ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"NA11"> core une mesure invariable. Il est inutile de nuancer les mots qu'on ne sera point tenté de confondre, quand la langue sera morte. Au - delà de cette limite, l'art de faire des synonymes devient un travail aussi étendu que puérile. Je voudrois qu'on eût deux autres attentions dans la distinction des mots synonymes. L'une de ne pas marquer seulement les idées qui différentient, mais celles encore qui sont communes. M. l'abbé Girard ne s'est asservi qu'à la premiere partie de cette loi; cependant celle qu'il a néligée n'est ni moins essentielle, ni moins difficile à remplir. L'autre, de choisir ses exemples de maniere qu'en expliquant la diversité des acceptions, on exposât en même tems les usages de la nation, ses coûtumes, son caractere, ses vices, ses vertus, ses principales transactions, &c. & que la mémoire de ses grands hommes, de ses malheurs, & de ses prospérités, y fût rappellée. Il n'en coûtera pas plus de rendre un synonyme utile, sensé, instructif & vertueux, que de le faire contraire à l'honnêteté ou vuide de sens.

Ajoûtons à ces observations, un moyen simple & raisonnable d'abréger la nomenclature & d'éviter les redites. L'Académie françoise l'avoit pratiqué dans la premiere édition de son dictionnaire; & je ne pense pas qu'elle y eût renoncé en faveur des lecteurs bornés, si elle eût considéré combien il étoit facile de les secourir. Ce moyen d'abréger la nomenclature, c'est de ne pas distribuer en plusieurs articles séparés, ce qui doit naturellement être renfermé sous un seul. Faut - il qu'un dictionnaire contienne autant de fois un mot, qu'il y a de différences dans les vûes de l'esprit? l'ouvrage devient infini, & ce sera nécessairement un cahos de répétitions. Je ne ferois donc de précipitable, précipiter, précipitant, précipitation, précipité, précipice, & de toute autre expression semblable, qu'un article auquel je renverrois dans tous les endroits où l'ordre alphabétique m'offriroit des expressions liées par une même idée générale & commune. Quant aux différences, le substantif désigne ou la chose, ou la personne, ou l'action, ou la sensation, ou la qualité, ou le tems, ou le lieu; le participe, l'action, considérée ou comme possible, ou comme présente, ou comme passée; l'infinitif, l'action relativement à un agent, à un lieu, & à un tems quelconque indéterminé. Multiplier les définitions selon toutes ces faces, ce n'est pas définir les termes; c'est revenir sur les mêmes notions à chaque face nouvelle qu'un terme présente. N'est - il pas évident que ce qui convient à une expression considérée une fois sous ces points de vûe différens, convient à toutes celles qui admettront dans la langue la même variété? Je remarquerai que pour la perfection d'un idiome, il feroit à souhaiter que les termes y eussent toute la variété dont ils sont susceptibles. Je dis dont ils sont susceptibles, parce qu'il y a des verbes, tels que les neutres, qui excluent certaines muances; ainsi aller ne peut avoir l'adjectif allable. Mais combien d'autres dont il n'en est pas ainsi, & dont le produit est limité sans raison, malgré le besoin journalier, & les embarras d'une disette qui se fait particulierement sentir aux écrivains exacts & laconiques? Nous disons accusateur, accuser, accusation, accusant, accusé, & nous ne disons pas accusable, quoiqu'inexcusable soit d'usage. Combien d'adjectifs qui ne se meuvent point vers le substantif, & de substantifs qui ne se meuvent point vers l'adjectif? Voilà une source féconde où ilreste encore à notre langue bien des richesses à puiser. Il seroit bon de remarquer à chaque expression les muances qui lui manquent, afin qu'on osât les suppléer de notre tems, ou de crainte que trompé dans la suite par l'analogie, on ne les regardât comme des manieres de dire, en usage dans le bon siecle.

Voilà ce que j'avois à exposer sur la langue. Plus cet objet avoit été négligé dans notre ouvrage, plus il étoit important relativement au but d'une Encyclopédie; plus il convenoit d'en traiter ici avec étendue; ne fût - ce, comme nous l'avons dit, que pour indiquer les moyens de réparer la faute que nous avons commise. Je n'ai point parlé de la Syntaxe, ni des autres parties du rudiment françois; celui qui s'en est chargé, n'a rien laissé à desirer là - dessus; & notre Dictionnaire est complet de ce côté.

Mais après avoir traité de la langue, ou du moyen de transmettre les connoissances, cherchons le meilleur enchaînement qu'on puisse leur donner.

