états ou les société, civiles se sont formees pour subsister sous la dépendance d'une autorité souveraine. Voyez Société civile, Gouvernement, Souverain, Souveraineté ; & les différentes formes de souveraineté, connues sous les noms de République, Démocratie, Aristocratie, Monarchif, Despotisme, Tyrannie , &c. qui sont tous autant de gouvernemens divers, dont les uns consolent ou soütiennent, les autres détruisent & font fremir l'humanité. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Etats composés (Page 6:19)

Etats composés, (Droit politiq.) On appelle ainsi ceux qui se forment par l'union de plusieurs états simples. On peut les définir avec Puffendorf, un assemblage d'états étroitement unis par quelque lien particulier, ensorte qu'ils semblent ne faire qu'un seul corps, par rapport aux choses qui les intéressent en commun, quoique chacun d'eux conserve d'ailleurs la souverainete pleine & entiere, indépendamment des autres.

Cet assemblage d'états se forme ou par l'union de deux ou de plusieurs états distincts, sous un seul & même roi; comme étoient, par exemple, l'Angleterre, l'Ecosse & l'Irlande, avant l'union qui s'est faite de nos jours de l'Ecosse avec l'Angleterre; ou bien lorsque plusieurs états indépendans se conséderent pour ne former ensemble qu'un seul corps: telles sont les Provinces - unies des Pays - bas, & les Cantons suisses.

La premiere sorte d'union peut se faire, ou à l'occasion d'un mariage, ou en vertu d'une succession, ou lorsqu'un peuple se choisit pour roi un prince qui étoit dejà souverain d'un autre royaume; ensorte que ces divers états viennent à être réunis sous un prince qui les gouverne chacun en particulier par ses lois fondamentales.

Pour les état, composés qui se forment par la confédération perpétuelle de plusieurs états, il faut remarquer que cette confédération est le seul moyen par lequel plusieurs petits états, trop foibles pour se maintenir chacun en particulier contre leurs ennemis, puissent conserver leur liberté.

Ces états consédérés s'engagent les uns envers les autres à n'exercer que d'un commun accord certaines parties de la souveraineté, sur - tout celles qui concernent leur défense mutuelle contre les ennemis du dehors; mais chacun des confédérés retient une entiere liberté d'exercer comme il le juge à propos les parties de la souveraineté dont il n'est pas mention dans l'acte de confédération, comme devant être exercée en commun.

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