ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"914"> d'érudition & dans les sciences de raisonnement. Voyez Science, Docte, &c. (O)

ERUDITION; (Page 5:914)

ERUDITION; s. f. (Philosoph. & Litt.) Ce mot, qui vient du latin erudire, enseigner, signifie proprement & à la lettre, savoir, connoissance; mais on l'a plus particulierement appliqué au genre de savoir qui consiste dans la connoissance des faits, & qui est le fruit d'une grande lecture. On a réservé le nom de science pour les connoissances qui ont plus immédiatement besoin du raisonnement & de la réflexion, telles que la Physique, les Mathématiques, &c. & celui de belles - lettres pour les productions agréables de l'esprit, dans lesquelles l'imagination a plus de part, telles que l'Eloquence, la Poésie, &c.

L'érudition, considérée par rapport à l'état présent des lettres, renferme trois branches principales, la connoissance de l'Histoire, celle des Langues, & celle des Livres.

La connoissance de l'Histoire se subdivise en plusieurs branches; histoire ancienne & moderne; histoire sacrée, profane, ecclésiastique; histoire de notre propre pays & des pays étrangers; histoire des Sciences & des Arts; Chronologie; Géographie; Antiquités & Médailles, &c.

La connoissance des Langues renferme les langues savantes, les langues modernes, les langues orientales, mortes ou vivantes.

La connoissance des livres suppose, du moins jusqu'à un certain point, celle des matieres qu'ils traitent, & des auteurs; mais elle consiste principalement dans la connoissance du jugement que les savans ont porté de ces ouvrages, de l'espece d'utilité qu'on peut tirer de leur lecture, des anecdotes qui concernent les auteurs & les livres, des différentes éditions & du choix que l'on doit faire entr'elles.

Celui qui posséderoit parfaitement chacune de ces trois branches, seroit un érudit véritable & dans toutes les formes: mais l'objet est trop vaste, pour qu'un seul homme puisse l'embrasser. Il suffit donc, pour être aujourd'hui profondément érudit, ou du moins pour être censé tel, de posséder seulement à un certain point de perfection chacune de ces parties: peu de savans ont même été dans ce cas, & on passe pour érudit à bien meilleur marché. Cependant, si l'on est obligé de restraindre la signification du mot érudit, & d'en étendre l'application, il paroît du moins juste de ne l'appliquer qu'à ceux qui embrassent, dans un certain degré d'étendue, la premiere branche de l'érudition, la connoissance des faits historiques, sur - tout des faits historiques anciens, & de l'histoire de plusieurs peuples; car un homme de lettres qui se seroit borné, par exemple, à l'histoire de France, ou même à l'histoire romaine, ne mériteroit pas proprement le nom d'érudit; on pourroit dire seulement de lui qu'il auroit beaucoup d'érudition dans l'histoire de France, dans l'histoire romaine, &c. en qualifiant le genre auquel il se seroit appliqué. De même on ne dira point d'un homme versé dans la connoissance seule des Langues & des Livres, qu'il est érudit, à moins qu'à ces deux qualités il ne joigne une connoissance assez étendue de l'Histoire.

De la connoissance de l'Histoire, des Langues & des Livres, naît cette partie importante de l'érudition, qu'on appelle critique, & qui consiste ou à démêler le sens d'un auteur ancien, ou à restituer son texte, ou enfin (ce qui est la partie principale) à déterminer le degré d'autorité qu'on peut lui accorder par rapport aux faits qu'il raconte. Voyez Critique. On parvient aux deux premiers objets par une étude assidue & méditée de l'auteur, par celle de l'histoire de son tems & de sa personne, par le parallele raisonné des différens manuscrits qui nous en restent. A l'égard de la critique, considérée par rapport à la croyan<cb-> ce des faits historiques, en voici les regles principales.

1°. On ne doit compter pour preuves que les témoignages des auteurs originaux, c'est - à - dire de ceux qui ont écrit dans le tems même, ou à - peu - près; car la mémoire des faits s'altere aisément, si on est quelque tems sans les écrire: quand ils passent simplement de bouche en bouche, chacun y ajoûte du sien, presque sans le vouloir. « Ainsi, dit M. Fleury, premier discours sur l'hist. eccl. les traditions vagues des faits très - anciens, qui n'ont jamais été écrits, ou fort tard, ne méritent aucune créance, principalement quand elles répugnent aux faits prouvés: & qu'on ne dise pas que les histoires peuvent avoir été perdues; car, comme on le dit sans preuve, on peut répondre aussi qu'il n'y en a jamais eu ».

2°. Quand un auteur grave & véridique d'ailleurs cite des écrits anciens que nous n'avons plus, on doit, ou on peut au moins l'en croire: mais si ces auteurs anciens existent, il faut les comparer avec celui qui les cite, sur - tout quand ce dernier est moderne; il faut de plus examiner ces auteurs anciens eux - mêmes, & voir quel degré de créance on leur doit. « Ainsi, dit encore M. Fleuri, on doit consulter les sources citées par Baronius, parce que souvent il a donné pour authentiques des pieces fausses ou suspectes, & qu'il a suivi des traductions peu fideles des auteurs grecs ».

