ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"749"> déposer avec confiance des sommes qu'on n'est pas toûjours à portée de placer utilement, & dont on est quelquefois embarrassé. Combien d'avares qui, craignant pour l'avenir, n'osent se défaire de leur argent; & qui malgré leurs précautions, ont toûjours à redouter les vols, les incendies, les pillages, &c. Combien d'ouvriers, combien de domestiques & d'autres gens isolés, qui ayant épargné une petite somme, dix pistoles, cent écus, plus ou moins, ne savent actuellement qu'en faire, & appréhendent avec raison de les dissiper ou de les perdre? Je trouve donc qu'il seroit avantageux dans tous ces cas de pouvoir déposer sûrement une somme quelconque, avec liberté de la retirer à son gré. Par - là on feroit circuler dans le public une infinité de sommes petites ou grandes qui demeurent aujourd'hui dans l'inaction. D'un autre côté, les particuliers déposans éviteroient bien des inquiétudes & des filouteries; outre qu'ils seroient moins exposés à prêter leur argent mal - à - propos, ou à le dépenser follement. Ainsi chacun retrouveroit ses fonds ou ses épargnes, lorsqu'il se présenteroit de bonnes affaires, & la plûpart des ouvriers & des domestiques deviendroient plus économes & plus rangés.

Cette habitude d'économie dans les moindres sujets est plus importante qu'on ne croit au bien général; & c'est en quoi nous sommes fort au - dessous des nations voisines, qui presque toutes sont plus accoûtumées que nous à l'épargne & aux attentions économiques. Voici sur cela un trait qui est particulier aux Anglois, & qui mérite d'être rapporté. On assûre donc qu'il y a chez eux, dans la plûpart des grandes maisons, ce qu'ils appellent a saving - man, c'est - à - dire un domestique attentif & ménager qui veille perpétuellement à ce que rien ne traîne, à ce que rien ne se perde ou ne s'égare. Son unique emploi est de roder à toute heure dans tous les recoins d'une grande maison, depuis la cave jusqu'au grenier, dans les cours, écuries, jardins, & autres dépendances, de remettre en son lieu tout ce qu'il trouve déplacé, & d'emporter dans son magasin tout ce qu'il rencontre épars & à l'abandon, de la ferraille de toute espece, des bouts de planche & autres bois, des cordes, du cuir, de la chandelle, toute sorte de hardes, meubles, ustensiles, outils, &c.

Outre une infinité de choses, chacune de peu de valeur, mais dont l'ensemble est important, & dont cet économe prévient la perte, il conserve aussi bien souvent des choses de prix, que des maîtres, des domestiques ou des ouvriers laissent traîner par oubli, ou par quelque autre raison que ce puisse être. Sa vigilance réveille l'attention des autres, & il devient par état l'antagoniste de la friponnerie & le réparateur de la négligence.

J'ai déjà marqué ci - devant qu'il n'étoit ici question que d'épargne publique, & que je ne touchois presque point à la conduite des particuliers. Plusieurs néanmoins ne m'ont opposé que de prétendus inconvéniens contre la suppression totale de notre luxe, ce qui n'attaque point ma thèse, & porte par conséquent à faux: cependant je tâcherai de répondre à l'objection, comme si je lui trouvois quelque fondement solide.

Si l'on suivoit, dit - on, tant de projets de perfection & de réformes; que d'un côté l'on supprimât les dépenses inutiles; que de l'autre, on se livrât de toutes parts à des entreprises fructueuses; en un mot, que l'économie devînt à la mode parmi les François, on verroit bien - tôt, à la vérité, notre opulence sensiblement accrue; mais que feroit - on de tant de richesses accumulées? D'ailleurs la plûpart des sujets, moins employés aux arts de somptuosité, n'auroient guere de part à tant d'opulence, & languiroient apparemment au milieu de l'abondance générale.

Il est aisé de répondre à cette difficulté. En effet, si l'épargne économique s'établissoit parmi nous; qu'on donnât plus au nécessaire & moins au superflu, il se feroit, j'en conviens, moins de dépenses frivoles & mal - placées, mais aussi s'en feroit - il beaucoup plus de raisonnables & de vertueuses. Les riches & les grands, moins obérés, payeroient mieux leurs créanciers: d'ailleurs plus puissans & plus pécunieux, ils auroient plus de facilité à marier leurs enfans; au lieu d'un mariage, ils en feroient deux; au lieu de deux, ils en feroient quatre, & l'on verroit ainsi moins de renversement & moins d'extinctions dans les familles. On donneroit moins au faste, au caprice, à la vanité; mais on donneroit plus à la justice, à la bienfaisance, à la véritable gloire; en un mot, on employeroit beaucoup moins de sujets à des arts stériles, arts d'amusement & de frivolité, mais beaucoup plus à des arts avantageux & nécessaires; & pour lors, s'il y avoit moins d'artisans du luxe & des plaisirs, moins de domestiques inutiles & desoeuvrés, il y auroit en récompense plus de cultivateurs, & d'autres précieux instrumens de la véritable richesse.

