ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"747"> les riches & les pauvres, & à laquelle nous sacrifions souvent une bonne partie du nécessaire.

Au reste il faudroit n'avoir aucune expérience du monde, pour proposer sérieusement l'abolition totale du luxe & des superfluités; aussi n'est - ce pas là mon intention. Le commun des hommes est trop foible, trop esclave de la coûtume & de l'opinion, pour résister au torrent du mauvais exemple; mais s'il est impossible de convertir la multitude, il n'est peut - être pas difficile de persuader les gens en place, gens éclairés & judicieux, à qui l'on peut représenter l'abus de mille dépenses inutiles au fond, & dont la suppression ne generoit point la liberté publique; dépenses qui d'ailleurs n'ont proprement aucun but vertueux, & qu'on pourroit employer avec plus de sagesse & d'utilité: feux d'artifice & autres feux de joie, bals & festins publics, entrées d'ambassadeurs, &c. que de momeries, que d'amusemens puériles, que de millions prodigués en Europe, pour payer tribut à la coûtume! tandis qu'on est pressé de besoins réels, auxquels on ne sauroit satisfaire, parce qu'on n'est pas fidele à l'économie nationale.

Mais que dis - je? On commence à sentir la futilité de ces dépenses, & notre ministere l'a déjà bien reconnue, lorsque le ciel ayant comblé nos voeux par la naissance du duc de Bourgogne, ce jeune prince si cher à la France & à l'Europe entiere, on a mieux aimé pour exprimer la joie commune dans cet heureux évenement, on a mieux aimé, dis - je, allumer de toutes parts le flambeau de l'hymenée, & présenter aux peuples ses ris & ses jeux pour favoriser la population par de nouveaux mariages, que de faire, suivant la coutume, des prodigalités mal entendues, que d'allumer des feux inutiles & dispendieux qu'un instant voit briller & s'éteindre.

Cette pratique si raisonnable rentre parfaitement dans la pensée d'un sage suédois, qui donnant une somme, il y a deux ans, pour commencer un établissement utile à sa patrie, s'exprimoit ainsi dans une lettre qu'il écrivoit à ce sujet: « Plût au ciel que la mode pût s'établir parmi nous, que dans tous les évenemens qui causent l'allegresse publique, on ne fît éclater sa joie que par des actes utiles à la société! on verroit bientôt nombre de monumens honorables de notre raison, qui perpétueroient bien mieux la mémoire des faits dignes de passer à la postérité, & seroient plus glorieux pour l'humanité que tout cet appareil tumultueux de fêtes, de repas, de bals, & d'autres divertissemens usités en pareilles occasions ». Gazette de France, 8 Décembre 1753. Suede.

La même proposition est bien confirmée par l'exemple d'un empereur de la Chine qui vivoit au dernier siecle, & qui dans l'un des grands évenemens de son regne, défendit à ses sujets de faire les réjoüissances ordinaires & consacrées par l'usage, soit pour leur épargner des frais inutiles & mal placés, soit pour les engager vraissemblablement à opérer quelque bien durable, plus glorieux pour lui - même, plus avantageux à tout son peuple, que des amusemens frivoles & passagers, dont il ne reste aucune utilité sensible.

Voici encore un trait que je ne dois pas oublier: « Le ministere d'Angleterre, dit une gazette...... de l'année 1754, a fait compter mille guinées à M. Wal, ci - devant ambassadeur d'Espagne à Londres; ce qui est, dit - on, le présent ordinaire que l'état fait aux ministres étrangers en quittant la Grande Bretagne ». Qui ne voit que mille guinées ou mille louis forment un présent plus utile & plus raisonnable que ne seroit un bijou, uniquement destiné à l'ornement d'un cabinet?

Après ces grands exemples d'épargne politique, oseroit - on blâmer cet ambassadeur hollandois, qui recevant à son départ d'une cour étrangere le portrait du prince enrichi de diamans, mais qui trouvant bien du vuide dans ce présent magnifique, demanda bonnement ce que cela pouvoit valoir. Comme on l'eut assùré que le tout coûtoit quarante mille écus: que ne me donnoit - on, dit - il, une lettre - dechange de pareille somme à prendre sur un banquier d'Amsterdam? Cette naïveté hollandoise nous fait rire d'abord; mais en examinant la chose de près, les gens sensés jugeront apparemment qu'il avoit raison, & qu'une bonne lettre de quarante mille écus est bien plus de service qu'un portrait.

En suivant le même goût d'épargne, que de retranchemens, que d'institutions utiles & praticables en plusieurs genres différens! Que d'épargnes possibles dans l'administration de la justice, police, & finances, puisqu'il seroit aisé, en simplifiant les régies & les autres affaires, d'employer à tout cela bien moins de monde qu'on ne fait à présent! Cet article est assez important pour mériter des traités particuliers; nous en avons sur cela plusieurs qu'on peut lire avec beaucoup de fruit.

Que d'épargnes possibles dans la discipline de nos troupes, & que d'avantages on en pourroit tirer pour le roi & pour l'état, si l'on s'attachoit comme les anciens à les occuper utilement! J'en parlerai dans quelqu'autre occasion.

