ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"956"> le fond de l'oeil, & y peindre l'image des objets. Voyez Vision.

Les sectateurs d'Aristote s'imaginoient que ces images étoient immatérielles, & que cependant elles agissoient sur nos organes. Selon le systeme des philosophes modernes, ce n'est point l'image qui agit sur nos yeux; car elle n'est qu'une peinture ou une espece d'ombre; mais ce sont les rayons qui la forment par leur réunion, qui ébranlent les fibres de la nature, & cet ébranlement, communiqué au cerveau, est suivi de la sensation de la vûe.

Comme l'Encyclopédie est en partie l'histoire des opinions des hommes, voici une exposition & une réfutation abregée du système des anciens sur les especes. Celles que les objets impriment dans les sens extérieurs, sont par - là même appellées especes impresses; elles sont alors matérielles & sensibles, mais l'intellect agent les rend intelligibles & propres à être reçûes par l'intellect patient: ces especes ainsi spiritualisées sont appellées especes expresses, parce qu'elles sont exprimées des impresses; & c'est par elles que l'intellect patient connoît toutes les choses matérielles. Lucrece employe tout le IV. livre de son poëme à developper cette hypothèse des simulacres ou images; qui comme autant d'écorces & de membranes découlent perpétuellement de la surface des corps, & nous portent leurs especes & leurs figures.

Nunc agere incipiam tibi, quod vehementer ad has res Attinet, esse ea, quoe rerum simulacra vocamus, Quoe quasi membranoe summo de corpore rerum Dereptoe volitant ultro citroque per auras. V.33 - 37. & plus bas, v. 46 - 50.

Dico igitur rerum effigies, tenueisque figuras Mittier ab rebus summo de corpore earum, Quoe quasi membrana vel cortex nominitanda est, Quod speciem, aut formam similem gerit ejus imago, &c.

Diverses raisons détruisent entierement cette hypothèse.

1°. L'impénétrabilité des corps. Tous les objets, comme le soleil, les étoiles, & tous ceux qui sont proches de nos yeux, ne peuvent pas envoyer des especes qui soient d'autre nature qu'eux; c'est pourquoi les Philosophes disent ordinairement que ces especes sont grossieres & matérielles, pour les distinguer des especes expresses qui sont spiritualisées: ces especes impresses des objets sont donc de petits corps; elles ne peuvent donc pas se pénétrer, ni tous les espaces qui sont depuis la terre jusqu'au ciel, lesquels en doivent etre tous remplis: d'où il est facile de conclure qu'elles devroient se froisser & se briser les unes allant d'un côté, & les autres de l'autre, & qu'ainsi elles ne peuvent rendre les objets visibles. De plus, on peut voir d'un même endroit & d'un même point un très - grand nombre d'objets qui sont dans le ciel & sur la terre: donc il faudroit que les especes de tous ces corps pussent se réduire en un point. Or elles sont impénétrables, puisqu'elles sont matérielles: donc, &c. Mais non - seulement on peut voir d'un même point un nombre immense de très - grands & de très vastes objets; il n'y a même aucun point dans tous ces grands espaces du monde d'où l'on ne puissé découvrir un nombre presque infini d'objets, & même d'objets aussi - grands que le soleil, la lune, & les cieux: il n'y a donc aucun point dans l'Univers où les especes de toutes ces choses ne dussent se rencontrer; ce qui est contre toute apparence de vérité.

2°. Le changement qui arrive dans les especes. Il est constant que plus un objet est proche, plus l'espece en doit être grande, puisque souvent nous voyons l'objet plus grand. On ne voit pas ce qui peut faire que cette espece diminue, & ce que peuvent devenir les parties qui la composoient lorsqu'elle étoit plus grande. Mais ce qui est encore plus difficile à concevoir selon ce sentiment, c'est que si on regarde un objet avec des lunettes d'approche ou un microscope, l'espece devient tout - d'un - coup cinq ou six cents fois plus grande qu'elle n'étoit auparavant; car on voit encore moins de quelles parties elle peut s'accroître si fort en un instant.

3°. La différence qu'il y a entre certaines images & les objets qui les renvoyent. Quand on regarde un cube parfait, toutes les especes de ses côtés sont inégales, & néanmoins on ne laisse pas de voir tous ses côtés également quarrés. Et de même, lorsque l'on considere dans un tableau, sous un certain point de vûe, des ovales & des parallélogrammes qui ne peuvent envoyer que des especes de semblable figure, on n'y voit cependant que des cercles & des quarrés: de là il s'ensuit évidemment qu'il n'est pas nécessaire que l'objet qu'on regarde produise, afin qu'on le voye, des especes qui lui soient semblables.