Il y a d'abord un ordre général, celui qui distingue ce Dictionnaire de tout autre ouvrage où les matieres sont pareillement soûmises à l'ordre alphabétique; l'ordre qui l'a fait appeller Encyclopédie. Nous ne dirons qu'une chose de cet enchaînement considéré par rapport à toute la matiere encyclopédique, c'est qu'il n'est pas possible à l'architecte du génie le plus fécond d'introduire autant de variété dans la construction d'un grand édifice, dans la décoration de ses façades, dans la combinaison de ses ordres, en un mot, dans toutes les parties de sa distribution, que l'ordre encyclopédique en admet. Il peut être formé soit en rapportant nos différentes connoissances aux diverses facultés de notre ame, (c'est ce système que nous avons suivi), soit en les rapportant aux êtres qu'elles ont pour objet; & cet objet est ou de pure curiosité, ou de luxe, ou de nécessité. On peut diviser la science générale, ou en science des choses & en science des signes, ou en science des concrets ou en science des abstraits. Les deux causes les plus générales, l'Art & la Nature, donnent aussi une belle & grande distribution. On en rencontrera d'autres dans la distinction ou du physique & du moral; de l'existant & du possible; du matériel & du spirituel; du réel & de l'intelligible. Tout ce que nous savons ne découlet - il pas de l'usage de nos sens & de celui de notre raison? N'est - il pas ou naturel ou révélé? Ne sontce pas ou des mots, ou des choses, ou des faits? Il est donc impossible de bannir l'arbitraire de cette grande distribution premiere. L'univers ne nous offre que des êtres particuliers, infinis en nombre, & sans presqu'aucune division fixe & déterminée; il n'y en a aucun qu'on puisse appeller ou le premier ou le dernier; tout s'y enchaîne & s'y succede par des nuances insensibles; & à - travers cette uniforme immensité d'objets, s'il en paroît quelques - uns qui, comme des pointes de rochers, semblent percer la surface & la dominer, ils ne doivent cette prérogative qu'à des systèmes particuliers, qu'à des conventions vagues, qu'à certains évenemens étrangers, & non à l'arrangement physique des êtres & à l'intention de la nature. Voyez le Prospectus.

En général la description d'une machine peut être entamée par quelque partie que ce soit. Plus la machine sera grande & compliquée, plus il y aura de liaisons entre ses parties, moins on connoîtra ces liaisons; plus on aura de différens plans de description. Que sera - ce donc si la machine est infinie en tout sens; s'il est question de l'univers réel & de l'univers intelligible, ou d'un ouvrage qui soit comme l'empreinte de tous les deux? L'univers soit réel soit intelligible a une infinité de points de vûe sous lesquels il peut être représenté, & le nombre des systemes possibles de la connoissance humaine est aussi grand que celui de ces points de vûe. Le seul, d'où l'arbitraire seroit exclu, c'est comme nous l'avons dit dans notre Prospectus, le système qui existoit de toute éternité dans la volonté de Dieu. Et celui où l'on descendroit de ce premier être éternel, à tous les êtres qui dans le tems émanerent de son sein, ressembleroit à [p. 641] l'hypothese astronomique dans laquelle le philosophe se transporte en idée au centre du soleil, pour y calculer les phénomenes des corps célestes qui l'environnent; Ordonnance qui a de la simplicité & de la grandeur, mais à laquelle on pourroit reprocher un défaut important dans un ouvrage composé par des philosophes, & adressé à tous les hommes & à tous les tems; le défaut d'être lié trop étroitement à notre Théologie, science sublime, utile sans doute par les connoissances que le Chrétien en reçoit, mais plus utile encore par les sacrifices qu'elle en exige, & les récompenses qu'elle lui promet.

Quant à ce système général d'où l'arbitraire seroit exclu, & que nous n'aurons jamais; peut - être ne nous seroit - il pas fort avantageux de l'avoir; car quelle différence y auroit - il entre la lecture d'un ouvrage où tous les ressorts de l'univers seroient développés, & l'étude même de l'univers? presqu'aucune: nous ne serions toûjours capables d'entendre qu'une certaine portion de ce grand livre; & pour peu que l'impatience & la curiosité qui nous dominent & interrompent si communément le cours de nos observations, jettassent de desordre dans nos lectures, nos connoissances deviendroient aussi isolées qu'elles le sont; perdant la chaîne des inductions, & cessant d'appercevoir les liaisons antérieures & subséquentes, nous aurions bien - tôt les mêmes vuides & les mêmes incertitudes. Nous nous occupons maintenant à remplir ces vuides, en contemplant la nature; nous nous occuperions à les remplir, en méditant un volume immense qui n'étant pas plus parfait à nos yeux que l'univers, ne seroit pas moins exposé à la témérité de nos doutes & de nos objections.

Puisque la perfection absolue d'un plan universel ne remédieroit point à la foiblesse de notre entendement, attachons - nous à ce qui convient à notre condition d'homme, & contentons - nous de remonter à quelque notion très - générale. Plus le point de vûe d'où nous considérerons les objets sera élevé; plus il nous découvrira d'étendue, & plus l'ordre que nous suivrons sera instructif & grand. Il faut par conséquent qu'il soit simple, parce qu'il y a rarement de la grandeur sans simplicité; qu'il soit clair & facile; que ce ne soit point un labyrinthe tortueux où l'on s'égare, & où l'on n'apperçoive rien au - delà du point où l'on est; mais une grande & vaste avenue qui s'étende au loin, & sur la longueur de laquelle on en rencontre d'autres également bien distribuées, qui conduisent aux objets solitaires & écartés par le chemin le plus facile & le plus court.