Il est démontré, pour quiconque refléchit, que la différence d'occupation dans les sujets produit l'opulence ou la disette nationale, en un mot le bien ou le mal de la société. On sent parfaitement que si quelqu'un peut tenir un homme à ses gages, il lui sera plus avantageux d'avoir un bon jardinier que d'entretenir un domestique de parade. Il y a donc des emplois infiniment plus utiles les uns que les autres; & si l'on occupoit la plûpart des hommes avec plus d'intelligence & d'utilité, la nation en seroit plus puissante, & les particuliers plus à leur aise.

D'ailleurs la pratique habituelle de l'épargne produisant, au moins chez les riches, une surabondance de biens qui ne s'y trouve presque jamais, il en résuiteroit pour les peuples un soulagement sensible, en ce que les petits alors seroient moins inquiétés & moins foulés par les grands. Que le loup cesse d'avoir faim, il ne desolera plus les bergeries.

Quoi qu'il en soit, les propositions & les pratiques énoncées ci - dessus nous paroîtroient plus intéressantes, si une mauvaise coûtume, si l'ignorance & la moilesse ne nous avoient rendus indifférens sur les avantages de l'épargne, & sur - tout si cette habitude précieuse n'étoit confondue le plus souvent avec la sordide avarice. Erreur dont nous avons un exemple connu dans le jugement peu favorable qu'on a porté de nos jours d'un citoyen vertueux & desinteressé, feu M. Godinot, chanoine de Reims.

Amateur passionné de l'Agriculture, il consacroit à l'étude de la Physique & aux occupations champêtres tout le loisir que lui laissoit le devoir de sa place. Il s'attacha spécialement à perfectionner la culture des vignes, & plus encore la façon des vins, & bien - tôt il trouva l'art de les rendre si supérieurs & si parfaits, qu'il en fournit dans la suite à tous les potentats de l'Europe; ce qui lui donna moyen dans le cours d'une longue vie, d'accumuler des sommes prodigieuses, sommes dont ce philosophe chrétien méditoit de longue - main l'usage le plus noble & le plus digne de sa bienfaisance.

Du reste, il vivoit dans la plus grande simplicité, dans la pratique fidele & constante d'une épargne visible, & qui sembloit même outrée. Aussi les esprits vulgaires qui ne jugent que sur les apparences, & qui ne connoissoient pas ses grands desseins, ne le regarderent pendant bien des années qu'avec une sorte de mépris; & ils continuerent toûjours sur le même ton, jusqu'à ce que plus instruits & tout - à - fait subjugués par les établissemens & les constructions [p. 750] utiles dont il décora la ville de Reims, & sur - tout par les travaux immenses qu'il entreprit à ses frais pour y conduire des eaux abondantes & salubres qui manquoient auparavant, ils lui prodiguerent enfin avec le reste de la France le tribut d'éloges & d'admiration qu'ils ne pouvoient refuser à son généreux patriotisme.

Un si beau modele touchera sans doute le coeur des François, encouragés d'ailleurs par l'exemple de plusieurs sociétés établies en Angleterre, en Ecosse & en Irlande, sociétés uniquement occupées de vûes économiques, & qui de leurs propres deniers font tous les ans des largesses considérables aux laboureurs & aux artistes qui se distinguent par la supériorité de leurs travaux & de leurs découvertes. Le même goût s'est répandu jusqu'en Italie. On apprit l'an passé le nouvel établissement d'une académie d'Agriculture à Florence.

Mais c'est principalement en Suede que la science économique semble avoir fixé le siége de son empire. Dans les autres contrées elle n'est cultivée que par quelques amateurs, ou par de foibles compagnies encore peu accréditées & peu connues: en Suede, elle trouve une académie royale qui lui est uniquement dévoüée; qui est formée d'ailleurs & soûtenue par tout ce qu'il y a de plus savant & de plus distingué dans l'état; académie qui écartant tout ce qui n'est que d'érudition, d'agrément & de curiosité, n'admet que des observations & des recherches tendantes à l'utilité physique & sensible.

C'est de ce fonds abondant que s'enrichit le plus souvent notre journal économique, production nouvelle digne par son objet de toute l'attention du ministere, & qui l'emporteroit par son utilité sur tous nos recueils d'académies, si le gouvernement commettoit à la direction de cet ouvrage des hommes parfaitement au fait des sciences & des arts économiques, & que ces hommes précieux, animés & conduits par un supérieur éclairé, ne fussent jamais à la merci des entrepreneurs, jamais frustrés par conséquent des justes honoraires si bien dûs à leur travail.

Ce seroit en effet une vûe bien conforme à la justice & à l'économie publique, de ne pas abandonner le plus grand nombre des sujets à la rapacité de ceux qui les employent, & dont le but principal, ou pour mieux dire unique, est de profiter du labeur d'autrui sans égard au bien des travailleurs. Sur quoi j'observe que dans ce conflit d'intérêts le gouvernement devroit abroger toute concession de droits privatïfs, fermer l'oreille à toute représentation qui, colorée du bien public, est au fond suggérée par l'esprit de monopole, & qu'il devroit opérer sans ménagement ce qui est équitable en soi, & favorable à la franchise des arts & du commerce.