Que d'épargnes possibles dans la police des Arts & du Commerce, en levant les obstacles qu'on trouve à chaque pas sur le transport & le débit des marchandises & denrées, mais sur - tout en rétablissant peu - à - peu la liberté générale des métiers & négoces, telle qu'elle étoit jadis en France, & telle qu'elle est encore aujourd'hui en plusieurs états voisins; supprimant par conséquent les formalités onéreuses des brevets d'apprentissage, maîtrises & réceptions, & autres semblables pratiques, qui arrêtent l'activité des travailleurs, souvent même qui les éloignent tout - à - fait des occupations utiles, & qui les jettent ensuite en des extrémités funestes; pratiques enfin que l'esprit de monopole a introduites en Europe, & qui ne se maintiennent dans ces tems éclairés que par le peu d'attention des legislateurs. Nous n'avons déjà, tous tant que nous sommes, que trop de répugnance pour les travaux pénibles; il ne faudroit pas en augmenter les difficultés, ni fairo naître des occasions ou des prétextes à notre paresse.

De plus, indépendamment des maîtrises, il y a parmi les ouvriers mille usages abusifs & ruineux qu'il faudroit abolir impitoyablement; tels sont, par exemple, tous droits de compagnonage, toutes fêtes de communauté, tous frais d'assemblée, jettons, bougies, repas & buvettes; occasions perpétuelles de fainéantise, d'excès & de pertes, qui retombent nécessairement sur le public, & qui ne s'accordent point avec l'économie nationale.

Que d'épargnes possibles enfin dans l'exercice de la religion, en supprimant les trois quarts de nos fêtès, comme on l'a fait en Italie, dans l'Autriche, dans les Pays - Bas, & ailleurs: la France y gagneroit des millions tous les ans; outre que l'on épargneroit bien des frais qui se sont ces jours - là dans nos églises. Qu'on pardonne sur cela les détails suivans, à un citoyen que l'amour du bien public anime.

Quel soulagement & quelle épargne pour le public, si l'on retranchoit la distribution du pain - beni! C'est une dépense des plus inutiles, dépense néanmoins considérable & qui fait crier bien des gens. On dit que certains officiers des paroisses font sur cela de petites concussions, ignorées sans doute de la police, & que la loi n'ayant rien fixé là - dessus, ils rançonnent les citoyens impunément selon qu'ils les trouvent plus ou moins faciles. Quoi qu'il en soit, il est démontré par un calcul exact, que le pain - beni coûte [p. 748] en France plusieurs millions par an; il n'est cependant d'aucune nécessité, il y a même des contrées dans le royaume où l'on n'en donne point du tout: en un mot, il ne porte pas plus de bénédiction que l'eau qu'on employe pour le benir; & par conséquent on pourroit s'en tenir à l'eau qui ne coûte rien, & supprimer la dépense du pain - beni comme onéreuse à bien du monde.

Apres avoir indiqué la suppression du pain - beni, je ne crois pas devoir épargner davantage la plûpart des quêtes usitées parmi nous, & sur - tout la location des chaises. Tous négoces sont défendus dans le temple du Seigneur; lui - même les a proscrits hautement, & je ne vois rien dans l'évangile sur quoi il ait parlé avec tant de force. Domus mea domus orationis est, vos autem fecistis illam speluncam latronum. Luc, xjx. 46. Il me semble que c'est une leçon & pour les pasteurs & pour les magistrats.

Rien de plus indécent que de vendre la place à l'église; MM. les ecclésiastiques ont grand soin de s'y mettre à l'aise & proprement, assis & à genoux: il conviendroit que tous les fideles y fussent de même commodément, & sans jamais financer. Pour cela il y faudroit mettre des bancs appropriés à cette fin, bancs qui rempliroient la nef & les côtés, & n'y laisseroient que de simples passages. J'ai vû quelque chose d'approchant dans une province du royaume, mais beaucoup mieux en Angletterre & en Hollande, où l'on est assis dans les temples sans aucuns frais, & sans être interrompu par des mendians, par des quêteurs, ni par des loüeurs de chaises. En quoi les Proestans nous donnent un bel exemple à suivre, si nous étions assez raisonnables, assez desintéressés pour cela.

Mais, dira - t - on sans doute, cette recette retranchée, comment fournir aux dépenses ordinaires? En voici le moyen sûr & facile, c'est de retrancher tout - à - fait une bonne partie de ces dépenses, & de modérer, comme il est possible, celles que l'on croit les plus indispensables. Quelle nécessité d'avoir tant de chantres & autres officiers dans les paroisses? A quoi bon tant de luminaire, tant d'ornemens, tant de cloches, &c. Si l'on étoit un peu raisonnable faudroit - il tant d'étalage, tant de cire & de sonnerie pour enterrer les morts? On en peut dire autant de mille autres superfluités onéreuses, & qui dénotent plus dans les uns l'amour du lucre, dans les autres l'amour du faste, que le zele de la religion & de la vraie piété.