Une considération sur - tout qu'il ne faut point perdre de vûe, c'est que si l'on bannit l'homme ou l'être pensant & contemplateur de dessus la surface de la terre; ce spectacle pathétique & sublime de la nature n'est plus qu'une scene triste & muette. L'univers se taît; le silence & la nuit s'en emparent. Tout se change en une vaste solitude où les phénomenes inobservés se passent d'une maniere obscure & sourde. C'est la présence de l'homme qui rend l'existence des êtres intéressante; & que peut - on se proposer de mieux dans l'histoire de ces êtres, que de se soûmettre à cette considération? Pourquoi n'introduirons - nous pas l'homme dans notre ouvrage, comme il est placé dans l'univers? Pourquoi n'en ferons - nous pas un centre commun? Est - il dans l'espace infini quelque point d'où nous puissions avec plus d'avantage faire partir les lignes immenses que nous nous proposons d'étendre à tous les autres points? Quelle vive & douce réaction n'en résulterat - il pas des êtres vers l'homme, de l'homme vers les êtres?

Voilà ce qui nous a déterminé à chercher dans les facultés principales de l'homme, la division générale à laquelle nous avons subordonné notre tra<cb-> vail. Qu'on suive telle autre voie qu'on aimera mieux, pourvû qu'on ne substitue pas à l'homme un être muet, insensible & froid. L'homme est le terme unique d'où il faut partir, & auquel il faut tout ramener, si l'on veut plaire, intéresser, toucher jusque dans les considérations les plus arides & les détails les plus secs. Abstraction faite de mon existence & du bonheur de mes semblables, que m'importe le reste de la nature?

Un second ordre non moins essentiel que le précédent, est celui qui déterminera l'étendue relative des différentes parties de l'ouvrage. I'avoue qu'il se présente ici une de ces difficultés qu'il est impossible de surmonter, quand on commence, & qu'il est difficile de surmonter à quelqu'édition qu'on parvienne. Comment établir une juste proportion entre les différentes parties d'un si grand tout? Quand ce tout seroit l'ouvrage d'un seul homme, la tâche ne seroit pas facile; qu'est - ce done que cette tâche, lorsque le tout est l'ouvrage d'une société nombreuse? En comparant un Dictionnaire universel & raisonné de la connoissance humaine à une statue colossale, on n'en est pas plus avancé, puisqu'on ne sait ni comment déterminer la hauteur absolue du colosse, ni par quelles sciences, ni par quels arts, ses membres différens doivent être représentés. Quelle est la matiere qui servira de module? sera - ce la plus noble, la plus utile, la plus importante, ou la plus étendue? préférera - t - on la Morale aux Mathématiques, les Mathématiques à la Théologie, la Théologie à la Jurisprudence, la Jurisprudence à l'Histoire naturelle, &c. Si l'on s'en tient à certaines expressions génériques que personne n'entend de la même maniere, quoique tout le monde s'en serve sans contradiction, parce que jamais on ne s'explique; & si l'on demande à chacun ou des élémens, ou un traité complet & général, on ne tardera pas à s'appercevoir combien cette mesure nominale est vague & indéterminée. Et celui qui aura crû prendre avec ses différens collegues des précautions telles que les matériaux qui lui seront remis quadreront à peu près avec son plan, est un homme qui n'a nulle idée de son objet, ni des collegues qu'il s'associe. Chacun a sa maniere de sentir & de voir. Je me souviens qu'un artiste à qui je croyois avoir exposé assez exactement ce qu'il avoit à faire pour son art, m'apporta d'apres mon discours, à ce qu'il prétendoit, sur la maniere de tapisser en papier, qui demandoit à peu près un feuillet d'écriture & une demie planche de dessein, dix à douze planches énormément chargées de figures, & trois cahiers épais, in - folio, d'un caractere fort menu, à fournir un à deux volumes in - douze. Un autre au contraire à qui j'avois prescrit exactement les mêmes regles qu'au premier, m'apporta sur une des manufactures les plus étendues par la diversité des ouvrages qu'on y fabrique, des matieres qu'on y employe, des machines dont on se sert, & des manoeuvres qu'on y pratique, un petit catalogue de mots sans définition, sans explication, sans figure, m'assûrant bien fermement que son art ne contenoit rien de plus: il supposoit que le reste ou n'étoit point ignoré, ou ne pouvoit s'écrire. Nous avions espéré d'un de nos amateurs les plus vantés, l'article Composition en Peinture, (M. Watelet ne nous avoit point encore offert ses secours). Nous recumes de l'amateur, deux lignes de définition, sans exactitude, sans style, & sans idées, avec l'humiliant aveu, qu'il n'en savoit pas davantage; & je fus obligé de faire l'article Composition en Peinture, moi qui ne suis ni amateur ni peintre. Ces phénomenes ne m'étonnerent point. Je vis avec aussi peu de surprise la même diversité entre les travaux des savans & des gens de lettres. La preuve en subsiste en cent endroits de cet Ouvrage. Ici nous sommes boursouflés & d'un

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