RECHERCHE | Accueil | Mises en garde | Documentation | ATILF | ARTFL | Courriel |
"721">
A ces objections générales je répondrai 1°. qu'il n'est point d'erreur dans les Arts, de quelque nature qu'elle soit, qu'il ne paroisse évidemment utile de détruire.
2°. Que celle dont il s'agit est infiniment préjudiciable aux Artistes & aux Arts.
3°. Que c'est applanir des routes qui sont encore assez difficiles, que de chercher, de trouver, d'établir les premiers principes. Les regles n'ont été faites que sur le méchanisme des Arts; & en paroissant les gêner, elles les ont guidés jusqu'au point heureux où nous les voyons aujourd'hui. Que s'il est possible de porter des lumieres nouvelles sur leur partie purement spirituelle, sur le principe moteur duquel dérivent toutes leurs opérations, elles deviendront dèslors aussi sûres que faciles. Il en est des Arts comme de la Navigation; on ne couroit les mers qu'en tatonnant avant la découverte de la boussole.
4°. Ne craignons point d'affoiblir l'esprit, ou de refroidir le génie en les éclairant. Si tout ce que nous admirons dans les productions des Arts est l'ouvrage de la raison, cette découverte élevera l'ame de l'artiste, en lui donnant une opinion plus glorieuse encore de l'excellence de son être; & de cette élévation attendez de nouveaux miracles, sans en craindre un plus grand orgueil. La vanité n'est le grand ressort que des petites ames; le génie en suppose toûjours une supérieure.
5°. Les mots d'imagination, de génie, d'esprit, de talent, ne sont que des termes trouvés pour exprimer les différentes opérations de la raison: il en est d'eux à - peu - près comme des divinités inférieures du paganisme: elles n'étoient aux yeux des sages, que des noms commodes pour exprimer les divers attributs d'un Dieu unique; l'ignorance seule de la multitude leur fit partager les honneurs de la divinité.
6°. Si l'enthousiasme, à qui seul nous sommes redevables des belles productions des Arts, n'est dû qu' à la raison comme cause premiere; si c'est à ce rayon de lumiere plus ou moins brillant, à cette émanation plus ou moins grande d'un Être suprème, qu'il faut rapporter constamment les prodiges qui sortent des mains de l'humanité, dès - lors tous les préjugés nuisibles à la gloire des beaux Arts sont pour jamais détruits, & les Artistes triomphent. On pourra desormais être poëte excellent, sans cesser de passer pour un homme sage; un musicien sera sublime, sans qu'il soit indispensablement réputé pour fou. On ne regardera plus les hommes les plus rares comme des individus presqu'inutiles, peut - être même s'imaginera - t - on un jour qu'ils peuvent penser, vivre, agir comme le reste des hommes. Ils auront alors plus d'encouragement à espérer, & moins de dégoûts à soûtenir. Ces têtes legeres, orgueilleuses & bruyantes, ces automates lourds & dédaigneux qui décident en maîtres dans la société, seront peut - être à la fin persuadés qu'un artiste, qu'un homme de lettres tiennent dans l'ordre des choses un rang supérieur à celui d'un intendant qui les a subjugués & qui les ruine, d'un vil complaisant qui les amuse & qui les joüe, d'un caissier qui leur refuse leur argent pour
Au reste soit que la vérité triomphe enfin de l'erreur, soit que le préjugé plus puissant demeure le tyran perpétuel des opinions contemporaines, que nos illustres modernes se consolent & se rassurent: les ouvrages du dernier siecle sont regardés maintenant sans contradiction, comme des chefs - d'oeuvre de la raison humaine, & il n'est pas à craindre qu'on ose prétendre qu'ils ont été faits sans enthousiasme: tel sera le sort, dans le siecle prochain, de tous ces divers monumens glorieux aux Arts & à la patrie, qui s'élevent sous nos yeux. La multitude en est frappée, il est vrai, sans les apprécier, les demi connoisseurs les discutent sans les sentir: on s'en occupe moins long - tems aujourd'hui que d'une parodie sans esprit, dont on n'a pas honte de rire: qu'importe, en seront - ils moins un jour l'école & l'admiration de tous les esprits & de tous les âges?