3°. Les auteurs, même contemporains, ne doivent pas être suivis sans examen: il faut savoir d'abord si les écrits sont véritablement d'eux; car on n'ignore pas qu'il y en a eu beaucoup de supposés. Voyez Decrétales, &c. Quand l'auteur est certain, il faut encore examiner s'il est digne de foi, s'il est judicieux, impartial, exempt de crédulité & de superstition, assez éclairé pour avoir sû démêler le vrai, & assez sincere pour n'avoir pas été tenté quelquefois de substituer au vrai ses conjectures, & des soupçons dont la finesse pouvoit le séduire. Celui qui a vû est plus croyable que celui qui a seulement oüi dire, l'écrivain du pays plus que l'écrivain étranger, & celui qui parle des affaires de sa doctrine, de sa secte, plus que les personnes indifférentes, à moins que l'auteur n'ait un intérêt visible de rapporter les choses autrement qu'elles ne sont. Les ennemis d'une secte, d'un pays, doivent sur - tout être suspects; mais on prend droit sur ce qu'ils disent de favorable au parti contraire. Ce qui est contenu dans les lettres du tems & les actes originaux, doit être préféré au récit des historiens: s'il y a entre les écrivains de la diversité, il faut les concilier; s'il y a de la contradiction, il faut choisir. Il est vrai qu'il seroit bien plus commode pour l'écrivain de se borner à rapporter les différentes opinions, & de laisser le jugement au lecteur; mais il est plus agréable pour celui - ci, qui aime mieux savoir que douter, d'être décidé par le critique.

Il y a dans la critique deux excès à fuir également, trop d'indulgence, & trop de sévérité. On peut - être très - bon chrétien sans ajoûter foi à une grande quantité de faux actes des Martyrs, de fausses vies des Saints, d'évangiles & d'épîtres apocryphes, à la legende dorée de Jacques de Voragine, à la fable de la donation de Constantin, à celle de la papesse Jeanne, à plusieurs même des miracles rapportés par Grégoire de Tours & par d'autrès écrivains crédules, &c. mais on ne pourroit être chrétién en rejettant les prodiges, les révélations & les autres faits extraordinaires que rapportent S. Irenée, S. Cyprien, S. Augustin, &c. auteurs respectables, qu'il n'est pas permis de regarder comme des visionnaires.

Un autre excès de critique est de donner trop aux conjectures: Erasme, par exemple, a rejetté témé<pb-> [p. 915] rairement, selon M. Fleury, quelques écrits de saint Augustin, dont le style lui a paru différer de celui des autres ouvrages de ce pere; d'autres ont corrigé des mots qu'ils n'entendoient pas, ou nié des faits, parce qu'ils ne pouvoient pas les accorder avec d'autres d'une égale ou d'une moindre autorité, ou parce qu'ils ne pouvoient les concilier avec la chronologie dans laquelle ils se trompoient. On a voulu tout savoir & tout deviner; chacun a rafiné sur les critiques précédens, pour ôter quelque fait x histoires reçues, & quelque ouvrage aux auteurs connus: critique dangereuse & dédaigneuse, qui éloigne la vérité en paroissant la chercher. Voyez Fleury, premier discours sur l'hist. eccl. ch. iij. & v. Nous en avons extrait ces regles de critique, qui y sont très - bien développées, & auxquelles nous renvoyons le lecteur.

L'étudition est un genre de connoissance où les modernes se sont distingués par deux raisons: plus le monde vieillit, plus la matiere de l'érudition augmente, & plus par conséquent il doit y avoir d'érudits; comme il doit y avoir plus de fortunes lorsqu'il y a plus d'argent. D'ailleurs l'ancienne Grece ne faisoit cas que de son histoire & de sa langue, & les Romains n'étoient qu'orateurs & politiques: ainsi l'érudition proprement dite n'étoit pas extrèmement cultivée par les anciens. Il se trouva néanmoins à Rome, sur la fin de la république, & ensuite du tems des empereurs, un petit nombre d'érudits, tels qu'un Varron, un Pline le Naturaliste, & quelques autres.

La translation de l'empire à Constantinople, & ensuire la destruction de l'empire d'Occident anéantirent bien - tôt toute espece de connoissances dans cette partie du monde: elle fut barbare jusqu'à la fin du xv. siecle; l'Orient se soûtint un peu plus long - tems; la Grece eut des hommes savans dans la connoissance des Livres & dans l'Histoire. A la vérité ces hommes savans ne lisoient & ne connoissoient que les ouvrages grecs, ils avoient hérité du mépris de leurs ancêtres pour tout ce qui n'étoit pas écrit en leur langue: mais comme sous les empereurs romains, & même long - tems auparavant, plusieurs auteurs grecs, teis que Polybe, Dion, Diodore de Sicile, Denis d'Halicarnasse, &c. avoient écrit l'histoire romaine & celle des autres peuples, l'érudition historique & la connoissance des livres, même purement grecs, étoit dès - lors un objet considérable d'étude pour les gens de lettres de l'Orient. Constantinople & Alexandrie avoient deux bibliotheques considérables; la premiere fut détruite par ordre d'un empereur insensé, Léon l'Isaurien: les savans qui présidoient à cette bibliotheque s'étoient déclarés contre le fanatisme avec lequel l'empereur persécutoit le culte des images; ce prince imbécille & furieux fit entourer de fascines la bibliotheque, & la fit brûler avec les savans qui y étoient renfermés.