Quoi qu'il en soit, nous pouvons féliciter la France de ce que parmi tant d'académiciens livrés à la manie du bel esprit, mais peu touchés des recherches utiles, elle compte des génies supérieurs, des hommes consommés en tout genre de sciences, lesquels ont toûjours allié la beauté du style, les graces même de l'éloquence avec les études les plus solides, & qui s'étant consacrés depuis bien des années à des travaux & à des essais économiques, nous ont enrichis, comme on sait, des découvertes les plus intéressantes.

Il paroît enfin que depuis la paix de 1748, le goût de l'économie publique gagne insensiblement l'Europe entiere. Les princes aujourd'hui, plus éclairés qu'autrefois, ambitionnent beaucoup moins de s'aggrandir par la guerre. L'histoire & l'expérience leur ont également appris que c'est une voie incertaine & destructive. L'amélioration de leurs états leur en présente une autre plus courte & plus assûrée; aussi tous s'y liyrent comme à l'envi, & ils paroissent plus disposés que jamais à profiter de tant d'ouvrages publiés de nos jours sur le commerce, la navigation, & la finance, sur l'exploitation des terres, sur l'établissement & le progrès des arts les plus utiles; dispositions favorables, qui contribueront à rendre les sujets plus économes, plus sains, plus fortunés, & je crois même plus vertueux.

En effet, la véritable économie également inconnue à l'avare & au prodigue, tient un juste milieu entre les extrèmes opposés; & c'est au défaut de cette vertu si déprimée, qu'on doit attribuer la plûpart des maux qui couvrent la face de la terre. Le goût trop ordinaire des amusemens, des superfluités & des délices entraîne la mollesse, l'oisiveté, la dépense, & souvent la disette, mais toûjours au moins la soif des richesses, qui deviennent d'autant plus nécessaires qu'on s'assujettit à plus de besoins; ce qui produit ensuite les artifices & les détours, la rapacité, la violence, & tant d'autres excès qui viennent de la même source.

Je prêche donc hautement l'épargne publique & particuliere; mais c'est une épargne sage & desintéressée, qui donne du courage contre la peine, de la fermeté contre le plaisir, & qui est enfin la meilleure ressource de la bienfaisance & de la générosité; c'est cette honnête parcimonie si chere autrefois à Pline le jeune, & qui le mettoit en état, comme il le dit lui - même, de faire dans une fortune médiocre, de grandes libéralités publiques & particulieres. Quidquid mihi pater tuus debuit, acceptum tibi ferri jubeo; nec est quod verearis ne sit mihi ista onerosa donatio. Sunt quidem omnino nobis modicoe facultates, dignitas sumptuosa, reditus propter conditionem agellorum nescio minor an incertior; sed quod cessat ex reditu, frugalitate suppletur, ex quâ velut à fonte liberalitas nostra decurrit. Lettres de Pline, livre II. lettre jv. On trouve dans toutes ces lettres mille traits de bienfaisance. Voyez sur - tout liv. III. lett. xj. liv. IV. lett. xiij. &c.

Rien ne devroit être plus recommandé aux jeunes gens que cette habitude vertueuse, laquelle deviendroit pour eux un préservatif contre les vices. C'est en quoi l'éducation des anciens étoit plus conséquente & plus raisonnable que la nôtre. Ils accoûtumoient les enfans de bonne - heure aux pratiques du ménage, tant par leur propre exemple que par le pécule qu'ils leur accordoient, & que ceux - ci, quoique jeunes & dépendans, faisoient valoir à leur profit. Cette legere administration leur donnoit un commencement d'application & de sollicitude, qui devenoit utile pour le reste de la vie.

Que nous pensons là - dessus différemment des anciens! on n'oseroit aujourd'hui tourner les jeunes gens à l'économie; & ce seroit, comme l'on pense, n'avoir pas de sentimens que de leur en inspirer l'estime & le goût. Erreur bien commune dans notre siecle, mais erreur funeste qui nuit infiniment à nos moeurs. On a fondé en mille endroits des prix d'éloquence & de poésie; qui fondera parmi nous des prix d'épargne & de frugalité?

Au reste, ces propositions n'ont d'autre but que d'éclairer les hommes sur leurs intérêts, de les rendre plus attentifs sur le nécessaire, moins ardens sur le superflu, en un mot d'appliquer leur industrie à des objets plus fructueux, & d'employer un plus grand nombre de sujets pour le bien moral, physique & sensible de la société. Plût au ciel que de telles moeurs prissent chez nous la place de l'intérêt, du luxe & des plaisirs; que d'aisance, que de bonheur & de paix il en résulteroit pour tous les citoyens! Cet article est de M. Faiguet.

EPARGNE (Page 5:750)

EPARGNE, (Hydr.) Voyez Ajutage.

EPARS (Page 5:750)

* EPARS. (Gramm.) Il se dit en général d'un grand nombre d'objets de la même espece, distri<pb->

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