ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"920"> bleue, & l'escadre bleue & blanche. Voyez Armée Navale. (Z)

ESCADRON (Page 5:920)

ESCADRON, s. m. (Art milit.) agmen equestre, turma equestris. Dans la premiere origine on disoit agmen quadratum, d'où il est aisé de conclure que du mot italien quadro, les François ont fait celui de scadron, comme on disoit il n'y a pas encore cent ans:

Aux scadrons ennemis on a vu sa valeur Peupler les monumens. Racan, de l'Acad. Franç. Ducange le fait venir de scara, mot de la basse latinité.

Bellatorum acies quas vulgari sermone scaras vocamus. Hincmar, aux évêq. de Rheims, c. 3. Scaram quam nos turmam vel cuneum appellare consuevimus. Aimoin, liv. IV. c. xxvj.

Les Espagnols disent escadro, per avar forma quadrada; les Allemans appellent l'escadron, schwadron, geswader ou reuter schaar, qui veut dire bande de reistres.

Escadron est un assemblage de gens à cheval destinés pour combattre; le nombre des hommes, celui des rangs & des files, ainsi que la forme qu'on doit donner aux escadrons, a varié de tous les tems, & n'est point encore déterminée; l'espece de gens à cheval, la quantité qu'on en a, les occurrences, & plus encore l'opinion de ceux qui commandent, ont jusqu'à présent fait la loi à cet égard.

Les deux plus anciens livres que nous ayons, l'un sacré, & l'autre prophane, ne nous disent rien de l'ordre dans lequel on faisoit servir la cavalerie; Moyse nous apprend seulement qu'avant lui l'usage de monter à cheval étoit connu; & Homere ne nous enseigne rien de la maniere dont les Grecs & les Troyens se servoient de leur cavalerie dans la guerre qu'ils eurent ensemble. Voyez Equitation. Ainsi nous parlerons de celle des tems moins reculés, comme on se l'est proposé par le renvoi du mot cavalerie à celui d'escadron: & après avoir dit quelque chose de son utilité, de ses services, des succès qu'elle a procurés, &c. on expliquera les différentes formes qu'on a donné à la cavalerie, comprise sous le nom d'escadron.

Les plus grands capitaines ont toûjours fait un cas particulier de la cavalerie; les services qu'ils en ont tirés, le grand nombre de succès décisifs, dûs principalement à ce corps dans les occasions les plus importantes dont l'histoire ancienne & moderne nous a transmis le détail; enfin le témoignage unanime des auteurs que nous regardons comme nos maîtres dans l'art de la guerre, sont autant de preuves indubitables que la cavalerie est non - seulement utile, mais d'une nécessité absolue dans les armées.

Polybe attribue formellement les victoires remportées par les Carthaginois à Cannes & sur les bords du Tessin, celles de la Trébie & du lac de Thrasymenne, à la supériorité de leur cavalerie. « Les Carthaginois, dit - il, (liv. III. ch. xxjv.) eurent la principale obligation de cette victoire, aussi - bien que des précédentes, à leur cavalerie, & par - là donnerent à tous les peuples qui devoient naître après eux, cette importante leçon, qu'il vaut beaucoup mieux être plus fort en cavalerie que son ennemi, même avec infanterie moindre de moitié, que d'avoir même nombre que lui de cavaliers & de fantassins ».

La réputation dont joüit Polybe depuis près de vingt siecles, d'être l'écrivain le plus consommé dans toutes les parties de la guerre, semble mettre son opinion hors de doute; il n'a d'ailleurs écrit que ce qui s'est passé pour ainsi dire sous ses yeux, & il a pour garans de son précepte tous les faits dont son histoire est remplie, les victoires d'Annibal aussi - bien que sa défaite à Zama; & l'on peut regarder la seconde guerre punique, comme la véritable époque de l'établissement de la cavalerie dans les armées; avant ce tems les Grecs & les Romains en avoient très - peu, parce qu'ils en ignoroient l'usage, & que d'ailleurs les Grecs n'eurent long - tems à combattre que les uns contre les autres, & dans des pays stériles où la cavalerie n'auroit pû trouver à subsister, & qui étoient coupés de montagnes impraticables pour elle. La fameuse retraite des dix mille n'est pas un exemple qui prouve que les Grecs sûssent se passer de cavalerie; il n'y a qu'à les écouter, pour s'assûrer qu'ils étoient au contraire très - convaincus qu'elle leur auroit été d'un grand secours: « les Grecs, dit Xénophon en parlant de cette retraite dont il fut un des principaux chefs, s'affligeoient beaucoup quand ils considéroient que faute de cavalerie la retraite leur devenoit impossible au cas qu'ils fussent battus, & que vainqueurs ils ne pouvoient ni poursuivre les ennemis, ni profiter de la victoire; au lieu que Tissapherne, & les autres généraux qu'ils avoient à combattre, mettoient facilement leurs troupes en sûreté toutes les fois qu'ils étoient repoussés ». Ce passage prouve bien que si les Grecs n'eurent pas de cavalerie dans les tems de la guerre des Perses, c'est qu'ils n'avoient pas les moyens d'en avoir. Les uns étoient pauvres, & regardoient la pauvreté comme une loi de l'état, parce qu'elle étoit un rempart contre la mollesse & contre tous les vices qu'introduit l'opulence, aussi dangereuse dans les petits états qu'elle est nécessaire dans les grands. Les autres plus riches furent obligés de tourner leurs principales vûes du côté de la mer, & l'entretien de leur flote absorboit les fonds militaires, qui auroient pû servir à se procurer de la cavalerie.