Au surplus, il n'est pas possible que de simples particuliers remédient jamais à de pareils abus; chacun sent la tyrannie de la coûtume, chacun même en gemit dans son particulier; cependant tout le monde porte le joug. L'homme enfant craint la censure & le qu'en dira - t - on, & personne n'ose résister au torrent. C'est donc au gouvernement à déterminer une bonne fois, suivant la différence des conditions, tous frais funéraires, frais de mariage & de baptême, &c. & je crois qu'on pourroit, au grand bien du public, les reduire à - peu - près au tiers de ce qu'il en coûte aujourd'hui; ensorte que ce fût une regle constante pour toutes les familles, & qu'il fût absolument défendu aux particuliers & aux curés de faire ou de souffrir aucune dépense au - delà.

Quelques politiques modernes ont sagement observé que le nombre surabondant des gens d'église étoit visiblement contraire à l'opulence nationale, ce qui est principalement vrai des réguliers de l'un & de l'autre sexe. En effet, excepté ceux qui ont un ministere utile & connu, tous les autres vivent aux dépens des vrais travailleurs, sans rien produire de profitable à la société; ils ne contribuent pas même à leur propre subsistance, fruges consumere nati; Hor. l.I.ep.ij. v. 29. & bien qu'issus la plûpart des conditions les plus médiocres, bien qu'assujettis par étataux rigueurs de la pénitence, ils trouvent moyen d'éluder l'antique loi du travail, & de mener une vie douce & tranquille sans être obligés d'essuyer la sueur de leur visage.

Pour arrêter un si grand mal politique, il ne faudroit admettre aux ordres que le nombre de sujets nécessaires pour le service de l'église. A l'égard des reclus qui ont un ministere public, on ne peut que loüer leur zele à remplir leurs fonctions pénibles, & on doit les regarder comme des sujets précieux à l'état. Pour les autres qui n'ont pas d'occupations importantes, il paroîtroit à - propos d'en diminuer le nombre à l'avenir, & de chercher des moyens pour les rendre plus utiles.

Voilà plusieurs moyens d'épargne que les politiques ont déjà touchés; mais en voici un autre qu'ils n'ont pas encore effleuré, & qui est néanmoins des plus intéressans: je parle des académies de jeu, qui sont visiblement contraires au bien national; mais je parle sur - tout des cabarets si multipliés, si nuisibles parmi nous, que c'est pour le peuple la cause la plus commune de sa misere & de ses desordres.

Les cabarets, à le bien prendre, sont une occasion perpétuelle d'excès & de pertes; & il seroit très utile, dans les vûes de la religion & de la politique, d'en supprimer la meilleure partie à mesure qu'ils viendroient à vaquer. Il ne seroit pas moins important de les interdire pendant les jours ouvrables à tous les gens établis & connus en chaque paroisse; de les fermer séverement à neuf heures du soir dans toutes les saisons, & de mettre enfin les contrevenans à une bonne amende, dont moitié aux dénonciateurs, moitié aux inspecteurs de police.

Ces réglemens, dira - t - on, bien qu'utiles & raisonnables, diminueroient le produit des aides; mais premierement le royaume n'est pas fait pour les aides, les aides au contraire sont faites pour le royaume; elles sont proprement une ressource pour subvenir à ses besoins: si cependant par quelque occasion que ce puisse être, elles devenoient nuisibles à l'état, il n'est pas douteux qu'il ne fallût les rectifier ou chercher des moyens moins ruineux, à - peu - près comme on change ou qu'on cesse un remede lorsqu'il devient contraire au malade.

D'ailleurs les réglemens proposés ne doivent point allarmer les financiers, par la grande raison que ce qui ne se consommeroit pas dans les cabarets, se consommeroit encore mieux, & plus universellement, dans les maisons particulieres, mais pour l'ordinairesans excès & sans perte de tems; au lieu que les cabarets, toûjours ouverts, dérangent si bien nos ouvriers, qu'en ne peut d'ordinaire compter sur eux, ni voir la fin d'un ouvrage commencé. Nous nous plaignons sans cesse de la dureté des tems; que ne nous plaignons - nous plutôt de notre imprudence, qui nous porte à faire & à tolérer des dépenses & des pertes sans nombre?

Autre proposition qui tient à l'épargne publique, ce seroit de fonder des monts de piété dans toutes nos bonnes villes, pour faire trouver de l'argent sur gage & sans intérêt; si ce n'est peut - être qu'on pourroit tirer deux pour cent par année, pour fournir aux frais de la régie. On sait que les prêteurs - usuraires sont très - nuisibles au public, & qu'ainsi l'on éviteroit bien des pertes si l'on pouvoit se passer de leur ministere. Il seroit donc à souhaiter que les ames pieuses & les coeurs bienfaisans songeassent sérieusement à effectuer les fondations favorables dont nous parlons.

Outre la commodité générale d'un emprunt gratuit & facile pour les peuples, je regarde comme l'un des avantages de ces établissemens, que ce seroit autant de bureaux connus où l'on pourroit

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