ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"NA12"> volume exorbitant; là maigres, petits, mesquins, secs & décharnés. Dans un endroit, nous ressemblons à des squeletes; dans un autre, nous avons un air hydropique; nous sommes alternativement nains & géants, colosses & pigmées; droits, bienfaits & proportionnés; bossus, boiteux & contrefaits. Ajoûtez à toutes ces bisarreries celle d'un discours tantôt abstrait, obscur ou recherché, plus souvent négligé, traînant & lâche; & vous comparerez l'ouvrage entier au monstre de l'art poétique, ou même à quelque chose de plus hideux. Mais ces défauts sont inséparables d'une premiere tentative, & il m'est évidemment démontré qu'il n'appartient qu'au tems & aux siecles à venir de les réparer. Si nos neveux s'occupent de l'Encyclopédie sans inruption, ils pourront conduire l'ordonnance de ses materiaux à quelque degré de perfection. Mais, au défaut d'une mesure commune & constante, il n'y a point de milieu; il faut d'abord admettre sans exception tout ce qu'une science comprend, abandonner chaque matiere à elle - même, & ne lui prescrire d'autres limites que celles de son objet. Chaque chose étant alors dans l'Encyclopédie ce qu'elle est en soi, elle y aura sa vraie proportion, sur - tout lorsque le tems aura pressé les connoissances, & réduit chaque sujet à sa juste étendue. S'il arrivoit après un grand nombre d'éditions successivement perfectionnées, que quelque matiere importante restât dans le même état, comme il pourroit aisément arriver parmi nous à la Minéralogie & à la Métallurgie, ce ne sera plus la faute de l'Ouvrage, mais celle du genre humain en général, ou de la nation en particulier, dont les vûes ne se seront pas encore tournées sur ces objets.

J'ai fait souvent une observation, c'est que l'émulation qui s'allume nécessairement entre des collegues, produit des dissertations au lieu d'articles. Tout l'art des renvois ne peut alors remédier à la diffusion; & au lieu de lire un article d'Encyclopédie, on se trouve embarqué dans un mémoire académique. Ce défaut diminuera à mesure que les éditions se multiplieront; les connoissances se rapprocheront nécessairement; le ton emphatique & oratoire s'affoiblira; quelques découvertes devenues plus communes & moins intéressantes occuperont moins d'espace; il n'y aura plus que les matieres nouvelles, les découvertes du jour qui seront enslées. C'est une sorte de condescendance qu'on aura dans tous les tems, pour l'objet, pour l'auteur, pour le public, &c. Le moment passé, cet article subira la circoncision comme les autres. Mais en général les inventions & les idées nouvelles introduisant une disproportion nécessaire; & la premiere édition étant celle de toutes qui contient le plus de choses, sinon récemment inventées, du - moins aussi peu connues que si elles avoient ce caractere, il est évident & par cette raison & par celles qui précedent, que c'est l'édition où il doit régner le plus de désordre; mais qui en revanche montrera à - travers ses irrégularités un air original qui passera difficilement dans les éditions suivantes.

Pourquoi l'ordre encyclopedique est - il si parfait & si régulier dans l'auteur anglois? c'est que se bornant à compiler nos dictionnaires & à analyser un petit nombre d'ouvrages, n'inventant rien, s'en tenant rigoureusement aux choses connues, tout lui étant également intéressant ou indifférent, n'ayant ni d'acception pour aucune matiere, ni de moment favorable ou défavorable pour travailler, excepté celui de la migraine ou du spleen; c'étoit un laboureur qui tracoit son sillon, superficiel, mais égal & droit. Il n'en est pas ainsi de notre ouvrage. On se pique. On veut avoir des morceaux d'appareil. C'est même peut - être en ce moment ma vanité. L'exemple de l'un en entraîne un autre. Les éditeurs se plaignent, mais inutilement. On se prévaut de leurs propres fautes contre eux - mêmes, & tout se porte à l'excès. Les articles de Chambers sont assez régulierement distribués; mais ils sont vuides. Les nôtres sont pleins, mais irréguliers. Si Chambers eût rempli les siens, je ne doute point que son ordonnance n'en eût souffert.

Un troisieme ordre est celui qui expose la distribution particuliere à chaque partie. Ce sera le premier morceau qu'on exigera d'un collegue. Cet ordre ne me paroît pas entierement arbitraire; il n'en est pas d'une science ainsi que de l'univers. L'univers est l'ouvrage infini d'un Dieu. Une science est un ouvrage fini de l'entendement humain. Il y a des premiers principes, des notions générales, des axiomes donnés. Voilà les racines de l'arbre. Il faut que cet arbre se ramifie le plus qu'il sera possible; qu'il parte de l'objet général comme d'un tronc; qu'il s'éleve d'abord aux grandes branches ou premieres divisions; qu'il passe de ces maîtresses branches à de moindres rameaux; & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il se soit étendu jusqu'aux termes particuliers qui seront comme les feuilles & la chevelure de l'arbre. Et pourquoi ce détail seroit - il impossible? chaque mot n'a - t - il pas sa place, ou, s'il est permis de s'exprimer ainsi, son pédicule & son insertion? Tous ces arbres particuliers seront soigneusement recueillis; & pour présenter les mêmes idées sous une image plus exacte, l'ordre encyclopédique général sera comme une mappemonde où l'on ne rencontrera que les grandes régions; les ordres particuliers, comme des cartes particulieres de royaumes, de provinces, de contrées; le dictionnaire, comme l'histoire géographique & détaillée de tous les lieux, la topographie générale & raisonnée de ce que nous connoissons dans le monde intelligible & dans le monde visible; & les renvois serviront d'itinéraires dans ces deux mondes, dont le visible peut être regardé comme l'Ancien, & l'intelligible comme le Nouveau.