Les Grecs une fois enrichis des dépouilles de la Perse, crurent ne devoir faire un meilleur usage des thrésors de leurs ennemis, qu'en augmentant leurs armées de cavalerie. Ils en avoient à la bataille de Leuctres, & celle des Thébains contribua beaucoup à la victoire. On leur compte aussi cinq mille chevaux sur cinquante mille hommes à la bataille de Mantinée, & ce fut à sa cavalerie qu'Epaminondas dut en grande partie la victoire. C'est à sa sage prévoyance que les Thébains durent chez eux cet utile établissement, qui doit être regardé comme l'époque du rôle le plus brillant qu'ils ayent joüé sur la terre. Ce général, le plus grand homme peut - être que la Grece ait produit, entendoit trop bien l'art de la guerre pour en négliger une partie aussi essentielle. Dès ce moment les Grecs ne se tiennent plus sur la défensive; on les voit porter la guerre jusqu'aux extrémités de l'Orient: dessein que jamais Alexandre n'eut sans doute osé concevoir, si son armée n'avoit été composée que d'infanterie. On sait que les Thessaliens ayant imploré le secours de Philippe contre leurs tyrans, il les défit, & qu'il s'attacha par - là ce peuple dont la cavalerie étoit alors la meilleure du monde; ce fut elle qui jointe à la phalange macédonienne, fit remporter tant de victoires à Philippe & à son fils: c'est cette cavalerie que Tite - Live appelle Alexandri fortitudo. Quant aux Romains, il est encore vrai que dans leur premier tems ils n'eurent que très - peu de cavalerie. L'histoire nous apprend que Romulus n'avoit dans les armées les plus florissantes de son regne, que mille chevaux sur quarante - six mille hommes de pié: ce qu'on en peut conclure, c'est que Romulus n'étoit pas fort riche; la dépense qu'il eût été obligé de faire pour s'en procurer davantage & pour l'entretenir, auroit de beaucoup excédé ses forces, dans un tems sur - tout où il avoit tant d'autres établissemens à faire: d'ailleurs les environs de Rome, le seul pays qu'il possédoit [p. 921] & ceux d'Italie en général, étoient peu piopres pour la guerre: enfin les premieres guerres des Romains furent contre leurs voisins, qui comme eux n'étoient pas en état de s'en fournir, & dans ce cas les choses étoient égales de part & d'autre. Les conquêtes & les alliances que firent par la suite les Romains, leur donnerent les moyens d'augmenter leur cavalerie; celle que les peuples, devenus sujets ou alliés de Rome, entretenoient pour elle à leurs dépens, étoit en ce genre la principale force des armées romaines: mais cette cavalerie étoit mal armée. Les Romains ignorerent long - tems l'art de s'en servir avec avantage; & c'est cette inexpérience qu'on peut regarder comme le principe de tous les malheurs qu'ils essuyerent dans les deux premieres guerres puniques: dans la premiere, Regulus est entierement défait par la cavalerie carthaginoise; & dans la seconde, comme on l'a déjà dit, Annibal bat les Romains dans toutes les occasions. La cavalerie faisoit au moins le cinquieme de ses troupes; aussi Fabius n'est pas plûtôt à la tête des armées romaines, qu'il prend le sage parti d'éviter le combat; & que pour n'avoir rien à souffrir de la cavalerie carthaginoise, il est obligé de ne plus conduire ses légions que sur le pié des montagnes.

Les Carthaginois firent enfin sentir aux Romains l'obligation d'être forts en cavalerie, ils le leur apprirent à leurs dépens, & les Romains ne commencerent à respirer que lorsque des corps entiers de cavalerie numide eurent passé de leur côté: ces desertions qui affoiblissoient d'autant l'ennemi, leur procurerent insensiblement la supériorité sur les Carthaginois. Annibàl obligé d'abandonner l'Italie pour aller au secours de Carthage, n'avoit plus cette formidable cavalerie avec laquelle il avoit remporté tant de victoires: à son arrivée en Afrique, il fut joint par deux mille chevaux; mais un pareil renfort ne l'égaloit pas à beaucoup près à Scipion, dont la cavalerie s'étoit augmentée par des recrues faites dans l'Espagne nouvellement conquise, & par la jonction de Masinissa roi des Numides, qui avoit appris des Grecs à bien armer sa cavalerie, & à la bien faire servir: ce fut cette supériorité qui, au rapport de tous les historiens, décida de la bataille de Zama. « La cavalerie, dit M. de Montesquieu (cause de la grandeur & de la décadence des Romain.), gagna la bataille & finit la guerre ». Les Romains triompherent en Afrique par les mêmes armes qui tant de fois les avoient vaincus en Italie.