4°. La diminution que les corps en devroient souffrir. On ne peut pas concevoir comment il se peut faire qu'un corps qui ne diminue pas sensiblement, envoye toûjours hors de soi des especes de tous côtés, qu'il en remplisse continuellement de fort grands espaces tout - à - l'entour, & cela avec une vîtesse inconcevable: car un objet étant caché, dans l'instant même qu'il se découvre on le voit de plusieurs lieues & de tous les côtés? On répondra peut - être que les odeurs sont des émanations qui n'affoiblissent point sensiblement le corps odoiiférant; mais quelle différence de ces émanations à celle de la lumiere, pour l'étendue qu'elles occupent? Voyez Odfur. Et ce qui paroît encore fort étrange, c'est que les corps qui ont beaucoup d'action, comme l'air & quelques autres, n'ont point la force de pousser au - dehors de ces images qui leur ressemblent; ce que font les corps les plus grossiers, & qui ont le moins d'action, comme la terre, les pierres, & presque tous les corps durs.

A ces difficultés prises de ce qui se passe au - dehors, on en pourroit joindre d'autres sur ce qui arrive intérieurement dans la transmutation des especes impresses & matérielles, en especes expresses & spiritualisées. Ces distinctions d'intellect agent & d'intellect patient, & cette multiplication des facultés attribués au sens intérieur & à l'entendement, sont autant de suppositions gratuites sur lesquelles on ne peut bâtir que des systemes en l'air. Mais il reste si peu de partisans de ces anciennes chimeres, qu'il seroit superflu de s'y étendre davantage. Voyez Malebranche, rech. de la vérité, liv. III. part. II. chap. ij. Cet aricle est tiré des papîers de M. Formey.

Espece (Page 5:956)

Espece, (Hist. nat.) « Tous les individus semblables qui existent sur la surface de la terre, sont regardés comme composant l'espece de ces individus; cependant ce n'est ni le nombre ni la collection des individus semblables qui fait l'espece, c'est la succession constante & le renouvellement noninterrompu de ces individus qui la constituent: car un être qui dureroit toujours ne feroit pas une espece, non plus qu'un million d'êtres semblables qui dureroient aussi toûjours. L'espece est donc un mot abstrait & général, dont la chose n'existe qu'en considérant la nature dans la succession des tems, & dans la destruction constante & le renouvellement tout aussi constant des êtres: c'est en comparant la nature d'aujourd'hui à celle des autres tems, & les individus actuels aux individus passés, que nous avons pris une idée nette de ce que l'on appelle espece, & la comparaison du nombre ou de la ressemblance des individus n'est qu'une idée accessoire, & souvent indépendante de la premiere; car l'âne ressemble au cheval plus que le barbet au levrier, & cependant le barbet & le levrier ne font qu'une [p. 957] même espece, puisqu'ils produisent ensemble des individus qui peuvent eux - mêmes en produire d'autres; au lieu que le cheval & l'âne sont certainement de différentes especes, puisqu'ils ne produisent ensemble que des individus viciés & inféconds.

C'est donc dans la diversité caractéristique des especes, que les intervalles des nuances de la nature sont les plus sensibles & les mieux marqués; on pourroit même dire que ces intervalles entre les especes sont les plus égaux & les moins variables de tous, puisqu'on peut toûjours tirer une ligne de séparation entre deux especes, c'est - à - dire entre deux successions d'individus qui se reproduisent & ne peuvent se mêler, comme l'on peut aussi réunir en une seule espece deux successions d'individus qui se reproduisent en se mêlant. Ce point est le plus fixe que nous ayons en Histoire naturelle; toutes les autres ressemblances & toutes les autres différences que l'on pourroit saisir dans la comparaison des êtres, ne seroient ni si constantes, ni si réelles, ni si certaines.....

L'espece n'étant donc autre chose qu'une succession constante d'individus semblables & qui se reproduisent, il est clair que cette dénomination ne doit s'étendre qu'aux animaux & aux végétaux, & que c'est par un abus des termes ou des idées que les nomenclateurs l'ont employée pour désigner les différentes sortes de minéraux: on ne doit donc pas regarder le fer comme une espece, & le plomb comme une autre espece, mais seulement comme deux métaux différens.....» M. de Buffon, hist. nat. ger. & part. &c. tom. IV. p. 784 & suiv.

Especes (Page 5:957)

Especes, (Pharm.) en latin species. On entend, en Pharmacie, par especes, différentes drogues simples mêlées ensemble, & destinées à entrer dans les décoctions, dans les infusions, & même dans les électuaires. C'est ainsi qu'on dit espece de decoctum sudoriferum, especes de la confection hyacinthe, especes des tablettes diacarthami, &c.

On donne aussi ce nom à plusieurs poudres composées, officinales; ainsi au lieu de dire la poudre de diarrhodon, on dit les especes diarrhodon, &c.

Les vulnéraires suisses s'appellent encore especes vulnéraires, &c.