Mais la définition que je propose convient - elle à toute sorte d'enthousiasme & à toutes les especes de talens? Quel est le tableau, dira - t - on peut - être, que la raison peut offrir à peindre à l'art du musicien? Il ne s'agit là que d'un arrangement géométrique de tons, &c. L'éloquence d'ailleurs est sublime sans enthousiasme, & il faut supprimer de cet article tout ce qui a été dit des orateurs du siecle dernier.
Je répons 1°. qu'il n'existe point de musique digne
de ce nom, qui n'ait peint une ou plusieurs images:
son but est d'émouvoir par l'expression, & il n'y a
point d'expression sans peinture. V. la question plus
au long aux art.
2°. Mettre en doute l'enthousiasme de l'orateur,
c'est vouloir faire douter de l'existence de l'éloquence
même, dont l'objet unique est de l'inspirer. Ce
discours qui vous émeut, qui vous intéresse ou qui
vous révolte; ces détails, ces images successives qui
vous attachent, qui ouvrent votre coeur d'une maniere
insensible à celui des sentimens que l'on veut
vous inspirer, tout cela n'est & ne peut être que l'effet
de l'émotion vive qui a précédé dans l'ame de l'orateur
celle qui se glisse dans la vôtre. On fait une
déclamation, une harangue, peut - être même un discours
académique sans enthousiasme; mais ce n'est
que de lui qu'on peut attendre un bon sermon, un
plaidoyer transcendant, une oraison funebre qui arrache
des larmes. Voyez
Je finis cet article par quelques observations utiles aux vrais talens, & que je supplie tous ceux qui s'érigent en juges souverains des Arts de me permettre.
Sans enthousiasme point de création, & sans création les Artistes & les Arts rampent dans la foule des choses communes. Ce ne sont plus que de froides copies retournées de mille petites façons différentes: les hommes disparoissent; on ne trouve plus à leur place que des singes & des perroquets.
J'ai dit plus haut qu'il y a deux sortes d'enthousiasme; l'un qui produit, l'autre qui admire; celui - ci est toûjours la suite & le salaire du premier, & la preuve certaine qu'il a eté un enthousiasme véritable.
Il y a donc de faux enthousiasmes. Un homme peut se croire des talens, du génie, & n'avoir que des réminiscences, une facilité malheureuse, & un penchant ridicule, qui en est presque toûjours la suite, pour tel genre ou tel art.
Il n'est point d'enthousiasme sans génie, c'est le
nom qu'on a donné à la raison au moment qu'elle le
produit; ni sans talens, autre nom qu'on a donné à
l'aptitude naturelle de l'ame à recevoir l'enthousiasme
& à le rendre. Voyez
L'enthousiasme plonge les hommes privilégiés qui en sont susceptibles, dans un oubli presque continuel de tout ce qui est étranger aux arts qu'ils professent. [p. 722]
Il est de la nature de l'enthousiasme de se communiquer & de se reproduire; c'est une flamme vive qui gagne de proche en proche, qui se nourrit de son propre feu, & qui loin de s'affoiblir en s'étendant, prend de nouvelles forces à mesure qu'elle se répand & se communique.
Je suppose le public assemblé pour voir la représentation d'un excellent ouvrage; la toile se leve, les acteurs paroissent, l'action marche, un transport général interrompt tout - à - coup le spectacle; c'est l'enthousiasme qui se fait sentir, il augmente par degrés, il passe de l'ame des acteurs dans celle des spectateurs; & remarquez qu'à mesure que ceux - ci s'échauffent, le jeu des premiers devient plus animé; leur feu mutuel est comme une balle de paume que l'adresse vive & rapide des joüeurs se renvoye; c'estlà où nous devons toûjours être sûrs d'avoir du plaisir en proportion de la sensibilité que nous montrons pour celui qu'on nous donne.