Il y a un quatrieme ordre moins général qu'aucun des précédens, c'est celui qui distribue convenablement plusieurs articles différens compris sous une même dénomination. Il paroît ici nécessaire de s'assujettir à la génération des idées, à l'analogie des matieres, à leur enchaînement naturel, de passer du simple au figuré, &c. Il y a des termes solitaires qui sont propres à une seule science, & qui ne doivent donner aucune sollicitude. Quant à ceux dont l'acception varie & qui appartiennent à plusieurs sciences & à plusieurs arts, il faut en former un petit systême dont l'objet principal soit d'adoucir & de pallier autant qu'on pourra la bisarrerie des disparates. Il faut en composer le tout le moins irrégulier & le moins décousu, & se laisser conduire tantôt par les rapports, quand il y en a de marques, tantôt par l'importance des matieres; & au défaut des rapports, par des tours originaux qui se présenteront d'autant plus fréquemment aux éditeurs qu'ils auront plus de génie, d'imagination & de connoissances. Il y a des matieres qui ne se séparent point; telles que l'Histoire sacrée & l'Histoire profane, la Théologie & la Mythologie; l'Histoire naturelle, la Physique, la Chimie & quelques arts, &c. La science étymologique, la connoissance historique des êtres & des noms, fourniront aussi un grand nombre de vûes différentes qu'on pourra toujours suivre sans crainte d'être embarrassé, obscur, ou ridicule.

Au milieu de ces différens articles de même dénomination à distribuer, l'éditeur se comportera comme s'il en étoit l'auteur; il suivra l'ordre qu'il eut suivi s'il eût eu à considérer le mot sous toutes ses acceptions. Il n'y a point ici de loi générale à prescrire; on en connoîtroit une, que le moindre incon<pb-> [p. 642] vénient qu'il y auroit à la suivre, ce seroit l'ennui de l'uniformité. L'ordre encyclopedique général jetteroit de tems en tems dans des arrangemens bisarres. L'ordre alphabétique donneroit à tout moment des contrastes burlesques; un article de Théologie se trouveroit relégué tout au - travers des arts méchaniques. Ce qu'on observera communément & sans inconvénient, c'est de débuter par l'acception simple & grammaticale; de tracer sous l'acception grammaticale un petit tableau en raccourci de l'article en entier; d'y présenter en exemples autant de phrases différentes, qu'il y a d'acceptions différentes; d'ordonner ces phrases entr'elles, comme les différentes acceptions du mot doivent être ordonnées dans le reste de l'article; à chaque phrase ou exemple, de renvoyer à l'acception particuliere dont il s'agit. Alors on verra presque toûjours la Logique succéder à la Grammaire, la Métaphysique à la Logique, la Théologie à la Métaphysique, la Morale à la Théologie, la Jurisprudence à la Morale, &c. malgré la diversité des acceptions, chaque article traité de cette maniere formera un ensemble; & malgré cette unité commune à tous les articles, il n'y aura ni trop d'uniformité, ni monotonie. J'insiste sur la liberté & la variété de cette distribution, parce qu'elle est en même tems commode, utile & raisonnable. Il en est de la formation d'une Encyclopedie ainsi que de la fondation d'une grande ville. Il n'en faudroit pas construire toutes les maisons sur un même modele, quand on auroit trouvé un modele général, beau en lui - même & convenable à tout emplacement. L'uniformité des édifices, entraînant l'uniformité des voies publiques, répandroit sur la ville entiere un aspect triste & fatiguant. Ceux qui marchent ne résistent point à l'ennui d'un long mur, ou même d'une longue forêt qui les a d'abord enchantés.

Un bon esprit (& il faut supposer au moins cette qualité dans un éditeur) saura mettre chaque chose à sa place, & il n'y a pas à craindre qu'il ait dans les idées assez peu d'ordre, ou dans l'esprit assez peu de goût pour entremêler sans nécessité des acceptions disparates. Mais il y auroit aussi de l'injustice à l'accuser d'une bisarrerie qui ue seroit que la suite nécessaire de la diversité des matieres, des imperfections de la langue, & de l'abus des métaphores, qui transporte un même mot de la boutique d'un artisan sur les bancs de la Sorbonne, & qui rassemble les choses les plus hétérogenes sous une commune dénomination.