Les Parthes firent encore sentir aux Romains avec quel avantage on combat un ennemi inférieur en cavalerie.

« La force des armées romaines, dit l'auteur ci - dessus cité, consistoit dans l'infanterie la plus ferme, la plus forte, & la mieux disciplinée du monde; les Parthes n'avoient pas d'infanterie, mais une cavalerie admirable, ils combattoient de loin & hors la portée des armes romaines, ils assiégeoient une armée plûtôt qu'ils ne la combattoient, inutilement poursuivis, parce que chez eux fuir c'étoit combattre: ainsi ce qu'aucune nation n'avoit pas encore fait (d'éviter le joug), celle des Parthes le fit, non comme invincible, mais comme inaccessible ». On peut dire plus, les Parthes firent trembler les Romains; & c'est sans doute le péril où cette puissante rivale mit plus d'une fois ur empire en Orient, qui les força d'augmenter comidérablement la cavalerie dans leurs armées. Cette augmentation leur devenoit d'autant plus nécessaire, que leurs frontieres s'étant fort étendues, ils n'auroient pû sans des troupes nombreuses en ce genre, arrêter les incursions des Barbares: d'ailleurs, le relâchement de la discipline militaire leur fit insensiblement perdre l'habitude de fortifier leurs camps, & dès lors leurs armées auroient couru de grands risques, sans une cavalerie capable de fésister à celle de leurs ennemis; enfin l'on peut dire que presque toutes les disgraces essuyées, ainsi que la plûpart des avantages remportés par les Romains, ont été l'effet, les unes de leur infériorité, les autres de leur supériorité en cavalerie.

Si l'on veut lire avec attention les commentaires de César, on y verra que ce grand homme qui dut ses principaux succès à fon inimitable célérité, se servoit si utilement de sa cavalerie, qu'on peut en quelque sorte regarder ses écrits comme la meilleure école que nous ayons en ce genre.

Quand il seroit vrai que les ancions se fussent passés de cavalerie, il n'en résulteroit pas qu'on dût aujourd'hui n'en point faire usage: autant vaudroit - il prétendre qu'on fît la guerre sans canon, ces deux propositions seroient d'une nature toute semblable; ce sont des systemes qu'on ne pourra faire approuver que lorsque toutes les nations guerrieres seront convenues entr'elles d'abolir en même tems l'usage de la cavalerie & du canon.

Pour ne parler que de nos tems & de nos plus grands généraux (les Turenne & les Condé), on sait que M. de Turenne dut la plûpart de ses succès, pour ne pas dire tous, à la cavalerie: ce général sans doute comparable aux plus grands personnages de l'antiquité, avoit pour maxime de travailller l'ennemi par détail, maxime qu'il n'auroit pû pratiquer s'il n'eût eu beaucoup de cavalerie; aussi ses armées furent - elles composées presque toûjours d'un plus grand nombre de gens de cheval, que de gens de pié.

La célebre bataille de Rocroi nous apprend le cas que faisoie le grand Condé de la cavalerie, & combien il savoit la faire servir avec avantage. Cette victoire fixe l'époque la plus florissante de la nation françoise: c'est elle qui commence le regne de Louis le Grand.

Dans cette fameuse journée, les manoeuvres de cavaierie furent exécutées avec autant d'ordre, de précision, & de conduite, qu'elles pourroient l'être dans un camp de discipline par des évolutions concertées; jamais l'antiquité dans une affaire générale n'offrit des traits de prudence & de valeur tels que ceux qui ont signalé cette victoire; elle rassemble dans ses circonstances tous les évenemens singuliers qui distinguent les autres batailles, & qui caractérisent les propriétés de la cavalerie. « Jamais bataille, dit M. de Voltaire, n'avoit été pour la France ni plus glorieuse, ni plus importante; elle en fut redevable à la conduite pleine d'intelligence du duc d'Anguien qui la gagna par lui - même, & par l'effet d'un coup - d'oeil qui découvrit à la fois le danger & la ressource; ce fut lui qui à la tête de la cavalerie attaqua par trois différentes fois, & qui rompit enfin cette infanterie espagnole jusque - là invincible; par lui le respect qu'on avoit pour elle fut anéanti, & les armes françoises dont plusieurs époques étoient fatales à leur réputation, commencerent d'être respectées; la cavalerie acquit sur - tout en cette journée la gloire d'être la meilleure de l'Europe ».

Il n'est point étonnant que les plus grands hommes ayent pensé d'une maniere uniforme sur la nécessité de la cavalerie; il ne faut que suivre pié à pié les opérations de la guerre pour se convaincre de l'importance dont il est, qu'une armée soit pourvûe d'une bonne & nombreuse cavalerie.

A examiner le début de deux armées, on verra que la plus forte en cavalerie doit nécessairement imposer la loi à la plus foible, soit en s'emparant des postes les plus avantageux pour camper, soit en forçant l'autre par des combats continuels à quitter son pays, ou celui dont elle auroit pû se rendre maîtresse.

Alexandre dans son passage du Granique, & An<pb->

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