On donne aussi le nom de thé aux especes qui sont destinées à être infusées; ainsi on dit thé vulnéraire, thé céphalique, thé pectoral, aussi bien qu'especes vulnéraires, especes céphaliques, especes pictorales. (b)

Especes (Page 5:957)

Especes, (Chimie.) Quelques auteurs de Chimie ont désigné par ce nom les produits généraux de l'ancienne analyse, ou les fameux principes des Chimistes, l'huile, le sel, &c. Voyez Peincipe. (b)

Espece (Page 5:957)

Espece, (Jurisp.) signifie quelquefois le fait & les circonstances qui ont précédé ou accompagné quelque chose: ainsi on dit l'espece d'une question, ou d'un jugement.

Espece signifie aussi quelquefois la chose même qui doit être rendue, & non pas une autre semblable. Il y a des choses fungibles qui peuvent être remplacées par d'autres, comme de l'argent, du grain, du vin, &c. mais les choses qui ne sont pas fungibles, comme un cheval, un boeuf, doivent être rendues en espece; c'est - à - dire que l'on doit rendre précisément le même cheval ou boeuf qui a été preté.

Especes, en style de Palais, signifie aussi quelquefois de l'argent comptant: on dit payable en especes; on ajoûte quelquefois sonnantes, pour dire que le payement ne se fera point en billets. (A)

Especes (Page 5:957)

Especes, (Comm.) ce sont les différentes pieces de monnoie qui servent dans le Commerce, ou dans différentes actions de la vie civile, à payer le prix de la valeur des choses.

Il n'y a dans un état d'especes courantes que cel<cb-> les autorisées par le prince; & le droit d'en faire fabriquer n'appartient qu'au souverain, & est un droit domanial de la couronne. Si anciennement divers seigneurs, barous, & évêques, avoient droit de faire battre monnoie, c'est que sans doute ce droit leur avoit été cédé avec la joüissance du fief, ou qu'ils le possédoient à titre de souveraineté; ce qui sous les deux premieres races fut souffert dans le tems foible de l'autorité royale, tems où s'établit le genre d'autorité nommé suseraineté, espece de seigneurie que le bon droit eut tant de peine à détruire, après que le mauvais droit l'eut ururpé si facilement.

En 1262, l'ordonnance sur le fait des monnoies, dit que dans les terres où les barons n'avoient point de monnoie, il n'y aura que celle du roi qui y aura cours; & que dans les terres où les barons auroient une monnoie, celle du roi aura cours pour le même prix qu'elle auroit dans ses domaines.

Philippe - le - Bel commença à réduire les hauts seigneurs à vendre leur droit de battre monnoie, & l'édit de 1313 gêna si fort la fabrication, qu'ils y renoncerent.

Philippe - le - Long songeoit quand il mourut (dit le président Hénault) à faire ensorte que dans la France on se servît de la même monnoie, & à rendre les poids & les mesures un formes. Louis XI. eut depuis la même pensée. Voyez Poids & Mesure.

Il n'appartient qu'à l'histoire de fixer le tems où l'on a commencé à fabriquer les différentes especes, de parler des matieres & des marques en usage dans les tems recusés.

Le but de l'Encyclopédie n'est que de faire remarquer aux hommes les choses qui se passent sous leurs yeux; si l'on rappelle celles qui se sont passées, ce n'est que par le rapport qu'elles ont aux présentes, ou afin d'en faire une comparaison qui opere un avantage pour la réfor ne de ce qui se pratique. Il est bon de satisfaire la curiosité des lecteurs, il est mieux de les instruire utilement. Nous renvoyons donc à l'histoire pour tout ce qui n'est pas maintenant en usage. Il est à - propos cependant de parler du florin, du parisis, & du tournois. La premiere de ces especes étoit une monnoie réelle qui étoit fort sujette à varier d'autant plus souvent, que les rois de France regardoient les droits qu'ils retiroient de ces mutations comme une des principales branches de leurs revenus. En 1361, le bon florin, ou le florin de poids, valoit douze tournois d'argent, le tournois quinze deniers tournois: donc le florin valoit cent quatre - vingt deniers tournois, ou quinze sous tournois.

Le parisis n'est plus qu'un terme qui signifie le quart en sus. Ce nom vient de ce que la monnoie réelle frappée à Paris, valoit un quart en sus plus que celle frappée à Tours. Elle n'est plus d'usage; nous n'en parlons que pour faire entendre que lorsqu'on trouvera dans quelque ordonnance ce terme employé, il signifie le quart en sus.

Le tournois étoit une monnoie frappée à Tours; elle n'est plus monnoie réelle, elle est maintenant de compte: on dit une livre tournois, un sou tournois; elle est moindre que le parisis d'un cinquieme, c'est celle qui est en usage aujourd'hui quant au terme seulement.

Les especes qui ont cours en France sont les pieces d'or, nommées anciennement écus. La fabrication des écus d'argent ne fut ordonnée qu'en Septembre 1641; & lorsqu'avant ce tems on parle d'écus, cela veut dire des écus d'or. Ce n'est pas qu'avant ce tems il n'y eût des especes d'argent; la fabrication des grosses especes d'argent avoit commencé sous Louis XII. qui fit ouvrer les gros testons; ils ont continué jusqu'à Henri III. lequel en interdisant leur fabrication,

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