A l'égard de la bibliotheque d'Alexandrie, tout le monde sait la maniere dont elle fut brûlée par les Sarrasins en 640, le beau raisonnement sur lequel le calife Omar s'appuya pour cette expédition, & l'usage qu'on fit des livres de cette bibliotheque pour chauffer pendant six mois quatre mille bains publics. Voyez Bibliotheque.

Photius qui vivoit sur la fin du jx. siecle, lorsque l'Occident étoit plongé dans l'ignorance & dans la barbarie la plus profonde, nous a laissé dans sa fameuse bibliotheque un monument immortel de sa vaste érudition: on voit par le grand nombre d'ouvrages dont il juge, dont il rapporte des fragmens, & dont une grande partie est aujourd'hui perdue, que la barbarie de Léon & celle d'Omar n'avoient pas encore tout détruit en Grece; ces ouvrages sont au nombre d'environ 280.

Quoique les savans qui suivirent Photius n'ayent pas eu autant d'érudition que lui, cependant longtems après Photius, & même jusqu'à la prise de Constantinople par les Turcs, en 1453, la Grece eut toûjours quelques hommes instruits & versés (du moins pour leur tems) dans l'Histoire & dans les Lettres, Psellus, Suidas, Eustathe commentateur d'Homere, Tzetzes, Bessarion, Gennadius, &c.

On croit communément que la destruction de l'empire d'Orient fut la cause du renouvellement des Lettres en Europe; que les savans de la Grece, chassés de Constantinople par les Turcs, & appellés par les Medicis en Italie, rapporterent la lumiere en Occident: cela est vrai jusqu'à un certain point; mais l'arrivée des savans de la Grece avoit été précédée de l'invention de l'Imprimerie, faite quelques années auparavant, des ouvrages du Dante, de Pétrarque & de Bocace, qui avoient ramené en Italie l'aurore du bon goût; enfin d'un petit nombre de savans qui avoient commencé à débrouiller & même à cultiver avec succès la littérature latine, tels que le Pogge, Laurent Valla, Philelphe & quelques autres. Les grecs de Constantinople ne furent vraiment utiles aux gens de lettres d'Occident, que pour la connoissance de la langue greque qu'ils leur apprirent à étudier: ils formerent des éleves, qui bientôt égalerent ou surpasserent leurs maîtres. Ainsi ce fut par l'étude des langues greque & latine que l'érudition renaquit: l'étude approfondie de ces langues & des auteurs qui les avoient parlées, prépara insensiblement les esprits au goût de la saine littérature; on s'apperçut que les Démosthenes & les Cicérons, les Homeres & les Virgiles, les Thucydides & les Tacites avoient suivi les mêmes principes dans l'art d'écrire, & on en conclut que ces principes étoient les fondemens de l'art. Cependant, par les raisons que nous avons exposées dans le Discours préliminaire de cet Ouvrage, les vrais principes du goût ne furent bien connus & bien développés que lorsqu'on commença à les appliquer aux langues vivantes.

Mais le premier avantage que produisit l'étude des Langues fut la critique, dont nous avons déja parlé plus haut: on purgea les anciens textes des fautes que l'ignorance ou l'inattention des copistes y avoient introduites; on y restitua ce que l'injure des tems avoit défiguré; on expliqua par de savans commentaires les endroits obscurs; on se forma des regles pour distinguer les écrits vrais d'avec les écrits supposés, regles fondées sur la connoissance de l'Histoire, de la Chronologie, du style des auteurs, du goût & du caractere des différens siecles. Ces regles furent principalement utiles lorsque nos savans, après avoir comme épuisé la littérature latine & greque, se tournerent vers ces tems barbares & ténébreux qu'on appelle le moyen âge. On sait combien notre nation s'est distinguée dans ce genre d'étude; les noms des Pithou, des Sainte - Marthe, des Ducange, des Valois, des Mabillon, &c. se sont immortalisés par elle.

Graces aux travaux de ces savans hommes, l'antiquité & les tems postérieurs sont non - seulement défrichés, mais presque entierement connus, ou du moins aussi connus qu'il est possible, d'après les monumens qui nous restent. Le goût des ouvrages de bel esprit & l'étude des sciences exactes a succédé parmi nous au goût de nos peres pour les matieres d'érudition. Ceux de nos contemporains qui cultivent encore ce dernier genre d'étude, se plaignent de la préférence exclusive & injurieuse que nous donnons à d'autres objets; voyez l'histoire de l'Acad. des Belles - Lettres, tome XVI. Leurs plaintes sont raisonnables & dignes d'être appuyées; mais quelquesunes des raisons qu'ils apportent de cette préférence ne paroissent pas aussi incontestables. La culture des

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