Dans ces spectacles magnifiques, au contraire, que le zele le plus ardent prépare, mais où le respect lie les mains, vous éprouvez une espece de langueur à - peu - près vers le milieu de la représentation; elle augmente par degrés jusqu'à la fin, & il est rare que l'ouvrage le plus fait pour émouvoir ne vous laisse pas dans un état tranquille. La cause de cette sorte de phénomene est dans l'ame de l'acteur & du spectateur. On ne verra jamais de représentation parfaite, sans cette chaleur mutuelle qui entretient la vivacité de celui qui represente, & le charme de ceux qui l'écoutent; c'est un méchanisme constant établi par la nature. L'enthousiasme de ce genre le plus vif s'éteint, s'il ne se communique.
Il y a en nous une analogie secrete entre ce que nous pouvons produire & ce que nous avons appris. La raison d'un homme de génie décompose les différentes idées qu'elle a reçues, se les rend propres, &
Ce n'est donc que par une étude assidue & profonde
de la nature, des passions, des chefs - d'oeuvre
des Arts, qu'on peut développer, nourrir, réchauffer,
étendre le génie. On pourroit le comparer à ces
grands fleuves, qui ne paroissent à leur source que
de foibles ruisseaux: ils coulent, serpentent, s'étendent;
& les torrens des montagnes, les rivieres des
plaines se mêlent à leur cours, grossissent leurs eaux,
ne font qu'un seul tout avec elles: ce n'est plus alors
un leger murmure, c'est un bruit imposant qu'ils excitent;
ils roulent majestueusement leurs flots dans
le sein de l'océan, après avoir enrichi les terres heureuses
qui en ont été arrosées. Voilà l'examen philosophique
de l'enthousiasme; voyez à l'article
ENTHOUSIASTE (Page 5:722)
ENTHOUSIASTE, s. m. (Philos. & Beaux - Arts)
personne qui est dans l'enthousiasme. Voyez
Ce mot, séparé du sens qu'on lui donne dans les
Beaux - Arts, se prend souvent en mauvaise part pour
désigner un fanatique. Voyez
ENTHOUSIASTES (Page 5:722)
* ENTHOUSIASTES, s. m. pl. (Hist. eccl.) nom
d'anciens sectaires, les mêmes que ceux qui ont été
appellés Massaliens, Enchites. On leur avoit donné
ce nom, à ce que dit Théodoret, parce qu'étant agités
du démon, ils croyoient avoir de véritables inspirations.
On doûne encore aujourd'hui le nom d'Enthousiastes aux Anabaptistes, aux Quakers ou Trembleurs, qui se croyent remplis d'une inspiration divine,
& soûtiennent que la sainte Ecriture doit être
expliquée par les lumieres de cette inspiration.
Voyez
ENTHRONISTIQUE (Page 5:722)
* ENTHRONISTIQUE, adj. pris sub. (Hist. eccl.) somme d'argent déterminée que les ecclésiastiques du premier ordre étoient obligés de payer pour être installés.
ENTHYMEME (Page 5:722)
ENTHYMEME, s. m. (Logique) est un argument qui ne comprend que deux propositions, l'antécedent, & le conséquent qu'on en tire. Il faut cependant observer que c'est un syllogisme parfait dans l'esprit, mais imparfait dans l'expression, parce qu'on y supprime quelqu'une des propositions, comme trop claire & trop connue, & comme étant facilement suppléée par l'esprit de ceux à qui on parle. Cette maniere d'argument est si commune dans les discours & dans les écrits, qu'il est rare, au contraire, qu'on y exprime toutes les propositions. L'esprit humain est flaté qu'on lui laisse quelque chose à suppléer; sa vanité est satisfaite qu'on se remette de quelque chose à son intelligence: d'ailleurs la suppression d'une proposition, assez claire pour être supposée, en abrégeant le discours, le rend plus fort & plus vif. Il est certain, par exemple, que si de ce vers de la Médée d'Ovide, qui contient un enthymème trèsélégant,
Servare potui, perdere an possim rogas?
on en avoit fait un argument en forme, toute la
grace en seroit ôtée: & la raison en est, que comme
une des principales beautés d'un discours est d'être
plein de sens, & de donner occasion à l'esprit de
former une pensée plus étendue que n'est l'expression,
c'en est au contraire un des plus grands défauts
d'être vuide de sens, & de renfermer peu de pensées;
ce qui est presque inévitable dans les syllogismes
philosophiques, où la même pensée est pesamment
renfermée dans trois propositions. C'est ce qui
Next page
The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.