Mais quel que soit l'objet dont on traite, il saut exposer le genre auquel il appartient; sa différence spécisique, ou la qualité qui le distingue, s'il y en a une; ou plutôt l'assemblage de celles qui le constituent, (car il résulte de cet assemblage une différence nécessaire, sans quoi leux ou plusieurs êtres physiques étant absolument les mêmes au jugement de tous nos sens, nous ne les distinguerions pas); ses causes, quand on les connoît; ce qu'on sait de ses effets; ses qualités actives & passives; son objet; sa fin; ses usages; les singularités qu'on y remarque; sa génération; son accroissement; ses vicissitudes; ses dimensions; son dépérissement, &c. d'où il s'ensuit qu'un même objet considéré sous tant de faces doit souvent appartenir à plusieurs sciences, & qu'un mot pris sous une seule acception fournira plusieurs articles différens. S'il s'agit, par exemple, de quelque substance minérale, c'est communément le grammairien ou le naturaliste qui s'en empare le premier; il la transmet au physicien; celui - ci au chimiste; le chimiste au pharmacien; le pharmacien au medecin, au cuisinier, au peintre, au teinturier, &c.

D'où naît un cinquieme ordre qui sera d'autant plus facile à instituer, que les collegues se seront renfermés plus rigoureusement dans les bornes de leurs parties, & qu'ils auront bien saisi le point de vûe sous lequel ils avoient à considérer la chose individuelle dont il s'agit. Une énumération méthodique & raisonnée des qualités déterminera ce cinquieme & dernier ordre qui sera aussi susceptible d'une grande variété. La suite des procédés par lesquels on fait passer une substance, selon l'usage auquel on la destine, suggérera la place que chaque notion doit occuper. Au reste, je pense qu'il faut laisser les collegues s'expliquer séparément. Le travail des éditeurs seroit infini, s'ils avoient à fondre tous leurs articles en un seul; il convient d'ailleurs de reserver à chacun l'honneur de son travail, & au lecteur la commodité de ne consulter que l'endroit d'un article dont il a besoin.

J'exige seulement de la méthode, quelle qu'elle soit. Je ne voudrois pas qu'il y eût un seul article capital, sans division & sans sous - division. C'est l'ordre qui soulage la mémoire. Mais il est difficile qu'un auteur prenne cette attention pour le lecteur, qu'elle ne tourne à son propre avantage. Ce n'est qu'en méditant profondément sa matiere qu'on trouve une distribution générale. C'est presque toûjours la derniere idée importante qu'on rencontre. C'est une pensée unique qui se développe, qui s'étend & qui se ramisie, ense nourrissant de toutes les autres qui s'en rapprochent comme d'elles - mêmes. Celles qui se refusent à cette espece d'attraction, ou sont trop éloignées de sa sphere, ou elles ont quelqu'autre défaut plus considérable; & dans l'un & l'autre cas, il est à propos de les rejetter. D'ailleurs un dictionnaire est fait pour être consulté; & le point essentiel, c'est que le lecteur remporte nettement dans sa mémoire le résultat de sa lecture. Une marche à laquelle il faudroit s'assujettir quelquefois, parce qu'elle représente assez bien la méthode d'invention, c'est de partir des phénomenes individuels & particuliers, pour s'élever à des connoissances plus étendues & moins spécifiques; de celles ci à de plus générales encore, jusqu'à ce qu'on arrivât à la science des axiomes ou de ces propositions que leur simplicité, leur universalité, leur évidence, rendent indémontrables. Car en quelque matiere que ce soit, on n'a parcouru tout l'espace qu'on avoit à parcourir, que quand on est arrivé à un principe qu'on ne peut ni prouver, ni définir, ni éclaircir, ni obscurcir, ni nier, sans perdre une partie du jour dont on étoit éclairé, & faire un pas vers des ténebres qui finiroient par devenir très profondes, si on ne mettoit aucune borne à l'argumentation.

Si je pense qu'il y a un point au - delà duquel il est dangereux de porter l'argumentation, je pense aussi qu'il ne faut s'arrêter, que quand on est bien sûr de l'avoir atteint. Toute science, tout art a sa métaphysique. Cette partie est toujours abstraite, élevée & difficile. Cependant ce doit être la principale d'un dictionnaire philosophique; & l'on peut dire que tant qu'il y reste à défricher, il y a des phénomenes inexplicables, & réciproquement. Alors l'homme de lettres, le savant & l'artiste marchent dans les ténebres; s'ils font quelques progrès, ils en sont redevables au hasard; ils arrivent comme un voyageur égaré qui suit la bonne voie sans le savoir. Il est donc de la derniere importance de bien exposer la métaphysique des choses, ou leurs raisons premieres & générales; le reste en deviendra plus lumineux & plus assûré dans l'esprit. Tous ces prétendus mysteres tant reprochés à quelques sciences, & tant allégués par d'autres pour pallier les leurs, discutés métaphysiquement, s'évanoüissent comme les phantômes de la nuit à l'approche du jour. L'art éclairé

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